Anarchisme et croyance

 

Les habitants de la terre se divisent en deux :

ceux qui ont un cerveau et pas de religion

et ceux qui ont une religion mais pas de cerveau.

Aboul-Ala AL-MAARI, Syrie (Maara), XIème siècle

 

  

Il existe un véritable camaïeu de définitions de l'anarchisme qui se distinguent – ou se singularisent – les unes des autres dans la nuance mais qui s'organise toutes autour d'un même corpus de principe et de valeurs comme, par exemple,… l'anti-autoritarisme.

C'est cet anti-autoritarisme qui, en effet, scellent l'unité des anarchistes d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et de là-bas et qui, en réaction aux méthodes maffieuses et au projet autoritariste des communistes d'obédience marxistes, a, notamment mais, bien entendu, il y a d'autres motifs idéologiques, philosophiques, politiques…, amené certains révolutionnaires de la seconde moitié du XIXème siècle à théoriser un communisme anti-autoritaire - l'anarchie - ainsi qu'une action politique, une praxis révolutionnaire, une méthodologie de lutte, un comportement social et culturel, une éthique, une relation à l'autre… - l'anarchisme –, à se qualifier d'anarchistes ou communistes anti-autoritaires ou libertaires (d'où, assez rapidement, le raccourci de libertaires comme synonyme d'anarchistes) et, enfin mais la liste n'est pas clause pour autant, à claquer au vent un morceau de chiffon noir pour en faire le drapeau de la révolte, de la rébellion, de la révolution et donc de l'anarchisme dans l'attente du jour où il n'y aura plus de drapeau, pas même noir.

Et c'est parce que l'anti-autoritarisme est le fondement de l'anarchisme – celui de l'anarchie étant… l'absence d'autorité – que les anarchistes du XIXème siècle ont fait leur cette devise "Ni dieu, ni maître" inventée, rappelons-le, par Louis Auguste Blanqui qui, bien que socialiste révolutionnaire, ne fut jamais… anarchiste dés lors que toute sa conception du s'organise autour de… l'Etat populaire, autrement dit de… l'autorité du peuple qui n'est pas sans évoquer la… dictature du prolétariat de Karl Marx et de ses histrions (Lénine, Trotski, Staline, Mao…).

"Ni dieu, ni maître"… quelle concision saisissante pour définir l'anarchisme et l'anarchie et les ériger au rang d'…humanisme achevé ! Ainsi, en même temps, rien d'humain ne peut indifférer un anarchiste et rien ne peut, au nom d'une quelconque autorité, révélée, déléguée, usurpée, instituée…, être au-dessus de l'humain et, plus précisément, des humains, de TOUS les humains.

Rien, pas même l'Homme cette idée ab-straite dont d'aucuns voudraient faire un porte-(bonne)-parole ou un faire-(pré)valoir pour légitimer une tyrannie particulière - celle des tables sacrées, de la Loi, de l'intérêt général, de la majorité… - qui pèserait de toute son immatérialité sur… les humains.

Rien, pas même cette autre abstraction – l'Etat – dont d'aucuns voudraient faire accroire qu'il est au service de tou(te)s alors que, en raison même de son essence il est au service de quelques un(s) contre tou(te)s les autres et que, bien que d'émanation humaine, il devient souvent une sorte de monstre, de créature… déchaînée, de robocop… débridé, de machine folle, de moloch, de raison sans cœur, de… fin en et pour soi qui, pour vivre, a besoin de se nourrir de… chair humaine, celle des esclaves, bien sûr, mais aussi celle des prêtres et des gardiens qui, en devenant bourreaux, cessent d'être… humains.

Rien, pas même dieu, qu'il soit unique (même à forme de singulier/pluriel ou de pluriel… singulier !) ou multiple…, qu'il soit la créature ou le créateur des humains… dans la mesure où il ne peut y avoir d'humaine liberté quand la liberté première et unique – à commencer par celle de tyranniser, de tuer, de faire souffrir… - est a-, in- ou anti-humaine parce que… divine.

"Ni dieu, ni maître", point barre : aucune autorité (au sens de relation de pouvoir, de domination, d'oppression, de répression, d'exploitation…) à respecter, à vénérer, à craindre, à tolérer parce qu'il n'y a d'humain que dans la plénitude de l'humanité de chacun(e) et que l'achèvement de l'humanité de l'un(e) implique nécessairement l'achèvement de l'humanité de tou(te)s les autres. Autrement dit, il n'y a d'humanité possible que sans dieu, sans maître ; il n'y a d'humanité que dans la liberté, l'égalité et la fraternité de tous les humains : SANS LA MOINDRE EXCEPTION.

"Ni dieu, ni maître" et pourtant… des anarchistes se disent croyant(e)s en bêlant leur croyance – qu'elle soit religieuse, politique, diététique, vestimentaire, culinaire, culturelle… - tandis que des croyan(e)s bêlent un anarchisme de bon aloi qui est celui de la contestation d'un ordre, religieux et/ou politique, qui ne reconnaît pas leur croyance comme religion… établie.

Or, comment pouvoir se dire anarchiste et adhérer à une croyance quand la croyance est toujours cette forme particulière de penser, celle du troupeau[1], qui consiste à (se) reconnaître un… maître, en l'occurrence… dieu auquel il faut obéir, se soumettre en renonçant à sa… liberté ? Une autorité qui, bien que se revendiquant universelle et prônant l'universalisme de son culte, divise les humains en bons – les moutons – et en méchants – les loups -, condamne les premiers à ne pas vivre réellement, puisque la vraie vie est… ailleurs, et les seconds à ne pas pouvoir vivre leur liberté en les proscrivant, les censurant, les enfermant, les torturant, les suppliciant… et, au besoin, en… les tant.

Dire "ni dieu, ni maître", c'est poser l'humanité sous la forme d'une identité remarquable, celle de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.

Un(e) croyant(e) ne peut être libre puisque la soumission à un maître, même inventé, au sens d'imaginé, de rêvé, de… déliré et donc… d'irréel, est le renoncement à sa propre liberté et, par conséquent, à son humanité. En dehors de la liberté, point d'anarchie. Dans l'anarchie, point de place pour un maître ou un dieu sauf à vouloir faire prendre des vessies pour des lanternes, l'illusion – pour ne pas dire l'illusoire – pour le réel, la carte pour le territoire, le matricule pour l'individu, le paraître pour le réel, l'utile pour l'inutile, la folie pour la raison…

Les croyant(e)s ne sont pas égaux entre eux-elles puisque, même s'ils-elles appartiennent au même troupeau et ont le même maître, ils-elles ont des colliers plus ou moins serrés, des laisses plus ou moins longues, des pacages plus ou moins étendus… et que, pour reprendre l'image ô combien révélatrice de l'univers concentrationnaire, certain(e)s sont des kapos quand d'autres ne sont que des… numéros et celle d'une cour certain(e)s sont des (petits) marquis quand d'autres sont des ducs ou des princes et que d'autres encore sont des fous-folles (du roi), des laquais, des valets, des chambellans… Inégaux-ales entre eux-elles les croyant(e)s ont tout de même le mérite d'être supérieur(e)s aux non-croyant(e)s ou aux croyant(e)s autrement et peuvent, à l'occasion,  avec, naturellement, la bénédiction de leur saigneur et maître, s'arroger le droit de mort sur des humains qu'à vrai dire ils ne reconnaissent pas pour humains, étant toutefois précisé que dans leur bouche le non-humain est le non-… troupeau. Dés lors, comment un(e) anarchiste peut-il-elle se dire croyant(e) – quand bien même son dieu serait… anarchiste, voire l'anarchie et son église… l'anarchisme – si, ipso facto, il-elle ne se reconnaît pas comme l'égal(e) du-de la… non-croyant(e), de l'incroyant(e) et, a fortiori, du-de la mécréant(e) ?

Les croyan(e)s se disent frères-sœurs les un(e)s des autres mais, outre qu'elle n'est pas universelle puisqu'elle est exclusive d'autres et qu'elle peut être… retirée (cf. l'excommunication, non exclusivement religieuse, faut-il le rappeler) , leur fraternité a ceci de particulier qu'elle se déduit de l'appartenance à un même troupeau et de la soumission en résultant à un même dieu – ou tout autre colifichet de même usage - ; elle n'est donc pas essencielle en ce sens qu'elle n'est pas la reconnaissance de l'autre pour ce qu'il-elle est – un être humain dans son identité, particulière et unique, et dans ses différences – et, en cela, elle est l'antinomie même de… l'humanisme.

Par ailleurs, l'anarchisme est de cœur mais aussi de raison ; en cela, il ne peut se satisfaire d'aucune superstition, d'aucune révélation, d'aucun fatalisme, d'aucune prédestination, d'aucun mensonge… et, à l'instar des sciences, chaque jour, il soumet sa théorie, ses hypothèses, ses analyses… au doute systématique du questionnement, à la rigueur méthodique de la vérification, de la démonstration… Or, croire c'est tenir quelque chose (ce chose pouvant être une personne physique, une entité, un phénomène…) pour vrai, l'admettre pour réel, certain, inéluctable, universel… et… incritiquable. Croire c'est se situer délibérément en dehors du champ de la raison – et, notamment, des sciences -, de l'Histoire, de la libre pensée… ; c'est adhérer (appartenir) à une vérité révélée non démontrable – et donc vérifiable – et refuser l'idée même d'en discuter, de l'interroger, d'en douter… C'est, à l'instar de ces oisons qui prenaient Konrad Lorenz pour leur mère, admettre – croire - que la lampe de couvaison ou l'aviculteur-trice est bien la mère des oisillons, autrement dit le dieu du troupeau des oiseaux domestiques !

Certain(e)s considèrent que l'anarchisme est une… spiritualité au motif qu'il est la forme achevée de l'humanisme. Si, par spiritualité, on considère que les anarchistes ne sont pas, bien au contraire, démuni(e)s d'esprit au sens de faculté de – et d'aptitude à – penser, c'est enfoncer une porte ouverte puisque l'une des caractéristiques de l'humain est justement d'être un… être pensant ! Si on entend humour, il n'y a toujours pas de problème car pourquoi les anarchistes seraient privé(e)s de cette autre faculté humaine, celle de rire et de faire rire ?[2] & [3] Mais si le terme de spiritualité est pris au sens de "ce qui est dégagé de toute matérialité" et que ce dégagement n'est jamais qu'une… désincarnation, c'est-à-dire une dés-humanisation de l'humain, alors nous ne sommes plus en anarchie mais en religion[4] et nous n'avons pas à faire à des anars spirituel(le)s mais à des croyant(e)s, des humains libres mais à un troupeau !

Certain(e)s anarchistes voulant faire dans l'exégèse biblique, parce que, sans doute, leur pensée – au sens d'acte de penser – a besoin d'un maître – un tuteur – pour… se tenir debout ou qu'ils-elles veulent asseoir leur autorité sur une vérité révélée, considérant Bakounine comme un dieu ou, à tout le moins, un pape ou un messie[5], se plaisent à pontifier urbi et orbi en lançant des… bulles[6] du genre :

ou bien

"Ni dieu, ni maître"… Anarchisme et croyance sont strictement incompatibles et, si les croyances ont pour vocation de faire prospérer les troupeaux, celle de l'anarchisme est nécessairement  d'émanciper et de libérer les humains, tous les humains et, de ce fait, de rappeler avec persévérance aux encollierisé(e)s qu'ils ne sont pas des animaux destinés à brouter et ruminer dans l'attente d'être conduits au marché pour y être vendu(e)s ou à l'abattoir, mais des humains et que, à ce titre, debout, eux-elles aussi n'ont… ni dieu, ni maître.


[1] Le troupeau… cette masse vénérant sa servitude comme un veau d'or alors qu'elle est une infamie puisqu'elle un déshonneur, c'est-à-dire une privation de cette dignité constitutive de l'humanité : la liberté.

[2] Faut-il rappeler que, parce que les anarchistes ont cette faculté de rire et de faire rire, l'anarchisme et, notamment, l'écriture, les réunions, les débats… anarchistes ne sont pas nécessairement lugubres, mortellement ennuyeux, sévères… chiants et peuvent, au contraire, être rieurs et riants et que l'humour n'est pas un art réservé à des initié(e)s mais une conception et une pratique de la vie quotidienne ?

[3] Bien entendu, l'humour anarchiste ne manque pas d'être un humour… frondeur quand il est une arme de critique, de contestation, de rébellion, de révolte, d'opposition… d'anti-conformisme (cf., pour ne citer que lui, Léo Campion) au service de l'anarchisme.

[4] Qui est, selon les besoins du maître, un opium, une prison ou un échafaud (ou tout autre instrument de mise à mort).

[5] Alors qu'il ne fut jamais qu'un… anarchiste et un… camarade vitamine !

[6] La bulle comme on le sait est creuse et, généralement ronde ou, du moins, ovoïdale ; en cela, elle est l'image pertinente d'une pensée… creuse et ronde, autrement dit d'une… non-pensée !

[7] Ce faisant, je n'entends asséner aucune… vérité mais seulement pointer la contradiction, l'imposture qu'il y a à vouloir se servir de Bakounine comme… défenseur de la croyance.

[8] Il est tout à fait raisonnable de faire à Bakounine le crédit de l'intelligence : ses ouvrages et conférences attestent que, à la différence des croyant(e)s, il n'est pas du genre à accorder à la pensée et au verbe un pouvoir… magique susceptible d'anéantir le réel  - et, dans ce cas, le pseudo-réel que serait dieu – simplement parce qu'on le veut !

[9] Et les dieux en général.


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