Mazdéisme,
mithriacisme et manichéisme
Dérivé du mot mazda
("sage" en avestique), le mazdéisme désigne la religion des anciens
Perses ou Iraniens attestée dès le IIème millénaire avant notre
ère, et que l'on nomme souvent abusivement zoroastrisme, du nom du réformateur
Zarathoustra ou Zoroastre[1].
Les origines du mazdéisme se
confondent dans la nuit des temps avec celles du brahmanisme, ce qui en fait une
des plus anciennes religions de l'humanité. À une date qu'il est impossible de
fixer, même approximativement, le groupe ethnique auquel appartient en propre
l'appellation d'Aryens, et qui habitait une région septentrionale de l'Asie
centrale, se scinde en deux rameaux, dont l'un envahit l'Inde, tandis que
l'autre s'installe en Iran.
L'indice le plus évident de
cette même origine est l'étroite parenté entre le sanscrit, langue sacrée
des hindous, et l'avestique, langue sacrée des mazdéens, ainsi que de
nombreuses similitudes dans la doctrine des uns et des autres. Il y a tout lieu
de penser que ce fut un désaccord sur le plan doctrinal qui provoqua cette séparation,
désaccord dont on relève la trace jusque dans le vocabulaire, où certains
mots essentiels tels que deva et asoura présentent en avestique (dev,
démon, et ahoura, dieu-seigneur) un sens diamétralement opposé à
celui qu'ils ont conservé en sanscrit. D'autres traits marquent cette
divergence : le célibat ascétique, exalté en Inde, est réprouvé en Iran ;
le chien, animal impur pour les hindous, est vénéré par les mazdéens ;
l'incinération des morts, pratiquée par les premiers, est considérée par les
seconds comme sacrilège… Les livres sacrés des mazdéens portent le nom
collectif d'Avesta, d'où le nom d'avestique donné à la langue qu'ils
emploient.
On ignore, évidemment, si
toutes ces divergences existaient déjà quand les deux clans aryens se séparèrent
ou, au contraire, si elles sont intervenues par la suite sous l'influence du
prophète Zarathoustra. Celui-ci, en effet, semble avoir été plutôt un réformateur,
bien que les auteurs de l'Antiquité sans exception, ainsi que la tradition
iranienne, aient toujours vu en lui le fondateur de la religion mazdéenne. Dans
une prière, les mazdéens déclarent être les adorateurs d'Ahura-Mazdâ
(le maître de l'Univers, représenté à Persépolis par un disque entouré de
deux ailes et d'une queue d'oiseau) et les adeptes de la doctrine de
Zarathoustra auquel la vérité a été révélée, dans des colloques directs,
par Ahura-Mazdâ, sachant que cette référence à la révélation divine
est courante chez tous les réformateurs. L'enseignement de Zarathoustra est
consigné dans les Gathas, hymnes qui forment une partie de l'Avesta.
Sur le plan historique, le
contraste entre les deux religions issues d'une souche commune n'est pas moins
remarquable. Alors que le brahmanisme a pu se développer dans les plaines du
Gange pendant de longs siècles, sans grands heurts et surtout sans dommages
pour sa prodigieuse productivité littéraire, le mazdéisme s'est trouvé aux
prises pendant mille ans avec de multiples dominations étrangères et, au cours
des persécutions, ses livres furent systématiquement détruits. Parthes,
Grecs, Romains, Mongols et Arabes se relayèrent pour éliminer en terre d'Iran
la religion de Zarathoustra. La conversion forcée à l'islam de toute la
population iranienne, lors de la conquête de la Perse par le calife Umar, n'a
laissé subsister qu'une infime minorité de croyants, dont les représentants
actuels se trouvent dans le Caucase iranien : les Guèbres (actuellement, ils
sont au nombre d'environ 30 000) ; et en Inde, dans la région de Bombay : les
Parsis, à qui l'on doit la conservation partielle de la bible mazdéenne[2].
Guèbres et Paris continuent de perpétuer leurs rites ancestraux : présentation
de l'enfant à l'âge de sept ans à la communauté ; port de la ceinture,
symbole de leur lien à la religion, et prières, cinq fois par jour, devant un
feu, en dénouant et renouant leur ceinture…
Les mazdéens ne sont pas des adorateurs
du feu, comme les appelaient les envahisseurs musulmans. Leur adoration
s'adresse à Ahura-Mazdâ (le Seigneur Grand Sage), à Mithra
(dieu du soleil)[3],
à Anahita (déesse principalement de la fécondité), et à bien
d'autres dieux. Le feu, pour les mazdéens, est une manifestation éminente de
l'omniprésence divine, et à ce titre il doit être préservé de tout contact
impur, en particulier des corps en décomposition. Les morts sont exposés dans
les dakhma (sépultures ou "tours du silence"), où ils sont dévorés
par les vautours. L'eau aussi fait l'objet d'une profonde vénération : encore
aujourd'hui, certaines sources en Inde et en Iran sont considérées comme sacrées.
Ce n'est que plus tard qu'apparaît
la notion dualiste d'un dieu bon (en persan Ormuzd) et d'un dieu mauvais
(Ahriman). Ormuzd est tout-puissant, mais, jusqu'à la
consommation des siècles, son pouvoir est entravé par l'action d'Ahriman,
le génie du mal. La lutte qui oppose ces deux principes durera autant que
l'humanité elle-même et se terminera avec le triomphe définitif d'Ahura-Mazdâ
et la disparition ou, mieux, la transformation, d'Ahriman par la réintégration
de la dualité dans l'unité divine. Les méchants auront entre-temps
expié leurs méfaits dans les épreuves de la réincarnation ou dans les
tourments de l'enfer et ils renaîtront comme les bons avec un corps
glorieux. Le mazdéisme est donc une religion eschatologique : à la fin des
temps se produira une conflagration universelle ; le monde sera envahi par un
fleuve de feu, puis viendra la résurrection de tous les humains et
l'annihilation des forces du mal. Le manichéisme[4], le priscillianisme[5] et l'hérésie albigeoise
présentent des analogies avec le mazdéisme.
Si le dualisme qu'on attribue au
mazdéisme n'a rien de fondamental, l'antagonisme du bien et du mal y apparaît,
toutefois, avec un relief qu'on ne retrouve pas dans d'autres doctrines (à
l'exception du manichéisme). Il est d'autant plus accusé qu'il commande une répartition
minutieuse et sans nuance de tout ce qui existe, en êtres et choses purs et
impurs, avec une masse de prescriptions rigoureuses à l'adresse des humains,
pour la sauvegarde d'un état de pureté qui les associe à Ahura-Mazdâ,
dans son combat incessant contre Ahriman. Il en résulte l'impression que
la dogmatique mazdéenne n'envisage que l'action méritoire et ne tient aucun
compte, au contraire de l'hindouisme, de la valeur salvatrice de la
connaissance.
C'est là une appréciation qui
appelle des réserves, car la morale prescrite par Zarathoustra se rattache à
un ensemble aussi vaste que complexe de données théologiques, cosmologiques,
liturgiques et autres. La pureté, sur laquelle il est tant insisté dans le
mazdéisme, doit être entendue avec les multiples acceptions que comporte le
mot dharma pour les hindous. Sous cet angle, la pureté mazdéenne
signifie une participation au maintien de l'ordre cosmique, en collaboration
avec les puissances intermédiaires, qui sont autant de degrés d'intelligence
de plus en plus élevés, à partir du niveau humain jusqu'au plan divin.
Selon l'Avesta,
il existe une hiérarchie d'archanges et d'anges qui constitue l'armature
invisible de l'Univers. Au sommet, se placent les saints immortels, au nombre de
sept, appelés Amshaspends, lesquels correspondent à la manifestation
informelle. Viennent ensuite différentes catégories de Yazata les anges
exécuteurs, qui correspondent aux entités du monde subtil parmi lesquelles
figure le Feu, principe purificateur et véhicule de l'âme dans son ascension
spirituelle. Parmi les catégories de Yazata on trouve notamment celle
des Favrasis qui sont les mânes des défunts, auxquels il faut rendre un
culte les dix derniers jours de l'année et qui, tout en restant cachés, sont
des génies bienfaisants en communion réelle avec l'humanité. Ce sont également
des anges tutélaires ayant pour mission de protéger toute âme humaine et de
recueillir le fruit de ses actes vertueux, accomplis sous leur inspiration et
dont dépend leur existence.
Dans ce panthéon angélique, on
retrouve, réunies sous un même vocable et exprimées en termes théologiques,
les conceptions hindoues du karman (ou karma) et des pitri.
On peut considérer que, à bien des égards, l'hindouisme, dans le prolongement syncrétique du védisme et du brahmanisme, est une continuité du mazdéisme, même si cette continuité fut de rupture.
[1]
Zarathoustra (en avestique), Zoroastre (en grec) ou Zarathushtra en persan,
réformateur religieux et mystique iranien n'est pas le fondateur de la
religion des anciens Perses comme on le croit généralement, mais son réformateur,
plusieurs siècles après l'installation des aryens en Iran et en Inde. On
nomme Gatha l'ensemble des textes attribués à Zoroastre. La réforme
qu'il introduisit entraîna l'abandon, en Iran, des anciens sacrifices, à
l'exception de celui du feu, grâce à la promulgation d'un code éthique
aussi minutieux qu'austère qui fondait le culte «"de la pensée pure,
de la parole pure et de l'action pure" (G. Dumézil).
La
vie de Zarathoustra est en grande partie légendaire. Sa date et son lieu de
naissance, comme la signification étymologique de son nom, demeurent un
sujet de controverse. Le VIIème siècle avant notre ère
est une date approximative qui s'accorde avec la tradition pehlvie.
Christensen, in l'Iran sous les Sassanides, a établi qu'à partir de
cette époque le mazdéisme est attribué, par les Mèdes, à Zoroastre. Si
l'on s'en tient à la tradition des parsis, le prophète serait né à
Ouroumyah, dans l'Atropatène, l'actuel Azerbaïdjan, ou à Ragès, dans
l'ancienne Médie. Il serait d'origine princière et aurait, pendant de
longues années, vécu dans une retraite au cours de laquelle il aurait eu
de nombreux entretiens avec Ormuzd et les saints immortels, les Amshaspends.
Le Grand Dieu lui ordonna d'aller convertir le roi Gusthâsp, dont la cour
était dominée par des prêtres adonnés à la magie. Avec l'aide de ce
roi, sa propagande s'étendit vers l'est, en Bactriane, et il serait mort en
583 avant notre ère., à l'âge de 77 ans, tué par un Touranien.
Une tradition, dont Pline l'Ancien s'est fait l'écho dans son Histoire
naturelle, rapporte que c'est en riant que Zoroastre serait venu au
monde. Nietzsche a choisi Zoroastre comme symbole de ses idées personnelles
sur le "surhomme" dans Ainsi parlait Zarathoustra.
[2] Les parsis (ou parses), d'origine iranienne, ont fui les persécutions des musulmans à partir de 716, et se sont installés en Inde, dans la région de Bombay, dont ils ont fait leur capitale religieuse ; ils sont aujourd'hui quelque 100 000 et jouent un rôle économique et politique important en Inde.
[3] Dans le Veda et l'Avesta, Mithra est le fils de la déesse Aditi, et avec ses sept frères forme le groupe des Aditya.
Mitra (l'Ami") en sanscrit et Mithra en avestique est décrit dans ces deux textes comme étant le dieu des contrats et de la solidarité. Si son rôle est demeuré secondaire en Inde, où son culte ainsi que celui de son frère Varuna déclinèrent très vite, il n'en fut pas de même en Iran, où il prit une importance croissante et où il fut l'objet d'un culte très populaire ; ce culte, transporté hors des limites de la Perse et agrémenté d'éléments étrangers, devint le noyau d'une religion avec initiation et enseignement ésotérique, connue sous le nom de mithriacisme.
Les adorateurs de Mithra reconnaissaient une divinité unique manifestée par la lumière des astres, surtout le Soleil, brillant et invincible, ennemi de la nuit et des démons. Mithra, ange de la lumière, était un serviteur du dieu suprême Ahura Mazda (Ormuzd) et l'intercesseur des hommes auprès de lui.
Le mithriacisme fur un religion très austère ; les initiés étaient soumis à des épreuves, puis baptisés par aspersion avec le sang d'un taureau sacrifié (taurobole) pour devenir "frères d'armes". Les prêtres enseignaient que par la pratique de certains rites de purification, d'abstinence et de communion on pouvait participer à la nature des astres lumineux et immortels. Il se répandit d'abord en Asie Mineure, en Égypte, puis en Italie où il fut apporté par les légions romaines et d'où il passa en Gaule, en Germanie et en Espagne. Il tint tête au christianisme jusqu'au IVème siècle, époque à laquelle il se heurta aux persécutions de l'empereur Théodose, dont un édit, en 391, interdit "le culte païen" et les sacrifices sous peine de mort. L'empereur Julien, par contre, fut un adorateur de Mithra.
Dans la mithriacisme, Mithra est généralement représenté sous les traits d'un jeune homme coiffé d'un bonnet phrygien et vêtu d'un manteau flottant, d'une tunique courte et d'un pantalon oriental ; il poignarde un taureau qu'il a terrassé. À Rome, le temple de Mithra était creusé sous le mont Capitolin, les mystères mithriaques se célébrant dans une caverne, à proximité d'une source.
[4]
Le manichéisme est la doctrine établie par le perse Mani ou Manès
(216-276). Encouragé par le roi Chahpuhr Ier, Manès alla prêcher
jusqu'en Inde à la faveur des expéditions de ce dernier et dans de
nombreuses régions à l'occasion des voyages de son fondateur. Prétendant
à l'universalité, le manichéisme se répandit dans l'empire romain et ultérieurement
dans le monde musulman. Manès demandait d'ailleurs à ses adeptes
d'"errer perpétuellement dans le monde, prêchant la doctrine et
guidant les hommes dans la Vérité". Des fragments de textes ont été
retrouvés au nord-ouest du Turkestan chinois et rédigés en différents
dialectes persans, en chinois et en vieux turc (ouïghour). Cette diversité
témoigne de la fabuleuse extension de la doctrine de Mani. Le manichéisme
subsista en Orient jusqu'au XIVème siècle. Au Moyen-Âge,
les cathares furent considérés comme des manichéens.
Manès,
peintre, calligraphe et poète, se considérait comme le Paraclet annoncé
par Jésus et porteur d'une nouvelle révélation. Son étude repose sur le
témoignage de saint Augustin qui le réfuta dans ses Confessions,
ainsi que sur des sources syriaques, arabes, persanes, pahlavies ou arméniennes.
Combinant des éléments chrétiens, zoroastriens et bouddhistes, la doctrine est fondée sur une conception dualiste du monde: celui-ci est gouverné par l'antagonisme radical du Bien (la Lumière, l'esprit) et du Mal (les ténèbres, la matière). L'homme, enfermé dans la matière, doit s'en libérer par la connaissance.
[5]
Priscillianisme, doctrine hérétique de Priscillien, mélange de
sabellianisme (de Sabellius, héréiarque du IIIème siècle,
partisan du monarchianisme, répandu en Asie Mineure, à Rome et à Carthage
vers 200, qui niait la Trinité et affirmait l'unité - la
"monarchie" - de l'essence divine, douée de trois "modalités"),
de docétisme (du grec dokein, "paraître", doctrine hérétique
du IIème siècle, niant la réalité sensible et humaine de Jésus-Christ),
de panthéisme et de manichéisme, excommunié par Calixte Ier. Les
priscillianistes disparurent après leur condamnation par le concile de
Prague (563).