L'hindouisme
En présentant le bouddhisme, il
a été nécessaire de faire plusieurs références à l'hindouisme. Même si
l'hindouisme n'est pas une religion monolithique mais un ensemble de croyances
– dont certaines peuvent aller jusqu'à l'athéisme ou, du moins, à un
certain athéisme -, de pratiques, d'ascèses, de techniques
spirituelles et/ou physiques de méditation, de concentration, de maîtrise
de soi, d'écoles, de sectes…, qu'il ne constitue donc pas un ordre
religieux unique – comme l'est la secte vaticanesque – et qu'il n'a jamais
cherché à se répandre en-dehors de son aire historico-géogaphique de
naissance[1],
il m'a semblé intéressant, ne serait-ce que du point de vue historique ou de
la simple curiosité intellectuelle, de tenter d'en présenter une synthèse.
L'hindouisme est l'expression de
l'un des courants majeurs de l'histoire des civilisations. Ses conceptions se
sont développées en réinterprétant la Révélation – celle des textes (les
Vedas) fondés sur la doctrine du sacrifice – à la lumière des spéculations
sur la délivrance ultime. Sans église ni dogme, l'hindouisme a élaboré une
anthropologie centrée sur la relation de l'homme au cosmos.
Toutefois, pour comprendre
l'hindouisme, il faut d'abord rappeler ce qu'était le Védisme (de Veda),
le brahmanisme et le jaïnisme :
Le Vedisme se
fonde sur le Veda (du sanskrit "qui a été vu" et, par
extension, "le savoir") qui est l'ensemble de textes sacrés les plus
anciens de la tradition indienne. Par leur caractère d'armature de cette
civilisation, ces textes jouent un rôle similaire à celui qu'a eu la Bible
pour la civilisation occidentale. Selon la tradition, ils ont été révélés
à des rishi ("voyants") et sont considérés comme relevant de
l'ordre de la shruti, c'est-à-dire de la révélation, par opposition
aux textes secondaires qui relèvent de la smriti, ou
"tradition" confiée à la mémoire.
Les textes védiques datent de
l'arrivée des Indo-Européens dans la plaine gangétique en provenance du
plateau iranien, soit vers les XIIème - Xème siècles
avant notre ère. Comme la plupart des textes sacrés de haute antiquité, ils
ont d'abord été transmis par la tradition orale avant d'être transcrits
tardivement, vers le VIIIème siècle.
Le Veda correspond à un
quadruple corpus de textes : le Rig-Veda, hymnes aux divinités, le Yajurveda,
ensemble de formulations sacrificielles, le Samaveda, hymnes accompagnés
de mélodies, et l'Atharvaveda, recueil de formules magico-rituelles. À
partir du Xème siècle avant notre ère[2],
on a vu apparaître des commentaires sur la parole sacrée, le brahman,
appelés Brahmanas, puis des ouvrages de spéculation ésotérique, appelés
Aranyaka et enfin, au VIème siècle avant notre ère,
des traités sur l'expérience spirituelle de l'union du brahman et de l'âtman,
appelés Upanishad[3].
La civilisation religieuse des
Indo-Européens fondée sur le Veda est qualifiée de "védique"
pour la différencier du brahmanisme classique et de l'hindouisme moderne. Généralement,
on parle de védisme pour la période qui s'étend du XIIèmesiècle
au IVème - IIIème siècle avant notre ère. La
religion védique se trouve d'abord contestée dans ses fondements par
l'apparition du jaïnisme et du bouddhisme, puis subvertie de l'intérieur par
la réforme du brahmanisme, qui continue de révérer le Veda tout en donnant de
nouveaux contenus à la vie religieuse.
Centré sur le strict
accomplissement des rites pour la famille ou le clan, le védisme accorde peu de
place au sentiment religieux et à la recherche du salut personnel à travers la
dévotion ou le mysticisme. Seules les trois castes (varna) supérieures, celle
des prêtres, ou brahmanes, celle des guerriers et celle des producteurs
(pasteurs, agriculteurs ou commerçants), qui représentent l'élément
indo-européen, ont accès aux rites védiques. Les shudra (populations
aborigènes réduites en servitude) en sont exclus.
Le védisme ignore ou ne confère
qu'une place marginale dans le panthéon aux grandes divinités qui seront
celles du brahmanisme (Krishna, Shiva). Les dieux principaux de l'époque
védique s'ordonnent selon le schéma tri-fonctionnel indo-européen mis en lumière
par G. Dumézil : la fonction de souveraineté morale et spirituelle, celle de
domination temporelle et, enfin, celle de production.
La première fonction est représentée
par le couple Mitra[4]-Varuna,
gardiens de l'ordre cosmico-rituel, le rita[5].
Mitra symbolise l'alliance des hommes et des dieux, d'où son nom l'Ami,
tandis que Varuna châtie ceux qui violent le rita. La seconde
fonction est illustrée par Indra, qui conquiert la souveraineté parmi
les dieux après le meurtre de son père, ce mythe traduisant probablement
l'usurpation du pouvoir par le clan guerrier. Les Ashvin, ou Cavaliers du
ciel, relèvent de la troisième fonction car ils nourrissent la terre.
D'autres dieux paraissent
couvrir les trois fonctions ; ce sont notamment Soma (le
"jus"), l'élixir qui a conféré aux dieux l'immortalité et qui a
lui-même été divinisé[6]
; Agni (le "feu") est le feu sacrificiel, le dieu qui porte aux
autres dieux les offrandes des hommes[7].
Même si les rites de l'époque védique sont pour la plupart abandonnés (très
complexes, ils pouvaient durer jusqu'à une année, comme le sacrifice du
cheval), il en est qui sont encore accomplis de nos jours. Quant au texte du Veda,
il continue d'être mémorisé intégralement dans certaines familles de
brahmanes traditionalistes.
Le brahmanisme a pour
fondement les quatre recueils ritualistes du Veda, le Savoir divin,
enrichis par les commentaires rituels des Brahmana et les spéculations
des Upanishad. Placé sous la prédominance des brahmanes, c'est-à-dire
de la caste sacerdotale, le brahmanisme apparaît comme une sorte de religion du
brahman. Le brahmanisme se caractérise par le rôle qu'il accorde au
système des castes et à la doctrine de la réincarnation qui le sous-tend. L'âme
véritable de chaque être vivant, le Soi (atman), est, par nature,
identique à l'Âme universelle, laquelle se confond avec le brahman.
Cependant, elle est prisonnière des formes illusoires du monde et, à cause de
cela, entraînée en d'innombrables existences successives, humaines, animales,
divines ou infernales, selon ses activités passées, ou karman. L'âme
se libère de la nécessité de renaître quand elle s'est totalement purifiée
et a réalisé son identité avec le brahman. Pour progresser vers la libération
mukti, il faut se conformer aux règles de sa propre caste. Ces règles
sont très importantes pour les brahmanes, lesquels, au cours de leur existence,
traversent quatre états : celui de l'étudiant, celui du chef de famille, celui
de la semi-réclusion et celui du renoncement complet. La réalisation
spirituelle s'effectue au moyen de la méditation et de diverses méthodes de
contrôle de soi, groupées sous le nom de yoga. Le brahmanisme distingue
le prakriti, principe matériel
actif, de nature femelle, et l'esprit mâle, purusa, dont
la conjonction provoque l'évolution du monde.
Le terme de yoga[8]
est aujourd'hui familier en Occident du fait de la large diffusion, depuis la
dernière guerre, d'une technique du corps d'origine indienne, détachée de son
contexte spirituel et transformée en gymnastique essentiellement profane.
Étymologiquement, le mot yoga
renvoie à une racine sanscrite yug que l'on retrouve dans le français joindre
ou dans joug. Dans le contexte indien, le yoga correspond à un
ensemble de méthodes et de techniques physiques et mentales qui ont pour
finalité d'atteler ensemble les facultés et les énergies du corps et de
l'esprit afin de rompre le pouvoir de séduction des objets extérieurs en réorientant
le regard du sujet vers le dedans. Que le terme soit une union au divin ou une
complète autarcie de l'âme se connaissant comme monade isolée, le yoga
se met au service d'une ascèse méthodique (sadhana) qui comporte
toujours ce double mouvement de concentration ou d'aiguisage des facultés et de
refus de suivre la pente naturelle qui mène à s'investir dans les désirs
mondains. Un tel refus peut se manifester à la fois par des pratiques de
mortification du corps et par la transgression des convenances sociales afin d'échapper
au champ du désir fondé sur l'attraction et la répulsion.
Du fait qu'il est avant tout un
outil, le yoga peut s'appuyer sur des systèmes philosophiques divers :
le Samkhya, école dualiste, ou bien le Vedanta, non dualiste. Il
existe un yoga classique, formulé dans les Yoga sutra attribués
à Patanjali, et d'innombrables formes de yogas populaires.
Globalement, le yoga se
trouve en tension entre une dimension mystique d'un côté et une tentation
magique de l'autre car l'accomplissement réalisé par le yogi[9]
est censé lui donner accès à des pouvoirs merveilleux (siddhi) qui
peuvent être recherchés pour eux-mêmes au détriment du dépouillement de la
volonté requis par la voie spirituelle.
Concrètement, on classe les
différents yogas selon la technique ascétique mise au premier plan :
utilisation du corps dans le hatha-yoga à travers les postures (asana)
et le contrôle du souffle (pranayama) ; sublimation de l'énergie
sexuelle dans le kundalini-yoga répétition de formules et de mantras
dans le japa-yoga ; travail sur l'énergie mentale (raja-yoga).
À un autre niveau, non plus celui des techniques utilisées, mais celui de l'esprit général de la voie ascétique choisie, on distingue habituellement trois yogas :
Ces trois chemins mènent théoriquement
au même but, l'extinction du karma lequel est le fruit des actions passées
qui emprisonnent l'âme dans l'illusion des désirs. Avant d'en arriver là, le yogi
doit maîtriser les techniques conseillées par son gourou[10],
respecter l'ensemble des interdits moraux et religieux, pratiquer la
concentration ou fixation du mental (dharana) qui mène à la méditation
(dhyana), laquelle s'accomplit dans l'état d'absorption (samadhi)
qu'Eliade appelle "enstase" plutôt qu'extase car il n'est pas
"sortie de soi" mais au contraire retour au soi, à la véritable
nature de l'âme[11].
Lorsque le yogi s'établit définitivement dans ce centre immobile de l'âme
qui est paix et béatitude, il obtient la libération du cycle des naissances
appelée moksha ou nirvana.
La datation de la constitution
du yoga reste controversée. On peut seulement dire avec Eliade que les
traités yogiques ont été rédigés dans une période située entre le IVème siècle avant
notre ère et le VIème siècle et que la pénétration
graduelle de la pratique du yoga dans la spiritualité indienne marque le
passage de l'ancienne religion brahmanique, celle des conquérants indo-européens[12], à l'hindouisme
classique qui réalise la fusion du brahmanisme et de la religiosité autochtone
des peuples dravidiens[13].
Une telle évolution manifeste le désir d'une expérience religieuse plus concrète
et plus accessible que celle des vieux rituels védiques monopolisés par une
caste de prêtres.
La remise en cause du sacrifice
et des actes – dont les fruits ont pour conséquence inéluctable la
transmigration et le cycle sans fin des renaissances –, les spéculations sur
l'absolu et sur les conditions de la délivrance ont, bien avant le Vème
siècle avant notre ère, ouvert la voie à une évolution religieuse de longue
portée, d'où devaient naître le bouddhisme, le jaïnisme et l'hindouisme. Le
monde brahmanique développa sa réflexion philosophique et ses techniques d'accès
à l'absolu, comme le yoga, dans une confrontation constante avec le bouddhisme,
jusqu'à l'éviction de ce dernier de l'Inde au Xème siècle. Il intégra
le renoncement (sannyasa) comme étape finale de la vie du brahmane. Face
à une société dont les membres ne se définissent que dans les relations hiérarchisées,
l'homme qui a renoncé au monde, coupé ses liens familiaux et intériorisé ses
feux sacrificiels est une figure paradoxale, c'est-à-dire celle d'un individu
autonome. Celui-ci tend à supprimer tout désir et toute sensation pour un éveil
ultime en l'absolu. De ses réflexions sur l'activité en ce monde, la société
a retenu la notion de non-violence, ou plutôt l'absence du désir de tuer (ahimsa).
Le végétarisme est donc l'un des critères du pur.
Désigné d'après le surnom Jina
"le Victorieux" donné à son fondateur (Vardhamana dit aussi Mahavira
"Grand Héros", 24e et derniers des Tirthankaras, descendant
lui-même de Parsvanatha, 23ème Tirthankara, qui
vivait à Bénarès au VIIIème siècle avant notre ère), le jaïnisme
précède d'une trentaine d'années le bouddhisme. Ces deux religions sont nées
du grand mouvement de réforme qui secoua la société brahmanique au VIème
siècle avant notre ère. Contrairement au bouddhisme, le jaïnisme s'est développé
exclusivement en Inde, notamment au Bengale, essentiellement dans le sud et dans
l'ouest du pays où l'on compte environ deux à trois millions de jaïns.
Le but de ce mouvement est de
conduire l'âme vers le moksha, ou délivrance du cycle des réincarnations,
par l'ascétisme et non avec le secours des dieux. Le jaïnisme n'est pas à
proprement parler une religion, car il ne reconnaît aucun dieu. Les conceptions
du karma et de la transmigration des âmes demeurent voisines de
l'hindouisme. C'est l'austérité de la voie menant au moksha, qui fait
l'originalité du jaïnisme. Elle est constituée par l'ascèse et l'étude de
la doctrine.
La communauté est composée de
moines (hommes et femmes) et de laïques, ces derniers suivant une voie plus atténuée.
Parmi les vœux que doivent respecter les moines et les laïques, l'ahimsa
("non-désir de tuer") est la plus importante : elle représente la
volonté de ne pas attenter à la vie des créatures vivantes. Cette conception
a été popularisée, sous le terme de "non-violence", par Gandhi qui
est né dans une famille jaïna. Les moines vont jusqu'à balayer devant eux
pour éviter d'écraser les insectes et mettent un linge devant leur bouche pour
ne pas avaler de poussière animée. Les jaïns sont strictement végétariens.
Deux tendances sont à
distinguer qui s'opposent sur la pratique de l'ascèse par les moines et la
reconnaissance des canons (textes théoriques, comme l'Essence de la doctrine
qui date du Ier siècle avant notre ère, ou les Sutra de
l'accès au sens des principes ; rituels ; hagiographie; discipline monastique)
: les digambara ("vêtus d'espace") exigent des dévots qu'ils
parcourent le pays entièrement nus et vivent de l'aumône des fidèles ; les shvetambara
("vêtus de blanc") tolèrent une robe blanche. Cette existence
vagabonde ne peut prendre fin avant l'épuisement des actes négatifs du karma
accumulés au cours des incarnations précédentes.
Venons-en à l'hindouisme[14]
proprement dit, du moins dans son acception actuelle :
Les termes naissance, espèce
et caste traduisent le mot sanskrit jati, soulignant ainsi que
l'on naît hindou et dans une espèce dont la position est définie en relation
à toutes les espèces qui forment à la fois la société, celle du système
des castes, et l'univers. Être hindou implique le respect de la loi
sociocosmique (dharma[15])
et des devoirs de son état (sva-dharma), mais aussi une visée
personnelle vers la perfection et l'absolu par la maîtrise de soi.
Le mythe védique ou archaïque
du sacrifice de l'homme cosmique (purusa) définit la société comme un
tout organique. De la tête du sacrifié naissent les brahmanes, membres de la
classe sacerdotale, de ses épaules les guerriers et les rois (kshatriya),
de ses cuisses les producteurs (vaiçya) et de ses pieds les personnes (çudra)
au service des trois premières catégories (varna). Le sacrifice
souligne l'interdépendance des parties du corps, qu'il distingue en catégories
fonctionnelles et hiérarchisées. Cette métaphore propose une division du
travail social connue de bien des sociétés, mais l'Inde en a systématisé la
portée en posant que l'exercice du pouvoir temporel est limité et légitimé
par l'autorité spirituelle des brahmanes, détenteurs du savoir révélé,
protecteurs du dharma et intermédiaires obligés pour l'accès au divin.
Cette conception du cosmos
donne sa cohérence au système social et permet de comprendre la prééminence
absolue de la prêtrise brahmanique, qui est définie par la pureté. L'idée même
de pureté, plus que simple antithèse de l'impureté, a un contenu positif et répond
à des critères variés. Le maintien d'un statut pur est assuré par des
observances de tous ordres, auxquelles s'ajoutent la connaissance du divin,
l'ascèse, le refus de l'activité violente et le végétarisme. Conjugués à
l'interdépendance sociale, le pur et l'impur se cristallisent chacun dans la
personne du brahmane, opposée à celles des castes inférieures, qui sont désignées
pour prendre en charge les impuretés sociales.
Toutefois, la distinction du pur
et de l'impur est relative, dans la mesure où elle engendre un processus généralisé
de différenciation des castes et de leurs subdivisions. Chacun, à son niveau,
se définit dans des relations de supériorité et d'infériorité par rapport
aux autres. L'esprit de caste est cela même : la différence relative selon la
valeur religieuse, telle qu'elle est pensée dans la notion de pureté.
L'observance des lois et devoirs
du dharma, la poursuite des intérêts concrets (artha) et le désir,
selon le dieu de l'Amour (kama), sont les trois buts (purusartha)
de l'homme. Ils sont parfaitement hiérarchisés. Mais la quête de la délivrance
(moksa) leur est supérieure, car elle nie leurs finalités mondaines ou
laïques. Si le dharma est plutôt l'objectif du brahmane, l'artha
est celui des gens de pouvoir. Ces quatre points définissent le champ d'activité
de tout hindou. Cependant, l'une de ces quatre finalités peut prendre la prééminence
sur les autres. Ainsi, il n'y a ni quête du salut, ni respect du dharma,
ni recherche du profit sans le désir.
Avec son épouse, le maître de
maison est qualifié pour payer les dettes, constitutives de l'être, aux dieux
et à ses ancêtres en leur offrant des cultes et en engendrant des fils. Par
ailleurs, le mariage lui confère une dimension religieuse, car il devient à la
fois officiant et sacrifiant dans son foyer. Il est aussi sacrifiant
dans toutes les cérémonies et cultes rendus aux dieux. Soucieux de la prospérité
des siens, tout autant que du statut de son groupe de parenté et de caste, il
cherche à accroître ses mérites religieux dans la dévotion à une divinité
personnelle ou à un maître spirituel. Une fois sa vie remplie, il peut préparer
le dernier perfectionnement qu'est la mort et se consacrer à la quête de son
salut[16].
L'hindouisme, issu d'une réflexion
qui remit en cause le rite (karman) en regard des fins ultimes, a gardé
l'essentiel de la religion védique : la continuité et la prospérité du monde
reposent sur le sacrifice, dont la victime principale est l'homme.
La relation asymétrique de la
division du travail entre un sacrifiant – roi ou maître de maison,
dont l'offrande est un substitut de lui-même – et un prêtre est la condition
de l'efficacité rituelle. Le prêtre, spécialiste par le savoir, la parole et
la technique, reçoit des honoraires sacrificiels.
L'un des textes fondateurs de
l'hindouisme est le Mahabharata dont le titre signifie "Grand (récit
de la guerre) de Bharata ou Bharat", fondateur mythique de
l'Inde. Il est attribué au sage Vyasa, mais ses auteurs sont multiples et sa
composition, dont la dernière partie remonte peut-être au IVème siècle
avant notre ère, couvre une période de près de huit siècles. Il comprend près
de quatre-vingt-dix mille çloka (ou shloka, distiques) de
trente-deux syllabes, mais aussi des passages en prose, soit au total environ
quatre fois plus que le Ramayana – l'autre grande épopée classique
sanskrite de l'Inde ancienne -, ou huit fois plus que l'Iliade et l'Odyssée réunies.
Il est organisé en dix-huit livres parva et prolongé par le Harivamça,
œuvre de plus de seize mille distiques consacrée à la lignée du dieu Hari
(avatar de Vishnu).
Le contenu de cette épopée
comprend de multiples mythes, légendes guerrières, fables anecdotiques, longs
poèmes religieux et parties didactiques, reliés à une narration centrale : la
rivalité qui oppose les deux lignées de descendants de Bharata, les
cent fils de Kuru, les Kaurava, d'un côté, et les cinq fils de Pandu,
les Pandava. L'intercalation de digressions sur la théologie, la moralité
et l'habileté politique font du Mahabharata une inappréciable source
d'informations sur la civilisation indienne classique comme sur les idéaux
hindouistes, que l'on voit peu à peu s'émanciper au cours du récit de la
culture védique ou brahmanique antérieure.
Les Kaurava représentent
peut-être une aristocratie plus ancienne, mais les vrais héros de cette épopée
sont les Pandava. Dans le récit principal, les Kaurava, grâce à
une partie de dés truqués, vainquent Yudhishthira, l'aîné et chef des
frères Pandava, dont la défaite totale entraîne l'exil des Pandava
durant douze longues années. Les Pandava reçoivent alors les conseils
de Krishna, qui leur apparaît sous la forme de Vishvarupa (le
"souverain universel"), et qui les incite au combat dans les dix-huit
chapitres de la fameuse Bhagavad-Gita – cf. ci-après - ; les Pandava
reconquièrent ensuite leur royaume légitime lors d'une bataille de dix-huit
jours (dont la tradition a fixé la date en 3012 avant notre ère) à Kurukshetra,
plaine proche de Delhi. L'épopée s'achève sur leur heureux gouvernement, des
cérémonies raffinées de couronnement et leur voyage ultime au paradis d'Indra
accompagnés de leur épouse, Draupadi.
Au fil de leurs pérégrinations
d'exilés, les Pandava visitent maints ermitages et sont réconfortés
dans leur malheur par plusieurs contes édifiants. Deux des plus littéraires de
ces intermèdes sont les histoires de Nala et Damayanti – les
Roméo et Juliette hindous – et de Savitri, épouse hindoue idéale,
dont la foi et la dévotion sauvent son mari de la Mort Yama. Les parties
les plus importantes de l'épopée sont peut-être celles traitant de théologie
et de philosophie.
Si le Mokshadharma représente
le mieux ces dernières, d'autres sont plus célèbres. Le plus marquant de ces
textes est la Bhagavad Gita. Autres parties philosophiques importantes,
le Sanatsujatiya entreprend une recherche sur la mort, et l'Anugita
développe encore davantage les thèmes exposés dans la Bhagavad-Gita.
Ainsi, le Mahabharata, grâce
à des symboles aisément identifiables, offre une mythologie vivante où dieux
et hommes participent à un plan de vie ordonné. L'éthique de l'œuvre est liée
à la chevalerie, à l'ascétisme, à l'obligation sociale dharma. Sa théologie
intègre des notions d'un dieu incarné (Krishna), de polythéisme, de
monothéisme (en faveur de Vishnu, aussi nommé Hari) et de
monisme abstrait issu de la tradition antérieure des Upanishad. Sa
philosophie cherche à relier l'individu au divin par l'action sacrificielle, la
connaissance métaphysique, la discipline de méditation, ou par la simple dévotion
profonde. Le Mahabharata manifeste en outre les caractéristiques épiques
d'exagération de personne, de lieu et de circonstances, tout en peignant les thèmes
indiens familiers de la transmigration ou de la force du destin.
Le salut dans le monde par la dévotion
est l'invention fondatrice de l'hindouisme. Elle n'est pas datable précisément,
mais la Bhagavad-Gita[17]
, l'épisode le plus célèbre du Mahabharata, en expose l'essentiel. Krishna,
avatar de Vishnou, explique qu'il s'incarne sur cette terre pour
restaurer le dharma chaque fois que celui-ci s'affaiblit. Par exemple, il
exhorte le héros, Arjuna, à suivre son exemple en accomplissant son
devoir de guerrier dans le combat fratricide du Mahabharata.
Krishna[18]
enseigne plusieurs choses à Arjuna : le salut réside dans la faculté
d'agir, dans l'accomplissement du sva-dharma, sans s'attacher aux fruits
de l'acte, mais en s'abandonnant à la divinité suprême, qui devient le seul
objet de désir. La leçon du dieu enregistre l'apport de l'hindouisme comme dévotion
(bhakti). Le salut ultime n'est plus réservé au seul brahmane. Chacun,
dans sa caste, y a accès par sa dévotion totale à la divinité suprême. De
son côté, le dieu du salut, Vishnou, dans ses multiples manifestations
(avatara), est corporellement présent sur cette terre dans les temples.
Ces innovations ont eu plusieurs conséquences : le monde de l'action n'est pas
nié, comme il peut l'être par l'homme qui renonce au monde, mais l'individu en
sort dévalorisé. Ainsi, il est parfois conçu comme n'étant rien d'autre que maya[19],
cette illusion créée par le jeu divin pour masquer la réalité et empêcher
l'homme d'atteindre le salut : celui-ci ne peut être atteint qu'après un long
cheminement.
Certes, les rites gardent de
leur importance et la prééminence du brahmane, gardien du dharma, subsiste, en
particulier par rapport à l'ordre de la caste. Mais en regard du salut, qui
peut être atteint par une relation directe à la divinité, le brahmane n'est
plus indispensable, et son statut peut être contesté. Cette évolution a
ouvert la voie à divers courants religieux, avec des maîtres spirituels,
souvent des non-brahmanes, considérés comme des formes incarnées de la
divinité du salut.
Le Ramayana est la moins longue des deux grandes épopées védiques ; il se compose de vingt-quatre mille distiques (çloka ou shloka), divisés en sept livres. Il en existe trois versions, dites du Cachemire, du Bengale et de Bombay ou C. D'après l'orientaliste autrichien Moriz Winternitz, le cœur originel de cette œuvre fut rédigé vers 300 avant notre ère.
Selon la tradition, Valmiki, son auteur, était un voleur converti à la dévotion envers le dieu Rama. Le triste spectacle de la mort d'un courlis s'ébattant avec sa femelle et soudain transpercé par la flèche d'un cruel oiseleur le bouleversa, et alors qu'il prononçait une malédiction contre le chasseur, ses paroles se transformèrent spontanément en magnifique poésie, les premiers çloka, ornés de multiples figures de rhétorique, du kavya (la poésie classique). Le dieu Brahma l'invita à chanter dans le même style la geste de Rama. Selon Louis Renou, Valmiki "remanie littérairement un vieux thème dont on retrouve les traces en divers points de l'Asie".
De nombreux auteurs ultérieurs
reprirent la narration du Ramayana. Dans le Ramcharitmanas, le poète
Tulsidas (XVIème siècle) en a créé une version vernaculaire extrêmement
populaire en hindi pour le culte de Rama. Pour les hindous, les
personnages et thèmes de la chaste histoire de Rama rivalisent d'attrait
avec ceux de l'histoire de Krishna, laquelle met à l'inverse l'accent
sur l'amour érotique.
L'hindouisme connaît de
nombreux lieux sacrés (tirtha) les plus renommés sont sur le Gange,
mais ils sont aussi en tout endroit consacré par le divin. L'Inde est ainsi
marquée de lieux de pèlerinage, qui sont visités par les hindous non
seulement pour immerger les cendres de leurs morts, rendre un culte à leurs ancêtres,
mais aussi pour obtenir leur salut. Pour acquérir des mérites ou pour la réalisation
de leurs désirs, un bain purificateur dans l'eau du tirtha, à la fois
source de vie et image de la délivrance, s'impose. Quelques tirtha sont
plus sacrés que d'autres et, lors de certaines conjonctions astrales, les
milliers d'hindous qui vont alors s'y baigner ont l'assurance d'obtenir le
salut.
Les trois grandes divinités du
panthéon hindou, Brahma le créateur[20],
Vishnou[21] le préservateur[22] et Çiva[23]
le destructeur, explicitent une conception cyclique du temps avec ses phases de
résorption et de recréation. Seuls Vishnou et Çiva sont des
divinités du salut et ont leurs temples, parfois associés à un tirtha
renommé, partout où ils ont acquis une forme et un nom propres, là où ils se
sont manifestés, c'est-à-dire dans toute localité importante.
Dans l'hindouisme, un avatar
d'une divinité brahmanique est son incarnation sur terre qui lui permet
d'assurer une mission de salut auprès des hommes. Si de nombreuses divinités
hindoues ont des avatars, les plus connus sont ceux de Vishnu dont le
nombre est très variable en fonction des classifications mythologiques, mais
que la piété populaire a restreint à dix.
Le premier de ces avatars
majeurs est Matsya, le poisson qui permet à Manu[24],
l'ancêtre des hommes et le premier législateur, de survivre au déluge[25].
Les suivants sont Kurma, la tortue qui soutint le monde ; Varaha,
le sanglier qui remit la Terre à sa place ; Narasimha, l'homme-lion qui
terrassa un démon auquel Brahma avait promis l'invincibilité ; Vamana,
le nain qui se transforma en géant pour précipiter le démon Bali dans
les abîmes ; Paraçu-Rama, Rama à la hache, qui délivra les
brahmanes du pouvoir des guerriers en exterminant ceux-ci ; Rama-chandra,
le héros de l'épopée du Ramayana qui détruisit le démon Ravana.
Krishna, le "Noir", le huitième des avatars de Vishnu,
qui lutta aussi contre les démons, est aussi le plus connu et le plus vénéré
; ses aventures sont narrées dans l'épopée du Mahabharata. L'avatar
suivant, Bouddha, venu sur terre pour mettre à l'épreuve la foi des
croyants, est généralement assimilé au Bouddha historique Siddharta
Gautama, ce qui témoigne bien de la capacité de récupération de
l'hindouisme vis-à-vis de la religion bouddhique rivale. Enfin, le dixième
avatar est le Kalki, guerrier apocalyptique à tête de cheval, qui doit
se manifester à la fin de l'âge sombre (Kali-yuga), c'est-à-dire de l'époque
présente, pour purifier la Terre et rétablir l'ordre sacré (dharma).
Dans l'hindouisme tardif ou contemporain, la doctrine des
avatars a été utilisée pour accorder un statut divin à certains saints éminents,
comme par exemple Ramakrishna (1836-1886).
Le temple hindouiste est conçu
comme un microcosme et comme le centre d'un royaume. Sa vie est animée par un
cycle calendaire, au cours duquel la statue, mobile, du dieu sort en procession,
souvent sous l'apparence d'un souverain avec son épouse. Le rituel est en général
assuré par des brahmanes, vishnouites ou çivaïtes. La nourriture offerte dans
le culte (puja) est végétarienne. Les dévots viennent pour la vision
du dieu (darsana), font des offrandes, en nature et en argent[26],
pour les rituels et reçoivent la faveur divine (prasada) que sont les
"restes" consacrés des offrandes.
Les multiples dieux locaux,
subordonnés aux divinités du salut, sont commis aux besoins de ce monde et à
sa nécessaire violence. Leurs prêtres ne sont pas des brahmanes. Leurs temples
appartiennent à des unités discrètes de la société (groupes de résidences,
lignages) qui font les dépenses des rituels : mortifications, possessions et
sacrifices d'animaux. Parmi ces divinités, la déesse qui donne le mal et le guérit
a une place prééminente. Conçue comme l'énergie du dieu (çakti),
elle agit à sa place, combat les démons usurpateurs, qui deviennent ses dévots.
Dans le tantrisme, la déesse est la divinité suprême.
La richesse du panthéon hindouiste se traduit par un nombre quasi infini de fêtes religieuses dont les plus importantes sont :
Vers le VIIIème siècle,
Çankara fonda un ordre monastique de brahmanes ascètes (sannyasin). Sa
philosophie, celle du vedanta dans sa forme non dualiste, enregistre le développement
de la dévotion (bhakti) tout en composant avec l'orthodoxie brahmanique,
pour laquelle l'absolu ne privilégie aucune divinité personnelle. Ce qui ne
sera plus le cas avec deux autres théoriciens du vedanta, Ramanuja au
XIIème siècle et Madhva au XIIIème siècle, pour
lesquels l'absolu prend le nom de Vishnou.
À partir du XIIIème
siècle, les sectes se multiplient, constituent des institutions monastiques et
intègrent des disciples laïcs renonçant au monde. La tradition d'un maître
spirituel persiste, mais se transmet dans la lignée des gourous d'un
ordre de renonçants ou même de maîtres de maison. Ces courants
religieux vishnouites ou çivaïtes, parfois hostiles aux brahmanes, prônent l'égalité
de tous en regard du salut, mais composent avec la caste. Suivant leur tendance,
ils mettent l'accent sur une conduite de vie contrôlée, sur l'expression
affective de la dévotion (krishnaïsme[27])
ou sur l'inversion des valeurs (tantrisme). Par ailleurs, tout hindou, initié
ou non par un gourou, qui coupe ses liens sociaux peut rejoindre la
cohorte des mendiants religieux (sadhu). Ceux-ci parcourent les lieux de
pèlerinage et, s'ils attirent des disciples, leur qualité de gourou est
reconnue. En effet, l'homme, soucieux de son salut et de son statut en ce monde,
recherche, dans la relation de disciple à maître, qui est une forme du divin,
la connaissance et les techniques (méditation, ascèse, yoga) qui lui confèrent
la maîtrise de son être.
En 1897, Ramakrishna (Gadadhar
Chattopadhyaya, dit), mystique, dévot de la déesse Kali au terme d'une
vie d'ascète et d'extases mystiques, eut la révélation de l'unité des
religions ; il fonda alors un ordre religieux qui porte le nom de Ramakrishna et
fut divinisé en tant qu'avatar. Son enseignement s'est répandu dans le monde
entier, grâce à l'action de son disciple Vivekananda
Il faut également mentionner le sikhisme qui est une secte dissidente hindoue, comptant environ 8 millions d'adeptes, vivant essentiellement dans le Pendjab indien et dont le fondateur fut Nanak Kabir ou Nanak Dev (1469-1538). Pour le sikhisme, les signes extérieurs de la religion sont dépourvus de valeur et tous les hommes, indépendamment de leurs castes, ont le droit de rechercher dieu. Son livre sacré - l'Adi Grauth - fait remonter cette école à la période des gourous, d'Angad (1504 ; 1552) à Govind Singh (? ; 1708), qui organisèrent une théocratie militante, fondée sur le Khalsa (les "purs").
L'hindouisme n'a pas de vocation
au prosélytisme - on ne peut se convertir à l'hindouisme et les hindous n'ont
jamais mené de "guerre sainte" -
ni au manichéisme. Sa vision a englobé, en les hiérarchisant, les
valeurs positives élaborées par des siècles de civilisation et leurs
contraires. Comme l'homme, le divin est différencié en ce monde, dont il est
la définition totalisante. Il est à la fois un et multiple suivant le point de
vue considéré. À la limite, l'idée de dieu peut disparaître, car il reste
le rapport d'appropriation de l'homme au monde, une conception relationnelle et
religieuse de la partie au tout. Il n'y a pas d'exclusive : Jésus ou Allah sont
aussi des formes du divin pour un hindou. Les mystiques musulmans et hindous ont
partagé leurs sources d'inspiration. Les leçons missionnaires et coloniales
ont été réinterprétées par un nouveau type de renonçants, tels que
Ram Mohan Roy, Dayananda Sarasvati ou le Mahatma Gandhi. Ces guides spirituels
ont repensé le salut ultime, social et politique. Mais l'identité hindoue, en
tentant de se fixer, risque de perdre sa relativité et son âme dans les
tensions actuelles entre communautés.
Bien entendu, la caractéristique la plus connue de
l'hindouisme – en dehors de la vache sacrée – est son système de castes
qui, comme on l'a vu, lui est antérieur et a été l'un des motifs de la
naissance du bouddhisme.
La Constitution indienne de 1950
rend caduc en droit le système des castes, c'est-à-dire qu'elle ne supprime
pas les castes mais "toute discrimination fondée sur la religion, la race,
la caste, le sexe et le lieu de naissance" ; en effet, les castes restent
une donnée sociale active car elles représentent des structures
d'identification et de solidarité qui n'ont pas été remplacées. La rigueur
de l'organisation socio-économico-cosmique, dont certains s'échappent en se
convertissant au bouddhisme[28]
par exemple, a en effet sa contrepartie : ceux de la même "naissance"
constituent un véritable réseau d'intégration, comprenant parfois écoles,
dispensaires, aides de toute sorte…
Premiers colonisateurs de
l'Inde, au début du XVIème siècle, les Portugais ont désigné les
groupes composant la société indienne par le mot casta, qui s'apparente
au latin castus signifiant "pur, sans mélange". Le terme
renvoyait alors au grand nombre de groupes "étanches" désignés par
le terme jati. Par la suite, les varna furent également désignés
par le même mot. On accepte généralement l'idée que la hiérarchie des varna
est venue justifier la division sociale en jati, mais ces deux réalités
représentent des systèmes indépendants.
Les quatre varna correspondent aux quatre parties du
corps de l'Homme cosmique (Brahma), dont ils sont issus. Ainsi l'enseigne
le Dharmaçastra, ou Traité de la disposition naturelle des choses, dans
lequel sont codifiés ordre du monde et lois sociales :
L'ordre du monde repose donc sur
la distinction des activités comparable aux trois ordres de la société
occidentale. Le varna (ou couleur), c'est avant tout la classe au stade
primitif de la production. Mais cette classification est incomplète si l'on n'y
inclut pas ceux qui sont de par leur naissance intouchables, dont le
contact est impur mais dont les fonctions impures sont indispensables à la
marche du système. L'emploi du terme intouchable a été interdit par la
Constitution, ainsi que les interdits traditionnels (en fait, de véritables
persécutions) qui frappaient ces hindous. Gandhi leur attribuait le titre de harijan
(fils de Dieu).
Les intouchables font partie du
système de castes, alors que les étrangers, les chrétiens, les musulmans sont
véritablement des parias, hors du système, comme ceux qui ont dérogé
aux lois de leur catégorie de naissance.
Les jati (ou
"naissance") sont toutes rattachées à un varna. Chaque Indien
naît, vit et meurt dans la jati, c"est-à-dire un groupe
socioprofessionnel que l'on peut placer dans un des varna et dont les
membres reconnaissent cette affectation (dans une conception du monde où chacun
est à la place que lui ont value ses vies précédentes). C'est la corporation,
qui a ses lois, ses coutumes, ses particularités. Celui qui exerce un métier
en devient le propriétaire. Le travail se transmet de père en fils. La caste
se crée par affinités (genre de vie, communauté d'intérêts). Elle implique
un comportement social, des privilèges religieux, des interdits.
Chaque jati a son
tribunal, ses propriétés. Il pratique de préférence l'endogamie, pour éviter
le démembrement de l'héritage. Les jati sont mouvants : il s'en crée,
il en disparaît. Les jati traditionnels ne correspondent plus aux
professions actuelles (un "potier" peut devenir ingénieur) et ne
correspondent pas non plus à des niveaux de vie (il y a des brahmanes pauvres
et des intouchables ministres).
L'hindouisme ne manque pas d'être
sympathique par son exotisme, son polythéisme, son animalerie,
l'intérêt qu'il porte à l'érotisme – intérêt pouvant aller jusqu'à un véritable
culte -, la richesse, l'esthétisme et la profondeur de sa littérature, son féminisme
– du moins pour les dieux qui, pour être actifs, doivent prendre une
forme féminine -, sa musique, son architecture, ses techniques yogiques qui
peuvent être mises en œuvre en dehors de tout contexte religieux, sa médecine
traditionnelle à dimension fortement psychosomatique, l'usage d'une certaine herboristerie
– opium, haschisch, champignons hallucinogènes… -…, il n'en demeura pas
moins que :
A ce titre, comme à d'autres, l'hindouisme participe bien de l'aliénation religieuse et d'un projet anti-humain qui le rendent inacceptable, comme toutes les autres religions, à tout humanisme véritablement conséquent.
[1] Et qu'il ne cherche toujours pas à le faire.
[2] Ce qui est paradoxal dans la mesure où les textes védiques eux-mêmes ne seront écrits que beaucoup plus tard ! On retrouve ce procédé avec la Bible et le Coran.
[3] Upanishad désigne l'ensemble de textes sacrés du brahmanisme. La tradition reconnaît 108 Upanishad comme authentiques et les intègre au Veda. Les plus anciens, au nombre de 14, furent écrits entre 700 et 300 avant notre ère. Proposant une connaissance transcendante, ils se présentent eux-mêmes comme des supports menant à une réalité supra-naturelle, ineffable, celle de Brahma, du soi universel et de la relation de celui-ci avec l'atma, le soi individuel. Composés en sanskrit, les Upanishad constituent les premiers écrits philosophiques que l'Inde ait connus. Ces "Traités relatifs aux équivalences" (tel est le sens de leur titre) ne furent diffusés en Europe qu'à partir de la traduction latine qu'en réalisa Anquetil Duperron.
[4] La divinité indo-iranienne appelée Mitra ("l'Ami") en sanscrit et Mithra en avestique est décrite dans les Veda et dans l'Avesta comme étant le dieu des contrats et de la solidarité (Il était lev fils de la déesse Aditi, qui, avec ses sept frères, forme le groupe des Aditya). Si son rôle est demeuré secondaire en Inde, où son culte ainsi que celui de son frère Varuna déclinèrent très vite, il n'en fut pas de même en Iran, où il prit une importance croissante et où il fut l'objet d'un culte très populaire ; ce culte, transporté hors des limites de la Perse et agrémenté d'éléments étrangers, devint le noyau d'une religion avec initiation et enseignement ésotérique, connue sous le nom de mithriacisme.
[5] Qui, avec l'hindouisme, deviendra le dharma.
[6] Cette substance mystérieuse est comparable à l'ambroisie des Grecs ou au haoma des anciens Iraniens et provenait sans doute du suc d'un champignon hallucinogène, l'amanite fausse oronge ou tue-mouches
[7] A l'époque védique, le rite fondamental est l'agnihotra, la libation quotidienne de lait versée dans le feu sacré).
[8] Il existe aussi un yoga bouddhiste et un yoga jaïniste.
[9] Qu'il ne faut pas confondre avec l'ours des dessins animés !
[10] Gourou ou guru (du sanskrit "important", puis "vénérable"), maître spirituel. Avant de suivre l'enseignement d'un gourou, le futur disciple doit démontrer qu'il le mérite et recevoir une initiation. Autour de chaque gourou se constituent des groupes religieux, des communautés dont la norme est l'hindouisme, mais qui peuvent s'en écarter considérablement. Le titre de gourou est conféré par les disciples, jamais par son titulaire ou par ses pairs.
[11] Mircea Eliade, le Yoga. Immortalité et liberté, 1954
[12]
Le terme indo-européen désigne une langue dont on suppose
l'existence à une époque très ancienne et dont seraient dérivées toutes
les langues dites "indo-européennes", parlées en Europe et en
Asie. Celui d'indo-européens un peuple de cultivateurs – ils
connaissaient la charrue et la roue – et d'éleveurs,
formant une société très hiérarchisée, fondée sur le patriarcat
et dont le berceau correspond au territoire qui s'étend du bassin du Dniepr
en direction du haut Ienissei, comprenant la haute vallée de la Volga et
les steppes du Kazakhstan ; ainsi, à l'origine, les indo-européens
correspondraient à la civilisation dite "Kurgan" qui, au cours
des IVème et IIIème millénaire avant notre ère se serait
répandue en direction des Balkans, de l'Anatolie et de l'Iran, en passant
par la Caucasie. Avant le IIème millénaire, cette dissémination
se serait faite sur la plus grande partie de l'Europe centrale et
septentrionale et serait à l'origine de la constitution des dialectes de
l'indo-européen commun en langues distinctes.
Les aryens (du sanskit arya,, "noble") sont une souche indo-européenne qui, au terme de l'expansion précitée, se sont primitivement établis sur le plateau iranien au cours du IIIème millénaire avant notre ère. Vers 1500 avant notre ère, pour des raisons qui n'ont pas été établies avec précision (bouleversements climatiques, famine, surpopulation… ?), ils ont émigrés vers l'Inde où ils se sont établis aux dépens des populations autochtones et, notamment, des dravidiens (cette conquête est relatée dans les Vedas ainsi que dans les tablettes de textes cunéiformes découvertes à Bogasköy, ancienne capitale des Hittites). Ils ont alors fondé l'Inde à proprement parler et institué le védisme. Les plus anciens textes védiques sont une justification divine de la conquête: nés pour le meurtre de Dasa – divinité dravidienne personnalisant l'une des composantes ethniques locales - , les aryens reçurent d'Indra, leur dieu suprême, l'ordre d'imposer son dharma par la guerre sainte. Au Xème siècle, la société aryenne se présentait de façon très hiérarchisée: au sommet de la pyramide, les brahmanes, ensuite les guerriers, puis les commerçants et éleveurs et, enfin, les esclaves (généralement des Dasa, autochtones dravidiens)..
[13] Dravidiens : Indiens du Deccan, de traits non négroïdes, mais à pigmentation souvent très foncée (environ 200 millions d'individus). Les Dravidiens, dont on connaît mal l'origine, étaient établis en Inde avant l'arrivée des Aryens (IIème millénaire avant notre ère). On les trouve aussi au nord-est du Sri Lanka.
[14] Qui tout à la fois est une nouvelle religion et l'évolution/transformation de religions anciennes – védisme et brahmanisme – et sera une constante assimilation – syncrétisme – d'éléments religieux externes – bouddhisme en particulier -.
[15] Dans l'hindouisme, le dharma est à la fois la loi universelle qui régit le cosmos et la loi qui régit tous les domaines de l'activité individuelle (religieuse, sociale, politique, etc.).
[16] On notera la similitude entre le maître de maison hindou et le pater familias romain.
[17]
La Bhagavad-Gita, grand poème philosophique et religieux de l'Inde,
dont le titre sanskrit signifie "le Chant du Bienheureux", se
compose d'environ sept cents distiques divisés en dix-huit chapitres. La
plus ancienne date de composition donnée par des érudits occidentaux est
le IIème siècle avant notre ère. C'est l'un des trois
principaux textes canoniques de l'hindouisme (les deux autres étant les Upanishad
et les Brahmasutra), et il a été interprété par presque tous les
grands philosophes et théologiens indiens, dont le plus ancien fut Çankara
ou Shankara (vers 800).
La Bhagavad-Gita
fait partie du livre VI du Mahabharata. C'est un dialogue entre Krishna,
manifestation suprême de la divinité, et Arjuna, prince guerrier,
le troisième des frères Pandava. Les Pandava sont en guerre
contre leurs cousins, les Kaurava, qui les ont dépouillés de leur
royaume ancestral. La veille de la bataille, Arjuna, déprimé à la
pensée de l'imminente tuerie de ses parents et ses amis, demande l'avis de
son aurige, Krishna, sur son devoir.
La Bhagavad-Gita n'offre pas un système clos de philosophie ou de théologie, mais traite de tous leurs problèmes essentiels, comme l'âme, la divinité absolue, la création, la perfection. C'est un manuel de discipline, portant sur la voie de la dévotion au Dieu personnel bhakti-yoga, la discrimination philosophique jnana-yoga, l'activité juste karma-yoga et la concentration raja-yoga. Elle insiste, toutefois, sur l'accomplissement du devoir selon la nature innée dharma de chacun par ceux qui s'identifient encore au corps et au monde. Ce devoir doit être accompli avec détachement, en remettant les résultats à Dieu. L'abandon du devoir est prescrit à ceux-là seuls qui ont réalisé l'irréalité du monde. De même, la dévotion désintéressée à dieu est estimée plus facile à pratiquer que la contemplation de l'Absolu. La perfection est décrite du point de vue cosmique et acosmique ; l'âme arrivée à la perfection peut réaliser l'identité avec la Réalité suprême ou maintenir sa différence. L'univers est une projection de la Divinité suprême dont la nature inférieure manifeste les corps matériels, et la nature supérieure leur insuffle la vie. La Divinité suprême est décrite, de différentes perspectives, comme Pur Être, le dieu personnel, et l'Incarnation. L'âme est essentiellement Esprit sans naissance ni mort, mais est phénoménalisée par le pouvoir de maya, l'illusion cosmique. Par la connaissance de dieu, et par sa grâce, l'homme peut se libérer de l'asservissement de la matière.
[18] Krishna est le huitième avatar du dieu Vishnu. Né à Mathura (sud-est de Delhi), il fut sauvé du massacre de ses frères et élevé dans les environs de la Yamuna (affluent du Gange) ; il s'adonna aux plaisirs de l'amour avec d'innombrables bergères gopis et, en particulier, avec sa préférée, Radha. Ces aventures forment le récit érotico-mystique de la Gita-Govinda. Devenu adulte, Krishna mena une vie héroïque, que relate le Mahabharata..
[19]
Dans les Veda, maya désigne le pouvoir magique que le dieu Varuna
donne à ses fidèles. Dans les Upanishad, il est l'illusion
cosmique.
[20]
Brahma est habituellement mentionné comme le premier dieu de la trimûrti
(ou "trois-formes" c'est-à-dire triple manifestation divine)
hindoue aux côtés de Vishnu et de Çiva. Il apparaît pour
la première fois dans les Brahmana comme la personnification du brahman.
Il représente la dimension créatrice du divin, là où Vishnu est défini
comme le Conservateur du monde et Çiva comme le Destructeur. En réalité,
la notion de trimûrti apparaît plus comme une construction
philosophique abstraite que comme l'expression de la foi hindoue vivante ;
pour celle-ci, Brahma n'a jamais été adoré en tant que dieu suprême
comme le sont respectivement Vishnu et Çiva dans les écoles
vishnuite et çivaïte. Son culte est peu actif et aucune école religieuse
ne se réclame de lui. Malgré son importance théorique dans le panthéon, Brahma
est très peu vénéré : dans tout l'espace hindou, seuls quelques rares
temples lui sont consacrés.
Brahma
est le directeur du Ciel, le maître des Horizons, l'Embryon d'or qui donna
naissance à la création ; sa Çakti, c'est-à-dire son énergie féminine
assimilable à une parèdre, est la déesse Sarasvatî. Il est généralement
représenté avec quatre visages et quatre bras; son animal support est
l'oie ou le cygne et sa couleur le rouge.
Le nom de Brahma, terme masculin, ne doit pas être confondu avec le mot neutre brahman qui se rapporte originellement à l'énergie divine présente dans le rite védique, et qui, dans les conceptions philosophiques plus tardives, notamment celles du vedanta, désigne le divin en tant qu'absolu, au-delà de toute représentation et de toute affirmation d'attributs positifs.
[21] Vishnu ou Vichnou, avec Çiva, il est le dieu le plus important du panthéon hindou contemporain, bien qu'il soit le plus souvent adoré par l'intermédiaire de ses avatars ("descentes divine"») dont les plus populaires sont Krishna et Rama. Le nombre des avatars majeurs de Vishnu est traditionnellement fixé à dix, mais les textes tardifs lui attribuent de nombreux autres avatars mineurs. Il doit revenir à la fin du présent cycle temporel (le Kali yuga) sous le nom de Kalkin. Par opposition à Çiva qui est le maître du temps, Vishnu est l'organisateur de l'espace : il représente donc la dimension de protection et de préservation du monde alors que Çiva est le destructeur assimilé au temps qui abolit toute chose. À l'époque védique, le roi des dieux était Indra. Vishnu, assimilé au soleil et représenté par lui, n'a acquis la place prépondérante qui est la sienne qu'à une époque plus tardive. Vishnu possède deux Çakti, c'est-à-dire deux formes féminines qui lui permettent d'agir (le principe masculin étant réputé passif) : Lakshmî et Bhû Devî. Son animal-support est l'oiseau Garuda. À l'intérieur du monde hindou, le vishnuisme représente essentiellement la dimension de la bhakti, c'est-à-dire de la dévotion amoureuse au Seigneur. De ce fait, Vishnu est la divinité la plus niversellement adorée en Inde, principalement à travers Krishna (le "Noir"), son huitième avatar. Certains mouvements krishnaïtes (comme l'Association internationale pour la conscience de Krishna) vont jusqu'à faire de ce dernier le dieu suprême.
[22] Pas de lapsus et de confusion avec… préservatif !
[23]
Çiva, Shiva ou Siva, souvent appelé Mahadeva
(le Grand Dieu) est le dieu le plus important du panthéon hindou actuel
avec Vishnu. À l'époque védique, Çiva n'était qu'un dieu
secondaire par rapport à Rudra, le dieu de la tempête, dont il a hérité
certains des attributs. La shakti de Çiva, c'est-à-dire son
principe féminin qui lui permet d'agir, est la Mahadevi (la Grande Déesse)
adorée aussi sous les noms de Parvati, Kali ou Durga.
Un de ses fils est Ganeça, le dieu à la tête d'éléphant, un des
plus populaires du panthéon hindou contemporain.
Çiva,
appelé aussi Mahakala (le Grand Temps), a le pouvoir de dissoudre le
monde des phénomènes pour le ramener à l'unité divine. Cet aspect
destructeur est perçu donc comme positif puisqu'il met fin à l'illusion de
la manifestation en donnant aux êtres la possibilité de réintégrer leur
source éternelle: en ce sens, Çiva est adoré comme Mahayogi (le
Grand Yogi) ou Sadguru (le Vrai Gourou) qui a le pouvoir de guider
ses dévots vers la réalisation ultime.
À la différence
de Vishnu, Çiva ne s'incarne pas dans des avatars car il se
tient en dehors de sa création. Le symbole le plus fréquent par lequel il
est représenté est le lingam (souvent assimilé au phallus) et son
animal-support est le taureau blanc Nandin.
À l'intérieur de l'ensemble hindouiste, il existe des courants philosophico-religieux çivaites qui font de Çiva le dieu suprême vis-à-vis duquel les autres dieux ne sont que des émanations secondaires. Le çivaisme est notamment prédominant dans le tantrisme.
[24] L'équivalent d'Adam. Dans le védisme, Manu est le premier homme. Comme Noé, prévenu, il échappa au Déluge en construisant un bateau. Avec la femme qu'il façonna une fois les eaux retirées, il engendra l'humanité.
[25] A la différence de la Genèse, c'est Manu, le premier homme, qui survit au déluge et non un successeur comme Noé.
[26] C'est ce que l'on appelle l'honoraire sacrificiel !
[27] Cette tendance se fonde notamment sur le Gita-Govinda, poème écrit en sanskrit par le bengali Jayadeva (XIIème siècle). Ce "chant du bouvier" glorifie les amours de Krishna et de sa maîtresse Radha. Le texte évoque la passion malheureuse de Radha tandis que Krishna séduit les nombreuses gopi (bouvières) des environs de la Yamuna (affluent du Gange). Ce poème d'origine profane est interprété en termes religieux : les élans de Radha symbolisent l'âme à la recherche d'une union transcendantale
[28] L'essor de l'islam en Inde s'explique, pour une large part, par cette fuite du système des castes.