Hérésies, schismes et autres fariboles[1]

 

Le terme d'hérésie est devenu courant pour désigner toute divergence d’un individu ou d’un groupe avec une institution, un parti ou une croyance, en situation dominante. Il n'a donc plus un sens strictement religieux comme il l'a eu à son origine.

Hérésie vient du grec hairesis qui veut dire choix, opinion. Étymologiquement, il signifie le choix d'une opinion différente de, voire opposée à une autre opinion qui, elle, est dominante et l'hérétique est celui qui, se prévalant de sa liberté de conscience ou de croyance, fait un choix différent.

Dans son sens théologique[2] – et cela est vrai pour toutes les religions monothéistes – l'hérésie désigne la doctrine ou foi professée par un membre d’une église et en désaccord avec une ou plusieurs propositions fondamentales de l’enseignement de cette église. Dans l’église catholique, l’hérésie est une doctrine qui s’attaque à un point essentiel de la foi, c’est-à-dire à une vérité révélée par les Écritures ou la Tradition[3]. Dans les églises protestantes, l’hérésie est issue d’une variation dans l’interprétation des Écritures.

Pour l'islam, les hérésies se réfèrent d'abord à des controverses doctrinales portant sur l'interprétation du Coran, la tradition du prophète et  la codification des grands docteurs du Moyen Âge mais, aussi et même temps, à des divergences avec l'autorité en place qui est toujours à la fois religieuse et temporelle.

Dans le judaïsme, où il n'existe pas de formulation officielle du dogme, il n'y a pas non plus de définition claire de l'hérésie. Dans la littérature rabbinique, plusieurs termes désignent des déviations, dont le plus commun est minim, qui fut appliqué d'abord aux judéo-chrétiens, c'est-à-dire aux juifs convertis au christianisme. Mais ce terme vise également ceux qui croient en l'existence d'une divinité du mal ou qui nient l'élection d'Israël ou la venue du Messie. D'autres mots fustigent ceux qui s'affranchissent des règles de la Loi (Torah), qui relèvent des contradictions entre les textes bibliques ou encore qui nient l'inspiration de la Torah et l'autorité de la Loi orale. La rupture des relations sociales avec les dissidents est limitée à la communauté qui la promulgue et peut être contestée par une autre.

Pour toutes les religions l'hérésie présente une double caractéristique :

         elle est le fait de croyants, de fidèles : c'est la trahison/rébellion d'une partie du troupeau. Elle ne concerne donc pas les… infidèles[4]

         elle est toujours collective ou à vocation à le devenir car, individuellement, la trahison/rébellion est une… apostasie

Pour combattre – et abattre – un adversaire, il importe de le connaître – c'est l'une des règles élémentaires de l'Art de la guerre ! -. Il m'a donc semblé intéressant de m'intéresser aux hérésies qui ont participent et participent de l'histoire de l'imposture religieuse – ou de la bête immonde, comme on voudra – et, plus particulièrement, aux hérésies chrétiennes.

La notion d'hérésie est née au moment où l'adhésion à un ensemble de vérités de foi et d'écritures et l'allégeance à des institutions ecclésiastiques étaient exigées de tout chrétien. Au cours de leur histoire, les églises ont donc qualifié d'hérétiques des phénomènes fort complexes, où se mêlent des considérations théologiques, des aspirations mystiques, sociales ou nationalistes. Des conflits, des violences et même des guerres sont nés de l'intransigeance doctrinale et politique des guides spirituels, aux époques où ils sont fortement liés au pouvoir étatique.

La notion d'hérésie est officiellement apparue au IIème siècle, au moment d'une crise de croissance du christianisme. Issue du judaïsme, la religion nouvelle s'est d'ores et déjà dotée d'un canon des Écritures comprenant aussi ce qui est devenu le Nouveau Testament. Elle se répand dans tout l'Empire romain, parmi les païens, et se dote d'un clergé et d'institutions. Certains convertis, influencés par une vision pessimiste du monde, aspiraient à une expérience personnelle de contact spirituel avec dieu et retenaient de l'Évangile un message de salut exprimé en paraboles ; rejetant le dieu créateur et sa Loi, ils refusent les structures ecclésiastiques, développent une "gnose" – une connaissance secrète qui recèle les mystères des origines, de l'au-delà – et récusent la doctrine du seul dieu bon, révélé par le Sauveur. C'est pour répondre à ces gnostiques qu'est inventée la notion d'hérésie.

Le terme de gnose, dont le sens étymologique est celui de connaissance et qui désigne en grec une école de pensée, est appliqué à l'adversaire qu'on prive alors de la qualité de chrétien, en faisant de lui le disciple, non pas du Christ, mais de maîtres humains. Il désigne diverses tendances qui ont toujours existé dans les grandes religions monothéistes, et qui présentent des points communs aussi bien avec la pensée néoplatonicienne qu'avec les spiritualités orientales.

La gnose est donc une  connaissance intérieure, par laquelle l'homme appréhende le divin, indépendamment de tout dogme, de tout enseignement; la gnose s'apparente ainsi au mysticisme. Les gnostiques considèrent que dieu ne peut être en contact avec le monde, essentiellement mauvais, œuvre du démiurge. La matière est assimilée à l'ignorance, au mal, et la vie terrestre résulte d'une chute de l'esprit dans cette matière, perte de l'unité originelle avec dieu. L'homme, prisonnier des dualités (bien/mal, âme/corps, connaissance/ignorance), ne garde plus de son origine divine que la vague nostalgie d'un paradis perdu. Mais le principe divin, l'âme, est en lui, et la recherche spirituelle peut le mener au salut en libérant l'âme de sa prison corporelle.

Les gnostiques se sont attachés et continuent de s'attacher – car il y en a toujours -attachent au sens ésotérique des textes sacrés, qu'ils n'envisagent pas dans une perspective historique. Par exemple, la résurrection est pour eux révélation intérieure, éveil de l'âme ; la fin du monde est la fin des dualités, l'union retrouvée avec dieu. En rejetant les dogmes, la hiérarchie, l'autorité du clergé, les mouvements gnostiques ne pouvaient que s'attirer l'hostilité acharnée de l'église officielle : ils furent donc très rapidement persécutés, l'église catholique ayant tout de suite tout mis en œuvre pour sauver leurs âmes, quitte à ce que leur sauvetage se fasse au prix de leurs corps !

Toutefois, la gnose ne peut pas être véritablement considérée comme une hérésie en ce sens qu'elle ne s'est jamais constituée en un (contre)ordre – tout au plus, en écoles, au sens antique du terme – et qu'elle restait une démarche individuelle de quête de connaissance et de salut se fondant sur la pédagogie d'un maître et sur l'apprentissage/initiation d'un élève.

Associés aux "faux prophètes", les hérétiques sont accusés de professer des thèses d'inspiration diabolique. Des traités publiés sous le titre de Contre les hérésies, qui se propagent à partir du milieu du IIème siècle, désignent aussi comme hérétiques des groupes diamétralement opposés aux gnostiques, tels que les chrétiens qui restent attachés à des observances juives.

Si les premiers siècles se déroulent sans aucune crise grave, à partir du IVème siècle l'église se trouve obligée, face aux hérésies, d'énoncer clairement les dogmes du christianisme.

Le manichéisme est la première hérésie réprimée cruellement par le pouvoir public, car l'empereur Dioclétien y voit une menace extérieure, venue de la Perse (édit de 297). Quand l'Empire devient chrétien, des peines (exil, perte des droits civils, destruction des livres) s'étendent à tous ceux qui sont jugés hérétiques. La mort est infligée pour la première fois par l'empereur Maxime, qui fait décapiter, en 385, le religieux espagnol Priscillien.

La doctrine du perse Mani ou Manès (216-276), encouragé par le roi Chahpuhr Ier, fut prêchée jusqu'en Inde à la faveur des expéditions de ce dernier et dans de nombreuses régions à l'occasion des voyages de son fondateur. Prétendant à l'universalité, elle se répandit dans l'empire romain et ultérieurement dans le monde musulman. Manès demandait d'ailleurs à ses adeptes d'"errer perpétuellement dans le monde, prêchant la doctrine et guidant les hommes dans la Vérité". Des fragments de textes ont été retrouvés au nord-ouest du Turkestan chinois et rédigés en différents dialectes persans, en chinois et en vieux turc (ouïghour). Cette diversité témoigne de la fabuleuse extension de la doctrine de Mani. Le manichéisme subsista en Orient jusqu'au XIVème siècle. Au Moyen Âge, les cathares furent considérés comme des manichéens.

Manès, peintre, calligraphe et poète, se considérait comme le Paraclet annoncé par Jésus et porteur d'une nouvelle révélation. Son étude repose sur le témoignage de saint Augustin qui le réfuta dans ses Confessions, ainsi que sur des sources syriaques, arabes, persanes, pahlavies ou arméniennes.

Combinant des éléments chrétiens, zoroastriens et bouddhistes, la doctrine était fondée sur une conception dualiste du monde : celui-ci est gouverné par l'antagonisme radical du Bien (la Lumière, l'esprit) et du Mal (les ténèbres, la matière). L'homme, enfermé dans la matière, doit s'en libérer par la connaissance.

Toutefois, il convient de noter que, généralement, le manichéisme n'est pas considérée comme la première hérésie car, même s'il s'agit d'une pensée religieuse, d'une théologie, c'est essentiellement le pouvoir politique – l'Empire – qui la combattit pour des motifs strictement politiques.

Au IIème siècle, il y eut menace de schisme, et non pas d'hérésie, lorsque les Églises d'Asie Mineure voulurent célébrer la Pâque à une autre date que l'Église de Rome.

La seconde hérésie – et, en fait, du point de vue religieux, la première - de ces crises est l'arianisme, doctrine du prêtre Arius. Cette hérésie, qui se manifesta pour la première fois vers 320, niait la divinité de Jésus-Christ, soutenait que les substances des trois personnes de la Trinité sont distinctes, sans relation entre elles, et reconnaissait au Père seul la qualité d'éternel. La crise religieuse provoquée par l'arianisme marque le début d'une période qui va entraîner des schismes durables dans l'église ; elle coïncide, au IVème siècle, avec la christianisation de l'Empire romain. Jusqu'en 320, date du prêche d'Arius, l'église n'avait jamais eu à formuler de manière dogmatique les données essentielles de la foi. Le symbole de Nicée, conséquence de la condamnation de l'arianisme, servira à l'élaboration du Credo.

Arius (vers 280-336), prêtre d'Alexandrie, nie la divinité du Christ et retient que Dieu le Père seul est "inengendré" et qu'il est le principe de tous les êtres ; sa théorie s'inspire de la philosophie néoplatonicienne. Dès lors, le Verbe (Logos), qui se fait chair dans le Fils, se trouve dévalorisé, puisque lui est engendré. Arius est accusé par ses adversaires de professer qu'"il fut un temps où le Verbe n'existait pas". Des partisans de l'arianisme se radicalisèrent, formant l'anoméisme et proclamant la totale séparation du Christ et du Père.

Le conflit ne se limite pas à l'Égypte, il s'étend à tout l'Orient. L'empereur Constantin, devenu chrétien, redoute qu'il en résulte des désordres politiques. Il convoque à Nicée, en 325, un concile "œcuménique" ("de toute la terre habitée", c'est-à-dire civilisée, assimilée à l'Empire), le premier de l'histoire. Une forte majorité des trois cent dix évêques ainsi réunis condamne la doctrine d'Arius et décrète dans le symbole de Nicée que le Fils est engendré et non pas créé, qu'il est "consubstantiel" (homoousios, en grec) au Père. Mais l'adoption du terme "consubstantiel" entraîne des dissensions, au-delà même de 381, date à laquelle l'empereur Théodose réunit à Constantinople le deuxième concile œcuménique, qui confirme le symbole de Nicée et rend définitive la condamnation de l'arianisme.

L'arianisme prend une forme politique, en Occident, avec la conversion par Wulfila (311-383) roi des Goths, qui échappent ainsi à l'autorité impériale, et de Lombards. L'adoption du catholicisme par le roi wisigoth Reccared Ier, en 589, entraîne la disparition définitive de la doctrine d'Arius.

Peu après, Donat, évêque de Cases-Noires, en Numidie, prit à partie l'évêque de Carthage, auquel il reprochait de n'avoir pas condamné sévèrement les chrétiens qui avaient livré des livres saints aux païens, et entra en conflit avec le pape, qui soutenait l'évêque de Carthage et son successeur, Cécilien. Donat fut condamné (313 et 314) ; la secte des donatistes subsista avec virulence jusqu'à l'invasion arabe. Comme les novatiens, ils représentent le courant pur, dur, pauvre de l'église primitive.

Premier antipape (251), Novatien s'opposa au pape Corneille (251-253), auquel il reprochait son manque d'intransigeance, et notamment de donner l'absolution, après les pénitences d'usage, aux lapsi (renégats par peur, lors des persécutions). Ses adeptes, les novatiens[5], constituèrent une église dissidente à Rome, à Alexandrie, à Antioche, en Asie Mineure, en Gaule, en Espagne ; elle subsista jusqu'au VIIIème siècle.

La seconde importante hérésie fut le  nestorianisme qui portait sur l'incarnation du Christ. Il reconnaît les deux natures humaine et divine mais nie leur coexistence originelle, ce qui le fit dénier à la vierge le titre de "mère de dieu", théotokos. Le concile d'Éphèse condamna la doctrine de Nestorius, qui persista néanmoins minoritairement au Moyen-Orient et jusqu'en Chine.

Le problème christologique – qui porte sur la nature de Jésus – a en effet suscité, aux Vème et VIème siècles, des divisions au sein de la communauté des chrétiens. La difficulté à définir l'union de la divinité et de l'humanité dans le Christ – Verbe incarné – avait déjà fait l'objet de débats à propos de la doctrine d'Arius (IVème siècle).

Les divergences les plus graves apparaissent au temps de Nestorius, patriarche de Constantinople de 428 à 431. Par son comportement autoritaire, il se fait beaucoup d'ennemis, qui se hâtent de repérer dans ses sermons des éléments suspects. Les deux natures – humaine et divine – du Christ se trouvent nettement distinguées dans sa théorie : le Verbe divin ne peut avoir souffert dans la Passion, et marie, qui a enfanté un homme, ne peut donc porter le titre de mère de dieu. Ces propos font scandale.

La lutte la plus âpre s'engage entre Nestorius et saint Cyrille, le patriarche d'Alexandrie, qui affirme comme fait fondamental la divinité du Christ et l'unité indissoluble entre dieu et l'homme dans l'incarnation. À la suite d'une offensive énergique (envoi de lettres, intervention auprès du pape Célestin Ier, intrigues à la cour de Constantinople), Cyrille obtient, lors du troisième concile œcuménique, à Éphèse, en 431, la déposition de Nestorius. Cependant, ni le concile d'Éphèse, troublé par des conflits aigus, ni la tentative de compromis qui abouti au symbole d'Éphèse de 433 (les deux natures sont unies sans confusion dans le Christ) n'ont réduit l'opposition entre les deux partis.

De nombreuses églises[6] se rallient au nestorianisme. Elles profitent de l'antagonisme existant entre l'empire sassanide perse et l'empire romain pour fonder une église nestorienne perse. Depuis la Perse, cette église va essaimer vers l'Asie centrale, l'Inde et la Chine. Aujourd'hui, le nestorianisme se retrouve dans les églises de rite chaldéen restées séparées de Rome et minoritaires, la majorité de leurs fidèles ayant rétabli la communion catholique au XVIIIème siècle, tout en gardant le rite chaldéen.

En fait, le nestorianisme sera plus connu sous le nom d'irénisme, du nom d'Irénée, évêque de Tyr (mort vers 450), principal disciple de Nestorius, dont il défendit les positions au concile d'Éphèse (431). Exilé[7] avec son maître, il témoigna de ses luttes dans un pamphlet intitulé Tragédie d'Irénée.  Il est toutefois surprenant de constater qu'il sera plus tard canonisé et que , au sein du christianisme, l'irénisme[8] désigne désormais les efforts que font les chrétiens pour se rapprocher malgré leurs différences, voire leurs divergences et opposition !

En réaction extrême au nestorianisme et, sous prétexte de défendre la Vérité révélée, surgit le monophysisme qui ébranla le christianisme beaucoup plus profondément encore et  pendant plus longtemps.

Peu après la mort de Cyrille d'Alexandrie (444), les querelles christologiques reprirent et, en réaction contre le nestorianisme (qui voulait distinguer en Jésus-Christ deux personnes), survint le monophysisme, qui ne considérait qu'une nature dans le Christ, et qui constitua une nouvelle hérésie, plus importante et plus profonde que la première. Le précurseur en avait été Apollinaire le Jeune (v. 310 - v. 390), évêque de Laodicée, qui, dans sa Démonstration de l'Incarnation de dieu, énonça une doctrine déniant au christ un corps humain animé d'une âme sensible puisque sa propre divinité en tient lieu : "La divinité et la chair sont deux parties constitutives d'une seule nature, de même que, dans l'homme ordinaire, on a une seule nature formée de deux parties imparfaites, l'âme et le corps". Ainsi, en ne laissant à Jésus-Christ qu'un corps sans âme, Apollinaire ne lui accordait qu'une humanité équivoque, incomplète, et qui, n'étant pas consubstantielle à celle de l'humanité terrestre, compromettait, dans son fondement l'action même de la rédemption. La doctrine d'Apollinaire, combattue en 377 par le pape Damase, fut vigoureusement condamnée par le concile de Constantinople (381).

Mais la subtile dissection à laquelle s'était livré Apollinaire préparait l'hérésie monophysite. Cette doctrine ne prétendait reconnaître en Jésus-Christ qu'une seule nature (du grec, monos, unique, et physis, nature). Pour la réfuter, l'église fut ébranlée très profondément tout au long de la seconde moitié du Vème siècle.

Le véritable promoteur de cette hérésie fut Eutychès, archimandrite (c'est-à-dire supérieur) d'un monastère de Constantinople. En novembre 448, Eutychès se vit condamner et déposer par le synode de cette ville (synode endemousa) pour avoir soutenu que le Christ est de deux natures (humaine et divine) avant l'Incarnation, mais non après (dès lors, il ne possède plus qu'une nature, la divine), et que la vierge Marie est consubstantielle à l'humanité, mais non le christ. Ne se tenant pas pour battu, Eutychès, quoique condamné par le patriarche de Constantinople, obtint de l'empereur d'Orient, Théodose II, la convocation d'un concile général afin de réexaminer sa doctrine. Ce concile, que Théodose II convoqua à Éphèse, en 449, devint le théâtre de scènes violentes qui restèrent dans les annales de l'histoire de l'église sous le nom de "brigandage d'Éphèse". Le concile s'ouvrit sous la présidence de Disoscore, patriarche d'Alexandrie, et partisan du monophysisme. Très vite, menaces physiques et coups contraignirent les opposants d'Eutychès au silence : "Anathème celui qui met deux natures dans le Christ ! Qu'on le chasse, qu'on le massacre ![9]". Le patriarche de Constantinople mourut en prison à la suite des coups qu'il reçut[10]. La doctrine des "deux natures" fut rejetée, et après avoir déclaré Eutychès orthodoxe, et chassé du pouvoir tous ceux qui ne partageaient pas ses vues, le concile rétablit l'archimandrite dans ses fonctions.

À Rome, apprenant ces événements, le pape Léon Ier convoqua aussitôt un synode (septembre 449), qui condamna formellement les conclusions du concile d'Éphèse. Cependant, devant les dangers que représentait pour l'église entière l'hérésie d'Eutychès, Marcien caressait le projet d'un nouveau concile général. Après de nouvelles péripéties violentes (dont la mort accidentelle de Théodose II), ce nouveau concile œcuménique fut convoqué à Chalcédoine, en 451. Plus de 520 évêques, auxquels se joignirent les légats romains, condamnèrent Eutychès et sa doctrine, et, après de longs et tumultueux débats, parvinrent à rédiger une profession de foi commune proclamant que "dieu le Verbe, fils unique de dieu, né de la vierge Marie quant à son humanité, est en deux natures qui demeurent sans confusion, sans changement, sans division ni séparation, qu'il est vraiment dieu et vraiment homme, composé d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au père selon la divinité, et consubstantiel à nous selon l'humanité, car l'union n'a pas supprimé la différence des nature s; chacune d'elles a conservé ses manières d'être propres et s'est rencontrée avec l'autre dans une unique personne d'hypostase".

La querelle n'était pas close pour autant. Tandis que certains, tel le nouveau patriarche d'Alexandrie, Cyrille, accentuaient leurs positions dogmatiques en mettant au premier plan la nature divine du Christ, la résistance des courants monophysites s'organisa, sous l'impulsion de fortes personnalités, comme Théodore, évêque monophysite de Jérusalem, ou Sévère d'Antioche au VIème siècle. En 484, l'empereur Anastase, fervent monophysite, fut remplacé par Justin, qui rétablit l'orthodoxie des Pères du concile de Chalcédoine.

L'hérésie semblait vaincue, mais ce court temps lui avait permis de s'étendre dans tout le Proche-Orient. De Constantinople, où elle bénéficiait encore du soutien d'une grande partie des moines, elle passa en Syrie, où une église monophysite autonome apparut, sous l'action de Jacques Baradée, et où elle subsiste encore au sein de l'église jacobite (dont le nom conserve jusqu'à aujourd'hui le nom de son fondateur) ; les pays du Caucase furent partagés entre le monophysisme (l'Arménie) et l'orthodoxie chalcédonienne (la Géorgie) ; l'hérésie triompha pleinement en Égypte, où le monophysisme s'implanta durablement et donna naissance à l'église copte, qui rejette la foi de Chalcédoine, et en d'Éthiopie.

Cette crise à peine passée en surgit une autre : le pélagianisme, du nom du moine Pélage, réfuté par saint Augustin, qui fut condamné par les conciles de Carthage (412 et 416) et de Milève (416) et qui, lui, rejette notamment le péché originel et la grâce de Dieu, insistant sur le rôle du libre arbitre.

Pélage (360-422) était originaire de Grande-Bretagne mais installé depuis longtemps à Rome, où il se rendit célèbre par sa propagande en faveur de l'idéal ascétique. Lorsque la ville est prise par Alaric, en 410, il se réfugie en Afrique, d'où il repart, dès 411, pour la Palestine, laissant à Carthage l'un de ses plus ardents disciples, Célestius. Celui-ci, minimisant, comme son maître, la notion de péché originel, met en cause la pratique du baptême des enfants.

Augustin[11], évêque d'Hippone, entame une longue lutte. Il rejette l'orientation moraliste de Pélage, car elle accorde trop d'efficacité à la capacité naturelle de l'homme, à sa liberté, et vide de leur contenu les mots de "grâce divine", d'"élection", de "prédestination". En effet, Pélage va jusqu'à voir dans la nature et son libre arbitre la première des grâces, et il risque de réduire le mystère de la croix en faisant du christ un simple modèle à imiter.

Cette doctrine séduit des aristocrates et se répand dans les monastères ; bien que cette hérésie ait été maintes fois condamnée, elle gardera une influence considérable et restera jusqu'en 529 (concile d'Orange) une cause de discorde en Occident.

Le pélagianisme fut la dernière des grandes hérésies du christianisme naissant et, surtout, avant la véritable de l'église catholique apostolique et romaine en un ordre à la fois spirituel et temporel, c'est-à-dire en une puissance disposant tout autant de la Vérité, de son canon théologique et de la force politique, militaire (et, notamment, de… canons !) et policière.

Au cours de cette première période, en définitive, la seule arme disponible pour lutter contre l'hérésie était l'excommunication, c'est-à-dire le bannissement de la communauté chrétienne[12], sachant que celui qui était frappé d'excommunication pouvait toujours avouer ses fautes, s'en repentir sincèrement et obtenir le… pardon[13]. Lorsqu'un évêque était jugé hérétique, selon la procédure adoptée dès le IIIème siècle, une assemblée d'évêques rédigeait un symbole de foi conforme à la sainte doctrine, que l'accusé était invité à signer ; s'il le refusait, on constatait alors qu'il renonçait de lui-même à la dignité de sa fonction et il était aussitôt… déposé.

Au VIIIème siècle, l'orient chrétien s'embrase littéralement avec la querelle des icônes – images -. Dans l'Empire byzantin, les adversaires de la vénération des icônes, représentations du christ, se réfèrent à l'interdit[14] de la Bible (Exode XX, 4) et redoutent un retour à l'idolâtrie. Leurs objections sont encore liées aux débats christologiques, mais aussi à l'influence des exemples juif et musulman. Les iconoclastes – partisans de la destruction des icônes – ont le soutien de deux empereurs. Cependant, le concile œcuménique de Nicée de 787 affirme la légitimité des icônes, arguant que l'incarnation leur confère un caractère sacramentel. Dans ce conflit, qui reprend au IXème siècle, les partisans des icônes n'emportent une victoire définitive qu'en 843. Et, dorénavant ce seront les iconoclastes qui… seront considérés comme hérétiques !

À côté des grandes hérésies christologiques, de nouveaux courants sectaires[15] prolifèrent en Orient.

Les pauliciens d'abord, qui, fortement marqués par le manichéisme, refusent les rites et les sacrements, et professent un idéal de vie marqué par un ascétisme extrême. En Asie Mineure – et, en particulier, en Arménie -, l'adhésion aux dogmes pauliciens de nombreux soldats représente un cas très clair d'une hérésie devenue aussi l'expression d'une opposition politique. Le courant paulicien se développa du VIIème au Xème siècles ; ses adeptes subirent une persécution d'envergure de la part de l'Empire byzantin dans le courant du IXème siècle.

A la même époque, la Cappadoce est le foyer du messalianisme courant enthousiaste et mystique, faisant de la prière l'activité principale et recherchant des rapports directs avec dieu par-delà les rites de l'Église. Ses sectataires contestent parfois la validité du ministère sacramentel des évêques et des prêtres.

À partir du Xème siècle se développe, dans le prolongement du manichéisme, le bogomilisme bulgare( du bulgare bog, dieu et mile, ami), qui repose sur des mythes cosmogoniques et des rites d'initiation particuliers. Le bogomilisme, se répandit dans les Balkans et l'Empire byzantin et fut sévèrement réprimé au XIIème siècle ; il inspira largement les cathares.

A partir de l'an mille, l'église va connaître diverses hérésies[16] mais elle va aussi vivre le Schisme.

Ainsi, au XIIème siècle, il y eut véritablement schisme lorsque la chrétienté occidentale eut affaire à deux papes, un pape et un antipape[17], et lors du Grand Schisme d'Occident (1378-1417), quand furent contestées l'élection et la personne d'Urbain VI, puis de ses successeurs romains, auxquels s'opposaient les papes d'Avignon.

Le schisme suppose donc atteinte à deux caractères de l'église : la communion fraternelle et la structure hiérarchique. En fait, lorsque l'église est passée à une structure de gouvernement plus monarchique, le critère d'obéissance à l'évêque a été davantage mis en avant. Déjà, Ignace d'Antioche, au IIème siècle, n'hésite pas à écrire que celui qui favorise le schisme n'héritera pas du royaume de dieu. Cette tendance prépare la formule : «Hors de l'église point de salut". Mais qui décide de l'orthodoxie ou de la séparation [18]?

Pour l'historien, un schisme, quel qu'il soit, pose la question des critères d'orthodoxie retenus pour marquer la frontière entre le groupe considéré comme schismatique et l'église qui condamne ce groupe. La Réforme luthérienne, par exemple, ne désirait nullement rompre avec Rome : est-ce seulement l'impatience de Luther et son intransigeance qui ont entraîné la division dans l'église d'Occident ? Est-ce que l'église des indulgences était plus la véritable église que l'église du retour à l'Écriture et à la foi seule? L'historien ne peut trancher, il constate les divisions mais ne cherche pas les critères doctrinaux du schisme.

De même, du point de vue sociologique, peut-on faire porter l'interrogation sur les raisons sociales d'un schisme ou d'une reconnaissance de schisme ? Est-ce un critère de vérité doctrinale qui est déterminant ou est-ce le refus d'un groupe de se laisser mettre en question, rejetant ainsi hors de lui les questionneurs gênants ? Pourquoi l'obéissance au pouvoir d'un évêque ou du pape est-elle tant soulignée, au risque de faire perdre de vue l'instance communautaire ?

Le schisme[19] se fit progressivement. Après plusieurs ruptures (schisme d'Acace, 484-519 ; schisme monothélite, 638-681 ; schismes iconoclastes, 726-787 et 813-843 ; schisme de Rhotios, 863-867), l'église d'Orient se sépara de l'Église de Rome en 1054 : le 24 juillet 1054, le cardinal Humbert déposait sur l'autel de Sainte-Sophie, à Constantinople, l'acte par lequel Rome excommuniait le patriarche de Constantinople, Michel Keroularios. Le lendemain, une assemblée d'évêques, déniant au pape le droit d'intervenir sur les questions d'investiture, jetait le document romain au feu et excommuniait Humbert et sa suite. Par ailleurs, l'accumulation des divergences théologiques relatives à la procession du Saint-Esprit, à l'épiscopat, à la primauté de Rome et aux usages liturgiques aggrava l'opposition entre Constantinople et Rome.

Le sac de Constantinople, perpétré durant la IVème croisade, en 1204, ne fit qu'intensifier l'hostilité de l'église orientale à l'égard de l'église d'Occident. Or des tentatives de rapprochement se succédaient de part et d'autre. Au IIème concile de Lyon (1274), l'empereur d'Orient Michel VIII Paléologue fit signer, par calcul politique, une motion reconnaissant la primauté romaine, dont on ne tint compte que durant huit ans. Le concile de Florence (1438-1439) proclama l'union des églises, mais les communautés orthodoxes ne répondirent pas favorablement à cette initiative. En 1453, les Turcs s'emparaient de Constantinople et l'église byzantine était asservie par l'Empire ottoman.

Le fossé ne cessa de s'agrandir entre l'Orient et l'Occident après le concile Vatican I (1869-1870), où l'infaillibilité du pape fut définie. Ce n'est qu'à partir du concile Vatican II (1962-1965) que s'esquissa une nouvelle tendance au rapprochement: en 1964, le patriarche Athênagoras et le pape Paul VI décidèrent de lever les anathèmes réciproques lancés en 1054[20].

Les différences essentielles entre l'Église orthodoxe et l'Église catholique portent sur trois points principaux de doctrine : la trinité, l'autorité juridictionnelle du pape et l'immaculée conception.

Pour les orthodoxes, la seule profession de foi relative à la Trinité est le Credo de Nicée (325). L'Église orthodoxe confesse que l'Esprit saint procède seulement du Père par le Fils, contrairement à l'Église catholique romaine, qui, au VIIIème siècle, sous le règne du pape Léon III, sans consulter l'Église byzantine, introduisit la foi en l'esprit procédant à la fois du père et du fils : filioque (le Credo en latin dit, à propos du Saint-Esprit : qui ex patre filioque procedit, "qui procède du père et du fils"). Ce fut l'occasion pour l'Orient de prendre conscience des différences doctrinales existant entre les deux traditions : selon l'une, seuls les conciles œcuméniques sont habilités à définir la foi ; selon l'autre, en vigueur à Rome, une foi complémentaire de celle des conciles peut être définie par le pape.

L'Orient chrétien refuse l'autorité juridictionnelle suprême du pape, défini par le concile Vatican I comme infaillible et docteur suprême de la Vérité[21] mais a toujours admis sa primauté d'honneur. La conception orthodoxe en matière d'infaillibilité de foi, de dogme et de morale repose sur le concile œcuménique et local. Seule une telle assemblée d'évêques – une instance collégiale donc – peut engager définitivement la foi de toute l'église.

L'immaculée conception est considérée par les orthodoxes comme une innovation doctrinale qui n'est pas nécessaire à la foi. La vierge bénéficie de la rédemption, assurée par la mort et par la résurrection du Christ.

La discipline des églises orientales admet le divorce, ainsi que le mariage des prêtres. Un homme peut se marier avant de devenir prêtre, mais non pas après avoir reçu le sacerdoce. Les prêtres veufs ne peuvent contracter de secondes noces. Les évêques sont choisis parmi les moines et les prêtres non mariés ou veufs.

Loin d'être une doctrine abstraite, la théologie orthodoxe affirme avec force que l'homme est appelé à vivre la révélation par l'intermédiaire de Jésus-Christ. L'Évangile, source et base de toute connaissance de dieu, permet de participer à l'existence divine. Le dogme défini par les conciles n'est pas dans une connaissance circonscrite, mais il ouvre la voie à la sanctification personnelle : "Le Credo ne vous appartient pas tant que vous ne l'avez pas vécu", disait à ses fidèles un évêque russe du XIXème siècle. Dieu a créé le monde et l'homme, mais celui-ci a refusé l'amour de son créateur. Déchu, il doit reconquérir librement, par l'intermédiaire du Christ, l'amour divin. Né du saint-esprit et de la vierge, le christ s'incarne pour reprendre sa création de l'intérieur. Par sa mort et sa résurrection, il anéantit les puissances infernales. En s'unissant à l'humanité, il opère une véritable re-création et rend l'homme porteur de dieu et de son esprit. Seul l'esprit est donateur de vie et permet une authentique connaissance de dieu. Par la foi, le repentir et la vie sacramentelle, l'homme peut ressentir cette présence de l'esprit.

L'homme, ainsi restauré dans sa plénitude en Jésus, devient personne irréductible, créée à l'image et à la ressemblance de dieu. La nature divine lui permet une union toujours plus étroite avec Dieu. La personne vit en communion avec le christ, ce qui exclut tout salut collectif, au profit d'un salut personnel.

L'église offre les conditions nécessaires à cet épanouissement de l'homme en christ, communion que les saints réalisent pleinement. Composée de pécheurs, l'église empêche, par ses sacrements, la perdition de l'homme. L'église n'est pas seulement la hiérarchie mais l'ensemble des baptisés. Corps mystique du christ, elle se définit comme institution et comme lien de vie. Son unité repose sur sa connaissance juste du mystère de la trinité et sur l'unicité de la confession de foi (orthodoxie). L'esprit saint agit dans l'église et lui communique la vérité, dont évêques, pasteurs et docteurs sont responsables collégialement. Successeurs des apôtres, ils président des églises particulières et en même temps assument la responsabilité de l'Église universelle lors des conciles locaux et œcuméniques.

L'église orthodoxe reconnaît les rites primitifs de l'église chrétienne, les sacrements de l'église catholique romaine (même si les petits enfants peuvent recevoir l'eucharistie et la confirmation), ainsi que l'épiscopat et la prêtrise, interprétés à la lumière de la succession apostolique.

Le monachisme, originaire de l'Orient chrétien (Égypte, Syrie, Cappadoce), est considéré par l'église orthodoxe comme un sacerdoce prophétique : les moines manifestent l'action du saint-esprit à travers leur mode de vie. La république monachiste[22] du mont Athos en Grèce est toujours considérée par les chrétiens orthodoxes comme un centre de vie spirituelle.

La tradition liturgique met l'accent sur l'intercession des saints. Après la destruction des images représentant le christ et les saints, ordonnée en 730 par l'empereur Léon III, qui a ouvert la querelle des images (VIIIe-IXe siècle) en interdisant radicalement le culte de ces objets dans l'Empire byzantin (querelle condamnée au concile de Nicée, en 787), les images ou icônes représentant le christ, la vierge marie et les saints sont considérées comme des preuves visibles de l'incarnation humaine de Dieu en la personne de Jésus. La liturgie orthodoxe, connue sous le nom de rite byzantin, a été traduite du grec en plusieurs langues, notamment en slavon, langue liturgique employée par l'église orthodoxe russe. La liturgie est toujours chantée, et l'eucharistie distribuée sous les deux espèces (pain et vin).

La célébration cultuelle, centrée sur l'adoration de Marie en tant que mère de dieu, est essentielle dans la vie orthodoxe. L'église est le ciel sur la terre, elle anticipe la vie céleste. Image du monde, ses parties hautes – coupoles et voûtes – figurent le ciel, où resplendit la gloire du christ sous forme réelle ou symbolique. Le sanctuaire, réservé à la célébration de la liturgie eucharistique (messe), représente le monde divin, et la nef le monde sensible : l'église est le lieu où s'opère l'union de tous les êtres avec dieu.

Les fresques et les icônes décorent le temple en le remplissant de la présence de ceux qui sont figurés. L'icône est pour les orthodoxes un objet d'essence divine qui tient un grand rôle dans le culte. Partie inséparable de toute liturgie, elle reçoit des fidèles une vénération particulière. L'icône n'est pas un portrait : c'est le prototype de l'humanité céleste à venir. Représentation symbolique, elle manifeste les sentiments affinés, en bannissant ce qui est charnel. L'artiste travaille surtout le regard du saint, l'expression de ses yeux toujours hiératique, lieu de la plus grande concentration spirituelle dans le visage humain. L'icône est éclairée de l'intérieur. La lumière rayonne du saint, lui-même illuminé par la divine lumière de dieu, qui a transformé sa chair et permis à son âme de s'extérioriser.

Le cycle des offices religieux correspond à celui de l'église catholique. La journée liturgique commence avec les vêpres et les complies, puis, au milieu de la nuit, est célébré l'office de minuit. Les matines ne sont pas séparées des laudes : elles forment un tout, suivi, surtout dans les monastères, de la divine liturgie (messe). Dans les paroisses, la liturgie est célébrée en général chaque dimanche (jour de la résurrection) et les jours de grandes fêtes. Dans l'église grecque, elle est précédée de matines, alors que la tradition russe chante les vêpres et les matines le samedi soir.

L'église orthodoxe adopte en général une attitude ouverte à l'égard du mouvement œcuménique contemporain. Les églises autocéphales ont rejoint, les unes après les autres, le Conseil œcuménique des églises, fondé en 1948, sans avoir pour autant modifié leur propre conception de l'unité chrétienne. Les mesures prises récemment par l'église romaine catholique ainsi que les décrets du concile Vatican II furent accueillis comme une base de travail prometteuse par l'église orthodoxe. Cette réaction positive s'est concrétisée par de nombreuses rencontres entre le pape Paul VI et le patriarche de Constantinople Athênagoras, ainsi que par le voyage du pape Gépétou en Turquie, en 1979.

Les églises autocéphales et les patriarcats ne reconnaissent pas de centre d'autorité mais adhèrent au Conseil œcuménique. Les patriarcats sont des églises régionales.

Le patriarche de Constantinople ville est appelé œcuménique, car il est le premier dans l'ordre de préséance. Élu par des métropolites, il est assisté par un synode de douze évêques. Outre la Turquie, le patriarcat de Constantinople exerce sa juridiction sur la Grèce du Nord, la Finlande et sur certains diocèses occidentaux et d'Amérique du Nord. Les monastères du mont Athos, haut lieu du monachisme orthodoxe, lui sont également rattachés.

Le patriarcat d'Alexandrie étend son autorité sur les orthodoxes d'Égypte (non monophysites) et d'Afrique centrale et orientale.

Le patriarcat d'Antioche, siégeant à Damas (Syrie), regroupe les chrétiens orthodoxes de Syrie et du Liban.

Le patriarcat de Jérusalem, fondé en 451, il a la garde des lieux saints.

L'église autocéphale de Chypre, fondée par l'apôtre Barnabé, est indépendante depuis 451.

L'histoire de l'église russe, indépendante depuis 1448, est fortement marquée par la lutte qui l'opposa à l'État pour conserver son indépendance. Le tsar Pierre le Grand abolit, en 1721, le patriarcat, qui ne fut rétabli qu'à la veille de la révolution de 1917. Résidant à Moscou, le patriarche est entouré d'un synode de six évêques, qui règle les affaires courantes de l'église russe. La théologie est enseignée dans deux académies: à Saint-Pétersbourg et à Zagorsk.

D'autres églises locales sont devenues indépendantes plus tard, comme les églises grecque, roumaine, serbe, bulgare, géorgienne et, très récemment (1970), l'église orthodoxe d'Amérique.

Au XIVème siècle, le clergé français exerce une influence prépondérante dans le gouvernement de l'église ; la papauté et son prestige en souffrent. En 1377, Grégoire XI revient d'Avignon à Rome et y meurt peu après. Les cardinaux, alors, se divisent et élisent successivement un pape italien, Urbain VI, qui se maintient à Rome, et un pape français, Clément VII, qui, n'ayant pu s'emparer de Rome, se retire à Avignon (1378). L'autorité et le prestige de la papauté, dans l'Église comme dans le monde, sont ébranlés par ce grand schisme : deux papes s'excommunient réciproquement et on ne sait pas lequel des deux est le souverain pontife[23]. Les abus, autrefois combattus par les papes réformateurs des XIème et XIIème siècles, ont reparu, aggravés. Aux papes eux-mêmes, on reproche les excès de leur fiscalité et de multiplier les moyens de se procurer l'argent nécessaire à l'entretien d'une cour de plus en plus compliquée et, cette fois, double.

En 1414, d'accord avec les souverains, l'un des papes régnants, Jean XXIII[24], convoque un concile général à Constance. On attend de celui-ci qu'il mette fin au schisme et qu'il réforme l'église dans son chef et dans ses membres. Le concile réussit, en effet, à éteindre le schisme et, en 1417, un pape nouveau, Martin V, est élu, qui est reconnu par tous. Cependant, quand le concile se sépare, en 1418, il n'a fait qu'ébaucher la réforme attendue.

En 1534, pour des raisons politiques et conjugales, Henri VIII se substitua au pape comme chef de l'église d'Angleterre par l'Acte de suprématie et consacra ainsi ce que l'on appelle désormais le Schisme d'Angleterre.

Pour revenir aux hérésies, la plupart ont un lien évident avec le bogomilisme qui assimile le dieu créateur de la matière au principe du mal, incarné dans l'église, a une organisation ecclésiale complète. Malgré la victoire de la croisade organisée contre les albigeois, les cathares résisteront longtemps.

Au sens large, le terme albigeois[25] désigne les cathares du midi de la France ; dans un sens plus précis, il ne s'applique, parmi les cathares, qu'aux tenants du dualisme absolu. Le chroniqueur Geoffroy de Vigeois semble être l'inventeur du mot, qui fit fortune au XIIIème siècle avec la croisade contre les albigeois. À la même époque, et dans d'autres régions, les cathares furent appelés patarins (Italie du Nord) ou poplicains (nord de la France).

La religion cathare appartient au courant des religions dualistes, réduit à tort au seul manichéisme. D'origine grecque, le mot cathare signifie pur.

Comme dans toutes les religions dualistes, le problème du Mal est au cœur de la doctrine : comment dieu, bon par nature, pourrait-il vouloir le mal ? Deux principes s'affrontent pour la domination de l'Univers : celui du Bien, d'où émanent lumière et esprit; et celui du Mal, qui n'est que ténèbres et matière. Le monde, créé par Satan, un ange déchu, est matière, tout comme le corps de l'homme ; mais, dans cette enveloppe vile, une parcelle d'esprit divin a été enfermée lors de la lutte opposant Satan et ses démons à dieu. La vie apparaît donc comme une cruelle pénitence au cours de laquelle l'homme doit chercher à se purifier de façon à libérer cette parcelle divine ; une seule vie n'y suffit pas toujours, d'où la croyance en la réincarnation. Enfin, le mythe s'achève sur une vision apocalyptique : le monde sensible, œuvre de Satan, sera définitivement anéanti.

Le succès du catharisme en Languedoc dans la seconde moitié du XIIème siècle pose le double problème, non résolu, des origines et des causes du mouvement. Pour maints historiens, des influences orientales expliquent l'apparition du dualisme en Occident; différents maillons (gnosticisme, paulicianisme, et enfin bogomilisme) unissent la religion de Mani (le manichéisme) au catharisme. Le Languedoc aurait connu d'abord le dualisme modéré, introduit peut-être par Henri l'Hérétique, qui parcourut la région vers 1136-1137 et rencontra un grand succès. Des chevaliers revenant de la deuxième croisade auraient diffusé le dualisme absolu des bogomiles des Balkans ; le concile cathare de Saint-Félix-de-Caraman – aujourd'hui Saint-Félix-de-Lauragais – tenu en 1167 sous la présidence d'un pape bulgare, Nikita, ou Nicetas, marquerait, si l'on s'en tient à ce schéma, une date importante : organisation de l'église cathare, victoire du dualisme absolu, c'est-à-dire de l'albigéisme, en Languedoc ; enfin filiation indiscutable avec le bogomilisme. Mais d'autres historiens tendent à limiter ces influences orientales et cherchent en Occident même l'origine du catharisme : tour à tour les liens avec les mouvements évangéliques, florissants au XIIème siècle, avec le christianisme primitif, avec le gnosticisme, resté vivace en Europe méridionale, voire avec la kabbale, née en Languedoc.

Comme origine, non théologique, figure le rejet de l'autorité de Rome et, plus généralement, de l'église romaine qui, pour les cathares, n'était tout simplement plus… chrétienne !

À la fin du XIIème siècle, l'albigéisme se manifeste ouvertement. On a invoqué les mœurs lamentables du clergé, la rapacité des nobliaux, qui refusent de restituer les revenus du clergé qu'ils ont usurpés ; la civilisation du Languedoc, caractérisée par l'esprit de tolérance, le vif sentiment de la liberté, une culture brillante et frivole. Que des idées hétérodoxes se manifestent alors ne surprend pas ; qu'en réaction contre le relâchement des mœurs une religion ascétique prenne racine se comprend ; que le petit seigneur du Lauragais qui écoute les troubadours chanter l'amour reçoive aussi l'austère parfait cathare, la contradiction peut n'être qu'apparente. Mais pourquoi une religion dualiste si différente du christianisme ? Le problème du Mal se posait à tous ; les cathares en offraient une explication cohérente et compréhensible dont le commun des mortels ne soupçonnait pas qu'elle ait été en contradiction avec le christianisme. Pour la masse, seule comptait la différence entre le curé de campagne ignare ou l'archevêque corrompu et la vie sans reproche du parfait albigeois ; c'était une affaire de morale, non de religion.

La rude phrase - et, en fait, l'appel au meurtre, au massacre - que le légat Arnaud-Amalric a prononcée lors du sac de Béziers : "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens", traduit l'impuissance de l'église devant l'implantation en profondeur du catharisme.

Toutes les couches sociales sont touchées, mais la large pénétration de l'hérésie dans la noblesse explique la difficulté de l'extirper et même de la déceler. Qui était albigeois ? Qui ne l'était pas ? Hérétiques ou catholiques, les Languedociens menaient la même vie. Le dualisme absolu impose une morale sévère qui recommande à ses adeptes le détachement du monde le plus complet : pas de viande, pas de rapports sexuels, pas de contacts avec l'église officielle, pas de richesses. La grande masse des croyants ne pouvait suivre de telles règles. Aussi distinguait-on des simples croyants les parfaits, qui, seuls, se conformaient à cette ascèse.

Les croyants appelaient les parfaits Bons Hommes. Ouvertement au XIIème siècle, guidés la nuit par des croyants fidèles lors de la persécution, ils parcouraient les chemins du Languedoc et entraient dans maisons et châteaux pour consoler un mourant ou pour prêcher ; nobles ou d'humble origine, ils vivaient de la charité des croyants. Parmi eux (on a conservé les noms de plusieurs centaines de parfaits) se recrutaient le diacre, placé à la tête d'une communauté, et l'évêque, qui dirigeait un diocèse. Initié, éprouvé dans sa foi, le croyant suffisamment fort devenait parfait en recevant le consolamentum. Peu rompirent leur serment, aucun ne renia sa foi.

Les missions qui, au XIIème siècle, furent envoyées pour combattre le catharisme par la persuasion échouèrent. Seul, saint Dominique, qui parcourut le Midi en 1206, comprit qu'il fallait adopter le genre de vie des parfaits pour espérer réussir, œuvre de longue haleine, en contradiction avec le désir du pape Innocent III d'en finir rapidement. Mais, le meurtre du légat Pierre de Castelnau, en 1208, donne l'occasion à Innocent III d'appeler à la croisade contre les albigeois, contre leurs complices, les nobles, et contre ceux qui, tel le comte de Toulouse, les tolèrent car, à l'évidence, pour l'église, il n'y avait d'autre moyen d'éradiquer l'hérésie que… d'éradiquer les hérétiques. On sait que ce projet fut méthodiquement mis en œuvre et que l'albigéisme finit par disparaître, faute de… cathares vivants !

Un autre grand mouvement hérétique a son origine dans les écrits de Joachim de Flore, qui attend l'âge de l'Évangile éternel diffusé par les justes et prône l'idéal de pauvreté : cette hérésie n'eut toutefois pas les honneurs de recevoir un nom !

Compte tenu de la persistance, et, parfois, de l'ampleur des hérésies ou, au moins velléités hérétiques, les tribunaux de l'Inquisition sont institués en 1232. Dirigés par les dominicains, ils ont pour mission de rechercher les suspects d'hérésie, de les interroger (la torture est autorisée en 1254), et d'abandonner les récalcitrants au pouvoir laïc, qui les met à mort par le feu.

Malgré l'efficacité de l'Inquisition, de nouvelles hérésies différentes naissent à la fin du Moyen Âge. Wycliffe, en Angleterre, rejette le clergé et les sacrements, et fait traduire la Bible en anglais pour favoriser une religion exclusivement scripturaire : il préfigure le protestantisme et, plus particulièrement, le puritanisme. Sa doctrine fut condamnée en 1382 et il fut excommunié.

Wycliffe eut une influence directe sur Jan Hus (Husinec, Bohême, vers 1370 ; Constance, Allemagne, 1415), à Prague. Bien que Hus accepte l'église en place, le hussitisme prend tout son relief de sa dimension nationale.

Jan Hus[26], professeur, puis recteur de l'université Charles de Pragues, ordonné[27] prêtre en 1400, est rapidement – et aujourd'hui encore - considéré dans son pays comme un héros national, non seulement pour son activité religieuse et politique, mais aussi pour sa contribution à l'épanouissement de la langue littéraire tchèque.

A peine prêtre, il se met à prêcher, en la chapelle de Bethléem (Prague). Dans ses sermons, prononcés en langue tchèque, Jan Hus s'élève contre la décadence du clergé, et prône un retour à la religion des premiers âges du christianisme. En 1408, l'archevêque de Prague lui interdit de monter en chaire. Jan Hus passe outre, s'affirmant bientôt comme un chef d'envergure nationale, capable de rassembler les énergies tchèques qu'il galvanise face à l'influence germanique.

En 1411, pour avoir adopté les thèses hérétiques de l'Anglais John Wyclif, Hus est excommunié. Il rédige son De Ecclesia ("De l'église"), dans lequel il soutient que le pape, les évêques et les prêtres prévaricateurs sont exclus de la communauté chrétienne (ventes d'indulgence et simonie). Retiré en Bohême du Sud, il continue son action en faveur de sa réforme et termine sa traduction complète de la Bible en langue tchèque[28].

Le concile de Constance, convoqué en 1414 afin de restaurer l'autorité de l'Église, alors gravement compromise par l'existence simultanée de trois papes, le fait comparaître en tant qu'hérétique (en particulier parce que la doctrine hussite recommande la communion sous deux espèces, pain et vin). Jan Hus défend ses idées avec fougue et refuse de se rétracter. Au terme d'un procès hâtif, il est condamné à mort pour hérésie, et brûlé vif à Constance le 6 juillet 1415. Il était déjà monté sur le bûcher, lorsqu'une vieille femme s'approcha pour apporter son fagot. En la voyant, le supplicié s'écria : "O sancta simplicitas !" (Ô sainte simplicité !), voulant montrer, par cette exclamation restée proverbiale, que l'être le plus innocent peut faire le mal par ignorance. Certains historiens attribuent la phrase non pas à Jan Hus, mais à son disciple Jérôme de Prague, qui fut brûlé vif le 30 mai 1416,  soit un an après son maître.

Le martyre de Jan Hus, loin de mettre un terme à l'effervescence hussite, est à l'origine d'un mouvement de révolte puissant, qui dépasse le simple cadre religieux pour se donner un objectif politique : l'indépendance nationale de la Bohême. Les hussites luttent pendant plus de vingt ans contre le roi de Bohême Sigismond de Luxembourg. Durant ces sanglantes guerres hussites s'illustre un autre héros tchèque, Jan Zizka. Après la mort de Hus sur le bûcher, le hussitisme, désormais ouvertement nationaliste, lance les Tchèques dans la révolte contre l'Église et contre l'empereur germanique.

En fait, tout l'avenir de la Réforme en Europe centrale s'est joué pendant ces sombres années.

Les premiers réformateurs, au XVIème siècle, combattus comme hérétiques par l'Église catholique, conservent eux-mêmes la notion d'hérésie comme doctrine contraire aux idées de l'Écriture sainte, et s'accordent à penser que les princes et les magistrats chrétiens doivent réprimer les blasphémateurs. Calvin va jusqu'à imposer la punition par le glaive. Au XVIIIème siècle des protestants critiqueront la notion même d'hérésie comme legs du catholicisme, mais ce rejet ne sera pas général. En fait, le protestantisme sera autant un schisme qu'une hérésie mais une hérésie qui réussira !

Réformateur allemand (Eisleben, Thuringe, 1483 ; id., 1546), contemporain de Gutenberg, Christophe Colomb et Nicolas Copernic, Martin Luther a accompli une révolution religieuse[29] à l'intérieur du christianisme, dont les conséquences sur la civilisation occidentale ont été et sont encore extrêmement importantes. Le père fondateur de la Réforme protestante a en effet profondément influencé les cultures germaniques et anglo-saxonnes.

Son père, mineur d'origine paysanne, parvint à une relative aisance et Martin put faire des études à Magbourg et à Eisenach, puis il entra à l'université d'Erfurt (bachelier en 1502, maître en philosophie en 1505). Alors que son père souhaitait qu'il fréquentât la faculté de droit, il faillit être atteint par la foudre, ce qui le décida à devenir moine. Sa piété était marquée par les tendances de l'époque : vive conscience de la mort, notamment de la mort subite sans préparation spirituelle ; inquiétude quant au jugement de dieu.

Devenu moine chez les ermites de Saint-Augustin d'Erfurt, Luther est ordonné prêtre dès 1507. Il obtient son doctorat de théologie en 1512. En 1515, il est élu vice-provincial. Luther est alors professeur d'Écriture sainte à Wittenberg. Son enseignement le montre préoccupé par une quête spirituelle. Dès son entrée au couvent, il tente de combler, par diverses œuvres de mortification, la distance infinie qu'il ressent entre la sainteté de dieu et la nature faillible de l'être humain. Mais, entre 1513 et 1519, il prend conscience que le salut n'est pas le couronnement de mérites humains, même acquis avec l'aide de la grâce, mais uniquement l'œuvre de la grâce de dieu – lequel sauve gratuitement l'être humain –, et que la distance infinie qui sépare l'homme de son créateur est comblée par la venue sur terre de Jésus-Christ. La peur du jugement divin est ainsi apaisée : la vie chrétienne consiste à croire à l'amour de dieu et non à accumuler les bonnes œuvres, qui permettraient de se racheter de ses péchés.

C'est notamment le rapprochement de la piété du Livre des Psaumes et de la prédication de l'apôtre Paul aux Romains – Le juste vivra par la foi – qui produit la conviction joyeuse de Luther et qui le mène vers une "expérience d'un amour divin, dont il se sent toujours indigne". Le chrétien est à la fois juste et pécheur. Dieu prend sur lui les péchés, la mort et l'enfer, mais l'homme reste un pécheur, parce que la convoitise du mal subsiste en lui.

La découverte progressive de cette conception du salut amène Luther à prendre parti dans des débats précis, rejoignant ainsi la position des humanistes en faveur d'une réforme des études théologiques : il faut enseigner avant tout l'Écriture et les langues bibliques pour pouvoir travailler sur les textes originaux. Par ailleurs, il s'opposa à Tetzel, prédicateur allemand qui vendait, au profit de la reconstruction de la basilique saint-Pierre de Rome, des lettres d'indulgences. Celles-ci, puisées par l'église dans le trésor des mérites du christ, de la vierge et des saints, permettent d'absoudre certains péchés et remettent une partie des peines du purgatoire. Le 31 octobre 1517, Luther rédige ses 95 thèses contre la vertu des indulgences qu'il fait placarder sur les portes de la cathédrale de Wittenberg. L'invention de l'imprimerie permet une large diffusion du texte, qui passionne les intellectuels de l'époque.

Estimant l'autorité du pape menacée, le saint-Siège tente d'obtenir une rétractation. Luther répond qu'il faut lui démontrer, Écriture à l'appui, qu'il est dans l'erreur. Il affirme alors (Dispute de Leipzig, juillet 1519) que l'autorité de la Bible est supérieure à celle du pape, des conciles et du magistère. Le 15 juin 1520, Léon X somme Luther de se rétracter, condamnant ses positions sur la grâce, le péché, les sacrements, la communion sous les deux espèces (bulle Exsurge Domine). Luther répond à cette mise en demeure en publiant, d'août à octobre 1520, trois écrits ayant valeur de manifestes. À la noblesse chrétienne de la nation allemande sur l'amendement de la condition de chrétien affirme le principe du sacerdoce universel : les laïques, de par leur baptême, sont des prêtres comme les clercs ; il n'existe pas entre eux de différence d'essence mais seulement de fonction. Si le pape et le clergé ne réalisent pas la réforme de l'église, il appartient aux laïques de la prendre en charge. Par ailleurs, la révélation biblique est directement accessible au lecteur qui a la foi. Le saint-Siège n'a aucune autorité quand il contredit l'Écriture. Dans son Prélude sur la Captivité babylonienne de l'Église il soutient que l'Évangile est prisonnier à Rome, nouvelle Babylone. Les sacrements sont devenus des moyens d'asservissement au profit de l'église ; deux seulement sont bibliques : le baptême et la cène. La messe n'est nullement un sacrifice. Son Traité de la liberté du chrétien décrit le chrétien comme l'homme le plus libre : "maître de toutes choses, [il] n'est assujetti à personne". En même temps, il est "en toutes choses le plus serviable des serviteurs, et assujetti à tous".

En Allemagne, ces écrits obtiennent un succès immédiat tandis que Charles Quint donne l'ordre de brûler les livres de Luther, qui réplique en livrant aux flammes, avec ses étudiants, la bulle Exsurge Domine. En réponse, le 3 janvier 1521, une nouvelle bulle, Decet romanum pontificem, anathématise Luther et ses partisans. Cette rupture est entérinée par un constat de désaccord à la diète de Worms (avril 1521), présidée par Charles Quint. Luther déclare : "À moins qu'on ne me convainque par des attestations de l'Écriture – car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls, puisqu'il est clair qu'ils se sont souvent trompés et contredits –, je suis lié par les textes scripturaires que j'ai cités et ma conscience est captive des paroles de dieu. Je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr ni honnête d'agir contre sa propre conscience". À ces propos, l'official de Trèves réplique : "Abandonne ta conscience, frère Martin. La seule chose qui soit sans danger consiste à se soumettre à l'autorité établie". Une boutade célèbre de Boileau dira que "tout protestant est pape, Bible à la main".

Luther est mis au ban de l'Empire : il peut être arrêté et condamné à mort, mais Frédéric III le Sage le protège en lui donnant asile sous le nom de chevalier Georges au château de la Wartburg (mai 1521). Luther y écrit de nouveaux ouvrages pour préciser ses positions : il met en cause les vœux monastiques, qui, conçus comme une œuvre, sont pour lui contraires au salut par la grâce seule. Il commence la traduction en allemand du Nouveau Testament. Pendant ce temps, ses partisans les plus radicaux, conduits par André Karlstadt, imposent de nombreux changements à Wittenberg même, provoquant divers troubles. Inquiet, Luther reprend la tête du mouvement qu'il avait impulsé (mars 1522) et affirme que le renouvellement des pratiques doit s'opérer progressivement, au fur et à mesure de l'éveil des consciences. De fait, les cérémonies du culte ne seront modifiées qu'en 1526.

Héros des différents contestataires, Luther est ainsi amené à rompre avec certains d'entre eux. Pour beaucoup, la nouvelle manière de comprendre l'Évangile doit entraîner un changement global de leur situation. Mécontente de son sort, la petite noblesse se rebelle en 1522, mais Luther refuse de se rallier à cette révolte des chevaliers. Thomas Müntzer, un ancien disciple, prône désormais une théologie spiritualiste fondée sur la participation aux souffrances du Christ : il oppose le Christ amer au doux Christ[30], attribué à Luther. Il se lie à un mouvement revendicatif de paysans, qu'il considère comme la "communauté des élu". Luther réclame d'abord la tolérance pour ses adversaires, rappelle aux princes le devoir de réformes et tente de détourner les paysans de la lutte armée (Exhortation à la paix). Mais l'embrasement est général et, peu de temps après, Luther rédige un libelle d'une grande violence, Contre les hordes meurtrières et pillardes des paysans, dans lequel il cautionne la répression brutale exercée contre ceux qui ont pris les armes (et se sont fait battre le 15 mai 1525 à Frankenhausen)

Pour Luther, en effet, la résistance à l'autorité ne peut être que passive. Sa théologie des deux règnes, le spirituel et le temporel, valorise l'émancipation du second, ce qui va à l'encontre de la conception médiévale. Les événements de 1525 y contribuent : institué directement par dieu à cause du péché, le gouvernement temporel constitue une expression de son amour ; il est nécessaire pour maintenir un minimum d'ordre public et assurer la cohésion du monde. Dans cette ligne théologique, le développement de l'État va se trouver valorisé.

Une troisième rupture avec l'optimisme humaniste s'ajoute à celles opérées avec le nationalisme des chevaliers et la révolte sociale des paysans. Elle prend la forme d'une controverse avec Érasme – proche de lui cependant sur certains points (comme la nécessité d'un renouveau biblique) –, qui soutient que l'homme participe en partie à son salut. À la fin de 1525, Luther réplique par le De servo arbitrio ("Du serf arbitre"), où il réaffirme avec vigueur que le salut est un don de dieu.

La même année, Luther épouse une ancienne religieuse cistercienne, Catherine de Bora[31]. Ils auront six enfants. Les joies que procure une famille unie sont considérées comme un don de dieu par Luther, qui refuse le célibat des ecclésiastiques. Dans le protestantisme, la famille pastorale aura tendance à devenir un modèle de famille chrétienne.

L'organisation nouvelle se précise à partir de 1526, date à laquelle se constitue un protestantisme luthérien, dont Philippe Melanchthon, principal collaborateur de Luther, va être un important artisan. D'autres mouvements de réforme s'organisent également en subissant plus ou moins son influence, mais la situation politique des novateurs est fragile : à la seconde diète de Spire (avril 1529), des mesures sont prises contre eux, auxquelles ils répondent par une protestation : ils seront désormais qualifiés de protestants. Une alliance est alors recherchée entre les mouvements réformateurs allemand et suisse. Mais le colloque de Marburg (octobre 1529) n'aboutit pas à un accord doctrinal complet. Une entente est réalisée sur quatorze points ; le quinzième, qui concerne la cène, reste conflictuel. Il y a un consensus pour la communion sous les deux espèces et pour le rejet de la doctrine catholique de la transsubstantiation (conversion des substances du pain et du vin en substance du corps et du sang du christ). D'après Luther, les paroles du christ ceci est mon corps, ceci est mon sang signifient que, lors de la cène, le pain et le vin sont, en même temps, pain et vin et corps et sang du christ (doctrine de la consubstantiation)[32]. Zwingli, au contraire, considère la cène comme un mémorial de la mort du christ et un symbole de sa présence (doctrine sacramentaire). Le protestantisme reste une réalité plurielle, et Luther ne sera qu'un réformateur parmi d'autres, même s'il est toujours considéré comme le père spirituel de la Réforme.

Luther continue ses activités de professeur et de théologien. Il est l'initiateur du genre littéraire du catéchisme (l'église catholique en rédigera un, à son tour, pour contrer l'influence du protestantisme) et publie, en 1529, le Grand Catéchisme, destiné aux prédicateurs, ainsi que le Petit Catéchisme, pour les enfants. D'une manière générale, il se montre favorable à l'instruction et propose, en 1530, de rendre l'école obligatoire[33]. L'appel au "sacerdoce universel" nécessite que chaque chrétien maîtrise sa religion et lise l'ensemble des textes de la Bible, dont la traduction complète par Luther paraît en 1534. Celle-ci est capitale, sur un plan littéraire, car elle a contribué à remplacer les nombreux dialectes germaniques par une langue unique, l'allemand moderne.

Luther a également joué un rôle important dans l'évolution de la musique : dans le cadre de la piété catholique, cette dernière pouvait être une bonne ou une mauvaise œuvre ; la monophonie et le son grégorien étaient privilégiés, les autres genres pouvant être considérés comme diaboliques. Luther fait de la musique une des conséquences de la liberté évangélique, étrangère à l'idée de salut; il compose lui-même le texte et la mélodie de 36 cantiques. C'est à travers la parole que la musique peut avoir une dignité théologique en elle-même: elle est une réalité terrestre, et le plaisir esthétique n'est pas condamnable. C'est pourquoi Luther se montre un partisan de la polyphonie.

Sur le plan politique, les périodes de conflit alternent avec les périodes de négociation, mais Luther, toujours au ban de l'Empire, ne franchit pas les frontières de l'électorat de Saxe. Il ne participe donc pas à la diète d'Augsbourg (1530), où Melanchthon rédige une confession de foi, la Confession d'Augsbourg, qui tente de minimiser les désaccords doctrinaux avec le catholicisme. Luther le dissuade cependant d'aller plus loin dans la voie du compromis. Lui-même rédige dans la perspective d'un concile les Articles de Smalkalde (1536). Mais c'est Melanchthon qui représentera le protestantisme luthérien, car Luther n'est pas invité aux colloques de Haguenau, de Worms et de Ratisbonne. En 1545, un concile est convoqué à Trente (Italie) par le pape Paul III. Les protestants refusent de s'y joindre, et Luther écrit un pamphlet virulent, Contre la papauté romaine fondée par le diable. La rupture est complète : le concile s'ouvre le 13 décembre 1545. Luther meurt 1546.

Le calvinisme, doctrine chrétienne héritée du réformateur français Jean Calvin (1509-1564), constitue avec le luthéranisme le protestantisme historique né avec la Réforme du XVIème siècle. Partageant les grandes thèses de la théologie luthérienne, il s'en distingue par sa conception de la prédestination, sa problématique de la Présence réelle, l'organisation qu'il donne à ses églises et l'importance accordée aux problèmes sociopolitiques et économiques.

Dès la deuxième guerre de religion (1567-1568), le calvinisme se propage en Suisse, dans le sud de la France, en Hongrie, aux Pays-Bas, dans l'Allemagne rhénane, en Écosse avec le réformateur John Knox (1513-1572). En Angleterre, son influence s'étend au-delà de l'église anglicane. Mais avant tout il va fortement marquer la naissance de l'Amérique du Nord, où de nombreux puritains de tradition calviniste arrivent avec les premiers émigrants.

Les principaux textes symboliques qui définissent la foi calviniste sont la Confession de La Rochelle (1559-1571), la Confession helvétique postérieure (1560), la Confession écossaise (1560), le Catéchisme de Heidelberg (1563) et la Confession de Westminster (1646). Les 39 articles qui fondent la foi anglicane (1563) sont également d'inspiration calviniste.

La foi calviniste - qui professe la thèse : "à dieu seul la gloire" - met l'accent sur la distance infinie qui sépare dieu et les êtres humains. La doctrine de la prédestination, exposée par Calvin sous l'angle juridique dans l'Institution de l'Église chrétienne (1536), insiste sur la toute-puissance de dieu : avant même la création du monde, dieu aurait voué les uns au salut (fruit de sa bonté) et les autres à la damnation (fruit de sa justice). Cependant, dans ses sermons, le réformateur insiste essentiellement sur le salut et la bonté de dieu.

Très controversée par les héritiers spirituels de Calvin, la doctrine de la prédestination connut cependant un grand succès auprès du peuple car, dans les sociétés hiérarchisées des XVIème et XVIIème siècles, où le destin social de chacun était tracé en grande partie par la naissance, elle introduisait une idée subversive, impliquant une hiérarchie parallèle : les élus n'étaient pas forcément les gens socialement bien nés.

Cette conception contribua à la naissance de l'individu moderne. En affirmant que tout advient par la seule volonté de dieu, elle façonnait une mentalité nouvelle, celle de l'homme qui se sent libre à l'égard de toutes choses et de toute autorité. Mais, notamment dans la bourgeoisie marchande, la prédestination fut identifiée avec la prescience de dieu : le salut est offert à tous les êtres humains, mais dieu sait d'avance qui va l'accepter et qui va le refuser. Condamnée au synode de Dordrecht (1618-1619), cette interprétation – défendue par le théologien hollandais Jacob Harmensz, dit Arminius – fut acceptée par la suite. Aujourd'hui, la prédestination au sens strict n'est plus défendue que par une petite minorité de théologiens et il n'en demeure que les thèses centrales affirmant le salut par la grâce et la toute-puissance de dieu.

En soutenant que tout chrétien baptisé possède les pouvoirs spirituels du prêtre et qu'entre les laïcs et les clercs il n'existe qu'une différence de fonction (et non de sacralité), la Réforme du XVIème siècle a posé des jalons importants pour l'exercice démocratique du pouvoir religieux, mais aussi politique.

Dans le calvinisme, la mise en application de ce principe a été plus nette que dans le luthéranisme : l'organisation collégiale des églises calvinistes a favorisé l'émergence d'une classe moyenne disposant d'un certain pouvoir et, dans des régions pauvres, des gens d'origine très modeste devenaient parfois conseillers presbytéraux et délégués à des synodes. Les décisions collégiales, prises à la majorité, n'étaient pas arbitraires car un texte de référence – la discipline – s'imposait à tous, même aux personnes de haute naissance et jouait, en définitive, un rôle analogue à celui des constitutions des États. En ce sens, il s'agissait là d'une pratique préconstitutionnelle.

Les conséquences politiques du mode d'organisation ecclésiale calviniste ne tardèrent pas à alimenter la réflexion. Théodore de Bèze (1519-1605), successeur de Calvin à Genève, insiste sur l'importance des magistrats – médiateurs entre le prince et le peuple – qui peuvent exercer un contrepoids face au pouvoir royal. Si le roi viole des droits divins ou humains, ces magistrats inférieurs peuvent diriger le mouvement de résistance des citoyens. La légitimation du soulèvement contre le tyran reprend en partie des théories du Moyen Âge, mais elle va au-delà des doctrines médiévales qui ne reconnaissaient qu'au pape le droit de délier les sujets de leur devoir d'obéissance. Avec Bèze, c'est une instance laïque, considérée comme représentative de la population, qui est habilitée à limiter le pouvoir royal et, le cas échéant, à s'y opposer. La Déclaration d'indépendance (1581) des Provinces-Unies – les Pays-Bas calvinistes – affirme ainsi que "les sujets ne sont pas créés pour le prince [...] mais plutôt le prince pour les sujets [...] afin de les gouverner selon droit et raison". En somme, ces thèses marquent une étape importante dans l'émergence de l'idée démocratique.

Au XVIIème siècle, la théorie de la résistance constitutionnelle va animer la première révolution anglaise, lors de laquelle le Parlement guide la révolte contre un roi considéré comme tyrannique. La guerre civile radicalise la révolution : Cromwell doit compter avec les indépendants, des protestants plus radicaux, qui ne sont pas tous calvinistes. C'est finalement un modèle nettement plus modéré qui va triompher avec la seconde révolution anglaise (1688). Le calviniste Guillaume d'Orange crée une monarchie constitutionnelle stable et instaure le parlementarisme, avec le pluralisme des partis. Les droits de l'individu sont défendus grâce à l'habeas corpus.

L'équilibre des pouvoirs recherché par la Constitution américaine, à la fin du XVIIIème siècle, traduit la méfiance calviniste à l'égard de la nature humaine : une telle vision implique que les droits accordés aux uns et aux autres se limitent mutuellement.

En France, Jean-Jacques Rousseau expose des idées religieuses novatrices qui lui valent certains démêlés avec des pasteurs, mais sa théorie du contrat social s'enracine dans la tradition illustrée par Bèze et d'autres calvinistes. Il est significatif que son fameux Discours sur les fondements et origines de l'inégalité parmi les hommes soit dédié au magistrat de Genève, ville dont la Constitution est, selon Rousseau, la meilleure possible, même si elle n'exclut pas le bûcher !

À la suite de Luther, qui déplace la notion de salut et la fait sortir des cloîtres, Calvin et le calvinisme éliminent encore plus radicalement la mystique et le ritualisme. Dans cet esprit, la doctrine de la prédestination empêche quiconque de savoir s'il est élu ou damné et le salut ne dépend ni des bonnes œuvres ni de la piété: l'énergie va donc s'investir dans l'activité professionnelle et dans la réussite, qui sera interprétée comme le signe d'une bénédiction de dieu. Ce mode de pensée est particulièrement net dans le puritanisme, le calvinisme anglo-saxon: les prédicateurs condamnent l'oisiveté dans la possession, mais non la recherche de biens terrestres par le travail. Cette conception, qui dénonce les dangers de la richesse, aboutit en fait à une obligation religieuse de l'enrichissement et impose un mode de vie favorisant l'investissement. Ainsi naît une nouvelle vision du monde, en rupture radicale avec les conceptions chrétiennes préconisées au Moyen Âge et avec les thèses catholiques défendues par la Contre-Réforme. "On ne fait pas son salut en quittant la Terre, mais si on la prend en charge pour la transformer (Certains auteurs modernes verront dans le protestantisme une des origines de l'essor capitaliste des pays anglo-saxons et dans le catholicisme le retard pris par certains pays en matière de développement scientifique, technique et économique).

Il existe une éthique puritaine de la frugalité qui conduit à adopter un mode de vie en deçà de ses ressources. Alors qu'elle valorise le travail et l'effort, elle considère comme inconvenants le luxe, l'apparat, les excès vestimentaires. Mais pour elle le but du travail n'est pas seulement l'acquisition des richesses : c'est aussi la recherche d'une primauté, d'une excellence, qui serait le véritable luxe protestant.

Il ne s'agit donc pas d'une volonté de mortification mais d'une morale spécifique où l'humilité côtoie le risque d'orgueil. Vêtus de noir, les puritains anglo-saxons du XVIIème et du XVIIIème siècle refusent les couleurs chatoyantes, qui leur semblent un masque. Ils affirment par là la supériorité de l'être sur le paraître. De même, le fait de juger les hommes indignes en comparaison avec le tout-puissant n'empêche pas les calvinistes français d'alors de tutoyer dieu et de ne pas se découvrir au temple.

Très rapidement, le protestantisme va se diviser – et continue de se diviser – en une multitude d'églises, dont certaines son considérées comme des sectes par les protestants eux-mêmes. Cette prolifération va principalement se manifester dans les pays anglo-saxons et, en particulier, les U.S.A. au point que de nombreux pasteurs ou prêcheurs fonderons leur propre église[34]

Depuis ces schismes, hérésies et schismes, le christianismes est confronté à une autre dissidence : le sectarisme[35] qui ne cesse de se développer par le nombre d'adeptes mais aussi de sectes[36].

En islam, le phénomène hérétique a toujours été autant religieux que temporel.

Ainsi, les fidèles de l'islam formant à l'origine une communauté régie par Mahomet, sous l'inspiration divine, les premières divisions consistèrent en des luttes pour la succession du prophète. Le parti d'Ali, gendre et cousin de Mahomet, est à la source du chiisme, alors que les tendances majoritaires composèrent le sunnisme (de sunna, voie modèle de la "coutume")[37].

La sunna (comportement) relate les dires et les gestes du prophète Mahomet. Cela inclut aussi bien son enseignement que sa manière de s'habiller, de boire ou de pratiquer ses devoirs religieux, qui sont autant de renseignements sur sa personnalité et sa morale.

La sunna est fixée dans les parties des hadith (récits), et constitue après le Coran la deuxième source écrite de la foi et de la loi musulmanes. Elle fut établie, entre autres, par al-Bukhari (mort en 870), qui passa six cent mille traditions au crible de sa critique pour n'en conserver qu'un peu plus de sept mille. Très tôt, en effet, les sunnites voulurent établir l'authenticité des hadith, éléments essentiels de leur doctrine, parallèlement au Coran ; le principe semble avoir été de ne retenir que les hadith en rapport avec le Coran pour l'expliciter ou le compléter. En effet, il existe des cas qui ne sont pas envisagés par le Coran ; la sunna prévaut alors : elle constitue la deuxième source de la religion après la parole révélée. Son autorité se fonde sur le Prophète en tant que fondateur de l'islam. Les actions de Mahomet sont considérées comme inspirées, elles servent donc d'exemple et de modèle aux croyants de l'islam.

Le sunnisme, avec le chiisme et le kharidjisme, constitue l'une des trois grandes divisions de l'islam dogmatique et théologique. Comme son nom l'indique, il se fonde sur la sunna et se définit négativement par rapport aux deux autres groupes, entre lesquels il s'essaie à une voie moyenne. Les sunnites sont, par définition, les hommes du Coran et plus encore de la sunna, c'est-à-dire de la tradition de tout l'enseignement du prophète Mahomet transmis par les hadith.

Le sunnisme diffère de l'école théologique musulmane chiite par la non-reconnaissance du principe de la liberté d'opinion lorsque les textes font défaut, préférant, face à ce problème, la déduction par analogie ou l'utilisation d'un principe de consensus. De plus, le sunnisme reconnaît la légitimité des quatre premiers califes (Abu Bakr, Omar, Othman et Ali), continuateurs orthodoxes du Prophète à la tête de la communauté qu'il considère comme les successeurs de Mahomet et les mainteneurs de l'islam primitif, tandis que les chiites ne reconnaissent pour successeur de Mahomet que le calife Ali. De même, un nombre important de propos (hadith) attribués au prophète par les sunnites ne sont pas reconnus comme authentiques par les chiites, qui se bornent à n'enseigner que les propos rapportés par Ali, propos que les sunnites ne reconnaissent pas dans leur ensemble.

Le Coran est pour le sunnisme le recours essentiel en cas de divergences, la garantie de l'unité. Aussi, dans la lecture et la compréhension du Coran, et pour garantir l'unité de la communauté, seuls sont admis le commentaire philologique et celui fondé sur la tradition remontant au prophète, à ses compagnons, à leurs suivants et, à la rigueur, aux suivants des suivants. S'il existe un sens caché derrière le sens manifeste, dieu seul le connaît. Le coran se lit et s'apprend mais ne s'interprète pas[38].

Cette soumission à l'ordre divin, à la tradition, quelle que soit la situation historique, a pu quelquefois apparaître comme desséchante et justifier les reproches de fatalisme. En fait, le sunnisme possède une très grande force d'adaptation et d'assimilation: pour les conservateurs, qui interdisent toute innovation (bid'a), comme pour les libéraux, qui l'autorisent par le raisonnement analogique, l'orthodoxie des sunnites se définit par le respect du principe du consensus (idjmaa). Une innovation à son début peut être considérée comme condamnable (kofr), mais si, à la longue, cette pratique est reconnue salutaire par l'unanimité des docteurs, il devient alors impossible d'en faire la critique historique ou de chercher à montrer qu'elle n'a aucun fondement dans le Coran sans se mettre en position d'hétérodoxie. On ne peut se séparer de l'ensemble des idées de la communauté de son temps sans se séparer de cette communauté.

S'inspirant de l'école néo-hanbalite d'Ibn Taymiyya (XIVe siècle), le wahhabisme représente un aspect rigoriste, littéraliste et puritain de l'islam. Ce courant doctrinal, prêché au XVIIIème siècle par un bédouin de la tribu des Banou Tamim, Mohammed ibn Abd el-Wahhab (vers 1720 - 1792), s'est répandu en Arabie grâce à l'appui de l'émir du Nadjd, Muhammad Ibn Saoud (1735 - 1765), ancêtre de la dynastie des actuels souverains de l'Arabie Saoudite. Celui-ci accueillit Abd el-Wahhab (1740) après que son rigorisme l'eut fait chasser de sa tribu, et convertit son peuple à cette nouvelle doctrine. Poursuivant une véritable guerre sainte wahhabite, le fils de Muhammad, Aziz (1765 - 1803), puis son petit-fils Séoud, s'emparèrent de Riyad (1765), du Koweït (1788), de Médine (1804) et La Mecque (1806) où ils imposèrent cette doctrine.

Les wahhabites rejettent toutes les innovations, telle la vénération des saints et les pèlerinages à leur tombeau, ainsi que tout relâchement. Pour eux, le Coran et la tradition primitive (hadith) sont les seules sources de la révélation, à l'exclusion de toute interprétation ultérieure; il s'attachent au sens littéral des textes sacrés ; la loi (charia) est appliquée dans toute sa rigueur : prohibition totale de l'alcool et du tabac, mutilation des voleurs, lapidation des femmes adultères, etc.

La victoire d'Abd al-Aziz ibn Saoud sur la dynastie hachémite de La Mecque (1924) a donné une nouvelle vitalité à ce courant, qui règne aujourd'hui sur les lieux saints de l'islam et qui, d'Arabie, a influencé les mouvements traditionalistes[39] musulmans d'autres pays, notamment de l'Inde et du Soudan.

Toutefois, si les sunnites admettent tous le principe du consensus (avec des acceptions différentes), la validité du Coran et des traditions contenues dans la sunna, ils se séparent en quatre écoles de jurisprudence (fiqh), toutes orthodoxes, mais qui divergent sur les problèmes de l'innovation et rivalisent pour commenter de la façon la plus parfaite la sunna.

Les écoles chaféite et hanbalite, conservatrices, s'attachent à la valeur littérale des textes et refusent l'innovation personnelle tout en acceptant le mécanisme du consensus (avec des restrictions pour l'école hanbalite). Les écoles malikite et hanafite admettent l'interprétation personnelle par analogie lorsque la solution d'un problème le demande. L'école hanafite est la plus répandue (Turquie, Inde, Chine), suivie de près par l'école chaféite (Insulinde, Basse-Égypte, Arabie du Sud, Jordanie, Afrique orientale, Afrique du Sud). L'Afrique noire et l'Afrique blanche sont rattachées à l'école malikite. Le nombre des adhérents au hanbalisme est infime (Arabie Saoudite).

La division, perçue aujourd'hui comme fondamentale, entre chiites et sunnites prend sa source dans les querelles politiques qui, lors de la première expansion de l'islam, éclatèrent notamment autour de la question de la succession du prophète.

Les chiites se définissent comme le "parti (chi'at) d'Ali", gendre de Mahomet et époux de Fatima, qui fut le quatrième calife, de 656 à 661, après Abou Bakr, Omar et Othman. Ils lui attribuent une sainteté éminente et un rôle presque égal à celui du Prophète, lui conférant un droit absolu à la direction spirituelle de la communauté, ainsi qu'à ses descendants en ligne directe : les imams, choisis selon un principe héréditaire. L'accession au califat est l'un des points de discorde entre les chiites et les sunnites, ceux-ci considérant Abou Bakr, Omar et Othman comme les trois premiers califes légaux (élus dans la tribu des Quraychites), et Ali comme un calife parmi les autres, sans prééminence. La seule fonction que les sunnites accordent aux imams est la direction de la prière. Les chiites, quant à eux, n'admettent pas les trois premiers califes reconnus par les sunnites, et considèrent que le califat ne pouvait légitimement revenir qu'à Ali, gendre du prophète. Deux événements allaient ensuite consacrer la rupture définitive entre chiites et sunnites : la déposition de Hasan, fils d'Ali, par Moawiyya Ier (fondateur de la dynastie des Omeyyades), et que les chiites considèrent comme le deuxième imam légitime après Ali ; puis le meurtre de Husayn, autre fils d'Ali et troisième imam selon les chiites, assassiné en 680 par les Omeyyades à Karbala (devenue de ce fait une des villes saintes du chiisme). Lors de la fête annuelle d'Achoura qui commémore ces événements, les chiites revivent, en se flagellant jusqu'au sang, les souffrances de Hasan et de Husayn (Mais que l'on se rassure : les chiites savent aussi faire couler le sang des autres !).

La majorité des chiites sont dits duodécimains ou imamites, car ils reconnaissent l'autorité de douze imams (Ali et ses onze successeurs) comme celle de véritables guides inspirés par un décret d'origine divine rendu en faveur de la descendance d'Ali. Le douzième et dernier imam ne serait pas mort mais aurait été occulté (c'est-à-dire qu'il aurait mystérieusement disparu) au IXème-Xème siècle. Vivant dans un monde invisible, "l'imam caché" (mahdi) doit revenir un jour définitivement parmi les hommes pour faire régner la justice. Cette dimension messianique du chiisme, avec sa mystique de la souffrance salvatrice, a été entretenue par le nombre important d'imams assassinés, ce qui a donné naissance à une martyrologie impressionnante avec ses lieux saints (al-Nadjaf, Karbala...). Le chiisme duodécimain est majoritaire et est religion d'État en Iran. D'importantes communautés chiites vivent également en Iraq - d'où la situation paradoxale de la suprématie sunnite alors que le chiisme est numériquement dominant et de la haine vouée à l'Iran, terre chiite par excellence ! -  et au Liban.

Dans la conception chiite de l'imamat, qui est restée minoritaire en islam, l'imam apparaît comme une sorte de prêtre-roi, considéré comme l'unique source de toute autorité spirituelle et temporelle, et infaillible. Ce point de vue s'est imposé surtout en Perse - le terme de perse est important car il établit des influences anté-islamiques et même anté-chrétiennes et hébraïques ; il en est ainsi du zoroastrisme - , où il correspond probablement à des traditions bien antérieures, et où le chiisme est devenu religion d'État avec l'implantation de la dynastie séfévide à partir du XVIème siècle. Fait exceptionnel dans l'islam, les ayatollahs iraniens se sont constitués en un véritable clergé (notion étrangère à l'islam). Dirigé par les docteurs de la Loi, ce clergé s'est doté d'une grande autonomie politique et économique. Aux yeux des chiites, le pouvoir constitué n'a aucune légitimité, car celle-ci ne sera accordée qu'au seul imam caché, le mahdi, dont ils attendent le retour et qui assurera le triomphe de la vérité.

Le chiisme se divise en autant d'obédiences qu'il y a d'imams reconnus" ; on en dénombre une soixantaine. Les principales obédiences, outre celle des duodécimains, sont celles des zaydites au Yémen, qui ne reconnaissent que cinq imams, et des ismaéliens, au Proche-Orient, en Inde et en Afrique orientale, appelés septimains car ils ne reconnaissent que sept imams ; issues de ces derniers, on trouve les sectes des Druzes, des haschischins - qui a donné le mot français d'assassins et dont le chef, le Vieux de la Montagne, avait fondé la puissance de l'ordre sur l'assassinat - et des Alaouites. Les ismaéliens, considérés comme des extrémistes, persécutèrent les sunnites, ce qui leur valut en retour de violentes répressions. Ils fondèrent les dynasties des Fatimides (Afrique du Nord, Égypte) aux Xème-XIIème siècles, et la secte des Qarmates (Xème siècle), qui survit à à Bahreïn et au Yémen.

Les ismaéliens constituent une autre obédience chiite : son origine remonte au fait que Djafar al-Chadiq, sixième imam chiite, avait d?abord désigné pour lui succéder son fils aîné Ismaïl, puis, se ravisant, finit par lui préférer son deuxième fils, Musa al-Kazim. Un certain nombre de chiites demeurèrent fidèles à Ismaïl - ce sont les ismaéliens -. Il devint pour eux le septième imam qui, mahdi suprême, doit réapparaître à la fin des temps, d'où leur nom de septimaniens. Un autre groupe soutint que l'imamat légitime s'était transmis au fils d'Ismaïl, Muhammad, et aux descendants de celui-ci, les imams cachés, lesquels seraient les ancêtres d'Ubayd Allah al-Mahdi, fondateur de la dynastie fatimide. D'autres regardèrent Muhammad, fils d'Ismaïl, comme le septième et dernier imam et furent à l'origine du mouvement révolutionnaire qarmate.

Diverses ramifications de l'obédience ismaélienne surgirent encore, notamment les Druzes, qui avaient proclamé la divinité du calife fatimide Al-Hakim, puis les Mustaliens, qui croient à l'existence d'imams cachés, et les Nizarites, fidèles de l'Agha khan, auxquels se rattachaient les Assassins (Hachichiyyin). Sont également d'origine ismaélienne les Nusayris (aussi appelés Alaouites ou Alawites) de Syrie (djebel Ansarieh), considérés comme extrémistes et hérétiques par la plupart des musulmans.

En matière de doctrine, les ismaéliens, tout en s'acquittant des devoirs extérieurs (zahir) de la religion, insistent généralement sur sa dimension ésotérique (bâthinn). Ils ont ainsi élaboré une métaphysique, une cosmologie et une anthropologie de caractère gnostique et théosophique, aux fortes influences néoplatoniciennes.

Les khodjites constituent une secte ismaélienne de l'Inde qui compte de nombreux adeptes en Iran, en Asie centrale, en Syrie et en Afrique orientale. Selon eux, l'agha khan[40], leur chef spirituel,  descend directement de Mahomet par Fatima, fille du prophète.

Les Khadidjites, membres de la secte des "sortants" ( khawaridj) qui, en 657, se dissocia de la communauté musulmane majoritaire et qui, bien que numériquement faible, s'est perpétuée jusqu'à nos jours, constitue la troisième famille musulmane.

Avant même la division de l'islam en sunnisme et en chiisme, les kharidjites s'étaient séparés d'Ali, quatrième calife, dont ils désapprouvaient l'attitude trop conciliante dans le conflit l'opposant à Moawiyya Ier. Ils constituèrent dès lors une communauté distincte, qui se signala par son rigorisme et son extrémisme religieux.

Cependant, des tendances plus modérées finirent par l'emporter, notamment l'ibadisme (remontant à l'Abd Allah ibn Ibad, fin du VIIème siècle), qui regroupe actuellement la quasi-totalité des kharidjites. Ceux-ci, dont on évalue l'effectif total à près de un million, résident principalement dans le Mzab (Algérie) - les sunnites algériens affirment que, à leur mort, les m'zabites, qui sont sans doute des commerçants avant d'être des croyants, se transforment en... ânes ! - , à Djerba (Tunisie), à Oman et à Zanzibar.

Mouvement hétérodoxe musulman, le béhaïsme est apparu au milieu du XIXème siècle à la suite du babisme. Il se rattache à un ensemble de mouvements issus du chiisme.

Sayyid Ali Mohammad (né à Chiraz en 1819) rencontra, à Karbala, Sayyid Kazim de Recht, fondateur d'une secte chiite qui annonçait la venue prochaine de l'imam attendu. En 1844, l'un des disciples de Kazim, Molla Husayn, reconnaissait en Ali Mohammad l'annonciateur, le "porte-parole" de l'imam, le Bab ("porte de la Vérité").

Cette doctrine religieuse voulait réformer l'islam, elle fut élaborée en réaction contre le dogmatisme du Coran. Les sectateurs du babisme préconisaient la tolérance religieuse, l'émancipation de la femme (suppression du voile) - ce qui est vraiment une exception en islam ! - et l'amour fraternel entre les hommes. Des missionnaires propagèrent le mouvement dans toute la Perse. Sous l'influence de Molla Husayn, le babisme se politisa. Inquiétant le clergé, il fut à l'origine d'insurrections. Les disciples du Bab furent arrêtés et massacrés. Le Bab lui-même fut exécuté sur les ordres du shah, en 1850, à Tabriz. Bien des aspects de sa pensée philosophique, théologique, culturelle, sociale, pensée qu'il a exposée dans le Bayan, vont être repris par ses successeurs dans le béhaïsme.

L'un des disciples du Bab, Mirza Husayn Ali Nuri (1817-1892), surnommé Baha' Allah ("gloire de Dieu"), annonce à Bagdad en 1863 qu'il est celui dont le Bab avait annoncé la venue, créant ainsi un nouveau mouvement, le béhaïsme (ou bahaïsme). Malgré l'opposition de son demi-frère Souhb al'Azal qui, se prétendant seul héritier du Bab, a créé le mouvement dissident des Azaliya, Baha'Allah confirme à Andrinople sa mission prophétique et essaie de rallier à lui les souverains. Il est exilé à Saint-Jean-d'Acre, où il meurt. Son fils Abbas Abd al-Baha' reprend sa pensée jusqu'à sa mort à Haïfa (1921).

Le béhaïsme prétend être la révélation exprimant l'essence de toutes les révélations : le Bab, puis Baha'Allah sont venus après Mahomet et ils sont à l'origine d'un nouveau cycle. Bien des aspects, cependant, rapprochent le béhaïsme de la pensée officielle chiite ou sunnite : la prétention à l'universalité, le désir de chercher dans la religion la solution aux problèmes sociaux. Mais c'est sur les moyens qu'il entend mettre en œuvre pour parvenir à cette universalité que le béhaïsme est original ; répudiant l'idée de guerre sainte, il est pacifiste, internationaliste, désireux de paix universelle et, pour cela, prêt à toutes les tolérances et même au pluralisme devant toutes les religions et les sectes (des passages de la Bible et des Évangiles sont lus lors des réunions de prière).

Le béhaïsme se détache enfin de la pensée officielle de l'islam et ne pouvait être que condamné par, car il rejette tout culte public, et élabore de nouvelles dispositions sur le mariage et les successions. Les béhaïs sont persécutés en Iran, où ils sont considérés, à partir de 1890, comme les ennemis de l'islam. Le mouvement s'est surtout développé en Europe et aux États-Unis, où un temple circulaire a été érigé, en 1953, à Wilmette, près de Chicago.

D'après les mutazilites, adeptes d'un courant théologique apparu au VIIIème siècle, et les qadirites, confrérie religieuse fondée au XIIe siècle, le message coranique de la justice divine "qui ne lèse pas les hommes" ("Ils se lèsent eux-mêmes") exclut la notion d'un dieu punissant les hommes pour les péchés et l'incroyance, dont ils ne sont pas réellement responsables. Leurs adversaires défendaient au contraire la doctrine de la liberté souveraine de Dieu : ils affirmaient que la liberté divine ne souffre aucune restriction et n'obéit même pas à l'obligation de "faire ce qui est le mieux pour ses créatures".

Au Xèmesiècle, deux théologiens renommés, al-Achari et al-Maturidi, proposèrent des réponses qui influenceront la position sunnite : les actes humains sont voulus et créés par dieu, mais, pour les faire siens, l'homme doit se les approprier. Dès lors, la conception de dieu comme créateur, le Seul et l'Unique, allait de pair avec l'affirmation de la responsabilité humaine.

Un autre débat se fit jour autour du concept de l'unité divine, au sujet de l'essence et des attributs de dieu. Il portait sur la question de savoir si le Coran, c'est-à-dire la parole divine, est créé ou incréé. Les défenseurs de la première conception affirmaient que si le Coran est incréé il faut supposer un second principe de réalité éternelle ; or dieu seul est éternel et on ne peut concevoir l'éternité en dehors de dieu. Selon leurs contradicteurs, soutenir que le Coran est créé revient à porter atteinte à la nature divine du livre sacré. Selon les sunnites, le Coran en tant qu'écrit ou recueil de prières est créé, mais il est la manifestation de l'éternel "discours intérieur" divin, qui précède toute expression orale ou écrite.

Profondément ancrées dans le contexte sociopolitique qui les a vu naître, les querelles théologiques divisèrent l'islam dès ses débuts. Les chiites soutenaient que seuls "les membres de la famille" (les Hachémites ou, dans un sens plus limité, les descendants du Prophète par sa fille Fatima et son mari Ali) pouvaient prétendre au califat. Un autre groupe, les kharidjites, (littéralement, "ceux qui ont fait sécession"), se sépara d'Ali (assassiné par un adepte de la secte) et des Omeyyades. Selon leur doctrine, la confession ou la foi ne font pas le croyant à elles seules, et quiconque commet un péché grave est un incroyant voué à l'enfer. Ils appliquèrent cet argument même aux chefs de la communauté en affirmant que les califes qui avaient gravement péché ne pouvaient réclamer l'allégeance des fidèles.

A ces trois familles, il faudrait rajouter le maraboutisme qui est un islam fortement africanisé, assurant un syncrétisme entre le monothéisme islamique (de tendance sunnite), l'animisme, le fétichisme et la sorcellerie/magie.

La majorité des musulmans accepta le principe d'une concordance entre la foi et les actes, mais, en insistant sur le fait que dieu seul peut juger si un homme est croyant ou incroyant, rejeta l'idéal kharidjite qui consistait à établir ici-bas une pure communauté de croyants. Partant du principe que dans l'attente du Jugement dernier il convient de renoncer à juger autrui, les musulmans reconnaissent toute personne comme membre de la communauté des croyants à condition qu'elle accepte les "cinq piliers de la foi". Renoncer à juger autrui implique également le respect du pouvoir politique musulman, même si ceux qui l'exercent se livrent à des pratiques condamnables.

 

Ce panorama n'est sans aucun doute pas exhaustif. De plus, compte tenu des chevauchements des dates et de la subtilité de certaines distinctions, il n'est pas forcément d'une grande limpidité[41]. Je pense toutefois qu'il a le mérite de pouvoir tirer deux conclusions qui, elles, sont vraiment limpides :

         les hérésies, les schismes, les dissidences… religieuses sont, en quelque sorte, la démonstration ontologique de l'imposture religieuse : en effet, comment est-il possible qu'alors que le point de départ de chaque grande religion monothéiste considérée est un dieu unique, détenteur d'une vérité unique qu'il a révélée à son église – la seule, l'unique, la vraie -, et qu'à l'arrivée on se retrouve avec une variété quasi infinie de vérités et autant de vrais églises ? au sein d'une même famille religieuse, la cohabitation ou la lutte de plusieurs vérités et de plusieurs églises n'a-t-elle pas pour conséquence directe de remettre en cause l'unicité de ce dieu unique dont chacun se prévaut ? et d'ailleurs, pour commencer vraiment, puisque les religions se prévalent d'un dieu unique, ou bien on doit admettre qu'il y a plusieurs dieux… uniques, ou bien alors on doit admettre qu'elles mentent toutes ou qu'une seule est dans le vrai ? ne doit-on pas au contraire admettre qu'il n'y a pas de dieu au sens théologique strict mais des dieux inventés par les hommes ? et qu'en raison de la multitude de convictions, de croyances, de suppositions, de superstitions, d'irrationalités… qui ont présidé à l'invention de ces dieux, il est normal que correspondent une multitude de vérités, d'églises, d'ordres… ? que leur seul unicité est d'être toute constitutive de l'aliénation religieuse et que leur véritable et unique nom est : la bête immonde ?

         les églises prétendent toutes s'inscrire dans l'éternité, c'est-à-dire dans l'infaillibilité et l'immuabilité. Or, les querelles qui les ont  sans cesse traversées et qui continuent de les traverser d'une part et, d'autre part, les guerres qui les ont opposées les unes aux autres démontrent, en fait, qu'elles s'inscrivent dans le temps et un temps bien réel qui est celui de l'Histoire des humains et des sociétés humaines. Cette inscription dans le temps fait qu'elle relève de l'immanence et non de la transcendance  ; une immanence faite de mensonges, d'hypocrisies, d'assassinats, de massacres, d'intolérance, d'oppression, d'autorité, d'autoritarisme, d'obscurantisme, de luttes pour le pouvoir… ; une immanence qui est à l'image des vices et des vertus  des humains qui ne témoigne d'aucune essence non humaine et, au hasard, divine ; une immanence qui montre que, la plupart du temps et, en fait, toujours, les prétextes des hérésies et des schismes ne sont pas religieux mais temporels puisque leur enjeu est le pouvoir et l'autorité ; une immanence à l'image aussi de ces plaies, maladies, maux… dont souffrent les humains de leur seul fait et dont ils ne pourront se débarrasser qu'en les… éradiquant.

En somme, la religion est une hérésie : elle est l'hérésie de la dignité humaine qui, renonçant à s'assumer, se vautre dans l'imposture religieuse pour mieux s'avilir, s'anéantir.



[1] Ce texte est pour une part essentielle la compilation d'articles d'encyclopédies, de presse, d'extraits de livres… émaillés de réflexions personnelles de nature… impertinente et, je l'avoue même sans aucune honte,… mécréante. Je me suis efforcé d'être le plus clair possible mais il n'est pas sûr que j'ai réussi à l'être car, en toute honnêteté, je trouve que le marc de café est plus lisible que toutes ces arguties religieuses !

[2] La théologie catholique a forgé les concepts de héréticité qui est le caractère hérétique (d'une doctrine) et d'hérésiarque qui désigne l'aAuteur d'une doctrine hérétique, fondateur d'une secte hérétique.

[3] Depuis 1824,  la Curie romaine préfère employer, dans ses actes officiels, les termes "acatholicisme" et "acatholique" plutôt que ceux d'"hérétisme" et d'"hérétiques" car ils ont sans doute une d'odeur trop forte non pas de sainteté mais e cendres de bûchers et résonnent trop fort du cri de ceux qui en ont souffert dans leur chair et leur esprit et qui en ont payé de leur vie.. Le péché d'hérésie reste cependant l'objet de définitions du droit canonique

[4] L'athéisme n'est jamais considéré comme une hérésie mais comme un crime que toutes les églises se sont toujours efforcées, par ailleurs, de qualifier de crime de droit commun.

[5] Il est à noter que dans l'Histoire officielle de l'église catholique, on parle de schisme novatien et non d'hérésie novatienne !

[6] A cette époque, il n'y a pas encore une seule église catholique apostolique et… romaine.

[7] Nommé évêque en 446, il est… déposé en 448.

[8] Et l'adjectif irénique qualifie des ouvrages faits pour restaurer la paix entre les chrétiens de confessions différentes.

[9] Quelle belle image de… l'amour chrétien ! Quel esprit de… tolérance ! Si seulement ils avaient pu tous se massacrer entre eux !

[10] On commence déjà à s'initier à l'Inquisition !

[11] Augustin, comme tant d'autres religieux, fait partie de ces gens qui au mot de Liberté sort son bûcher !

[12] Il y avait bien entendu quelques autres bricoles fort profanes : l'assassinat, le lynchage, la calomnie, la dénonciation, le flicage, le chantage, la menace…

[13] Ce qui, à l'évidence, est plus difficile à obtenir quand on a été brûlé, pendu, écartelé, noyé…

[14] Cet interdit de la figuration de l'humain et, a fortiori, de dieu est absolu dans l'islam ; c'est pourquoi, l'art pictural arabe – à ne pas confondre avec l'art persan -, pour se développer, pris la forme de la calligraphie et de… l'arabesque. Cet interdit est tout autant absolu chez les juifs et, plus précisément, les juifs orthodoxes.

[15] C'est là la terminologie officielle de la science historique catholique ; d'un point de vue strictement théologique, ce sont pourtant bien des… hérésies à part entière !

[16] En Occident, ce seront surtout des contestations de l'idéologie dominante. Ce seront aussi des utopies, des rêves de retour à un christianisme pur, dont le plus marquant est celui des cathares (les "parfaits"), qui a une grande audience au XIIIème siècle, dans le Languedoc.

[17] Et on recommence !

[18] Ces questions obligent le théologien à préciser ce qui fait l'unité de l'église. On remarquera, à ce propos, que le concile Vatican II dans sa constitution sur l'église ne fait pas mention du schisme. Il s'agit là d'une nouvelle prise de conscience de l'unité de l'église, marquée par l'apparition du terme de communion. Ce terme, en effet, évite à l'église de Rome de refuser l'appellation d'église aux églises issues de la Réforme (officiellement schismatiques depuis le XVIème siècle) et aux églises de l'orthodoxie (dites schismatiques depuis le XIème siècle).

La situation de ces églises est différente de celle des communions ecclésiastiques, nées postérieurement de divisions successives, le méthodisme, par exemple. Mais l'église de Rome ne reconnaît pas non plus le titre de véritable église aux communions qui ne sont pas en relation d'intercommunion avec elle.

Le terme de communion a deux avantages. D'une part, il ne met pas en avant la structure hiérarchique de l'église mais son aspect fraternel, communautaire et sacramentel (l'eucharistie est, en effet, le sacrement de la communion). D'autre part, il fait porter l'attention sur des échanges vivants entre communautés chrétiennes. Dès lors, le critère théologique du schisme devient beaucoup moins le pouvoir hiérarchique de juridiction ou d'enseignement d'une Église donnée que la reconnaissance ou la non-reconnaissance d'une Église locale par une autre Église locale.

[19] Le mot schisme est une transcription d'un mot grec signifiant séparation, brisure. Il est appliqué dans la langue théologique, chrétienne surtout, à toute séparation ecclésiastique amenant la rupture de l'unité d'une église.

Il faut distinguer normalement le schisme, rupture de la communion fraternelle, et l'hérésie, rupture de la cohésion doctrinale. Cependant, traditionnellement, dans l'église, le schisme est une division dans la communion fraternelle d'une communauté chrétienne.  Paul exhorte souvent ses communautés à éviter les discordes, qu'elles soient causées par l'égoïsme, par d'inégales conditions d'existence ou même par différentes interprétations de l'Évangile qu'il leur a annoncé ; déjà, la communion fraternelle est liée à une certaine cohésion doctrinale : on le voit par exemple, dans les premiers temps du christianisme, quand des chrétiens se demandent s'ils ont le droit de manger des viandes sacrifiées aux idoles. Des pratiques fraternelles opposées peuvent donc mettre en question l'unité de la foi. La distinction entre hérésie et schisme sera encore indécise jusqu'aux IVèmeet Vème siècles avec Optat de Milève, Augustin et Basile de Césarée. Ils distinguent nettement l'hérétique, qui rejette les dogmes fondamentaux, s'excluant ainsi de l'église, et le schismatique, qui menace la paix et l'unité de l'église sans s'opposer à la foi commune. Le schismatique apparaît ainsi comme un rebelle à l'égard de l'autorité de l'évêque ou de la communauté, comme un fauteur de troubles contre la charité, mais non pas contre la foi. Augustin et surtout Jérôme feront remarquer que la tentative de se justifier fait tomber le schismatique dans l'hérésie : on le constate à propos du donatisme (début du IVème siècle). La frontière entre le schisme et l'hérésie est donc fragile, mais elle est maintenue dans l'église.

[20] Mieux vaut tard que jamais mais quand on a l'éternité devant soi !

[21] Quand on voit l'état de santé du docteur en poste actuellement, on a fort à craindre que cette vérité soit tremblotante, pour ne pas dire vacillante !

[22] En fait, une théocratie.

[23] C'est vrai ç comment s'y retrouver avec ces pontifes infaillibles détenteurs de la Vraie Vérité et possesseurs des Vraies Clés de la Vraie Église, des Vraies morceaux de la Vraie croix, des Vraies Reliques de Vrais Saints…

[24] Non reconnu comme pape, de sorte qu'au XXème siècle le cardinal Roncalli pourra reprendre ce nom !

[25] Paradoxalement, il n'y avait pour ainsi dire pas de cathares à… Albi  ! cela n'empêcha pas l'église catholique d'y ériger une cathédrale-forteresse dominant le Tarn et les environs afin de rappeler aux toulousains qu'elle était aussi une puissance temporelle ! Est-ce en réaction mais, des années plus tard, le Tarn se convertit pour une large part au… protestantisme !

[26] C'est de son petit village natal, Husinec, qu'il tire son patronyme.

[27] L'expression ordonner  est révélatrice de ce que l'église est… un ordre !

[28] Rappelons que la traduction de la Bible en langues vulgaires était interdite afin que, maintenu par ailleurs dans l'ignorance, les fidèles ne puisent pas la lire, la comprendre, la questionner, l'interpréter…

[29] On peut en effet parler de révolution religieuse car il a institué une hérésie en église – en ordre religieux -.

[30] Ces qualificatifs gustatifs sont normaux pour une religion anthropophage !

[31] Ces épousailles religieuses n'ont rien d'une innovation protestante puisqu'elles étaient courantes dans l'église catholique même si, celle-ci, moins audacieuse, en restait au… concubinage !

[32] N'est-ce pas encore plus complexe et, d'une certaine manière, plus contradictoire : une chose est elle-même et en même temps autre chose !

[33] Là, c'est tout de même radicalement différent de l'église romaine, étant toutefois précisé que, bien entendu, cette école obligatoire est… religieuse et que le seul manuel à y étudier est le… petit catéchisme du Maître !

[34] Il est vrai qu'il est plus facile de devenir pape d'une église protestante – surtout si celle-ci se réduit à un temple (bâtiment) et à une paroisse – que pape de l'affaire romaine.

[35] Rappelons que, à l'origine, le christianisme était une secte et que c'était d'ailleurs sous cet intitulé que le désignait ses adeptes. Rappelons aussi cette définition désormais courante : "Une église est une secte qui a réussi".

[36] La plupart des statistiques montrent que le phénomène sectaire est spécifique à l'aire d'influence chrétienne – l'islam est toutefois également concerné par ce phénomène en Afrique et, dans une moindre mesure, en Orient – et qu'il se fait essentiellement aux dépens de l'église catholique. Cette dernière hésite entre une lutte pure et dure contre les sectes – et, en la matière, elle a une longue expérience ! – et des tentatives œcuméniques de rassemblement du troupeau. Ces hésitations n'empêchent nullement une convergence d'intérêts, notamment contre la laïcité, qui fait que l'Opus Dei et certaines sectes très puissantes comme la scientologie de se retrouver dans une sorte de joint venture : le lobbying auprès des instances internationales et des gouvernements. Ce partenariat – de diplomatie mais aussi de combat – entre l'Opus Dei et la scientologie a été particulièrement mis en évidence lors de la campagne électorale qui a entraîné l'élection du bouche du Texas : il se poursuit avec la mise en place d'un arsenal juridique anti-laïque et de nombreuses lois scélérates qui, en contradiction avec la Constitution, reconnaissent aux religions un véritable statut d'exception assorti de nombreux avantages fiscaux.

[37] À l'intérieur de ces deux ensembles, de nombreux partis ou sectes politico-religieux ont surgi tout au long de l'histoire, recoupant parfois des oppositions entre États ou entre ethnies. Les controverses doctrinales y ont joué un grand rôle, en se référant au Coran, à la Tradition du Prophète et à la codification des grands docteurs du Moyen Âge.

[38] Et je rajouterai comme pour tout livre révélé : ne se comprend pas et ne doit surtout pas se comprendre.

[39] Et… intégristes. La conciergerie des lieux saints confèrent à ce courant un indéniable prestige que renforce le pouvoir de l'argent !

[40] On sait qu'un Agha Khan jugea nécessaire de moderniser l'islam et, pour se faire, lui conféra une Mecque… plus moderne : Hollywood et, accessoirement, la Côte d'Azur !

[41] Mais comment la pensée religieuse pourrait-elle être limpide avec son fatras de contradictions, de mensonges, d'aberrations, de surnaturel, d'irrationnel, de superstitions… ?


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