Jour des mort(e)s ou des vivant(e)s ?

 

Chaque année, à la même date, le troupeau s'en va moutonner dans les cimetières. Transhumance organisée par les marchands sous le haut patronage de la secte vaticanesque. Cette moutonnerie a pour objet un culte particulier : celui des mort(e)s. Culte morbide, au sens propre du terme, à l'image de cet amour de la mort – surtout celle des autres ! – que pratique ladite secte au nom d'un dieu aimant, aimant au point d'en faire souffrir et, souvent, mourir, ses brebis. Culte grotesque car il consiste aussi à combler de louanges les mort(e)s que l'on n'a pas aimer de leur vivant, dont on s'est félicité de la mort, que l'on a laissé mourir dans l'indifférence de son égoïsme…

A chaque fois, je me demande pourquoi ce débordement d'amour n'est pas versé en faveur des… vivant(e)s et, notamment, de celles et ceux qui souffrent, qui sont sans toit, sans domicile, sans revenu, qui n'ont d'autre horizon que celui de la précarité…

Cette année les cimetières ont dû faire le plein avec ces quinze mille vieilles et vieux morts non tant de la chaleur que de l'isolement, de la solitude, du mercantilisme des tenanciers de mouroirs, du libéralisme d'un gouvernement dont le seul souci est que les riches soient sans cesse plus riches, quel que soit le prix de misère que doit en payer l'immense majorité…

Mais, pas la moindre pensée pour ces milliers de personnes qui, chaque jour, meurent de faim, de maladie, de froid, de sècheresse…, bref, de misère mais aussi de guerres diverses et variées que l'on mène une peu partout dans le monde, là encore, pour permettre aux riches de devenir encore plus riches puisque, comme on le sait, l'argent n'a pas d'odeur, même quand c'est celui de la mort.

Comment peut-on aimer des mort(e)s alors que, à l'évidence, on n'aime pas les… vivant(e)s ?

Plutôt que d'engraisser les marchands de la mort que sont les prêtres et les entreprises de pompes funèbres, plutôt que de construire de véritables mausolées pour ce qui, inévitablement, ne sera qu'un tas de viande à vers, pourquoi ne pas faire en sorte que chacun(e) ait de quoi se nourrir, s'habiller, se loger, se soigner, s'éduquer… ?

Pourquoi, au lieu de fleurir des monuments dits aux morts [comme si il n'y avait pas aussi des… mortes de la guerre !]ne pas faire en sorte qu'il n'y ait plus de guerre et donc plus de mort(e)s du fait de la guerre ?

N'est-il pas malsain ce plaisir à satisfaire son égoïsme en allant se recueillir sur une tombe, c'est-à-dire sur un tas de rien ?

Dans de nombreux cimetières on trouve encore le carré des réprouvé(e)s, espace dédié à l'enterrement anonyme des époux et épouses de la veuve, c'est-à-dire, en France, des guillotiné(e)s. Bien entendu, le troupeau ne va pas se recueillir sur ce carré puisqu'il est interdit d'hommage, de souvenir, de gratitude et, en définitive… d'amour. Qu'ont-ils-elles de moins que les autres mort(e)s ces réprouvé(e)s ? Qui est déchu(e) de son humanité : le-la réprouvée, victime de la vengeance vindicative revêtue des oripeaux de la Justice ou celui-celle qui s'en va fleurir la tombe d'une personne qu'en définitive il-elle n'a jamais aimé de son vivant ?

Parfois, il me vient l'idée saugrenue que ce serait peut-être un bienfait pour les (sur)vivant(e)s que ces adorateurs-trices de la mort soient frappé(e)s de la foudre lorsqu'ils s'en vont moutonner dans les cimetières et que, ainsi, ils-elles se couchent définitivement pour que celles-ceux qui veulent rester debout puissent enfin le faire !