De la liberté

 

"Je suis un amant fanatique de la liberté, la considérant comme l’unique milieu au seins duquel puissent se développer et grandir l’intelligence, la dignité et le bonheur des êtres humains ; non de cette liberté toute formelle, octroyée, mesurée et réglementée par l’état, mensonge éternel qui en réalité ne représente jamais rien que le privilège de quelques-uns fondé sur l’esclavage de tout le monde ; non de cette liberté individualiste, égoïste mesquine et fictive prôné par l’école de J.J. Rousseau ainsi que par toutes les autres école du libéralisme bourgeois et qui considère le soit disant droit de tout le monde, représenté par l’état comme la limite du droit de chacun, ce qui aboutit nécessairement et toujours à le réduction du droit de chacun à zéro (….) j’entends cette liberté de chacun qui loin de s’arrêter comme devant une borne devant la liberté d’autrui, y trouve au contraire sa confirmation et son extension a l’infini ; (….) la liberté triomphant de la force brutale, et du principe d’autorité qui ne fut jamais que l’expression idéale de cette force ; la liberté qui après avoir renversé toutes les idoles célestes et terrestres fondera et organisera un monde nouveau, celui de l’humanisme solidaire, sur les ruines de toutes les églises et de tous les états".

Michel Bakounine juin 1871

 

Il est courant d'entendre dire : "Ma liberté s'arrête là où commence celle de l'Autre". Intention vertueuse certes mais une intention qui n'accouche que d'un cercle vicieux. En effet :

Dans la relation de l'Un(e) à l'Autre où mettre la borne marquant la limite de la liberté de chacun(e) dès lors que cette limite, pour chaque partie, est en même temps la fin de sa liberté et le début de celle de l'autre ? Pour prendre une image : cette définition de la liberté de l'Un(e) est comme un point que l'on poserait sur un cercle et dont on voudrait qu'il soit le centre dudit cercle alors que nous savons bien que le centre d'un cercle n'est pas sur le périmètre mais… ailleurs et, justement, au… centre !

Cette définition est un cercle vicieux car elle suppose que la relation de l'Un(e) à l'Autre est une relation géométrique et, plus précisément, linéaire et qu'il y aurait donc un point ultime séparant l'en deçà de l'au-delà dont la fixation serait arbitraire puisque cette ligne n'est pas matérielle, concrète, comme peut l'être la limite d'un champ, mais virtuelle, immatérielle.

De plus, cette définition suppose un a priori non énoncé, à savoir celui de l'égalité absolue de l'Un(e) et de l'Autre car il est évident qu'une relation inégale implique ou, du moins, autorise, deux libertés… inégales. Ainsi, petit, faible, pauvre… ma liberté sera forcément plus restreinte que celle d'un Autre qui serait grand, fort, riche…

Admettre que la liberté de l'Un(e) est limitée par celle de l'Autre c'est considérer que la liberté est, d'abord, une affaire de volonté de… puissance, autrement dit qu'elle s'inscrit dans une dualité et, plus précisément, un inégalité de pouvoir. Mais, alors, qu'en est-il de la liberté de l'esclave dans sa relation au maître ?

Et quel paradoxe que de définir la liberté par une… limitation de son essence comme de son usage !

La liberté est absolue ou… n'est pas. En effet, la forme la plus primitive, fondamentale, essencielle… de la liberté de l'Un(e) – et, a fortiori, de l'Autre, autrement dit de la Liberté , est celle… d'être. C'est-à-dire non seulement d'exister – et qui pourrait dénier à qui que ce soit cette liberté de vivre dès lors que, bien entendu, cette liberté est celle d'un individu… vivant et non à "venir", à naître, à exister… - mais, aussi et primordialement, d'être. Liberté donc d'être dans son unicité, c'est-à-dire dans sa particularité, sa différence… relativement à l'Autre.

Cette liberté première est constitutive de l'humanité de cet animal particulier qu'est l'être humain dans la mesure où, on le sait, la liberté n'est pas le propre de l'animalité en raison de sa dimension culturelle et, partant, sociale, sociétale, politique…

Et c'est de cette liberté première, primordiale que découlent toutes les autres libertés que la Déclaration Universelle des droits de l'Homme qualifie, à juste titre, d'individuelles : liberté de conscience ; liberté d'expression ; liberté de circulation ; liberté d'association…

Pourtant, ma liberté n'est véritablement absolue que pour autant qu'elle est conscientisée et qu'elle s'incarne dans ma relation à l'Autre. En effet, comme le dit Bakounine dans "Dieu et l'État" :

"[…] L'homme isolé ne peut avoir conscience de sa liberté. Être libre, pour l'homme, signifie être reconnu et considéré et traité comme tel par un autre homme, par tous les hommes qui l'entourent. La liberté n'est donc point un fait d'isolement, mais de réflexion mutuelle, non d'exclusion, mais au contraire de liaison, la liberté de tout individu n'étant autre, chose que la réflexion de son humanité ou dans la conscience de tous les hommes libres, ses frères, ses égaux.

Je ne puis me dire et me sentir libre qu'en présence et d'autres hommes. En présence d'un animal d'une espèce inférieure, je ne suis ni libre, ni homme, parce que cet animal est incapable devoir et par conséquent aussi de reconnaître mon humanité. Je ne suis humain et libre moi-même qu'autant que je reconnais la liberté et l'humanité de tous les hommes qui m'entourent. Ce n'est qu'en respectant leur caractère humain que je respecte le mien propre. Un anthropophage qui mange son prisonnier en le traitant en bête sauvage n'est pas un homme, mais une bête. Un maître d'esclaves n'est pas un homme, mais un maître. Ignorant l'humanité de ses esclaves, il ignore sa propre humanité. [...]

 […] Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d'autrui, loin d'être une limite ou une négation de ma liberté, en est contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens vraiment libre que par la liberté d'autrui, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m'entourent, plus profonde et plus large est liberté, plus ma liberté devient étendue, profonde et large. C'est au contraire l'esclavage des hommes qui pose une barrière à ma liberté ou, ce qui revient au même, c'est leur bestialité qui est une négation de mon humanité parce que, encore une fois, je ne puis me dire libre vraiment que lorsque ma liberté ou, ce qui veut dire la même chose, lorsque ma dignité d'homme, mon droit humain, qui consiste à n'obéir à aucun autre homme et à ne déterminer mes actes que conformément à mes convictions propres, réfléchis par la conscience confirmés par l'assentiment de tous. Ma liberté personnelle, ainsi confirmée par la liberté générale, s'étend à l'infini […]".

D'un point de vue philosophique, "la liberté est une notion qui désigne d'une manière négative l'absence de soumission, de servitude et de détermination, c'est-à-dire qu'elle est une notion qui qualifie l'indépendance de l'être humain. D'une manière positive, elle désigne l'autonomie et la spontanéité d'un sujet rationnel, c'est-à-dire qu'elle qualifie les comportements humains volontaires et en constitue la condition" (Définition donnée par l'encyclopédie Wikipédia dans http://fr.wikipedia.org/wiki/Libert%C3%A9).

Dire que, philosophiquement et politiquement, la liberté est absolue, considérer avec Bakounine que ma liberté, confirmée par celle de l'Autre, s'étend à l'infinie, ne signifient pas pour autant que la liberté humaine est "concrètement" absolue. Ainsi, nul humain n'est libre de voler comme l'oiseau, d'hiberner comme l'ours, de vivre dans l'eau comme le poisson, de vivre sans oxygène… Il existe bel et bien des limites physiologiques, biologiques, physiques, matérielles… à la liberté mais ces limites ne sont pas essencielles en ce qu'elles ne sont pas constitutives de la liberté elle-même comme le serait une liberté limitée par celle de l'Autre. Elles ne sont pas inhérentes, intrinsèques, immanentes à l'humanité, à la dignité humaine et donc à l'Être de chaque individu, mais exhérentes, extrinsèques, "transcendantes" à l'humaine condition. Elles sont essentiellement le propre de la "Nature". Elles s'imposent d'"autorité" à tou(e)s, l'Un(e) comme l'Autre non comme des principes ou des valeurs mais comme des… lois qui ne peuvent être ignorées et, a fortiori, violées qu'au péril de sa liberté primordiale, celle de la vie, du moins tant qu'elles sont considérées et subies à l'intérieur de l'environnement dans lequel vit et évolue le genre humain.

La liberté, "caractéristique", fondement de l'humanité, n'est pas une "faculté", une "capacité" – notions qui renvoient à la faisabilité matérielle, concrète du vouloir – mais un… état, c'est-à-dire à la fois un être et un étant, la "frontière" de l'humanité que l'on ne peut franchir que par choix, par un acte de volonté et dont on peut régresser et non une "situation" à laquelle on accès de du seul fait de sa naissance.

Cette limitation objective de la liberté est a priori universelle car, théoriquement, tous les humains y sont égalitairement soumis. Pourtant, force est de constater que, hormis les limites objectives dont le dépassement met en jeu la vie (humaine) elle-même, d'aucun(e)s peuvent échapper à certaines limites ou, du moins, les reculer quasi infiniment.

Ainsi, par exemple, certain(e)s ne peuvent pas/plus assumer leur liberté primordiale, celle de vivre, parce qu'ils-elles ne peuvent pas exercer celles de penser, de s'exprimer, de se nourrir, de se loger, de se vêtir… quand d'autres ont la "liberté" d'user et même d'abuser de tout ce dont les premier(e)s sont privé(e)s !

Une telle inégalité devant la limitation de la liberté n'est à l'évidence pas… naturelle. Elle est économique, culturelle, sociale, culturelle…

Or, dans une relation inégalitaire comme peut l'être celle du maître à l'esclave, du patron à l'ouvrier, du capitaliste au prolétaire, du maton au taulard, du mari à la femme…, la liberté des premiers n'est qu'illusoire car, miroir, l'autre, dominé(e) et donc moins ou pas libre, ne réfléchit pas la liberté des premiers mais bien sa… servitude, sa soumission… sa déshumanisation laquelle est l'image de la "monstruosité" des premiers, une monstruosité qui les renvoie en dehors de l'humain et dans l'animalité puisque la liberté est le propre de l'humain et est "étrangère" à l'animalité (comme à la minéralité et à la "végétalité").

Pour reprendre une autre image, celle du maître et son chien qu'il tien en laisse : la laisse n'est-elle pas un "lien" qui, non seulement, attache le second au premier, mais encore unit, lie les deux ? et, dès lors, qui des deux, est vraiment est libre ?... aucun des deux.

La liberté, ai-je dit, est absolue ou n'est pas. Une liberté absolue est une liberté… sereine. Or,. il n'y a point de sérénité dans la peur quand la peur est, justement, la compagne (gardienne ?) de la liberté qui se fonde sur le refus ou la limitation de la liberté de l'Autre. En effet, celui-celle qui, dans une relation inégalitaire à l'Autre a plus de liberté que cet Autre, voire dénie, anéantit toute liberté à cet(te) Autre a forcément peur de voir l'Autre se… révolter et porter atteinte à sa liberté. Le maître est constamment sur ses… gardes car, sauf à supposer une servitude qui serait… volontaire, par le renoncement de l'esclave à son humanité, il a fort à craindre de voir son esclave se rebeller contre son autorité et revendiquer sa propre liberté. Pour revenir à l'image précédente, est-il impossible qu'un jour le chien morde la main de celui qui le nourrit, cette mêle main qui le tient an laisse ?

Et la liberté du maître est-elle si absolue que cela, même… concrètement parlant quand, parce qu'elle est fondée sur un ordre inégalitaire, contraire à la "nature" humaine, elle est constamment limitée par les barrières, les barbelés, les miradors, les lois (humaines), les "forces de l'ordre, les chien (de garde).. ? Quel est donc cette liberté qui, se voulant absolue, est constamment protégée et donc, ipso facto, surveillée, limitée… ? Elle est la liberté de… l'illusion, de l'aveuglement, de l'obscurantisme, de l'aliénation, de la turpitude, du paraître… mais sûrement pas celle de l'être et, donc, celle de la dignité humaine.

En dehors de la nature, il n'y a de liberté humaine qui ne soit absolue que dans l'égalité de la relation à l'Autre. Et cette égalité ne peut être véritablement que si elle se fonde sur la reconnaissance (illimitée) de l'Autre dans ce qu'il est d'humain et donc, aussi, dans ses différences, sa particularité, son unicité. Or, seule, la fraternité peut garantir une telle reconnaissance car elle n'est que première – autre forme d'absolu – ou… n'est pas.

Ainsi, il n'y a de liberté que dans l'égalité et la fraternité, ce qui nous renvoie à une certaine "conception" de la société humaine, conception selon laquelle il n'y a véritablement d'humanité que dans la liberté, l'égalité et la fraternité. Une conception humaniste selon laquelle il n'y a point d'humain en dehors des… humains, qui est celle de l'anarchisme et du maçonnisme. Une utopie ? mais n'est-ce pas là le projet – autrement dit, l'utopie – des anarchistes et des maçons [termes qui, pour moi, je le rappelle, sont strictement identiques dans l'acception mathématique de ce terme - ? et, entre nous, quelle plus belle utopie que celle d'une société véritablement humaine, une société de liberté, d'égalité et de fraternité ?


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