Lettre à Steph'

 

Pour prolonger l'une de nos dernières discussions et compléter et/ou préciser ma pensée :

 

On ne naît pas humain. On le… devient. Par choix. C'est-à-dire par un acte de liberté pleinement assumée dans toutes ses conséquences. En effet, l'humanité est une rupture avec l'animalité ou, mieux encore, la bestialité en ce qu'il y a des animaux qui, à bien des égards, sont plus… "humains" que les membres de l'espèce humaine.  Il n'y a d'humanité véritable que dans et par la liberté. Cette liberté posée, revendiquée, assumée et, au besoin, opposée suppose un double respect : celui de l'Autre mais aussi de… Soi. Question de dignité, qui n'est pas autre chose qu'une posture de… liberté. Choix aussi de… fraternité qui n'est pas simplement affaire de respect mais également de… reconnaissance : je reconnais l'Autre pour ce qu'il est, humain, dans et par ses différences et je reconnais pour ce que je suis, humain, dans mes différences et mon unicité.

 

Ceci dit, à l'échelle d'une "société", c'est-à-dire d'un groupe d'humains, il n'y a de société véritablement humaine que de Liberté, d'Égalité et de Fraternité. La liberté comme base, l'égalité comme but et la fraternité comme moyen.

 

En effet, s'il n'y a pas de liberté, il n'y a pas d'humanité et donc point de société… humaine. S'il n'y a pas d'égalité, il n'y a ni respect, ni reconnaissance de l'essence humaine de l'Autre (et des autres, de tou(te)s els autres, sans aucune exclusion). Autrement dit, point de dignité mais, au contraire un état… d'indignité qui relève d'une nature a-humaine, non humaine. De la bestialité. Et s'il n'y a pas de fraternité il ne peut y avoir ni liberté, ni égalité car ce ne sont point les lois les "pouvoirs", les contraintes (qu'elles soient policières, juridiques, militaires, morales…), les obligations, les (op)pressions… car le respect et la reconnaissance ne peuvent pas s'imposer puisqu'il s'agit d'a priori philosophique, éthique qui sont… premiers ou ne sont pas. Librement consentis et vécus ou inexistants.

 

L'Histoire montre qu'il y a eu et qu'il y a encore des sociétés humaines qui ont pu fonctionner sans état, sans "ordre". Ce sont les peuples premiers qu d'aucun(s)s qualifient, avec mépris, de… primitifs.

 

L'Histoire montre aussi qu'il y a eu et qu'il y a des groupes humains qui ont été et sont de Liberté, d'Égalité et de Fraternité. Par choix. Par engagement. Par libre adhésion.

 

Dans les deux cas, on peut parler de sociétés anarchiques.

 

L'Histoire montre aussi que ces sociétés ont été ou sont immanquablement anéanties par des sociétés… "ordonnées", c'est-à-dire constituées en États. Cet anéantissement se fait de l'extérieur, par la violence, la force brutale (génocide) ou, de l'intérieur, par implosion sous la pression, par exemple, d'un ethnocide, c'est-à-dire d'une destruction des valeurs et principes qui, "traditionnellement, assuraient la cohérence et la cohésion de la société considérée.

 

Toutes ces sociétés relèvent de ce que je pourrais appeler le "microcosme", c'est-à-dire d'un groupement numériquement faible (la tribu, le clan, la "meute", la "bande", le "groupe", la colonie…).

 

On trouve peu d'exemples de sociétés anarchiques à l'échelle "macroscopique". Le plus connu est celui de l'Espagne libertaire dont on connaît la fin tragique.

 

Il y a donc, à mon avis, deux facteurs majeurs d'empêchement à la survie d'une société anarchique. D'une société véritablement humaine donc.

 

D'abord, un "effet de seuil". En effet, sans doute qu'au-delà d'un certain "nombre" la société libre, par "mutation", se transforme en société ordonnée. J'en veux pour preuve que chez les peuples premiers, comme chez les animaux vivant en communauté, les sociétés "essaiment" dès qu'elles atteignent un certain effectif, la relativité de cet effectif étant assurément dépendant de facteurs de nature "écologiques" (ressources vivrières en particulier).

 

Selon moi, au-delà d'un certain effectif, la sociabilité de l'humain devient de la grégarité et le groupe se transforme en… troupeau. Or, un troupeau ne "se conduit" pas mais est conduit (généralement, d'une manière ou d'une autre, à… l'abattoir !). Il y a sans doute un effet de paresse qui doit jouer car la tentation du troupeau est facile pour celui-celle qui ne veut pas assumer sa liberté et donc ses responsabilités quand il est tellement facile de se "laisser aller", autrement dit… mener, conduire, diriger, orienter, contrôler, surveiller, mesurer, enrégimenter, embarquer…

 

Ensuite, la "co-habitation" impossible entre sociétés anarchiques et sociétés ordonnées, sauf à ce que les premières puissent évoluer – et donc (sur)vivre – dans des espaces "retirés", excentrés par rapport aux centres de pouvoir constituant les secondes.

 

Est-ce à dire que, anarchiste, je dois renoncer à aspirer à une société humaine de Liberté, d'Égalité, de Fraternité ? Je veux dire, renoncer à mon "projet" (mon… utopie au sens premier et véritable du terme) Assurément pas car si fais ce renoncement je renonce à continuer d'être ce que j'ai fait le choix d'être : humain !

 

Les Francs-maçon(ne)s travaillent à l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de l'humanité. Pas seulement dans leurs Loges, mais, surtout, dans le "monde profane", à l'extérieur du temple. Ils-elles travaillent ainsi par leur action dans et pour la société, action qui peut être politique, syndicale, professionnelle, éducative, culturelle… mais qui ne saurait être… contraignante, coercitive sauf à contredire els valeurs maçonniques et, ce faisant, à renier l'engagement maçonnique. Cette action, pour une large part, est… pédagogique : elle relève de… l'exemplarité. Non de l'entraînement (nous serions alors dans la conduite du… troupeau) mais de la mise en… mouvement, de l'incitation, de l'…invitation.

 

Les anarchistes qui, à mon sens, sont nécessairement des… maçon(ne)s (et réciproquement -, même si c'est sans le savoir mènent un même "travail". Ayant renoncé depuis longtemps à la violence – qui fut une tragique erreur et, en fait, une "trahison" de l'anarchisme en tant qu'éthique et projet politique en ce qu'elle relevait du… terrorisme, c'est-à-dire de la contrainte par la terreur – les anarchistes font donc dans l'action engagée : la manifestation, la protestation, le syndicalisme… Mais aussi : l'information, la formation, l'éducation (et oui, n'ayons pas peur des mots), la vulgarisation et la diffusion des connaissances et savoirs, la culture… Autant de formes d'action qui relèvent, elles aussi, de l'exemplarité.

 

Ceci dit, pour revenir sur tes interrogations et notamment sur celle-ci : "est-ce que cela vaut la peine de "rêver" d'une société humaine qui serait à l'échelle de l'espèce humaine quand on sait que cela est… "utopique" ?", ma réponse est oui.

 

Elle ne peut pas être autre, sauf à renoncer au choix que j'ai fait d'être ce que je m'efforce d'être, même dans l'adversité : humain.

 

Mais, je suis lucide, sans illusion. "Mon" utopie ne verra jamais le jour. Elle restera toujours cette horizon vers lequel l'hominidé qui, en se mettant debout à décider de sortir de l'animalité et de… marcher vers l'amélioration matérielle, intellectuelle et morale de lui-même et de son espèce.

 

Sans cet horizon inaccessible, point besoin de rester debout puisqu'il n'y a plus besoin de marcher, de tendre vers. Autant se coucher et retourner à l'animalité ou bien se noyer, s'anéantir dans le… troupeau.

 

M'efforçant d'être et de rester humain, ma relation à l'Autre – et donc aux autres – est nécessairement de Liberté, d'Égalité et de Fraternité. Je ne sais pas si mes actes, mes propos, mon comportement…, mon être et mon agir sont démonstratifs et… entraînants. En tous els cas, ils ne sont pas en contradiction avec mon choix, mon engagement.

 

Bien entendu, je ne suis pas le seul à être et agir ainsi. De la sorte, par choix, par hasard ou par nécessité il se crée régulièrement des espaces-temps de Liberté- d'Égalité et de Fraternité. Des lieux et des temps d'Anarchie.

 

Moments intenses. Moments forts. Moments riches. Mais, assurément, moments… rares. Moments de… rencontres… exceptionnelles. Des rencontres qui font que, en se retournant sur son passé au seuil de sa mort, on peut se dire : j'ai vécu.

 

Moments de ressourcement aussi car, sans eux, la fatigue l'emporterait et on pourrait avoir la tentation, non de se coucher – ce serait un renoncement à soi – mais à s'asseoir sur le côté de la route pour regarder passer le troupeau et, sans aboyer, se… "lamenter", se… "morfondre" et, cessant de… "devenir", ne plus.. être, si ce n'est une sorte de zombie.

 

Alors, soyons, sois candides et, comme Candide cultivons notre jardin pour son propre bien et celui de l'Autre. Un jardin, même s'il n'est qu'une parcelle de verdure dans un désert presque infini, est un lieu de… con-vivialité. De vie… partagée. De… compagnonnage. D'… humanité.

 

Je ne sais pas si j'ai répondu à ton questionnement. Mais j'ai essayé.

 

Une chose encore. Au-delà des certitudes qui pourraient être (justement) "dénoncées" dans mes propos ci-dessus, sache que je questionne et me questionne sans cesse : "suis-je humain ?", "suis-je en conformité avec mon choix, mon engagement, mes valeurs… ?", "suis-je à la hauteur de mon… "ambition" ?", "ai-je bien fait, bien agi, bien réagi… ?"… Et sache que c'est dans la main qui m'est tendue, dans le sourire qui m'est offert et que je partage, dans le regard qui me parle… que je trouve les réponses à mes questions. Réponses qui sont encore des… moments… d'exception.

 

10/07/09


Pour revenir à la rubrique "Divers" :

 

Pour revenir au Plan du site :

 

Pour revenir à la page d'accueil :