De la médiocratie et de la mamamouchie en Absurdia

 

Je viens d'effectuer un long séjour en Absurdia qui, comme chacun(e) le sait est un pays lointain et, pourtant, proche de nous, proche au point que nous le côtoyons chaque jour, à notre insu et que, tout aussi souvent, malgré nous, nous y vivons. Il m'a semblé intéressant de vous faire partager mon carnet d'impressions de voyage en Absurdia car je suis sûr que, comme moi, vous êtes curieux(ses) de choses nouvelles, pour ne pas dire… exotiques.

Je ne suis ni sociologue, ni ethnologue, ni anthropologue… Mon "carnet" sera donc celui d'un simple voyageur, sans aucune prétention scientifique.

J'ajoute qu'il n'est pas évident de rendre compte de la réalité absurdienne qui, comme toutes les réalités, est complexe dans la mesure où l'idiome absurdien ne dispose que de peu de mots, que le même mot, selon son contexte et, surtout, celui-celle qui l'utilise, peut prendre des sens différents et souvent contraire et qu'il n'existe pas de "normes orthographiques", l'écriture absurdienne étant, à l'évidence, phonétique, ce qui ne manque pas de poser problème lorsque l'absurdien(ne) qui écrit est dur(e) de la feuille ou a des problèmes d'expression orale et/ou que celui-celle qui le lit a une mauvaise vue ou est dyslexiques. Il faut encore rajouter que la majorité des mots courants m'ont semblé relever de l'onomatopée – je ne suis pas linguiste et mon terme est assurément faux mais c'est le seul rapprochement que j'ai pu faire avec cette langue fort riche qu'est le Français – et que, par conséquent, le choc des mots tend à instaurer une véritable cacophonie puisqu'il en résulte un choc de sons. Et comme les choses n'étaient pas déjà assez difficile, il apparaît que la langue absurdienne d'alphabétique tend à devenir hiéroglyphique puisque, aux lettres, elle substitue de plus en plus des images (fixes ou dynamiques) ; autrement dit, au choc des mots-sons se rajoute désormais le choc des images sans pour autant que pour ces dernières l'académie absurdienne n'ait jugé utile d'élaborer une orthographe, une grammaire et une syntaxe. De plus, la syntaxe absurdienne n'est pas évidente dans la mesure où, par exemple, elle compte plusieurs formes de virgules (exemples : "effectivement", "à partir de là", "con", "putain", "c'est clair", "écoutez", "heu"…), que ces virgules obéissent, semble-t-il, à des effets de mode et que leur "sonorité" échappe à toute règle d'un quelconque solfège partagé et que la forme interrogative, si elle est encore marquée par un point d'interrogation, peut, en fait, être une affirmation (tout est dans le ton) et… inversement. Enfin, la grammaire, parce qu'elle est simplifiée à l'extrême, puisqu'elle ignore notamment le subjonctif et le conditionnel et que, pour l'indicatif, elle ne distingue que le futur, le présent et un passé polymorphe, rend l'Absurdien encore plus hermétique pour celles-ceux dont la langue, elle, dispose d'une grammaire développée (je pense au Français en particulier, dont on sait que le vocabulaire est riche d'au moins… deux cents mots, mais aussi aux langues latines).

Au regard de nos critères politicojuridiques, on ne saurait dire si Absurdia est une république, un royaume, une république monarchique, une monarchie républicaine ou bien autre "chose". Les Absurdiens, d'ailleurs, ne retiennent aucun de ces termes pour qualifier leur système politique: ils parlent de médiocratie et qualifient leur régime de mamamouchie.

D'emblée, des précisions s'imposent : par système politique les Absurdiens entendent l'ensemble des valeurs idéologiques, philosophiques, morales et religieuses qui ont présidé à l'institution, puis à l'organisation de leur société dans ses dimensions aussi bien politique stricto sensu, qu'économique, sociale, psychologique… Aucun Absurdien n'a pu me donner l'origine exacte du mot de "médiocratie" mais tout le monde m'a assuré qu'elle serait la maîtrise d'un art particulier : celui de savoir être partout et nulle part, c'est-à-dire au milieu de toutes choses et, plus précisément, de… rien.

Quant à la mamamouchie, si certain(e)s font remonter son origine à Molière, elle désigne le mode d'organisation de ce système dans toutes ses dimensions, autrement dit à la fois l'ordre (du milieu, bien entendu, c'est à dire l'agencement, la cohésion, la distribution…) dans lequel la médiocratie s'organise et les Absurdien(ne)s vivent (et meurent) et l'ordre (public, et privé d'une part et, d'autre part, politique, économique, social, religieux…) institué pour éviter que le désordre n'intervienne et que la médiocratie sorte de son juste milieu.

L'absurdité désigne la nationalité absurdienne ; bien entendu, ce serait une interprétation abusive que de l'assimiler au mot français "absurdité" et de considérer que les absurdien(ne)s sont… absurdes ! Je ne le ferai pas.

Ces précisions faites, il me semble que, tout compte fait, la médiocratie ressortit à ce que nous avons coutume d'appeler une religion – voire une mythologie, une cosmogonie ou bien encore une… aliénation, une imposture -. En effet, les valeurs qui la composent, les principes qui la président sont, de mon point de vue, assimilable à des divinités, pour ne pas dire des dieux et des déesses. La médiocratie serait donc le panthéon d'une religion à la fois polythéiste et manichéenne.

Polythéisme parce que la médiocratie connaît de (ses) dieux-déesses dont les principaux-ales sont : le "Médiocratre",  une sorte de "dieu le père" qui serait en même temps lui-même (le père), la divine "semence" procréatrice (une "sainte opération" puisque "mystérieuse", inexpliquée et inexplicable et infaillible en ce qu'elle ne peut être mise en doute ou même seulement "questionnée", un… dogme en somme) et l'objet même de la divine procréation (Pour reprendre une terminologie publicitaire fort courante chez nous, je dirai volontiers "un produit trois en uns") qui, dans l'absurdien courant mais aussi rituel, prend le nom de "le Peuple" ; la "Nation" ; la "Liberté" ; l'"Égalité" ; la "Justice" ; l'"Homme" ; les "Droits de l'Homme" ; le "Vote" (encore appelé par quelques latinistes : "scrutin", "référendum" ou "plébiscite") ; le "Capital"…

A mon sens, dans ce panthéon, une autre déesse est à ranger : la mamamouchie puisque, comme on le verra plus loin, les absurdiens lui rendent un véritable culte, culte fort ambigu d'ailleurs puisqu'il est la combinaison de deux sentiments contradictoires : l'adoration et la haine.

De plus, et tout comme dans les mythologies des Anciens, la médiocratie connaît et vénère des demi-dieux-déesses ou héros-héroïnes : les "grand(e)s qui habitent toujours dans des résidences élevées (d'où leur appellation de "ceux-celles d'en haut") ou dont les dépouilles par, on ne sait trop quelle opération mystérieuse (et sûrement divine), se sont statufiées (généralement de marbre ou de granit) et multipliées au point d'être omniprésentes dans le paysage urbanistique d'Absurdia. Si beaucoup sont mort(e)s, nombreux(ses) sont ceux-celles qui sont bel et bien vivant(e)s. Points qui m'ont paru curieux cette "divinisation" n'est pas irréversible et il n'est pas rare de voir que le héros d'hier est devenu l'anti-héros d'aujourd'hui (ce qui, à chaque fois, se traduit par un gros travail de déboulonnage de statues et de correction-révision des manuels d'histoire, de la littérature, de la philatélie… mais aussi du "hit-parade"). Mais elle peut être aussi collective et non pas individuelle puisque les Absurdien(ne)s ont cette étrange habitude de quasi-diviniser des groupes d'individus dont ils considèrent qu'ils sont des "corps de métier" et, à ce titre, des "membres du corps social absurdien" ; il en est ainsi du "Pompier", du "Policier", du "Soldat", du "Maton" (nous dirions chez nous "gardiens de prison", sauf erreur de ma part)…

Manichéisme parce que la simplicité de la pensée absurdienne, pour reprendre une autre image, informatique celle-ci, est… binaire ou, plus précisément, bipolaire : le "Bien" et le "Mal" ; le "Juste" et le "Vaux ; le "Bon" et le "Méchant" (pour ceux-celles qui ont vu le western-spaghetti "Le Bon, la Brute et le Truand", c'est un véritable casse-tête que de classer le "Truand" ; à mon avis, selon l'"air du temps" il est "bon" ou "méchant" quand, de son côté, bien entendu, la "brute" est le "méchant") ; le "moral" et l'"immoral" ; le "normal" et l'"anormal" (au passage, notons que l'"anormalité" n'est pas forcément synonyme d'"étrangeté" puisque certains étrangers sont "bons" quand d'autres, beaucoup d'autres, en fait l'écrasante majorité, sont des "méchants") ; l'"Un" (et, pour être plus juste, le "soi", c'est-à-dire l'Absurdien(ne) et l'"autre" (le non-absurdien), étant précisé que, dans ce cas d'espèce, malgré l'absence de règles orthographiques, les aburdien(ens) écrivent-scandent toujours le premier avec la majuscule et le second avec la minuscule ; l'"Homme" et la "Femme" ; le "Fidèle" et l'"infidèle"….

Je ne saurais dire si les absurdien(ne)s sont véritablement croyant(e)s mais, assurément, ils sont très pratiquant(e)s. Ainsi, les lieux et occasion de culte, tant publics que privés, sont en foultitude. Je ne vais pas donner la liste des lieux publics de culte, elle serait trop longue ; contentons nous de quelques exemple :

·        le Palais (notez le "p" majuscule ; s'il désigne le lieu de résidence officielle du grand ponte (- autres appellations entendues : "boss", "big boss",  "pape", "dieu", "tonton", "grand manitou", "schtroumpf suprême", "président", "majesté" ou "sa majesté", "monarque", "pontife"… -, cette majuscule toute de majesté royale m'amène à considérer que, en définitive, Absurdia est bien une monarchie) ;

·        le Parlement (ou parloir, crachoir,  qui a une majuscule sans doute de pluriel car il est "éclaté" en plusieurs autres bâtiments (la chambre ; le mouroir où se reposent, voire "gisent" les mamamouches les plus âgés ; les officines et autres alcôves privées ; l'antichambre ; la contre-chambre ; le balcon ; la cuisine ou tambouille…) ;

·        les Palais de Justice (dans ce cas le "p" majuscule est tout à fait compréhensible puisqu'il désigne la résidence de la déesse Justice) ;

·        les Prélatures, lieux de résidence des prélats en province (ou en mission) qui sont peut-être une résurgence des "missi dominici" carolingiens ;

·        les Hôtels des impôts où l'on collecte les offrandes que les absurdien(ne)s se doivent de faire à médiocrate et qui servent à l'entretien du clergé ;

·        les Facultés, temples dédiés à des déités "géométriques" : Milieu, Centre, Norme, Raison (au sens de "raison géométrique), Calibre, Cercle… ;

·        les Hôtels de Police qui sont des édifices où des vestales – et accessoirement quelques oies – ont la charge d'entretenir le feu sacré du juste milieu, de préserver l'ordre absurdien, de conserver la sainte relique de médiocrate, le "pouvoir" (j'avoue ne pouvoir vous dire de quoi il s'agit exactement puisque, comme vous, je vis dans une société libre où il n'y a ni pouvoir, ni autorité et donc ni abus de pouvoir, ni abus d'autorité)… ;

·        les casernes où logent les "soldats de médiocrates" dont il m'a semblé voir une parenté, plus ou moins directe, avec ces autres guerriers d'ailleurs connus sous le nom de "fous de dieu" ;

·        les prisons qui, à l'instar de nos musées, sont des lieux de conservation puisqu'ils conservent les "libertés individuelles" dont sont provisoirement privé(e)s, à des fins thérapeutiques et, plus précisément, diététiques certain(e)s absurdien(n)s s'étant livrés à des abus intempestifs de liberté mais aussi et surtout des "autres" dans l'attente de savoir quelle est leur véritable nationalité pour qu'on puisse les leur restituer… chez eux ;

·        les monuments et, plus généralement, les bâtiments publics ;

·        la Bourse qui, à mon avis, est en train de devenir le méga-temple du panthéon absurdien où se rendent quotidiennement des oracles de nature tant sociétale que météorologique (il existe ainsi un dicton absurdient : "Quand la Bourse va, tout va et le soleil brille au zénith") ;

·        les stades dont les absurdien(ne)s, peuple ludique et joueur par excellence, est particulièrement friand et dans lesquels les manifestations mystiques (possession, dédoublement de la personnalité, lévitation, "visitation" divine, extase… ) sont nombreuses et toujours fort intéressantes à voir. [A mon avis, mais je peux me tromper, ces stades ne sont pas autre chose que les arènes et autres Colysées de l'empire romain car les mises à mort sous la forme, par exemple de sacrifices expiatoires, ne sont pas rares. De plus, les cérémonies qui y sont célébrées y associent toujours le pain (même si c'est sous d'autres formes eucharistiques qu'il est généralement rompu, partagé et mangé : glaces, bonbons, pizza, frites…) et le jeu ; 

Mais il existe des lieux de culte privé, en fait dans chaque domicile. Il s'agit d'une lucarne magique que les absurdien(ne)s nomment "télévision" ou, plus familièrement, "télé" ou "TV" qui permet à tout un(e) chacun(e) de célébrer son ou ses cultes absurdiens – dans ce cas, les ponctuations rituelles sont éminemment sonores et consistent en rots fortement gutturaux, en vociférations comme "Hourra", "Il y est" (il doit s'agir sans doute d'une déformation de notre "alléluia"), "Et un, et deux et trois", "On a gagné", "On est les meilleurs"… lourdement "virgulées" de "putain", "con"… et généralement accompagnées d'une bizarre gestuelle dont les plus répandues, chez les absurdiens, est le grattement  de couilles et l'exploration nasale)… et, en même temps, de (ré)apprendre constamment la Vérité révélée de la médiocratie qui peut être variable dans le temps puisqu'elle est l'expression d'une volonté divine, celle de médiocrate (Comme je l'ai indiqué précédemment, il existe un autre lieu de culte, public celui-ci, où médiocrate rend ses oracles et réactualise donc sans ses sa Vérité : la Bourse).  Même si une résistance traditionaliste (nous dirions "intégriste") s'est organisée  et se montre fort active, cet autel personnel et/ou familial est de plus en plus contesté et même remplacé par l'ordinateur qui aurait cet avantage d'offrir en plus une fonction confessionnelle, d'aucuns y voyant toutefois là l'œuvre d'une secte impie qui tenterait de faire de cet instrument cultuel un (pseudo) dieu au lieu et place de médiocrate ! Affaire à (télé)suivre donc !

En Absurdia, les occasions de culte sont nombreuses et quasi-quotidiennes. Notons tout de suite que toutes les "messes" (je n'ai su traduire autrement le mot absurdien d'"action ou vie politique") publiques sont des grandes messes et que seuls les rites privés donnent lieu à des messes basses. Certaines périodes sont particulièrement riches en célébrations publiques ; il en est ainsi des "campagnes électorales" pendant lesquelles les ouailles sont appelées  à renouveler leur foi aux divinités et au clergé médiocratiques. En ces circonstances, de nombreux sermons (chez nous, nous dirions des "discours politiques") sont prononcés, y compris en dehors des habituels lieux de culte comme les places publiques, des processions organisées, des icônes placardées un peu partout (nous dirions plutôt des affiches), des ex-voto déposés dans des lieux cultuels saisonniers (des "permanences médiocratiques"), des holocaustes accomplis, des repentances proférées avec, parfois, des gestes désespérés et en même temps joyeux d'autopunition pouvant aller jusqu'au retournement de veste, le culte des Anciens systématisé… De son côté, l'autel privé qu'est la télévision est fréquenté avec assiduité car c'est pendant de telles périodes que la Vérité de médiocrate  est "téléactualisée". Généralement, comme pour retrouver leur souffle juste avant l'explosion de leur allégresse devant le renouveau du triomphe de médiocrate et donc de la médiocratie, les absurdien(ne)s  se recueillent silencieusement et individuellement dans ce que j'ai de prime abord  pensé être une vespasienne mobile alors qu'il s'agit d'un confessionnal mobile dénommé, à juste titre dans ce contexte de recueillement, un isoloir et où ils-elles renouvellent sacramentèlement leur allégeance à la médiocratie par un procédé dont je n'ai pas trouvé le similaire chez nous : la multiplication des bulletins.

Un "détail" d'une grande importance pour la compréhension de la médiocratie : la multiplication des bulletins n'est pas simplement un acte de dévotion. Elle est en soi un "miracle" puisque, à chaque fois, "mystérieusement" , lors de la lecture publique de ces bouts de papier, telle la Pythie, Médiocrate prononce un oracle et appelle à lui des "élu(e)s" qui auront la lourde charge sacerdotale d'être ses porte-voix et, ainsi, de conduire le troupeau de ses fidèles jusqu'au prochain Vote (Je me rends compte que en vous disant que Vote est l'un des dieux du panthéon médiocratique je ne vous ai pas précisé qu'il est un avatar de Médiocrate dans lequel celui-ci se complaît à se montrer périodiquement aux fidèles mais qu'il est désigne en même temps les rites développées pendant cette période religieuse, comme quoi la langue absurdienne est beaucoup plus complexe que la simplicité de son vocabulaire ne pourrait le laisser accroire).

En dehors de cette période religieuse par excellence, les occasions de culte public sont nombreuses : les déplacements des élus et, bien entendu et surtout, les prêches qu'ils prononcent ; les jugements de dieu qui sont des procès au cours desquels on vérifie la sincérité de la foi et de la pratique religieuses des absurdien(ne)s (semble-t-il selon un choix méthodique dont je n'ai pu percer les paramètres et non de façon aléatoire comme certains voyageurs se sont scandaleusement complus à le dire) ou l'on scelle le "parasitisme" (état du paria) de certain(e)s autres avant de les reconduire aux frontières ou de les enfermer pour qu'ils ne contaminent pas les absurdien(ne)s de leur fâcheuse tendance à remettre sans cesse en cause l'équilibre du juste milieu qui règne dans ce charmant pays ; les rentrées et sorties solennelles de certains lieux de culte comme le Parlement ; les situations de crise de foi (et non de foie comme des correspondants de presse malhonnête ont écrit il y a peu) ; les manifestations d'intention, voire d'agissements diaboliques qui sont qualifiées de "terrorisme" puisque considérées comme de véritables attentats à la pudeur absurdienne et dont le clergé à la charge de défendre Absurdia par la pratique de rites incantatoires (prières) mais aussi d'exorcismes pouvant aller jusqu'au meurtre sacrificatoire de celui-celle qui est possédé(e) par le "mal"…

Mais je ne vais pas davantage vous bassiner avec la religion absurdienne car vous avez d'ores et déjà compris  que la religiosité est l'une des caractéristiques essentielles de l'absurdité au point d'en être un véritable synonyme.

A présent, et sans ordre particulier - je m'en excuse auprès de mes ami(e)s absurdien(ne)s qui sont tellement attaché(e)s à l'ordre en toutes choses, au point que je ne puis dire qui des un(e)s ou de l'autre est le boulet traîné à la cheville ! -, voici quelques caractéristiques de la société absurdienne.

En Absurdia, le travail, tel que nous le connaissons, n'existe pas. Il n'est en effet ni un devoir, ni un droit. Il n'est pas non plus un "labeur", une condamnation. Il est une récompense que le clergé, au nom des dieux,  distribue aux fidèles méritants. Une récompense tellement jouissive – mais de la jouissance de l'extase religieuse, bien entendu, et nullement de cette jouissance vulgaire et méprisable des sens – que ledit clergé a à cœur de ne la distribuer qu'avec parcimonie pour la retirer aussitôt à celui-celle qui en abuserait au point d'y perdre son âme ! C'est pourquoi, en Absurdia, peu sont élu(e)s à la dignité de travailleur qui est donc le statut social marquant la possession de cette récompense particulière qu'est le travail. Mais, selon nos considérations, me demanderez-vous, de quoi vivent les absurdien(ne)s ? La réponse n'est pas simple car les situations sont multiples. Le clergé et les élus, c'est-à-dire à la fois les serviteurs des dieux absurdiens et les gardiens du troupeau absurdien,  comme on l'a vu, vivent des offrandes faites par les fidèles (d'où cette expression, toute absurdienne et totalement incompréhensible pour nous : "vivre aux frais de la princesse"). Les absurdien(ne)s dont le mérite leur a valu d'être récompensé par un travail vivent de la rente que leur procure cette récompense. De nombreux(ses) absurdien(e)s vivent des fruits des récoltes que leur procurent les champs que le dieu Capital leur concède en usufruit à charge pour eux d'entretenir le temple particulier qui lui est dédié, la Bourse. Mais la majorité des absurdien(ne)s vivent de l'air du temps car, voyez-vous, Absurdia, j'aurais dû vous le dire d'entrée, est un paradis dont nous avons sûrement été déchu(e)s parqu'infidèles à… Médiocrate et à la médiocratie. Mais, en Absurdia, nombreux(ses) sont ceux(celles) qui ne vivent pas à proprement parler ; ils se contentent de survivre ou même de tenter de survivre puisqu'ils n'ont aucun droit, dépossédé(e)s ou démuni(e)s qu'ils(elles) sont de l'absurdité et c'est sans doute "bien fait" pour eux car, nous le savons parfaitement, les dieux ne se trompent jamais !

Ainsi, en Absurdia, le "travail", selon notre acceptation qui, rappelons-le, n'est pas celle des absurdien(ne)s n'est pas réparti : il est distribué. J'ajouterai d'ailleurs que cette fonction est bien divine et non humaine, la preuve en étant qu'en Absurdia il existe de nombreux lieux de culte public dédiés à la déesse Distribution, les distributeurs automatiques et que ces petits édifices cultuels sont des lieux d'enchantement et, n'ayons pas peur des mots, de miracles quasi continus, la récompense de l'offrande du fidèle par la délivrance d'un cadeau divin. A contrario, bien entendu, le mauvais fidèle et, à plus forte raison, les infidèles n'échappent pas à la vigilance de cette déesse puisque leurs offrandes sont régulièrement "confisquées" et que la seule chose qui leur est remise en échange est le silence, méprisant et définitif, de Distribution !

J'ajoute, sans faire de provocation et même si beaucoup d'entre vous ne l'admettront pas, en Absurdia, que le travail à bien des égards, est aussi un amusement dont personne n'est l'esclave au point de ne pouvoir pas faire autre chose à la place ou… en même temps. La double preuve en étant qu'en Absurdia les déjeuners… de travail sont courants !

J'ai évoqué la déesse Égalité : une précision s'impose. En Absurdia, point d'égalité. En effet, les étrangers, sauf à être élevés à la dignité d'hôtes officiels ou à celle d'absurdien(ne)s d'honneur sont tout simplement privés de tous droits au point que je me demande encore s'ils sont considérés comme des humains à part entière (j'en doute fortement). Les étrangers ou, plus exactement, les parias sont donc corvéables et maltraités à merci et sont d'ailleurs asservis et maltraités à discrétion. Mais, surtout, pour ceux-celles qui sont dotés de l'absurdité et tant qu'ils-elles n'en sont pas déchu(e)s, il n'y a pas d'égalité parce tout simplement, en médiocratie, l'égalité est inconcevable, impraticable et… aucunement pratiquée. En effet, pour les absurdien(ne)s l'égalité de deux éléments supposent deux éléments distincts ; or, comme tout le raisonnement absurdien est géométrique, deux éléments ne peuvent être distincts que s'ils sont en des points distincts d'un même plan alors que, en Absurdia, il n'y a pas de "plan" mais un centre (un "non-lieu") dans lequel tous les absurdien(ne)s se rassemblent d'eux-elles-mêmes en fidèles ouailles qu'ils-elles sont et/ou sont rassemblés par les gardiens du troupeau. 

Point d'égalité donc mais de… la parité. Si tou(te)s les absurdien(ne)s sont "semblables" ("égaux" dans notre terminologie), c'est-à-dire ont les mêmes droits et devoirs, en revanche, tout ne pouvant être fait en même temps par tout le monde, la parité consiste à ce que certain(e)s font pour eux-elles-mêmes et pour d'autres au nom de la procuration – du mandat – qu'ils ont reçu en raison de leur "élection" (j'oserais dire… "élévation" avec tout ce que cela peut avoir comme résonance religieuse) à telle ou telle fonction au sein de la mamamouchie. Ainsi, en Absurdia, ce qui pour nous est assurément un paradoxe, voire une contradiction est une évidence qui relève d'une véritable loi géométrique : la parité entre "pairs" permet à certains "pairs" d'exercer sur d'autres "pairs" un pouvoir, une autorité de (petit, grand, super grand…) mamamouche sans pour autant que les "pairs" placés sous ce pouvoir, cette autorité ne se sentent "inégaux" ou même seulement différents. Ainsi, en Absurdia, il y a une parité absolue entre les absurdiens et les absurdiennes, ce qui n'empêche aucunement qu'en tous lieux et en toutes circonstances, dans la sphère publique comme "at home", les absurdiens, par procuration de leurs "pairesses", exercent sur les absurdiennes une autorité incontestable et rarement contestée qui plus est !

Puisque je viens d'évoquer la mamamouchie, parlons-en : la mamamouchie n'est pas seulement le "régime" par et dans lequel s'exerce la médiocratie. Elle est l'organisation, la structuration de la société absurdienne. A première vue, cette organisation est fortement hiérarchisée, pyramidale et laisserait supposer qu'elle relève, pour faire simple, de la dualité dialectique "maître-esclave", "supérieur-inférieur", "chef-subordonné". Mais il n'en est rien. Non, la mamamouchie est une organisation… différente puisque, dans le cadre de la médiocratie et en vertu du principe de la parité, elle est un "empilement" (désolé mais je ne vois pas trop quel autre terme utiliser) de "chefs" (idem) jusqu'à ce qu'en bout de course (de l'échelle) on arrive, bien entendu, à celles-ceux qui, parce qu'ils-elles n'ont aucun droit – et donc aucune "capacité" et légitimité – à être "chef" sont, in fine, les "subordonnés" de tout l'empilement absurdien de chefs. Dans cette catégorie se retrouve donc une masse importante d'individus qui, en quelque sorte, son "exclus" de la mamamouchie non pas parce qu'ils sont frappés d'un quelconque ostracisme (en Absurdia, le racisme est… inconnu !) ou "expulsés" du système mais parce qu'ils sont "étrangers" à l'absurdité (la nationalité absurdienne) et donc, ipso facto, à la mamamouchie. Ces individus sont les "parias" et leur statut est celui de l'"imparité".

Toutefois, mais c'est sans doute parce que je suis un fieffé mécréant et que je ne "crois" en rien, il me semble que les choses ne sont pas aussi simples et quasiment idyllique - du moins pour les absurdien(ne)s -. En effet, comme je l'ai indiqué, le mamamouchat – dignité mamamouche exercée au sein de la mamamouchie – résulte très souvent – et, à mon sens, quasiment toujours – d'une procuration donnée lors de l'élection d'un(e) absurdien(ne) ; or, cette élection est, toujours selon moi, une élévation, non seulement (quasi) divine mais aussi organisationnelle, hiérarchique, statutaire, matérielle… puisque le mamamouchat est exercé à la fois pour le-la mamamouche lui-elle-même et pour les "électeurs-trices", c'est-à-dire les fidèles qui, eux-elles, restent bien… en bas ! Et toujours à mon sens, ce mamamouchat ne peut manquer de s'exercer sur, voire contre ces "électeurs-trices" puisqu'ils-elles sont dépourvu(e)s de leur "parité" qu'ils-elles ont ainsi déléguées et ce, bien entendu, sauf à ce qu'ils-elles accèdent à d'autres fonctions mamamouches ! C'est pourquoi, il me semble bien que la base de la pyramide de la mamamouchie est bien plus évasée qu'on ne veut bien le dire officiellement et qu'elle doit comprendre, déjà, la quasi-totalité des absurdiennes et l'écrasante majorité des absurdiens qu'aucune "analyse géométrique" ne peut situer à un quelconque niveau de l'empilement de chefs évoqués ci-dessus. Ceci dit, il est vrai aussi qu'en dessous de cette base se trouve le non-lieu et que les dernier(e)s de l'empilement mamamouche ont sous eux-elles, autrement dit sous leurs ordres la totalité des… parias !

Je ne sais si je l'ai déjà signalé : les absurdien(ne)s sont d'une grande pudeur et dans leurs relations sociales sont d'une "extrême" composition, celle du… milieu. C'est pourquoi, dans la mamamouchie, un(e) mamamouche ne donne pas des ordres à des "subordonnés" ; il-elle "répartit les tâches", ladite répartition consistant à mettre à la charge du-de la mamamouche suivant(e) ("inférieur(e)") la tâche qu'il-elle a reçu d'un(e) mamamouche précédent(e) ("supérieur"). Il en résulte deux phénomènes curieux : 1°) dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler le "travail" au regard de notre conception, dans la mamamouchie absurdienne… personne ne travaille, du moins aucun(e) mamamouche mais l'ensemble de l'empilement considéré de mamamouches… fait travailler le(s) "nègre(s) de service" (Que l'on ne voit aucune intention ou même seulement allusion raciste dans ce terme mais c'est là le terme même de la langue absurdienne) ; 2°) toujours selon notre conception, le "travail" absurdien serait comme une plus ou moins grande partie de rugby où "travailler" consisterait à passer en arrière la tâche que l'on a reçue par le même procédé.

Cette dernière image rugbystique révèle, de mon point de vue, le talon d'Achille du système mamamouche ; en effet, pour continuer de jouer ("travailler"), il faut bien que, à un moment donnée, on en finisse avec les passes en arrière et que le ballon remonte au premier rang pour être remis dans le jeu. Or, comme les mamamouches ne jouent que vers l'arrière, jamais vers l'avant, cette remise en jeu ne peut se faire que par… le(s) nègre(s) de service. Mais alors, supposons que le(s)dit(s) nègre(s) de service refuse(nt) la remise en jeu (autrement dit de… travailleur selon notre conception), n'est-il pas tout simplement fini de la partie de rugby, de la mamamouchie, de la médiocratie et d'Absurdia. Notez toutefois que je me suis attaché à dire "supposons" car, Absurdia étant un paradis, il doit sûrement y avoir une volonté divine pour faire en sorte que le jeu ne cesse jamais et que, par conséquent, le(s) nègre(s) de service ne cessent jamais de… travailler. A défaut, il y aurait sûrement un miracle pour que, sans aucune remise en cause du système, un nouveau procédé de remontée du ballon soit divinement inventé.

 [J'ouvre des crochets et non des parenthèses car, mécréant, je suis sûrement possédé par le Mal et donc… diabolique : un jour, par hasard, je suis tombé sur un vieux livre, écrit et publié bien avant l'avènement définitif de la médiocratie et de l'instauration achevée de la mamamouchie ; les pages étaient toutes abîmées, peu lisibles et beaucoup manquaient. Il semblerait que, dans des temps anciens, Absurdia était un pays à vocation essentiellement agricole et que l'industrie qui était alors naissante avait besoin de bras laborieux. La mamamouchie n'était alors pas aussi perfectionnée, définitive qu'elle ne l'est actuellement mais elle était suffisamment préfigurée pour que la quasi-totalité des absurdiens, à l'exception, bien entendu, des femmes, soient, d'une manière ou d'une autre, des mamamouches, c'est-à-dire des pratiquants de la répartition de tâches, de la passe en arrière. Dans ce cadre, il n'y avait donc pratiquement personne pour faire remonter le ballon dans la mamamouchie industrielle. Or, mais, j'ai sans doute mal lu ou compris, un "miracle" se produisit : d'abord les frontières absurdiennes s'ouvrirent largement, béatement en somme, à une armée de parias et, en même temps, à la suite d'une querelle dogmatique, de nombreux(ses) absurdien(nes), vivant pour la plupart dans les campagnes, aient été reconnus comme "impairs" et déchus de leur absurdité. Si d'aventure, vous avez entendu parler de cette épisode de l'histoire absurdienne, merci de me contacter].

Au passage, j'indiquerai que, certain(e)s de mes ami(e)s absurdien(ne)s m'ont suggéré de traduire mamamouchie par "chefferie" au motif tou(te)s les absurdien(ne)s sont… des chefs. Je n'ai pas osé…

Mais, je sens bien que je risque d'être incompréhensible tant il m'est difficile de décrire et, a fortiori d'expliquer la complexité de la réalité absurdienne. Passons donc à des choses plus légères, plus anecdotiques.

En Absurdia, soyez sûr que toute personne qui, en réponse à votre question, commence par "Écoutez" 1- ne vous a pas écouté et 2 – ne répondra pas à votre question. De même, lorsqu'un mamamouche vous transmet un document revêtu de la mention "M'en parler" : 1 – il n'a rien compris audit document ; 2 – vous ne pouvez pas lui expliquer le dit document car vous feriez alors une passe en avant (ce qui est strictement interdit) mais, plus grave encore, vous sortiriez de votre rang qui est celui d'une capacité nécessairement moindre compréhension que le précédent  ; 3 – faîtes la seule chose à faire : transmettez au suivant en rajoutant "à moi aussi" (ou d'abord) à la mention précitée et recueillez-vous immédiatement dans le silence du repos héroïque.

En Absurdia, le culte des héros(ïnes) est tel que l'intitulé de certaines fonctions prend le nom de tel(le) ou tel(le) mamamouche. Ainsi, par exemple, on ne dit pas un "bonimenteur" ou un "médioctaiste" (j'imagine que ce terme est à rapprocher de notre "évangéliste") de la télévision mais un "pépédéat" (ou "pépédéah" ou encore "Pépé-Déâh").

En Absurdia, la déesse Justice se "montre" régulièrement à certain(e)s élu(e)s qu'elle a particulièrement à cœur. Généralement, cette révélation se fait dans le cadre d'une "situation de crise" et donne lieu à un grand "tapage pépédéatique". Alors, l'élu(e) devient… intouchable en ce sens qu'aucun humain ne peut proférer à son encontre la moindre accusation ou même seulement avoir le moindre doute. Cet(te) élu(e) peut même rendre sa justice selon son bon vouloir et/ou sa bonne (ou mauvaise) humeur car il(elle) est littéralement devenu(e) l'avatar incarné de la déesse Justice.

Toujours en ce qui concerne cette déesse, il faut savoir que, étant du juste milieu, elle ne peut être "bornée" par quelque extrême (ou bord) que ce soit : elle est donc d'une certaine manière… sans limite ; c'est pourquoi elle est sans appel.

En Absurdia, la liberté a cette capacité prodigieuse de devenir immuable lorsqu'elle est conservée dans une prison (cf. ci-dessus).

Les absurdien(ne)s pratiquent beaucoup l'euphémisme : lorsqu'ils(elles) s'entraînent au tir (au pistolet, fusil, canon, mitrailleuse, bombardier, navire…), ils(elles) ne manquent jamais de tirer à blanc sur leurs cibles qui, curieusement, sont toujours des parias. Parfois, il arrive que, suite à une erreur dans la passe en arrière (voir ci-dessus), le tir ne soit pas véritablement à blanc : dans ce cas, il n'y a pas de victimes mais des "débordements" de cible. Il n'y a par ailleurs jamais de mensonges et d'échecs mais des contre (ou demi) vérités et des contre-performances. Un(e) candidat(e) à la réélection qui n'est pas réélu(e) se retire provisoirement de la vie publique et, notoirement, cultuelle pour se ressourcer, se retrouver, méditer… Ce ne sont pas les individus qui changent d'opinion mais… le contraire tant il est vrai que les opinions sont des volatiles aux humeurs changeantes. Un mamamouche ne viole pas, ne bat pas, n'injurie pas… une absurdienne : il l'éduque parce qu'en Absurdia aussi "qui aime bien, châtie bien".

Modestes, les absurdien(ne)s avouent volontiers qu'ils n'ont pas toujours raison mais ils ne cessent de clamer que les autres… ont toujours tort.

Les absurdien(ne)s ont érigé le principe de précaution au rang d'un véritable dogme. Ainsi, soucieux(se) de leur sécurité ils ont lancé, depuis plusieurs années, un vaste programme de prévention des risques qui consiste tout simplement à retirer de la circulation tout ce qui peut être "accidentogène". C'est ainsi que, pour éviter toute chute mortelle d'une hauteur "déraisonnable" au regard du "juste milieu", il est désormais obligatoire de porter un para… chute dorsal, que, pour parer à toute tentative de détournement, tous les transports en commun seront aménagés en cabines blindées individuelles fermées à clé de l'extérieur tandis que le conducteur, avant de prendre son poste, sera astreint à consigner ses proches dans une prison ou, à défaut, un Hôtel de Police…Mais, en la matière, ce qui fait la grande fierté nationale, c'est la nouvelle loi qui établit  la présomption de culpabilité à l'égard de tou(te)s les absurdien(ne)s à l'exception, naturellement, des élu(e)s et la culpabilité pure et simple avec condamnation à mort avec sursis de tous les parias vivant en Absurdia ou simplement la traversant (Cette condamnation est tenue d'être exécutée par tout membre du clergé requis à cet effet par un(e) absurdien(ne) usant de son droit-devoir de délation comme formule sacramentelle de réaffirmation d'allégeance à la médiocratie).

Dans ce même registre et pour éviter des mouvements paniques, autrement dit pour habituer les absurdien(ne)s à des "situations de crise" comme, par exemple, un attentat, la lucarne magique diffuse en boucle, à longueur de journée, des images d'un attentat particulièrement spectaculaire commis ailleurs. Je n'ai pas vraiment reconnu de quel pays il s'agit ; tout ce que je sais, c'est que c'est un pays où le prix du mètre carré constructible doit être élevé car on y construit en hauteur.

A propos de ces images : depuis que cet attentat a été commis, la mamamouchie appelle régulièrement les absurdien(ne)s à des "moments" de silence. Il semblerait que le but recherché soit aussi écologique (économie de l'air et diminution des rejets de CO2 et de la pollution sonore) car, en augmentant progressivement ces temps de silence, les absurdien(ne)s tiennent à présent 13 minutes sans mot dire et sans… respirer ! Quant à une certaine catégorie de parias, sûrement plus "douteuse" que les autres elle a été silencieusement réduite au silence définitif (en lisant des statistiques industrielles et commerciales, j'ai noté une coïncidence curieuse : la commande de plusieurs milliers de coussins et oreillers par le Palace de la Police (Qui, comme vous ne le savez peut-être pas, est le lieu de résidence du grand mamamouche de la Police dont l'autorité s'étend sur l'ensemble des Hôtels de Police absurdiens).

En Absurdia, on aime beaucoup se parler… médiatiquement. Et c'est sans doute cette coutume qui a fait que, de plus en plus, les absurdien(ne)s naissent avec des téléphones portables à la place des oreilles tandis que leurs parents s'en font greffer, l'ablation de leurs oreilles se faisant publiquement à l'occasion d'une… messe pépédéatique. J'ai entendu dire, mais je dois reconnaître que je n'ai pas pu le vérifier, que la médecine absurdienne pourra sous peu remplacer les cerveaux humains par une puce informatique et que, ainsi, dans un proche avenir, tou(te)s les absurdien(ne)s pourront être mis en réseau bien protégé contre toute intrusion "polluante", c'est-à-dire sortant du juste milieu.

Aucun de mes ami(e)s absurdien(ne) n'a pu comprendre, malgré maintes et maintes tentatives d'explications,  cette subtile distinction politique que nous faisons entre "gauche" et "droite" ; pour eux-elles qui ne connaissent que la géométrie dans sa forme la plus substantielle, le (juste) milieu, droite et gauche ne seraient que l'envers et l'avers du centre, autrement dit une autre formulation du non-lieu, du non-différent, de la parité. J'avoue que, depuis, le doute m'assaille !

Les absurdien(ne)s me paraisse souffrir de troubles récurrents de la mémoire à moins qu'ils ne soient versatiles (ou… volatiles !) puisqu'ils peuvent aujourd'hui voter et même appeler à voter à l'élévation (béatification, élection…) d'une personne à laquelle ils-elles se sont opposé(e)s pendant des lustres. Mais il est vrai que les absurdien(ne)s n'ont pas d'opinion, ce sont les opinions qui ont les absurdien(ne)s !

En Absurdia, il existe une monnaie virtuelle qui sert d'assiette à une fiscalité bien réelle. Ainsi, les absurdien(ne)s sont soumis à une retenue fiscale à la source : la C.S/G. (Contribution sécuritaire générale). C'est donc pour eux-elles un revenu virtuel. Il n'empêche qu'ils-elles s'acquittent d'un impôt  calculé dessus ! En outre, et même si la chasse au "Mal" est une croisade constante menée par le clergé absurdien, la fiscalité absurdienne, à bien des égards, est malicieuse : ainsi, il existe toute une série de (peudo)prestations de service sur lesquelles les absurdien(ne)s sont collectées des offrandes (impôts) locaux pour assurer l'entretien du clergé local mais aussi et surtout pour permettre aux élus locaux de mener grand train de vie dans la capitale absurdienne. Et bien, sur le prix de ces prestations majorés de ces offrandes locales, les absurdien(ne)s doivent en plus payer des offrandes nationales qui, véritables "sur-offrandes", explique le luxe fastueux dans lequel vivent les hiérarques du clergé absurdien.

Les Absurdien(ne)s sont très patriotes au point qu'en absurdien les mots "nationalisme" et "chauvinisme" ont cédé la place à celui de "nombrilisme". Il arrive donc fréquemment que les absurdien(ne)s souffrent de crises aiguës de "nombrilite" : c'était le cas lorsque, participant à des rencontres sportives internationales, l'équipe absurdienne enregistrait une… contre-performance. Mais la science médicale absurdienne veille : la mamamouchie, en ce qui concerne le sport, a décidé que, désormais les équipes absurdiennes n'affronteraient que des adversaires soumis à un "handicap approprié". Ainsi, par exemple, unijambisme pour la balle au pied, cécité pour le tir, hémiplégie pour la course… Les effets d'une telle mesure ont été spectaculaires : les équipes absurdiennes remportent toutes les compétitions auxquelles elles participent et les cas de nombrilite aiguë ont diminué de façon exponentielle.

Les frontières absurdiennes ont cette particularité unique au monde d'être rigoureusement étanches. Ainsi, des catastrophes industrielles survenues dans des pays riverains comme, il y a peu, l'explosion d'une centrale nucléaire, n'ont eu aucune conséquence en Absurdia puisque les pollutions en ayant résulté n'ont pu franchir les frontières.

Cette étanchéité des frontières montre à quel point la mamamouchie est attentive à la préservation de l'environnement absurdien. C'est ainsi que vous aurez beau chercher : vous ne trouverez aucune activité polluante en Absurdia, elles ont toutes été "externalisées", c'est-à-dire implantées en dehors des frontières nationales. Mieux encore, le chômage, ce fléau qui sévit chez nous, n'existe pas en Absurdia : il a été et est régulièrement exporté à l'étranger sous la forme de containers plombés dont je n'ai malheureusement pas pu découvrir le contenu (un étranger de passage en Absurdia m'a dit que, selon lui, ils contenaient des chômeurs-ses radié(e)s des statistiques de la démographie absurdienne ou, en d'autres termes, déchus de leur absurdité mais j'en doute).

J'ai été vivement impressionné par l'ordre régnant dans les Palais dédiés à la déesse Justice. Ainsi, lors des procès qui y sont tenus et qui, en fait, sont des célébrations incantatoires de ladite déesse, la bien séance des cérémonies et la pudeur des absurdien(ne)s ne sont jamais perturbées par quelque manifestation hostile que ce soit. C'est ainsi que les mamamouches appelés à décidé de la nature du sacrifice auquel il sera procédé pour vénérer la déesse ont estimé qu'il était inutile d'offenser l'esthétique et l'harmonie des lieux et du culte en montrant les "objets" sacrificatoires  et, a fortiori, en procédant à des sacrifices publics [Je me rends compte que j'ai oublié de vous dire que presque tous les sacrifices auxquels il est rituellement procédé en Absurdia dans les rituels publics sont toujours "jubilatoires", "festifs",  (ré)jouissifs, pépédéatiques… et que, lorsque certains d'entre eux, en cas de "situation de crise" en particulier, impliquent l'"expiation" de victimes vivantes, ce ne sont jamais des humains mais toujours des parias voués à expier (par procuration, principe de parité obligeant) et que, la mamamouchie, forte des avancées prodigieuses de la Science absurdienne, a depuis longtemps renoncé à nos pratiques barbares hélas encore courante pour transformer ces "expiations" en "œuvres d'art vivant" et, pour être plus précis, en "tableaux vivants" : des "télé-images"].

En Absurdia, le Mal a plusieurs noms. L'un d'eux m'a particulièrement intrigué et, je dois dire, inquiété : Anarchie. En effet, selon mes ami(e)s absurdien(ne)s, des anarchistes, même s'ils-elles sont peu nombreux(ses (pas un sur cent ?) existent bel et bien et il y en a même partout ; or, ce sont des diablotin(e)s et, pour certain(e)s des diables qui n'ont d'autre idée que de détruire l'ordre, le calme, la paix, la sérénité… du troupeau pour rendre à chacun(e) sa pleine et entière responsabilité sous sa seule responsabilité. J'avoue que cette perspective m'a fait froid dans le dos et que, à l'idée qu'autour de moi, il puisse y avoir des anarchistes m'emplit d'une grande terreur. Les absurdiens(ne)s ont donc été d'une grande sagesse lorsqu'ils ont promulgué la loi de sécurité absolue que j'ai mentionnée plus haut. Ouf ! Vivement que nos élu(e)s, qui ne sont pas des saint(e)s mais de simples représentant(e)s, en fassent de même chez nous !

A mon sens, en l'espace de quelques années, les absurdien(ne)s ont commis une véritable révolution (bien entendu… sur place !) surréaliste dans la mesure où, désormais, le réel n'est plus là on a l'habitude de le voir, de le sentir, de le toucher, de le goûter et de l'entendre, dans le concret, mais dans cette lucarne magique qu'est la télévision qui diffuse à longueur de journée des "spectacles plus réels que le réel" (il semblerait que la meilleure traduction de cette expression absurdienne soit anglaise, à savoir : "reality show").

 

Vous l'aurez vu et compris : ce carnet n'a aucune prétention scientifique. Il n'est pas non plus la description exhaustive d'un pays qui a tant à nous révéler, à nous apprendre tant nous sommes ignorant(e)s. Il n'est pas autre chose qu'une simple "collection" d'impressions à l'image d'un "dépliant touristique". J'espère qu'il vous donnera envie de visiter et découvrir Absurdia. Et si vous avez d'autres informations sur ce pays fascinant, n'hésitez pas à me les communiquer. Je suis désolé mais je ne peux vous montrer aucune photo d'Absurdia car toutes celles que j'avais prises m'ont été confisquées à mon retour par la police nationale au motif qu'elles étaient dangereuses puisque faisant de la propagande pour… un pays utopique !


 

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