L'anarchie : un projet maçonnique ?
"La liberté comme base, l’égalité comme moyen, la fraternité comme but".
Ricardo Mella in "El
idéal anarquista"
Avant de commencer, permettez-moi un avertissement (pré)liminaire : mécréant en raison, mais pas en cœur, je n'ai aucun respect pour les idées, pas même les miennes ! Mon propos, ce midi, à certains égards, pourra être "jugé" outrancier, provocateur… et il est vrai qu'il se veut… perturbateur et, sinon pertinent, du moins… impertinent, non pour démontrer mais pour… montrer que l'on peut voir autrement de soi-disant évidences et que l'on peut aussi voir des… non-évidences !
*
* *
Notre très illustre F\
Léo Campion avait coutume de dire que : "Si
les Maçons anarchistes sont une infime minorité, la vocation libertaire de
Les Maçons anarchistes… une infime minorité ? rien de surprenant car nous savons tous que les anarchistes ne sont pas un sur cent, ce qui ne les empêche pas… d'exister. Mais, au fait, est-ce que les maçon(ne)s sont plus qu'un sur cent ? et n'existent-ils-elles pas pour autant ?
Je ne reviendrai pas sur ce
point historique curieux, bien mis en évidence par notre F\
Léo Campion dans son excellent ouvrage "Le drapeau noir, l'équerre et le
compas", à savoir que TOU(TE)S les grands noms de l'anarchisme ont été…
maçons alors que, au XIXème siècle, aucun d'entre eux-elles n'a été membre
de
Cette présence constante, et toujours d'actualité, d'anarchistes sur les colonnes des LL pourrait laisser à penser que la véritable question, la question autant impertinente que pertinente, n'est pas de savoir comment peut-on être maçon(ne) ET anarchiste – à moins que cela ne soit anarchiste ET maçon(ne) – que : comment peut-on ne pas être maçon(ne) ET anarchiste – ou, là encore, anarchiste ET maçon(ne) -.
A une telle question, pour faire dans le "politically correct", de nombreux-euses maçon(ne)s, n'hésitent pas à parler d'une honteuse infiltration de la maçonnerie, à son corps défendant, par de vilains et méchants anarchistes, ce qui, au passage, n'est pas flatteur quant à l'intelligence des maçons infiltrés et fort peu "gentil" à l'égard du Tuileur, du Couvreur et autre F\ terrible.
Ainsi, la F\ M\ ne serait qu'une sorte de maison de tolérance à l'égard de ces squatters que sont les anarchistes. Une maison, sorte de club de débats, d'échanges – ou d'ébats… échangistes ? - qui, justement parce qu'elle est tolérante, se refuserait à faire appel à la force publique – alors qu'elle compte bon nombre de ses représentants sur ses colonnes ! -, pour chasser de son sein ces "vipères lubriques" que sont les anarchistes. A moins que, dans la tradition libertine du XVIIIème siècle, elle soit un lieu d'amoralité où les élites bien pensantes se plairaient à s'encanailler avec ces "voyous" que sont les anarchistes !...
Et s'il en était autrement ?
*
* *
Avant de nous interroger sur l'éventuelle similitude entre le projet des maçon(ne)s et celui des anarchistes, rappelons brièvement comment les maçon(ne)s s'organisent pour réaliser leur projet.
Sur le frontispice du portail de la F\ M\ belge on peut lire que le maçon est un homme (ou une femme) qui a la tête dans les nuages, l'amour dans le cœur, mais les pieds bien sur terre. Je reviendrai sur cette "définition" pour rappeler d'abord que, selon l'acception reprise dans les Constitutions d'Anderson, un maçon est un homme (au sens générique d'être humain) libre dans une loge libre. Il en résulte qu'une obédience (ou "ordre[2]")est une fédération de loges libres et que la F\ M\ universelle est une "république" universelle de loges et de maçon(ne)s libres.
Association, associationnisme, fédération et fédéralisme… ne sont-ce point là, si l'on s'en réfère aux FF\ Michel Bakounine, Pierre Kropotkine et Pierre-Joseph Proudhon des modes relationnels et organisationnels… anarchiques ?
Les maçon(ne)s élisent des…
officiers[3]
qui ne sont pas des "gouvernants", des "mandataires", des
"représentants" mais des pairs qui, conformément au mandat impératif,
révocable et "tournant" qui les a désignés et dont ils doivent
rendre… compte, ont la… charge de tenir certains offices, d'exécuter
certaines "missions" dans l'intérêt de cette communauté maçonnique
qu'est
Ces Officiers, s'ils sont détenteurs
d'autorité (au sens d'aptitude à attirer le respect, l'estime, la confiance en
raison des connaissances acquises et de la "sagesse" retirée) n'ont
point pour autant de… pouvoir sur leurs pairs[4].
Ne peut-on voir en ces Officiers les délégué(e)s de l'Internationale
libertaire "jurassienne", les "élu(e)s"[5]
des Communard(e)s ou, de nos jours, de
Les maçons sont les amant(e)s
passionné(e)s de la liberté de conscience au motif que c'est d'une conscience
libre que naît l'humanité qu'ils-elles revendiquent ; ce faisant, ils ne
professent d'autre interdiction que celle d'interdire ou d'œuvrer à interdire.
En refusant autant l'intolérant que l'intolérable les maçons, comme ces étudiants
qui, en 1968, décoraient
Libres de conscience, les maçon(ne)s sont adogmatiques [du moins celles et ceux qui assument leur liberté dans… l'irrégularité !][6] : qui pourrait dire que l'anarchisme est dogmatique quand c'est au nom du dogme d'une nouvelle religion – le marxisme – que les communistes libertaires ont été… excommuniés de l'Association Internationale des travailleurs ? Et y a-t-il courants de pensée plus traversés de discussions, de débats, de controverses que l'anarchisme mais, également, la F\ M\ ?
Les anarchistes, on le sait, n'ont pas leur langue dans la poche : leurs écrits et chansons en attestent. Mais y a-t-il beaucoup de lieux où, à l'instar du temple maçonnique, la liberté d'expression soit non seulement la règle mais aussi la pratique dès lors qu'elle est respectueuse de le personne (et non des idées) ?
Nous avons vu que les anarchistes comme les maçon(ne)s votent, notamment aux fins d'élection. Dans les LL, comme dans la plupart des Obéd\, les votes se font à la majorité. Parce qu'ils-elles sont très attaché(e)s au respect de l'Autre, les maçon(ne)s, outre qu'ils-elles reconnaissent le "droit de retrait[7]", de ce que je sais et j'ai pu vivre, n'ont jamais à cœur d'écraser une minorité d'un vote majoritaire surtout si cette minorité, même réduite à UN(E) seul(e) individu, fait preuve d'une opposition… véhémente, irréductible et s'efforcent toujours, comme les anarchistes, de rechercher et de trouver sinon l'unanimité, du moins le consensus.
En effet, les maçon(ne)s, comme les anarchistes, ne professent aucun dogme. Dès lors, débarrassé(e)s qu'ils-elles sont de leurs métaux, ils-elles ne détiennent aucune vérité et, humbles, modestes, "laborieux" considèrent que l'on peut et doit d'autant plus douter de tout, à commencer par un point de vue… majoritaire, que, minoritaires, ils-elles ont toujours eu à se battre pour se défendre contre l'oppression… majoritaire mais aussi pour faire avancer leurs idées de progrès contre une réaction, une inertie… majoritaires.
Société initiatique, la F\ M\ "recrute" par cooptation après enquêtes et passage sous le bandeau (que l'on peut qualifier sinon d'interrogatoire, du moins d'"entretien d'embauche"), possède des signes, mots et attouchements de (re)connaissance, pratique le symbolisme, notamment des signes et des mots, détourne le vocabulaire usuel, crypte ses écrits… Certes, par souci… initiatique mais, pour certaines pratiques, par souci de… sécurité afin de se préserver de l'inquisition, voire de la répression dont elle a fait et continue de faire l'objet[8]. N'est-ce point là un autre point commun avec ces sociétés secrètes qu'ont constitué et que constituent les anarchistes[9] ?
A titre anecdotique pour ne pas
dire humoristique, je rappellerai que les maçon(ne)s professent et revendiquent
l'universalisme de leurs idées, de leurs principes, de leurs valeurs, de leur
action… Et, pourtant, la F\
M\
n'est pas UNE mais… multiple, pour ne pas dire… divisée, voire même opposée.
A l'instar de l'anarchisme dont les mauvaises langues disent qu'ils se divisent
dès lors qu'il réunit trois individus pour pouvoir tenir ses réunions dans…
une cabine téléphonique et, ainsi, faire l'économie d'une… L
[Ô pardon, ma langue a fourché, d'un… local]. Questions de sensibilité, de
sentiment, d'appréciation, de cheminement… Mais, comme il existe une véritable
frontière entre le communisme libertaire et le communisme marxiste (avec tous
ces avatars : stalinien, maoïste…), il existe une frontière entre la F\
M\
libertaire (Ô pardon, libérale) et la F\
M\
"régulière" (ou… "orthodoxe" !!!): celle de
Je pourrai continuer longtemps encore cette litanie de ressemblances, frappantes, entre maçon(e)s et anarchistes avant d'aborder le projet maçonnique proprement dit. Le temps nous étant compté, je vais l'arrêter avec une ultime similitude pour pointer, malgré tout, une différence entre l'anarchiste et le-la maçon(ne).
Il existe en effet une différence importante
entre l'anarchisme et
*
* *
Venons-en à présent au projet maçonnique, c'est-à-dire au but que les maçon(ne)s se donnent ou bien encore à l'"utopie" que la F\ M\ se propose de réaliser.
Dans le préambule de sa
Constitution le G\
O\
D\
B\stipule
que : "A l'extérieur du temple, dans la
volonté d'assurer la libre expression de la pensée humaine, l'Assemblée du
Grand Orient pose comme ultime devoir à l'Obédience l'honneur de sauvegarder
toujours, en dépit de toutes les menaces ou contraintes, les aspirations des
hommes à la liberté, à l'égalité et à la fraternité"[10]
tandis que dans l'article 1er de sa Constitution le G\
O\
D\
F\
précise que : "
Se référant à la triptyque révolutionnaire de 1789, la F\ M\, que les Anglais "orthodoxes" et gardiens de l'ordre… établi – celui de la société bourgeoise, dont ils sont les enfants, autrement dit du… capitalisme - considèrent comme… irrégulières, la F\ M\ donc appelle ses "adeptes" à travailler, dans le temple et hors du temple, pour l'avènement d'une société de Liberté, d'Égalité et de Fraternité.
Il ne me semble pas que le
caractère révolutionnaire d'un projet de changement ou d'un changement résulte
du recours à la violence physique (insurrection, coup d'état, lutte armée…)
mais, au contraire, de la… radicalité du changement. Ainsi, dans le domaine
des connaissances et de
La radicalité d'un changement sociétal, comme, autre exemple, la reconnaissance des Droits de l'Enfant, peut donc résulter du seul fait du… progrès des mœurs, des pensées, des idées, des lois… Une telle voie de changement est usuellement qualifiée de réformisme pour l'opposer à une autre radicalité de changement qui, violente celle-ci, est qualifiée, du moins en politique, de… révolution.
Outre qu'elle ne repose que sur une différence de moyens, c'est-à-dire d'action ou, pour reprendre un terme maçonnique, de… travail et non de finalité, cette distinction occulte le fait qu'un changement radical, même s'il est recherché et obtenu pacifiquement, légalement, légitimement dans l'intérêt général tel qu'il peut s'incarner dans l'"écrasante majorité" d'une population donnée, est toujours… forcément imposé à des intérêts particuliers – individus, groupements, communautés, classe… - qui ne se retrouvent pas dans le changement radical en question. Pour ces intérêts particuliers, le changement radical n'est pas une réforme mais une révolution, une révolution illégitime, expropriatrice, usurpatrice…
Permettez-moi une citation : "Le constat face aux injustices sociales, celles que l’on subit personnellement ou celles faites à autrui, provoque notre révolte et l’on se dit qu’on ne peut pas rester sans rien faire devant une telle situation... Mais le seul sentiment de révolte ne veut pas dire grand chose: il est tout relatif. Ce qui vous semblera inacceptable ne le sera pas forcément aux yeux d’un autre. Par soumission, par inconscience ou par idéologie, certains ne voient hélas rien d’abject dans le racisme; ou estiment “normal” d’être soumis aux ordres d’un chef ! En fait, tout dépend de notre vécu, de notre réflexion, de notre éthique, de ce que nous considérons comme possible. Pour notre part, si nous contestons radicalement la société actuelle, c’est parce que nous sommes convaincus qu’une société de liberté, d’égalité et de fraternité est réalisable".
Cette citation pourrait être
extraite du projet de création d'une L
ou d'une planche ou revue maçonnique. En fait, elle est tirée du programme
de… l’Union Régionale Rhône-Alpes de
D'aucuns ne manqueront pas de dire que le propos de ce texte est trop… ouvert, marqué et pas assez mesuré pour que le-la maçon(ne) lambda puisse s'y retrouver et que, surtout, il fait implicitement appel à la violence comme facteur de changement radical.
Examinons donc un autre texte,
celui de la page d'accueil de la F\
M\
belge, "œuvre" collective du Grand Orient de Belgique (G.O.B.), de
"Ces quatre Obédiences,
ont décidé d’ouvrir ce site
Web afin d’informer le monde profane que
Ce même texte précise que :
"
Propos… anodins. Aucunement révolutionnaires. Encore moins anarchistes. Et pourtant !
En effet, est-ce que le projet
maçonnique de travailler à l'avènement d'une société de Liberté, d'Égalité
et de Fraternité est… réformiste ? que nenni. Bien au contraire, ce projet
est… révolutionnaire car n'est-ce pas vouloir faire
En travaillant à l'évènement d'une société de Liberté, d'Égalité et de Fraternité les maçon(ne)s font œuvre d'… utopisme au sens où ils aspirent à la réalisation de leur idéal dans un contexte économique, politique, social, culturel, éthique… qui est l'antithèse de cet idéal.
Ce travail les maçon(ne)s le font dans le secret – que d'aucuns préfèrent qualifier de "simple discrétion" – de leurs loges[13]. Au sens strict de "rassemblement de personnes ayant le projet, concerté et secret, de changer, transformer radicalement un ordre établi", c'est-à-dire une "société policée", les maçon(ne)s sont donc des… comploteurs-euses, terme qui, quelque peu désuet et désormais réservé aux seuls militaires, peut se traduire par… terroristes !
[Au passage, un bref rappel
historique : Originellement (1794), le terme de terroriste a un sens particulier
: celui d'une personne appliquant la politique de
Tout le monde s'accordera à
dire que, de nos jours, peu de maçon(ne)s, à la différence de ceux qui,
nombreux, au XIXème siècle firent le choix de
Il existe un autre "art royal" de ce travail maçonnique : la… "propagande par l'exemple, la parole et les écrits"[18] qui, dans le vocabulaire anarchiste peut se traduire par… "l'action directe[19]" ou bien encore par… la propagande par le fait[20]
La société idéale dont "rêvent" les maçon(ne)s est une utopie comme l'est l'anarchie que les anarchistes attendent au lendemain du "Grand soir". Ce rêve partagé est souvent payé au prix fort, celui de la répression. Pourtant, il continue d'être fait. Par entêtement ? Non, je ne le pense pas. Ce rêve continue d'être fait, parce que, voyez-vous, le choix d'être anarchiste et/ou maçon, n'est pas… anodin : il est celui que font des individus qui, ayant fait le choix de naître à leur humanité, tout simplement, dans leur action quotidienne – leur travail en somme -, leurs faits, leurs propos et leurs gestes s'efforcent de rester humains pour eux-elles mêmes et pour les autres. On ne naît pas maçon ou anarchiste. On le devient par choix. Dans l'un et l'autre cas, ce choix, pour la plupart du temps, est la conséquence d'une… révolte, celle du refus de l'injustice, c'est-à-dire de l'aliénation, l'inégalité, de la bestialité.
"Liberté – Égalité – Fraternité" ces trois mots ne sont pas seulement une… devise ornant… symboliquement le frontispice de bâtiments publics se dressant comme certaines rosettes qui, au regard des principes et, surtout, valeurs maçonniques sont plus des tâches de déshonneur que des emblèmes de "vertu" ou bien encore un "vestige du passé" que des maçon(ne)s, "traditionalistes" par ailleurs[21], vénèreraient comme d'autres vénèrent des… reliques, histoire de s'assurer qu'ils restent bien dans la châsse du passé et que, surtout, ils ne viennent pas perturber le sommeil pantouflant des vivants.
Non, "Liberté – Égalité – Fraternité" constituent bel et bien la quintessence d'un programme, celui du projet maçonnique d'une société (enfin) véritablement… humaine.
Ces trois mots peuvent être mis en musique sous un air de phrase et, ainsi, donner :
"La liberté comme base, l’égalité comme moyen, la fraternité comme but".
Dans ce libellé, quel(le) maçon(ne)
ne se reconnaît(ra) pas ? Son auteur n'est portant pas maçon mais…
anarchiste. Il s'agit de Ricardo Mella qui, dans "El idéal anarquista",
résuma le projet de société de
Des FF\
ne manqueront pas de dire que les maçons, conformément au serment prononcé
lors de leur initiation, sont
respectueux de
Face à un tel dilemme, de quel
côté penche le cœur et l'action du maçon: celui, par exemple, de Thiers,
boucher des Communard(e)s au nom du maintien de l'ordre et du respect de
"Frères,
citoyens de la grande partie universelle, fidèles à nos principes communs :
Liberté, Égalité, Fraternité, et plus logique que
Dans les différents forums, colloques, manifestations… organisés un peu partout, les anarchistes martèlent leur aspiration à une triple émancipation :
Ainsi, les anarchistes refusent le modèle sociétal, oppresseur et exploiteur, qui est la négation de l’individu et de ses aspirations. Ils cherchent par tous les moyens à montrer qu’il est possible et souhaitable de vivre dans une société libre, égalitaire (et donc égale) et fraternelle, gérée directement et librement par ses diverses composantes : individus, groupements sociaux, économiques, culturels, et ce dans le cadre due l'associationnisme et du fédéralisme libertaires.
Pour arriver à leurs fins, les anarchistes s'interdisent d'user de certains moyens car, comme le disait Errico Malatesta : " ces moyens ne sont pas arbitraires, ils dérivent nécessairement des fins que l’on se propose et des circonstances dans lesquelles on lutte. En se trompant sur le choix des moyens, on n’atteint pas le but envisagé, mais on s’en éloigne, vers des réalités souvent opposées et qui sont la conséquence naturelle et nécessaire des méthodes que l’on emploie".
Ne retrouve-t-on pas dans tout cela, même si dit autrement, le projet maçonnique ?
Les maçon(ne)s travaillent à l'avènement d'une société de Liberté, d'Égalité, de Fraternité qu'ils-elles ne… nomment point sauf à la qualifier de (véritablement) humaine et, parfois, d'…utopie, au sens d'idéal, de société idéale à bâtir. Pourtant, une société de Liberté, d'Égalité et de Fraternité, si elle est bien (véritablement) humaine, a, d'un point de vue historique, politique, philosophique et éthique, un nom : l'Anarchie.
En effet, sans multiplier à l'infini les définitions de l'Anarchie, j'en prendrai trois tirées de la toile :
Et une dernière de Pierre Kropotkine qui, lors de son procès à Lyon, le 1er janvier 1883, déclara :
"Ce qu'est l'anarchie, ce que sont les anarchistes, nous allons le dire :
Les anarchistes, messieurs, sont des citoyens qui, dans un siècle où l'on prêche partout la liberté des opinions, ont cru de leur devoir de se recommander de la liberté illimitée.(..) Nous voulons la liberté, c'est-à-dire que nous réclamons pour tout être humain le droit et le moyen de faire tout ce qui lui plaît, et de ne faire que ce qui lui plaît; de satisfaire intégralement tous ses besoins, sans autre limite que les impossibilités naturelles et les besoins de ses voisins également respectables.
Nous voulons la liberté et nous croyons son existence incompatible avec l'existence d'un pouvoir quelconque, quelles que soient son origine et sa forme, qu'il soit élu ou imposé, monarchiste ou républicain (...)
Le mal, en d'autres termes, aux yeux des anarchistes, ne réside pas dans telle forme de gouvernement plutôt que dans telle autre. Il est dans l'idée gouvernementale elle-même, il est dans le principe d'autorité.
La substitution, en un mot, dans les rapports humains, du libre contrat, perpétuellement révisable et résoluble, à la tutelle administrative et légale, à la discipline imposée, tel est notre idéal. Les anarchistes se proposent donc d'apprendre au peuple à se passer de gouvernement comme il commence à apprendre à se passer de Dieu.
Il apprendra également à se passer de propriétaires. Le pire des tyrans, en effet, n'est pas celui qui vous embastille, c'est celui qui vous affame. (..)
Pas de liberté sans égalité ! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé par les mains d'une minorité qui va se réduisant tous les jours et où rien n'est également réparti, pas même l'éducation publique, payée par les deniers de tous.
Nous croyons, nous, que le capital, patrimoine commun de l'humanité puisqu'il est le fruit de la collaboration des générations passées (...) doit être à la disposition de tous (...)
Nous voulons. en un mot, l'égalité : l'égalité de fait, comme corollaire ou plutôt comme condition primordiale de la liberté de chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins,- voilà ce que nous voulons sincèrement".[26]
Toutes ces définitions de l'anarchie, ne sont-elles pas la traduction… politique du projet philosophique et éthique de la société idéale des maçon(ne)s ? Autrement dit, l'anarchie ne serait-elle pas le décryptage profane du symbolisme maçonnique de la triptyque, révolutionnaire en 1789, rappelons-le, de "Liberté – Égalité – Fraternité" ?
En somme, n'y a-t-il pas meilleure définition de l'anarchisme et de la F\ M\ que celle d'une utopie d'action et en action qui travaille à la construction d'un temple que d'aucuns se (com)plaisent à démolir sans cesse, le temple de l'humanité, parce que les anarchistes comme les maçon(ne)s ont pour précepte : "La liberté comme base, l'égalité comme moyen et la fraternité comme but".[27]
Ordo ab chao - transformer le chaos en ordre, extraire l'ordre du chaos-, est-ce que cette devise maçonnique n'est pas la réplique ("sismique" ?) de ce mot de notre F\ Élisée Reclus "l'anarchie est la plus haute idée de l'ordre", mot que je me plais, en souvenir de notre S\ Louise Michel, de compléter par "car elle est l'ordre sans le pouvoir" ?
*
* *
Comme je l'ai dit en préalable, mon propos de ce midi n'aura pas été de démontrer quoi que ce soit et, encore moins, d'asséner quelque vérité que ce soit. Bien qu'impertinent et, pour certains, irrévérencieux, provocateur, voire même choquant, offusquant, outrageant, il aura été, plus humblement, de montrer que l'indéniable relation historique qu'il y a entre la F\ M\ et l'anarchisme et la non moins indéniable histoire d'amour passionné qui unit ces deux voies de l'humanisme peuvent être examinés en toute liberté de conscience et, ce faisant, qu'un chantier de travail, autant maçonnique qu'anarchique, peut et même doit être ouvert.
Et, pour étayer ma modeste invite, permettez-moi, de faire appel à notre très illustre et non moins anarchiste F\ Léo Campion :
"Aussi est-il regrettable que des anarchistes sectaires
excommunient
J'ai dit.
Additif
Petites réflexions personnelles sur une lecture comparée
des Constitutions du G\O\D\F\
et du G\O\D\B\
Je note que, dans l'article 1er
de sa constitution, le G\O\D\B\.
se dit Obéd\…
masculine, ce qui justifie non l'exclusion des femmes mais la "réservation
exclusive" de l'Obéd3 aux hommes. Ce n'est pas seulement une nuance. C'est
une disposition qui, d'un point de vue juridique, ne tombe pas sous le coup de
En effet, les diverses dispositions législatives et réglementaires qui instituent le délit de "ségrégation" sous toutes ses formes (racisme, sexisme, sexualisme…) condamnent l'exclusion d'un individu à raison de sa "particularité" mais n'interdisent pas la constitution d'une association (d'une "communauté") à raison d'une… particularité.
Jésuitisme peut-on penser. Certes. Mais cette différence met le G\O\D\B\ dans une position plus facile que le G\O\D\F\ à l'égard des femmes dans la mesure où ce dernier, ne se revendiquant pas Obéd\… masculine n'a aucun motif statutaire à opposer à l'initiation de femmes et tombe donc sous le coup de la ségrégation à raison du sexe !
Par ailleurs, le G\O\D\B\, dans l'article 1er de sa Constitution, se qualifie d'initiatique et progressive ET de cosmopolite et progressiste.
Le G\O\D\F\, dans l'article 1er de sa Constitution, se qualifie d'institution philanthropique, philosophique et progressive.
Le lien que le G\O\D\B\ fait entre les caractères initiatique et progressif est cohérent en ce que ces deux "traits" caractérisent bien une institution initiatique qui ne se contente pas d'initier (d'accueillir) des profanes mais qui, l'initiation effectuée, offre un parcours, un chemin, un… perfectionnement. Dans ce cas, le terme "progressif" (du latin "progressus", 1372) est pris dans son acception propre "qui porte à avancer, à mouvoir" (exemple : une faculté progressive), qui s'accroît, se développe, progresse, qui suit une progression, un mouvement par degrés, qui s'effectue d'une manière régulière, constante et graduelle et, accessoirement, qui participe du progrès.
Au rit français, lors de
l'ouverture des travaux le F\
Orat\,
en commentant l'article 1er de
Ainsi, autant il est clair qu'une institution initiatique qui se veut progressive (G\O\D\B\) affirme, ce faisant, que ses membres, une fois initiés, cheminent graduellement vers un état "supérieur" (de connaissance, de savoir, de sagesse, de raison…), autrement dit qu'ils… progressent, autant une institution, qui se veut philanthropique, philosophique et progressive sans pour autant se dire initiatique (G\O\D\F\), n'affirme pas que ses membres s'inscrivent dans une démarche de progression et donc, accessoirement, de progrès.
Je considère pour ma part que
le commentaire du F\
Orat\précité
renvoie le terme de "progressive" à la notion
d'"innovation", de "changement", d'"invention", de
"développement", voire de… "révolution" en ce qu'il
sous-tend une "rupture avec le passé" et qu'il peut, à ce titre,
faire apparaître (mais ce n'est qu'une… apparence) une contradiction avec
l'attachement de cette même institution à…
Le G\O\D\B\ se dit par ailleurs "progressiste", ce que ne revendique pas le G\O\D\F\.
"Progressiste" vient de "progrès (1841) signifie "qui est partisan du progrès politique, social, économique; qui tend à la modification de la société vers un idéal, par des réformes ou des moyens violents" et, dans un sens plus moderne (récent) "qui est partisan d'une politique d'extrême gauche".
Dans cette acception, la
revendication du G\O\D\B\
de recherche du "perfectionnement de l'humanité" (Article 1er
de
Le G\O\D\B\ serait-il… révolutionnaire quand le G\O\D\F\ ne serait que… réformiste ; le premier serait il "communiste" quand le second ne serait que "socialiste" voire "sociodémocrate" ?
Le G\O\D\F\ se revendique, bien entendu, de la F\M\… universelle mais, à la différence du G\O\D\B\, il ne se dit pas… cosmopolite.
Cosmopolite, du Grec "kosmopolitês" - citoyen (politês) du monde (kosmos) - (1560), a plusieurs sens selon le Petit Robert :
1 Vieilli Qui vit indifféremment dans tous les pays, s'accommode de tous. Subst. "Paris est la ville du cosmopolite" (Balzac). — Par ext. Une existence cosmopolite.
2 Mod. Qui comprend des personnes de tous les
pays; qui subit des influences de nombreux pays (opposé à national). "Un
grouillement cosmopolite inimaginable" (Loti).
Ville cosmopolite.
3 Didact. Qui a une répartition géographique très large. Animal, plante cosmopolite.
Notre F\ Littré est plus explicite :
COSMOPOLITE
(ko-smo-po-li-t'), s. m. :
1° Celui qui se considère comme citoyen de l'univers. Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux, J. J. ROUSS. Ém. I.
2° Par extension, celui qui vit tantôt dans un pays tantôt dans un autre ; qui adopte facilement les usages des divers pays. C'est un cosmopolite.
Adjectivement. Un philosophe cosmopolite. Une existence cosmopolite. De tous les genres d'êtres organisés, le genre des insectes est seul cosmopolite, BERN. DE ST-P. Harm. liv. II, Anim.
Dans son acception stricte, le cosmopolitisme du G\O\D\B\ me semble renvoyer à un universalisme politique, abolitionniste des frontières et donc des nationalités et, a fortiori, des nationalismes, quand celui du G\O\D\F\ me paraît avoir un enracinement philosophique (Descartes, Leibniz, Kant…) qui, s'il prend bien en compte l'humanité dans sa totalité essencielle, ne gomme pas pour autant les "particularismes" politiques et, singulièrement, les nationalités.
Le G\O\D\B\serait-il progressiste (dans l'acception moderne du terme) au point d'être… anationaliste ? Serait-il un repère-repaire d'…anarchistes ?
[1]
Du fait d'une amnésie, au besoin sélective, ou d'une variante contagieuse
de la maladie d'Alzheimer [car, bien entendu, il ne serait question de
penser que le révisionnisme, voire le négationnisme frappent aussi des
historien(ne)s maçon(ne)s], l'histoire officielle de la \F\
M\
indique que
[2] Du latin "ordo", "ordinis" 1080, relation intelligible entre une pluralité de termes.
[3] Officier, de :
- "office", 1190, du latin "officium" : onction que l'on doit remplir, charge dont on doit s'acquitter, charge, emploi, fonction. Officier
- et du latin médiéval "officiarus" : chargé d'une fonction, d'une charge. A l'origine, auxiliaire du roi qui s'occupait d'un service domestique (Ex. officier de bouche).
[4] Le pouvoir que notre S\ Louise Michel qualifiait de maudit, le pouvoir absolu étant… absolument maudit !
[5]
Les "député(e)s,
du latin "deputatus", 1369, "représentant de l'autorité",
personne qui est envoyée par une assemblée souveraine pour remplir une
mission particulière.
[6] De leur côté, les anarchistes sont, par tempérament et par définition, réfractaires à tout embrigadement qui trace à l’esprit des limites et encercle la vie. Ils nient le principe d’autorité dans l’organisation sociale. Il ne peut donc y avoir de catéchisme libertaire et donc de dogme anarchique !
[7] Ou droit de… sécession contrepartie "naturelle" de l'associationnisme et du fédéralisme.
[8] Faut-il rappeler que, en raison des pressions religieuses exercées aux niveaux européen et nationaux, la F\ M\ est vouée à des jours difficiles et que, si elles suscitent des vocations (l'engagement de révolte, du refus), ces pressions entraînent des désistements, des mises en sommeil, des surenchères de… discrétion… de la part de nombreux-euses maçon(ne)s.
[9]
Pour beaucoup, c'est pour bénéficier de la "discrétion",
autrement dit du secret, des assemblées maçonniques que les anarchistes
ont rejoint (et rejoignent encore ?) la maçonnerie. Cet argument peut être
entendu. Mais il n'est pas suffisant car 1°) il existait et existe d'autres
sociétés secrètes (à commencer par les syndicats, les clubs d'étudiants,
les confréries…) et 2°) les anarchistes n'ont jamais rejoint
[10] Souligné par moi, JC.
[11] Idem.
[12] Les opposant(e)s aux changements radicaux induits par les découvertes de ces savants, en revanche, n'ont pas hésité, parfois, à recourir à la force pour empêcher le changement.
[13]
Les tenues des anarchistes sont moins discrètes, secrètes car quand elles
sont autorisées, elles se font toujours sous la surveillance étroite de
[14] Autre rappel historique : à cette "terreur rouge" succédèrent deux périodes de "terreur blanche" que les royalistes firent régner en France, la première en 1795, la seconde en 1815, la "terreur versaillaise" de Thiers en 1871…
[15]
"La propagande
par le fait est un principe qui sera lancé comme association à la
propagande verbale et écrite, exercice réalisé par la mouvance
anarchiste, elle consistait à réaliser des expériences mettant en oeuvre
les possibilités révolutionnaire qui mènerait à l'anarchie.
La répression que les communards durent subir suite
à la commune de paris (1871), amena à un durcissement des positions des
anarchistes. Bakounine, peu avant sa mort (1876), abandonna ses écrits,
pensant qu'il était temps maintenant d'agir (ce sera une critique faite au
mouvement anarchiste).
En 1876, dans le congrès international de Berne,
Malatesta lança "la guerre continuelle aux institutions établies,
voilà ce que nous appelons la révolution en permanence !" . Cela
présageait la "propagande par le fait". Quatre ans plus tard, le
25 décembre 1880, Pierre Kropotkine clama dans son journal, "le Révolté" :
"La révolte permanente par la parole, par l'écrit, par le poignard,
le fusil, la dynamite (...), tout est bon pour nous qui n'est pas la légalité."
C'est en 1881, au congrès international anarchiste à Londres (où étaient
présents Louise Michel et Émile Pouget) que cette nouvelle stratégie sera
proclamé et énoncé comme "propagande par le fait" (pour se
joindre aux écrits et aux paroles). Elle devait se trouver sur le terrain
de l'illégalité, avec des moyens en adéquation avec le but révolutionnaire
qu'était le communisme libertaire.
Kropotkine (et entre temps beaucoup d'autres
compagnons) changera de position en 1887 (quelques années avant la période
"terroriste"), qu'il écrira également dans "le révolté",
en rejetant l'illusion de conséquences positives d'un tel procédé".
Source : http://fra.anarchopedia.org/index.php/propagande_par_le_fait
"Aujourd'hui, et ce depuis longtemps et sauf en
de très rares occasions, les anarchistes ne sont plus partisans de la
terreur individuelle. Ils et elles croient toujours dans leur majorité,
comme le dit Malatesta, que "la violence n'est justifiable que quand
elle est nécessaire pour se défendre soi-même, ou défendre les autres
contre la violence" et ajoutent souvent que "l'opprimé est
toujours en état de légitime défense et il a toujours pleinement le droit
de se révolter sans attendre qu'on lui tire effectivement dessus".
Mais si les anarchistes défendent l'utilisation de la violence, il s'agit
d'une violence de masse, populaire et révolutionnaire, et non plus de la
violence individuelle, ou de petits groupes, toujours avant-gardiste dans le
pire sens du mot, de la propagande par le fait".
Nicolas Phébus, Québec, mars 1998
[16] Et rappelons-le que ne firent pas les anarchistes maçons !
[17] En Anglais… lobbying.
[18]
Cf. article 2 de
[19] Émile Pouget, Benoît Broutchoux, Fernand Pelloutier…
"Qu'est-ce donc que l'action directe? Une
action individuelle ou collective exercée contre l'adversaire social par
les seuls moyens de l'individu et du groupement. L'action directe est, en général,
employée par les travailleurs organisés ou les individualités évoluées
par opposition à l'action parlementaire aidée ou non par l'État. L'action
parlementaire ou indirecte se déroule exclusivement sur le terrain légal
par l'intermédiaire des groupes politiques et de leurs élus. L'action
directe peut être légale ou illégale. Ceux qui l'emploient n'ont pas à
s'en préoccuper. C'est avant tout et sur tous les terrains, le moyen
d'opposer la force ouvrière à la force patronale. La légalité n'a rien
à voir dans la solution des conflits sociaux. C'est la force seule qui les
résout.
L'action directe n'est pas, cependant, nécessairement
violente, mais elle n'exclut pas la violence. Elle n'est pas, non plus, forcément
offensive. Elle peut parfaitement être défensive ou préventive d'une
attaque patronale déclenchée ou sur le point de l'être, d'un lock-out
partiel ou total, par exemple, déclaré ou susceptible de l'être à brève
échéance."
CNT-AIT – Syndicat de l'Yonne.
[20] Bakounine, Kropotkine, Malatesta…
[21] Terme pris dans le "mauvais" sens de conservateur, conformiste, réactionnaire…
[22]
Discours tenu le 29
avril 1871 devant 6 000 Francs-Maçons venus de 55 Loges parisiennes avant
que ceux-ci n'aillent planter leurs bannières sur différentes barricades
et, pour beaucoup, se fassent tuer par les versaillais. Quelques jours après,
un ballon libre marqué des trois points symboliques s'éleva dans les airs
et sema de nombreux exemplaires du "Manifeste maçonnique du 5
mai" appelant les Maçons de France et du monde entier à lutter en
faveur des Communes de France fédérées avec celle de Paris. Le 18 avril
1871, au Palais de
[23]
Source : fr.wikipedia.org/wiki/Anarchie
[26] Cité par Daniel Guérin dans "Ni Dieu, ni Maître, anthologie de l'Anarchisme", Maspero, édition 1978, page 65.
[27]
Il existe toutefois une différence importante entre l'anarchisme et
12/04/06