Contre la discrimination positive

On entend souvent dire que, pour certain(e)s personnes il faut plus de droits que d'autres. Arguant de l'injustice et, le plus souvent, de l'inégalité dont elles sont la victime à raison de leur sexe, de leur "race", de leur lieu d'habitat, de leur statut social…, il en est donc appelé en leur faveur à une… "discrimination positive", autrement dit à des droits spécifiques, dérogatoires au Droit (Lois et règlements) applicable aux autres justiciables ou bien à un "surplus de droit", à savoir à l'application du Droit qui n'est pas/plus appliqué aux autres justiciables pour cause de "désuétude", de jurisprudence, de "mode juridictionnelle", d'air du temps… Qu'en est-il exactement ?

D'un point de vue strictement juridique, deux cas sont à considérer :

Dés lors on voit bien que pour ces personnes le problème n'est pas d'avoir plus de droits – sous-entendu, qui plus est, des droits "particuliers" – mais bien les mêmes droits que les autres, de jouir de tous leurs droits sans aucune exception, de ne plus être exclues de tel ou tel droit à raison de leur individualité, de leur identité particulière.

L'égalité devant la Loi ne peut tolérer que tel ou tel individu soit "moins égal" qu'un autre et que tel ou tel droit fondamental lui soit refusé, supprimé mais elle ne peut pas tolérer non plus que tel ou tel individu soit "plus égal" que d'autre et bénéficie d'un "sur-droit" sur la base d'une discrimination qui, en dernière analyse, est culturelle, sociale, politique, idéologique… et sans lien avec la notion bien comprise de Justice.

Les révolutionnaires de 1789-1793, en promulguant la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen, ont donné à la République la devise de "Liberté – Égalité – Fraternité". Si l'on admet que cette devise[2] est, peu ou prou, le fondement idéologique de la démocratie bourgeoise, quelle que soit la forme d'État que, localement, la bourgeoisie a pu ou peut instituer, force est d'admettre que, d'un point de vue aussi bien politique qu'éthique, la démocratie n'admet aucune inégalité devant la Justice et ne peut donc accepter qu'un individu soit, de facto ou de jure, déchu de ses droits fondamentaux[3] qui, par définition, sont inaliénables[4].

Pour tout État qui se revendique démocratique, le refus de l'inégalité devant la Justice est absolu ou n'est pas. En effet, la lecture du Droit d'un État quelconque que l'on fait à l'aune de la déclaration des Droits de l'Homme de 1793 permet d'affirmer que la négation des droits fondamentaux d'un seul individu à raison de sa seule individualité  est constitutive d'une  oppression faite à l'ensemble du corps social et que, par conséquent, cet État n'est pas une démocratie mais une… tyrannie.

Dans ces conditions, toute revendication d'une justice discriminante, quand bien même elle serait portée par la légitime intention de (faire) mettre un terme à une injustice dont serait la victime ne serait-ce qu'un seul individu, est… "anti-démocratique" en ce que, en instaurant une inégalité devant la Loi , elle jette les bases légales d'une… tyrannie. En d'autres termes, dans la logique de la démocratie dont il s'agit, la victime d'aujourd'hui n'a aucun "doit" à s'ériger demain en oppresseur, sauf à se mettre en dehors de la "démocratie" et, ce faisant, à s'interdire d'en appeler à la "démocratie" pour faire cesser l'injustice qu'elle subit[5].

Par ailleurs, et sauf à considérer des lois iniques qui instituent une injustice à raison de l'individualité même des gens (croyances religieuses, convictions politiques, origines culturelles, "mœurs"…) et qu'il conviendrait de combattre sur plusieurs champs, dont celui des tribunaux, nationaux ou internationaux, force est de considérer que la plupart des discriminations dont sont victimes les individus ou même des groupes sociaux en entier[6] sont des "faits culturels" relevant d'idéologies (politiques, religieuses…) bien précises.

Il est donc illusoire de s'imaginer que telle pratique, individuelle ou collective, discriminatoire sera abolie "par décret"[7]. Prenons l'exemple du racisme :

Si la Loi peut "punir" telle ou telle acte raciste, elle ne peut aucunement interdire aux gens d'être raciste et ne peut donc pas éradiquer le racisme. Pire peut-être encore, l'interdiction de pratiques qualifiées de racistes, entraîne invariablement des contre-pratiques d'évitement qui sont difficilement qualifiables de racistes devant les tribunaux ; la bête immonde se tapit, se masque, apprend à ruser… mais ne disparaît pas et devient alors plus difficile à "chasser". Mais la bête se nourrit aussi des revendications de "discrimination positive" et, a fortiori, des mesures discriminatoires prises en faveur de la catégorie d'individus qu'elle frappe de sa haine, en s'arc-boutant tout simplement sur les principes mêmes de la démocratie et, notamment, celui de l'égalité !

Il est ainsi paradoxal que les victimes d'une injustice et leurs avocats en appellent à une… discrimination "positive" alors même que leur victimisation résulte justement d'une… discrimination ! Il n'y a de Justice qu'unique, universelle. La Justice qui se décline différemment à raison de l'individualité des gens, parce qu'elle cesse d'être unique, universelle, n'est qu'injustices et, si elle prend "force" de Loi, elle n'est jamais que le bras (légalement) armé de… la tyrannie.

S'il peut occasionnellement être juridique (et, singulièrement, judiciaire), dès lors qu'il ne légalise pas une discrimination,l e combat contre l'injustice est social, culturel, idéologique…, politique : il n'est efficace que pour autant qu'il s'en prend aux causes du mal et non aux effets.

Dans ce contexte, il est vraiment… paradoxal de voir des anarchistes en appeler à des lois instituant une discrimination positive. En effet, outre que, par ce biais, ils-elles montrent une conception… "curieuse" de la Justice et de la démocratie – une conception fort éloignée d'une société humaine, anarchique qui serait libre, égale et fraternelle -, ils-elles délèguent leur lutte à…. l'État, l'État dont, en tant qu'anarchistes, ils-elles sont supposé(e)s vouloir l'anéantissement.

 

[1] Comme le prônent certaines thèses, toujours d'actualité, du "développement séparé" sous prétexte d'une "égalité dans la différence" ("Égaux mais… différents).

[2] Inscrite dans la constitution de la République française.

[3] Lesquels comprennent, bien entendu, les libertés individuelles essentielles comme celles de conscience, d'expression et, plus fondamentalement encore, d'être dans son unicité et son identité.

[4] Dans ce même contexte, il n'est pas exclu que, conformément à la Loi , un individu soit, plus ou moins durablement, et par décision de justice exclusivement, privé de tels ou tels droits civils et civiques.

[5] Dans cette même logique : les ennemis de la démocratie ne peuvent se prévaloir de la démocratie pour, forts des droits qui leur son ainsi reconnus, travailler à l'anéantissement de la démocratie !

[6] Exemple : les "gens du voyage".

[7] Imaginer le contraire relève de la croyance. C'est ainsi que certains révolutionnaires ont cru pouvoir supprimer la misère en… l'interdisant !


Pour revenir à la rubrique "Droits des humains" :

Pour revenir au Plan du site :

Pour revenir à la page d'accueil :