Introspection - Question

 

Cela fait des années, en fait depuis novembre 1963 quand, à la suite de mes parents, j'ai dû quitter l'Algérie, ma terre natale, que mon ici est toujours… ailleurs. Certes, à plusieurs reprises, je me suis bercé de l'illusion d'un ici vraiment ici, d'un enracinement, dune localisation, c'est-à-dire d'une inscription, physique, matérielle, mentale, affective… dans un espace non pas tant enfin borné que dessiné, marqué, axé, orienté, doté de repères… Mais, à chaque fois, l'illusion a été courte et il m'a fallu reprendre mon errance, mon voyage sans but à l'image d'un bateau ivre, d'un vaisseau fantôme, d'une graine emporté par un vent qui, jamais faiblissant, l'emporte toujours plus loin, toujours… ailleurs.

Faute d'un ici, étant toujours de passage, je suis constamment étranger aux autres qui elles-eux sont dans leur ici, dans cet espace que je traverse, dans cette étape de la trajectoire temps de mon errance. A un point tel que mon étrangeté est devenue mon identité, la particularité de mon unicité, ma différence par excellence mais une différence que je ne peux partager puisqu'elle n'est pas comprise, souhaitée, attirante… Une étrangeté qui, d'une certaine manière, ne me met plus seulement en dehors du monde mais me désenchante, me démotive, me désenergétise, me dévitalise, me… vide de… moi-même, de cet instinct-besoin de vie qui, remontant à l'animalité originelle de l'humain pousse tout individu à avancer, à… progresser.

Certes, je reste debout, assumant toujours jusqu'aux tréfonds de mes cellules et de mes neurones, ma révolte libératoire, humanisante, mais, de plus en plus, me dis que cette stature est celle du fou, de l'halluciné, du monstre. De l'étranger.

Je m'interroge donc non sur le bien fondé de cette stature à laquelle, je ne saurais renoncer sauf à renoncer à moi-même, mais sur sa finalité.

En se mettant debout, le pré-hominidé a enclenché un processus non achevé à ce jour – la naissance à l'humanité – mais il a également répondu à une gageure : comment, en raison de sa fragilité relativement à son environnement animal, survivre dans un milieu de platitude, celui de la savane qu'il avait gagné après être descendu des arbres ? Sa stature debout avait donc aussi une utilité immédiate toute pragmatique : pallier sa fragilité pour, d'abord, survivre et, ensuite vivre, se développer.

Mais à quoi me sert d'être debout dans mon étrangeté ? Certes pas à être un quelconque repère à d'autres qui se seraient égaré(e)s ou oublié(e)s puisque je suis debout non dans un espace, un espace socialisé, mais en un point, un point qui, en définitive, est… imaginaire puisque, en géométrie, un point se définit comme l'intersection de deux lignes alors que le point où je me situe est un non-lieu, celui de l'absence de l'Autre et, singulièrement, des autres.

Debout pour… attendre ? Mais attendre quoi ? qui ? pourquoi ?

Attendre… rien ?

La fin de tout organisme vivant est la mort.

Attendre… la mort ?

Attendre la mort n'est pas… vivre puisque l'attente est une non-action quand la vie est, au contraire, une action vitale, celle de l'être, du devenir, de l'agir…

A ne rien attendre et à me laisser inéluctablement emporter vers ma mort par cette force qu'est le temps – le temps qui m'use -, à l'évidence, je n'agis pas et si je suis ou, du moins, semble être, par définition, j'ai cessé de… devenir en agissant à la fois sur mon existence et sur mon environnement.

Autrement dit, je… végète : mon processus d'humanisation aurait-il muté pour devenir celui d'une altération, d'une régression…, celui de la végétalisation, de la légumisation ?

Dans cette farce, grotesque et lamentable, que je représente à un public… absent, ne suis-je pas en train de me mentir en me berçant de l'illusion d'une utilité à l'Autre en m'imaginant… militant ?

Quel sens trouver, donner à et dans la vie quand elle est… inutile ou, pour le moins, que son utilité n'est qu'illusion, voire… vanité ? Objectivement… aucun.

Or, à l'évidence ma vie est inutile puisqu'elle ne s'ancre dans aucun ici et que, en définitive, mon identité est celle de l'étrangeté.

Dés lors s'évertuer à rester debout alors même qu'il n'en résulte aucun effet puisque je suis… inutile ne relève-t-il pas d'un entêtement… forcené, celui du fou, du dément, de… l'insensé ?

La rationalité, au sens d'usage raisonnable de la raison, est l'une des caractéristiques essencielles tant de l'humanisation que de l'humanité. La rationalité cherche à trouver et à donner du sens à toute chose. Sauf à considérer que la vie est illusoire et que le réel n'est que le reflet de mon délire – rêve ou cauchemar -, la rationalité m'interpelle, m'interroge : pourquoi attendre quand attendre n'est pas… vivre ? Puisqu'il ne peut y avoir d'humanité en dehors de la liberté, est-ce que la liberté absolue n'impose pas de… mourir quand on cesse de vivre, d'être pour ne plus que survivre ? Quand la liberté d'être n'est pas/plus assumée, la revendication de son humanité n'impose-t-elle pas de s'anéantir, pour rester libre et humain jusqu'à l'ultime moment ?

 


 

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