Communautarisme
versus laïcité[1]
J'appelle communauté un ensemble, un groupe d'individus ayant une particularité commune qui les différencie des autres. Cette particularité, constituée d'un ou plusieurs éléments, détermine une identité collective.
J'appelle communautarisme la "prétention" qu'a une communauté à rejeter les particularités des autres communautés et à poser la sienne comme "norme" et celle des autres comme "anormales", "hérétiques", "illicites", "illégitimes"… ET à imposer l'identité collective qu'elle incarne à ses membres au point de rejeter, interdire leurs particularités individuelles constitutives de leurs identités individuelles (et, dans le même mouvement, à interdire à ses membres de sortir d'elle).
J'appelle laïcité l'état de neutralité mutuelle dans lequel se
rencontrent, se croisent, s'associent, se confrontent (mais ne s'affrontent pas)
ou s'ignorent les différences individuelles et collectives, cette neutralité
étant fondée sur le principe du respect absolu de l'Autre en tant qu'être
humain (mais pas forcément de ses idées, opinions, convictions…) et donc sur
le principe de liberté absolue d'être, de conscience et d'expression. Pour
dire autrement, la laïcité est la pratique, individuelle ou collective, de
Une "communauté de fait" est donc un groupement d'individus (r)assemblés, (ré)unis à raison d'une particularité ou d'un ensemble de particularités communes. Ce rassemblement est permanent ou, à tout le moins, durable (exemple : communauté linguistique) ou "éphémère" (exemple : un collectif de lutte), spatialement "concentré" (exemple : le Quartier) ou disséminé (exemple : une corporation), structuré (aux plans organisationnel, juridique, fonctionnel, idéologique…) ou informel, polymorphe.
Une communauté de fait est
donc, avant toute chose, une communauté… existante dont les membres se
reconnaissent comme membres relativement à elle et pairs entre eux.
L'expression "de fait" ne préjuge en rien de la "légalité"
et, plus généralement, de la licité, de la légitimité de la communauté
considérée. Ainsi, une communauté affective, linguistique, professionnelle,
culturelle, sexuelle… existe sans pour autant avoir besoin d'une
reconnaissance légale pour… exister. Et des communautés interdites – ou,
au moins, non légalement déclarées et, a fortiori, reconnues - existent bel
et bien (exemples : gangs, collectifs…). De même que des communautés légales
(car légalisées), notamment institutionnelles, n'existent plus que "sur
le papier", dans la forme, dans la virtualité du discours, de la représentation…
(exemple : la communauté catholique qui constituerait l'essence et la [seule] réalité
de
Qu'est-ce qu'une "communauté à dessein" ? Un dessein est l'"idée que l'on forme d'exécuter quelque chose" (Petit Robert); il est synonyme de "but, détermination, intention, objet, projet, propos, résolution, visées, volonté, vue". La locution adverbiale "à dessin" signifie : "intentionnellement, de propos délibéré".
On parle couramment de "communauté" de destin" pour désigner
un peuple, une nation organisé en État-nation ou souhaitant l'être.
L'expression "communauté à dessein", en revanche, n'est pas courante
et, personnellement, je la rencontre pour la première fois. En combinant ma définition
du terme "communauté" et celle du Petit Robert du terme
"dessein", on pourrait penser qu'une "communauté à
dessein" est une "communauté qui se cherche", autrement dit qui
se constitue, dont les membres se reconnaissent comme… tels. Une communauté
de fait… en devenir.
Une telle acception (une communauté de fait en devenir, en construction)
n'apporte rien de plus par rapport à l'expression, basique, de "communauté
de fait". Elle ne serait qu'un élément de "hiérarchisation"
ou, plus exactement, de graduation de la notion de communauté de fait.
Ce n'est donc pas dans cette voie qu'il faut chercher la signification de
l'expression "communauté à dessin" mais, plutôt, en se référant
à la notion de "communautarisme" que j'ai donnée plus haut : une
"communauté à dessein" serait (est) une communauté qui prétend s'ériger
en "ordre", normé et institutionnalisé, sinon rejetant les
particularités des autres (communautés et individus), du moins considérant
ces dernières comme "anormales", "hérétiques", "déviantes"…
Autrement dit, une communauté qui cherche à s'imposer CONTRE les autres
communautés et non plus à "cohabiter" avec elles et qui, sans doute
de demandeuse de "tolérance" et de respect à son égard, s'est faite
intolérante et irrespectueuse des autres communautés et des individus qui ne
sont pas ses "fidèles", ses "ouilles"[2].
La prétention d'une telle communauté – prétention à la fois contre
les autres communautés, les membres d'autres communautés mais également SUR
ses propres membres -, à l'évidence, ne peut… tolérer la laïcité si
celle-ci est entendue comme la possibilité qu'ont TOUTES les communautés et,
au-delà TOUTES les particularités, TOUTES les différences d'être assumées,
vécues, pratiquées… librement dès lors qu'elles ne portent pas atteinte à
la liberté de l'Autre.
Le communautarisme en ce qu'il est exclusif et, in fine… totalitaire
[puisqu'il ne souffre aucune exception] n'est pas seulement une atteinte au
principe de laïcité. Il est un danger, une menace pour ce que seule[3]
la laïcité peut garantir : la "cohabitation pacifique" de TOUTES les
différences. Il est le meurtre, au besoin génocidaire, prémédité de
[1]
Il s'agit de la première contribution à un travail collectif dont le sujet
est : "Les
différentes communautés, existant de fait ou à dessein dans notre pays,
représentent-elles un danger pour la laïcité ?"
[2]
Il est courant que les "ennemis de la liberté", les adversaires
de la démocratie… se réclament des droits fondamentaux et des libertés
individuelles instituées et garanties par, par exemple,
[3] Dans un contexte étatique, de démocratie organisée, bordée, (dé)limité, contrôlée… par un État dit "démocratique".