Petit kaléidoscope de l'anarchisme

Avertissement : Je ne suis ni historien, ni théoricien de l'anarchisme. Juste… un libertaire !

A entendre et à lire ce que l'on dit du mouvement anarchiste – des femmes et des hommes ; des héroïnes, des héros et, aussi, des victimes ; des idées, des pensées, voire des théories ; des actions, des combats, des luttes ; des groupements ; des objectifs ; des méthodes ; une histoire… -, il m'a semblé qu'il importait de lever des malentendus, clarifier certains points, rétablir des exactitudes historiques…

Anarchisme, anarchie, anarchistes ont eu cette gloire ou ce malheur de tomber dans le vocabulaire commun. Ce faisant, ils se sont alourdis de contresens, d'erreurs, de mensonges, de préjugés, de phobies… Ils se sont même salis de cette vulgarité qui est celle de cette haine viscérale que leur vouent certains/es et dont la vulgarité trouve son origine dans la fange putride où se vautrent les bonnes consciences qui la porte.

Il m'a donc également semblé nécessaire de rendre à l'anarchisme cette grandeur d'âme, de cœur et de sang, cette générosité, cette beauté, cet héroïsme sublime, cette insolence vivifiante, cette spontanéité, cette simplicité, cette dignité…. qui sont les siennes.

Pour ce faire et afin de rester le plus impartial possible, il m'a semblé que le meilleur moyen était de compiler des écrits d'historiens – nullement anarchistes mais entièrement objectifs et honnêtes dans leur science -, quitte à les réorganiser et les compléter de remarques personnelles. J'espère avoir réussi.

D'emblée, je me lance en donnant ma définition personnelle de l'anarchisme : l'anarchisme, c'est la forme la plus achevée de l'humanisme. Un humanisme athée qui vit un amour passionné – et, parfois, passionnel – pour et de la liberté.

Pour moi, le drapeau de l'anarchisme est… noir. Ce noir n'est pas celui du deuil des chrétiens… Les anarchistes

[Ils] ont un drapeau noir
En berne sur l'Espoir
Et la mélancolie
Pour traîner dans la vie
Des couteaux pour trancher
Le pain de l'Amitié
Et des armes rouillées
Pour ne pas oublier
Qu'y'en a pas un sur cent et qu' pourtant ils existent
Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous
Joyeux et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout
Les anarchistes

(Léo Ferré, Les anarchistes)

 

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Première partie : Un mouvement d'idées

Le mot anarkhia désigne l'absence de chef, la situation d'un peuple sans chef. Mais l'absence de chef n'emporte pas pour autant absence d'autorité ! Si l'absence de chef est bien la condition du pouvoir de chacun, l'anarchie est une harmonie sociale qui s'atteint et se réalise sans contrainte en raison de l'absence de pouvoir et d'autorité, en ce sens elle est la plus haute expression de l'ordre.

Qu'elle soit religieuse, économique ou politique, l'autorité est condamnée par l'anarchisme en tant que source de répression arbitraire et d'atteinte irréversible à la liberté, à l'égalité et à la solidarité. Tout ordre ne vise qu'à assurer la puissance de quelques privilégiés. Aussi, pour que la liberté, l'égalité et la solidarité – la fraternité humaine – puissent s'instaurer, tous les pouvoirs doivent être annihilés. Là où il y a du pouvoir et de l'autorité, il n'y a pas de liberté de penser, d'agir et… d'être. La liberté individuelle constitue donc la valeur suprême qui ne saurait toutefois se réaliser aux dépens des autres alors que la liberté d'entreprise du libéralisme capitaliste se fait nécessairement aux dépens des exploités ! Dans ce cadre, les partis politiques ne trouvent aucune légitimité du fait, en particulier, que leurs membres doivent se soumettre aux choix – et donc à l'autorité – des instances supérieures. La liberté individuelle est certes nécessairement limitée, ne serait-ce que par celle des autres, mais cette limitation peut se faire en dehors de toute contrainte, de toute autorité, de tout pouvoir, par l'association et le fédéralisme.

On le comprend donc : l'abolition de l'État est un objectif partagé par l'ensemble des anarchistes, ce qui les distingue radicalement et définitivement des communistes marxistes : les premiers prônent son abolition immédiate alors que les seconds n'évoquent que son dépérissement au terme d'une phase transitoire qui est celle de la dictature du prolétariat ! Cette différence d'objectif induit une différence de méthode : les marxistes veulent conquérir le pouvoir de l'État pour l'abolir ensuite alors que les anarchistes se proposent d'organiser la Société à la base de telle sorte que l'État devienne, de lui-même, caduc.

La critique anarchiste de l'État est donc radicale puisque celui-ci, par nature, est répressif et source d'injustice et que sa seule vocation est de conserver l'ordre – notamment économique en place – et donc les intérêts de certains privilégiés : les possédants.

Cette opposition entre anarchistes et marxistes fut au cœur des débats de l'Association Internationale des Travailleurs – Première Internationale – et, le 15 septembre 1872, grâce à un coup de force de Marx, les anarchistes avec Bakounine, James Guillaume, Adhémar Schwitzguébel… en furent exclus[1].

Si le terme anarchiste apparaît sous l'Ancien Régime avec le sens négatif de désordre, de chaos – Babeuf n'a-t-il pas traité… Louis XVI et Lafayette d'… anarchistes, ce qui pour lui était une insulte quasi suprême ! -, sens qu'il conserve sous la Révolution – Jacques Roux fut accusé de vouloir instauré… l'anarchie -, sa première utilisation avec un sens positif est sans doute due à Joseph Proudhon qui, en 1840, exposant la forme de gouvernement auquel il aspirait, s'est dit républicain anarchiste. Cependant, ce n'est que plus tard que le terme d'anarchistes sera couramment utilisé pour désigner au sein de l'Internationale les partisans du  collectivisme qui, avec, notamment, Bakounine, s'opposaient au communisme autoritaire de Karl Marx. Et ce n'est qu'en 1877 que le terme anarchisme est employé au sens qu'on lui reconnaît aujourd'hui par James Guillaume dans le Bulletin de la fédération jurassienne.

Ainsi, et pour faire simplevraiment simple ! -, l’anarchisme est un mouvement d’idées et d’action qui, en rejetant toute contrainte extérieure à l’homme, se propose de reconstruire la vie en commun sur la base de la volonté individuelle autonome.

Ainsi, bien que l’anarchisme militant ne se manifeste que vers la fin du XIXème siècle avec Bakounine, Élisée Reclus, Kropotkine, Malatesta, Proudhon… les lignes essentielles de la doctrine anarchiste se précisent dès la première moitié du siècle[2].

La Révolution française a institué un divorce radical entre l’État, qui repose sur les principes éternels de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, et la société qui est dominée par l’esclavage économique, l’inégalité sociale et la lutte des classes. Cette contradiction a semblé d’autant plus insupportable que la Révolution française proclamait en même temps que l’individu est une fin en soi et que toutes les institutions politiques et sociales doivent servir à son plein et entier épanouissement[3].

Or, à l'évidence, la liberté politique paraît illusoire, voire néfaste, à ceux qui, en vertu même de ces principes, subissent une servitude sociale et économique. La première réaction antiétatiste a sans doute la "conspiration des Égaux" dirigée par Gracchus Babeuf et visant à substituer à l’égalité politique l’"égalité réelle" : "Disparaissez, lit-on dans son Manifeste , révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernement et de gouvernés".

L’anarchisme en tant que doctrine philosophique est intimement lié à l’histoire de l’hégélianisme. La réalité objective étant pour Hegel issue de l’esprit, l’objet qui semble séparé du sujet finit par y retourner afin de constituer cette unité foncière que Hegel appelle l’Idée absolue. Or cet Esprit hégélien qui se réalise grâce à la prise de conscience des esprits finis, de transcendant qu’il était sans doute chez Hegel lui-même, devient pour une importante fraction de ses disciples l’esprit humain parvenu à la pleine conscience de soi-même. Une fois engagés sur la voie de l’immanence, ces jeunes hégéliens[4] s’efforcent d’interpréter le monisme de Hegel dans un sens de plus en plus révolutionnaire. L’Esprit est arraché au clair-obscur prudent où son créateur avait voulu le maintenir ; il s’"humanise" progressivement. Devenu homme, c’est-à-dire être humain au sens général du mot dans le maître livre de L. Feuerbach, L’Essence du christianisme (1841), il se transforme en esprit humain dans la Critique pure de Bruno Bauer – doctrine contre laquelle Karl Marx se déchaîne dans La Sainte Famille  – et finit par apparaître sous les traits du Moi original, du Moi "unique" dans l’ouvrage de Max Stirner, L’Unique et sa propriété  (1845).

Cet effort d’interprétation s’accompagne de la ferme volonté de renforcer le monisme hégélien. Les jeunes hégéliens pourchassent tous les dualismes ou, pour parler en termes d’école, toutes les aliénations ; ils luttent contre l’aliénation religieuse, c’est-à-dire contre l’Église ; contre l’aliénation politique, c’est-à-dire contre l’État ; contre l’aliénation humaine enfin, c’est-à-dire contre l’humanisme[5] qui, par les contraintes d’un collectivisme abstrait, menace d’étouffer l’originalité de l’individu.

Le marxisme insiste sur la filiation qui relie Hegel, Feuerbach et Marx, c’est-à-dire sur une évolution philosophique qui, en partant de l’idéalisme absolu, passe par le matérialisme mécaniste pour aboutir au matérialisme historique et dialectique. Mais l’anarchisme, qui, en prêtant l’immanence à l’Esprit absolu de Hegel, aboutit à la souveraineté du Moi "unique" et part en guerre contre toutes les aliénations dont celui-ci est victime, dérive également de la philosophie hégélienne. La lignée qui va de Hegel à Stirner et à Bakounine n’est pas moins légitime que celle qui rattache Hegel à Marx.

L’exigence de justice totale étant le "principe affectif central de la sensibilité anarchiste" (E. Mounier), l’anarchisme, en dépit de ses outrances verbales d’inspiration athée, garde parfois – et du moins chez certains auteurs[6] - des résonances proprement religieuses, voire chrétiennes.  Tout en se dressant contre le "mythe de la Providence", Proudhon maintient la transcendance sous la forme de la justice. En rappelant la célèbre recommandation de Jésus, "Rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu", il insiste sur le caractère apolitique du christianisme. "L’enseignement de Jésus, affirme-t-il, est tout social, ni politique, ni théologique". Max Stirner prétend de son côté qu’il conforme son attitude à celle de Jésus qui dépasse l’État en l’ignorant. Tolstoï enfin, le plus chrétien des anarchistes, constate que "la doctrine de Jésus donne la seule chance de salut possible pour échapper à l’anéantissement inévitable qui menace la vie personnelle".

Ayant puisé à des sources fort diverses, l’anarchisme semble à première vue tissé de contradictions et déchiré en tendances et sous-tendances. Dans ce "chaos d’idées" (Sébastien Faure), le départ avait été fait vers 1900 entre l’anarchisme individualiste, dont les défenseurs se réclamaient de Stirner et de Proudhon, et l’anarchisme communiste – c'est-à-dire collectiviste -, qui s’inspirait avant tout de l’enseignement de Bakounine et de Kropotkine[7].

  1. Anarchisme individualiste et anarchisme collectiviste

La première tendance consistait à garantir la liberté individuelle par le maintien de la propriété privée ; la seconde, en revanche, soutenait que seule l’institution de la propriété collective permettait de réaliser la justice sociale, condition indispensable à l’épanouissement individuel. L’anarchisme subit ainsi une double tentation à laquelle il ne sait pas toujours résister, celle de l’individualisme libéral des économistes classiques et celle d’un collectivisme dépersonnalisant. L’évolution ultérieure, il est vrai, a rendu à l’anarchisme une certaine unité doctrinale. Alors que l’anarchisme individualiste, professé souvent par des déclassés, des en-dehors, se replie de plus en plus sur lui-même et qu’il ne semble plus s’intéresser qu’à certaines libertés, comme, par exemple, la liberté sexuelle, qu’un de ses chefs, Émile Armand, conçoit sous la forme de "pluralité amoureuse", l’anarchisme communiste, animé par Élisée Reclus, Jean Grave, Émile Pouget, Sébastien Faure et Enrico Malatesta, finit par représenter l’anarchisme authentique.

Ce dernier, après avoir inspiré le syndicalisme révolutionnaire d’avant 1914, le mouvement makhnoviste en Ukraine au lendemain de la révolution d’Octobre et l’action de la Fédération anarchiste ibérique pendant la guerre d’Espagne, fait d'emblée partie du tableau idéologique du XXIème siècle. Peut-être faudrait-il mentionner également la survivance d’un certain anarchisme chrétien dont l’idée-force est constituée par la "non-violence". Quant à l’anarchisme littéraire tel qu’il se manifestait dans certaines revues de la fin du XIXème siècle, il appartient à la Belle Époque, dont il reflète l’individualisme exacerbé[8].

  1. La Res publica anarchiste

L’anarchisme répudiant toute idée d’autorité comme étant contraire à la notion de la liberté individuelle, il lui apparaît que l’ordre et la justice, dont il ne nie aucunement la nécessité pour la cité, doivent reposer sur un contrat librement et égalitairement conclu entre les intéressés. Les clauses d’un tel contrat, profitables à tous les contractants, sont observées tout aussi librement. Ce contrat anarchiste se situe à l’opposé du contrat social de Rousseau. Proudhon[9] démontre, en effet, dans son Idée générale de la révolution au XIXème siècle, que le contrat de Rousseau, loin d’être social, est responsable de la tyrannie étatiste à laquelle aboutissent toutes les démocraties. Le contrat social de Rousseau ne concerne que le pouvoir politique ; il le renforce en lui donnant pour appui la souveraineté d’une volonté générale qui n’est d’ailleurs que celle d’une majorité opposée le plus souvent à la volonté particulière. Le contrat social, du fait qu’il néglige la vie sociale et économique, est un contrat sans contenu, un contrat qui autorise tout arbitraire et qui équivaut à une aliénation consciente et organisée. "C’est, en un mot, à l’aide d’une supercherie savante, la législation du chaos social, la consécration, basée sur la souveraineté du peuple, de la misère. Du reste, pas un mot du travail, ni de la propriété, ni des forces industrielles que l’objet du contrat social est d’organiser. Rousseau  [ignore tout de] l’économie. Son programme parle exclusivement de droits politiques, il ne reconnaît pas de droits économiques".

Le contrat tel que Proudhon l’envisage, loin d’être le résultat d’une abstraction politique, est issu de libres débats où les intéressés engagés ont fini par se mettre d’accord ; il est modifiable au cas où les intérêts subiraient des changements. Ce n’est pas un contrat unique, contraire par définition à la complexité et à l’hétérogénéité de la vie sociale, mais un ensemble illimité d’accords contractuels qui correspondent le plus possible aux mille nécessités de l’individu. Enfin, l’abandon de la liberté individuelle au profit du contrat n’est pas seulement provisoire, il est aussi partiel. Alors que Rousseau exige au nom du contrat social "l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté", Proudhon précise qu’en concluant un contrat chaque contractant doit recevoir au moins autant qu’il donne et qu’en dehors des obligations rigoureusement délimitées qui découlent des clauses du contrat il continue à jouir de sa pleine liberté et de sa souveraineté.

La multiplicité des contrats se traduit par le fédéralisme[10], appelé à remplacer l’organisation étatique. Une infinité de contrats s’engendrant les uns les autres et s’équilibrant d’autant plus facilement qu’ils ne sont point immuables ni définitifs, soit sur le plan professionnel, soit sur le plan régional, soit encore sur le plan national et même international, voilà un édifice d’apparence chaotique et incohérente.

Mais, grâce au maintien à tous les échelons du principe de l’autonomie de la volonté individuelle, on doit aboutir à une union librement consentie dont la solidité est certainement supérieure à celle d’une union obtenue par la force. "Le principe appelé, selon moi, à régir la politique moderne, écrit Proudhon dans Fédération et Unité en Italie, n’est autre que le principe de fédération, corollaire de celui de la séparation des pouvoirs, lequel à son tour est la base universellement reconnue de tout gouvernement libre et régulier, à plus forte raison de toute institution républicaine, et a pour opposé le principe de l’agglomération des peuples et de la centralisation administrative". Et Bakounine d'indiquer : "Quand les États auront disparu, l’unité vivante, féconde, bienfaisante, tant des régions que des nations, et de l’internationalité de tout le monde civilisé d’abord, puis de tous les peuples de la terre, par la voie de la libre fédération et de l’organisation de bas en haut, se développera dans toute sa majesté".

Le fédéralisme anarchiste, c’est-à-dire la recherche perpétuellement renouvelée d’un équilibre entre des groupements distincts, implique le rejet absolu de toute forme de gouvernement à tendance synthétique et unitariste. D’où une hostilité déclarée à l’égard de la démocratie issue des principes de la Révolution française et, en particulier, à l’égard de tout jacobinisme. Stirner insiste sur l’aggravation de la servitude provoquée par le passage de l’Ancien Régime à la nation souveraine, fille de la Révolution française. Sous l’Ancien Régime, le pouvoir monarchique ne s’exerçait pas directement sur les sujets. C’est la corporation qui s’intercalait comme élément médiateur entre le roi et le peuple. L’homme dépendait d’abord d’un groupe social, en sorte que le prétendu "absolutisme" était en fait limité par d’innombrables pouvoirs secondaires[11]. Mais du jour où la nation s’institua souveraine, le sujet entra en dépendance directe vis-à-vis du pouvoir. Le règne des privilèges de l’Ancien Régime se transforma en un règne du droit, contre lequel nul ne pouvait désormais s’insurger. Ainsi, l’esclavage exogène de l’Ancien Régime est devenu un esclavage endogène[12], c’est-à-dire un esclavage dont nous reconnaissons nous-mêmes la légitimité.

Proudhon, de son côté, accuse la Révolution française d’avoir engendré la lutte des classes. Après l’abolition des castes, les anciens ordres hiérarchiques, qui avaient assuré l’organisation du travail, se sont dissous sans que de nouvelles structures soient venues les remplacer. Il en est résulté l’exploitation capitaliste qui ne semble laisser aux pauvres d’autre issue que la révolte. Dans le domaine politique, l’esprit monarchique combattu par la Révolution française a d’ailleurs été ressuscité par Robespierre, disciple de Rousseau. La journée du 31 mai 1793, date à laquelle Robespierre écrasa les Girondins, a mis fin à l’inspiration communaliste et fédéraliste de la Révolution. C’est à partir de ce moment que triomphent à nouveau les traditions autoritaires et étatistes de l’Ancien Régime. L’optique historique de Proudhon amène Bakounine à mettre en parallèle la lutte de Robespierre contre la Commune de 1793 et celle des autoritaires, des étatistes, contre ses propres conceptions fédératives à l’intérieur de la Ière Internationale.

Antidémocratique par essence, l’anarchisme se dresse avec vigueur contre l’illusion néfaste du suffrage universel[13]. "Religion pour religion, écrit Proudhon dans La Justice, l’urne populaire est encore au-dessous de la sainte ampoule mérovingienne. Tout ce qu’elle a produit a été de changer la science en dégoût et le scepticisme en haine". Le bulletin de vote souffre, en effet, aux yeux des doctrinaires anarchistes, d’un double vice. D’une part, il met les électeurs à un niveau qui est établi le plus souvent par le mensonge et la fourberie des politiciens ; d’autre part, il dépouille les électeurs de leur pouvoir, le système parlementaire reposant sur la délégation des pouvoirs consentie entre les mains des députés, et non pas sur la simple représentation d’une volonté dont les députés seraient chargés[14]. Ainsi Émile Pouget, anarchiste et syndicaliste révolutionnaire, fait bien ressortir la différence entre le syndiqué, qui préserve son droit de contestation et l’électeur, qui y renonce. "L’individu, précise-t-il, est la cellule constitutive du syndicat. Seulement, il ne se produit pas pour le syndiqué le phénomène dépressif qui se manifeste dans les milieux démocratiques où, le suffrage universel étant en honneur, la tendance est à la compression et à la diminution de la personnalité humaine. Dans un milieu démocratique, l’électeur ne peut user de sa volonté que par un acte d’abdication : il est appelé à "donner sa voix" au candidat qu’il souhaite avoir pour "représentant". L’adhésion au syndicat n’implique rien de semblable et le plus pointilleux n’y pourrait découvrir la moindre atteinte à la personnalité humaine ; après comme avant, autonome il était, autonome il reste". 

De nombreux militants combattent alors avec vigueur l'institution démocratique du suffrage universel[15] et, à la suite des heurts violents éclatant entre la police et les ouvriers pendant la crise économique de 1883 – 1887, nombreux sont ceux qui se prononcent alors pour la propagande par le fait qui coûtera la vie au président Sadi Carnot en 1894, à l'impératrice Elisabeth d'Autriche en 1898, au roi Humberto Ier d'Italie en 1900, au président des États-Unis William MacKinley en 1901 … Cette propagande par le fait sera à l'origine de l'illégalisme anarchiste, de nombreuses lois scélérates et d'une répression systématique et universelle du mouvement.

Toutefois, la majorité des anarchistes se tourne vers le mouvement ouvrier qui sera ainsi fortement marqué par l'anarcho-syndicalisme – ou syndicalisme révolutionnaire -. En France, cette tendance sera conduite par Fernand Pelloutier, animateur du mouvement des Bourses du travail, et par Émile Pouget, l'un des principaux organisateurs de la Confédération Générale du Travail qui, dans sa charte d'Amiens inscrit en 1906 le principe de la grève générale comme forme de lutte révolutionnaire ainsi que celui du fédéralisme.

Un autre champ de lutte de l'anarchisme a été celui de l'école[16] : Louise Michel, Paul Robin, Sébastien Faure et Francisco Ferrer se sont ainsi efforcés de créer et animer des écoles libertaires en dehors du système officiel.

  1. Anarchisme et action(s) sociale(s)

Parmi les nombreuses utopies sociales[17] qui s’inspirent de la ferme volonté de préserver la souveraineté absolue de l’individu, il faut d'abord mentionner l’associationnisme de Stirner. Dans L’Unique et sa propriété il établit une différence fondamentale entre la société telle qu’elle existe et l’"association" dont il prône l’avènement. La société se dresse face aux individus ; elle est située en dehors et au-dessus d’eux. Elle apparaît comme quelque chose de définitivement établi, de stable, voire de sclérosé. Abusant de sa souveraineté, fictive il est vrai, mais non moins réelle tant que les hommes ne se rendront pas compte qu’elle est pétrie de leurs mains, la société entrave, déforme et anéantit la volonté individuelle. L’association, en revanche, est la rencontre passagère, l’union instable et perpétuellement modifiée des individus, qui n’en perdent jamais le contrôle. L’association demeure soumise à la souveraineté des "Moi" ; sa durée est fonction des services qu’elle leur rend. Elle se dissout dès qu’elle devient inutile. Les rapports interpersonnels retrouvent ainsi un cadre qui leur est approprié.

Dans la société, qui est une abstraction, les hommes éprouvent l’un pour l’autre un amour "humain", c’est-à-dire un amour qui n’a pas pour objet l’individu particulier, mais l’homme abstrait et normatif. Or cet amour, qui participe du caractère transcendant de la société, se transforme facilement en haine et justifie toutes les persécutions contre l’individu particulier qui ne consent pas à se confondre avec l’image qu’on se fait de l’homme en général. L’association, en revanche, repose sur l’amour "égoïste", c’est-à-dire sur un amour qui considère l’autre comme un objet de satisfaction égoïste, comme "une nourriture offerte aux passions du Moi". La différence entre la société et l’association réside donc essentiellement dans un changement d’optique : la société telle que nous la connaissons est maintenue, mais interprétée d’une manière individualiste. L’associationnisme stirnérien, pure construction de l’esprit aux données exclusivement morales, a trouvé un écho réel auprès de certains anarchistes individualistes de la Belle Époque[18].

De son côté, Proudhon s’efforce d’inscrire la défense de l’autonomie individuelle dans le cadre de la réalité sociale elle-même. Or, pour ce faire, il lui faut lutter contre le pouvoir oppresseur et démoralisant du capital. Afin de l’évincer de la vie sociale et économique, il envisage la suppression du numéraire et la gratuité du crédit et de l’escompte. L’argent sera remplacé par des billets de crédit gagés sur des produits dont la valeur est fonction du travail qu’ils représentent, le crédit et l’escompte ne seront plus du ressort des banques capitalistes qui, par des intérêts élevés, prélèvent la part léonine du travail, mais confiés à une société mutuelle, c’est-à-dire réciproque, des producteurs. La Banque du peuple, fondée par Proudhon en 1848, repose ainsi sur un double principe : d’une part, la banque constitue son capital en émettant des actions qui seront souscrites par ses clients ; d’autre part, l’intérêt des sommes prêtées par la banque est réduit au taux strictement nécessaire pour couvrir les frais d’administration, c’est-à-dire 0,50 ou même 0,25 %. Grâce à ce système, que Proudhon qualifie de mutuellisme, on pourra procéder à une sorte de "liquidation sociale", à savoir au rachat des terres par les fermiers et à la substitution de compagnies ouvrières aux industriels, sans qu’il faille recourir à une expropriation violente. Mais deux mois après avoir déposé les statuts constitutifs de cette institution appelée à fonder la liberté politique et industrielle, Proudhon est frappé d’une condamnation et contraint à l’abandon de son projet. Pourtant le mutuellisme proudhonien, sous son double aspect de l’échange et du crédit, aboutit par la suite, non seulement en France mais aussi en Angleterre et surtout aux États-Unis, à la création de coopératives et de sociétés de secours mutuel[19].

Alors que Proudhon, loin de condamner la propriété privée, soutient que la possession constitue la base même de la liberté individuelle, les anarchistes communistes suppriment la propriété en affirmant que, née de l’injustice, elle l’engendre à son tour. Or, le rétablissement de l’égalité économique et sociale sera obtenu non pas à la suite d’une intervention étatique quelconque, mais grâce à la spontanéité révolutionnaire. Allant au-delà des socialistes qui promettent "à chacun le produit intégral de son travail", les anarchistes réclament "le droit à la vie, le droit à l’aisance, l’aisance pour tous". Kropotkine, dans La Conquête du pain, appelle les non-possédants à l’expropriation violente. "Les paysans chasseront les grands propriétaires et déclareront leurs biens propriété commune, ils démoliront les usuriers, aboliront les hypothèques et proclameront leur indépendance absolue". À l’opposé de Malthus, pour qui la population s’accroît bien plus vite que la production agricole, Kropotkine fait confiance à la science capable d’augmenter les ressources à l’infini.

Ainsi, le problème social se ramène en fin de compte à un simple problème de répartition. Eu égard à l’abondance des biens, cette répartition se fera, non selon les capacités , mais selon les besoins  de chacun. L’ère anarchiste aura pour devise : "Prenez ce qu’il vous faut". Le travail, dont la durée quotidienne sera réduite à quatre ou cinq heures effectuées par tous les adultes de vingt à quarante-cinq ou cinquante ans, suffira pour assurer largement la vie matérielle de tous, étant donné qu’il sera "infiniment supérieur et autrement considérable que la production obtenue jusqu’à l’époque actuelle, sous l’aiguillon de l’esclavage, du servage et du salariat".

  1. L'éthique anarchiste

L’anarchisme ne cesse de provoquer des résonances irritées, l’exaltation frénétique de l’individu semblant, en effet, justifier la licence la plus effrénée. Or, tout au contraire, l’éthique anarchiste développe le sens de la responsabilité individuelle bien plus qu’elle ne prédispose à un relâchement moral où l’individu au lieu de s’affirmer finit par sombrer et disparaître. C’est parce qu’il est convaincu que l’émancipation personnelle ne pourra résulter que d’un travail de perfectionnement intérieur continuel que l’anarcho-syndicaliste d’avant 1914 attache un tel prix à la "culture de soi-même".

L’anarchisme s’efforce en outre d’inscrire l’autonomie personnelle dans un cadre social ; il est ainsi amené à rejeter toute liberté purement individuelle qui serait exercée contre celle des autres. Chacune des libertés individuelles se suffisant à elle-même et tirant son origine d’elle-même, la liberté de chacun ne peut, en effet, se manifester qu’en niant celle de tous les autres ; elle constitue la base de cette morale aristocratique du mépris qui ne laisse à l’homme d’autre issue qu’un individualisme forcené[20]. Pour l’anarchisme, en revanche, la liberté de chacun se confond avec la liberté de tous. "Tout ce qui est humain dans l’homme, précise Bakounine, et, plus que toute autre chose, la liberté, est le produit d’un travail social, collectif. Être libre dans l’isolement absolu est une absurdité inventée par les théologiens et les métaphysiciens". C’est pourquoi la solidarité est le chemin le plus sûr qui mène vers la liberté. La révolte anarchiste, loin d’opposer les hommes, les rapproche, puisque, d’un commun accord, ils luttent contre l’abstraction étatique qui les opprime tous en empêchant le fonctionnement normal de la société. "La loi de la solidarité sociale est la première loi humaine, précise encore Bakounine, la liberté est la seconde loi. Ces deux lois s’interpénètrent et, étant inséparables, elles constituent l’essence de l’humanité. Ainsi, la liberté n’est pas la négation de la solidarité ; au contraire, elle en est le développement et, pour ainsi dire, l’humanisation".

Le socialisme et l’anarchisme se rencontrent dans une hostilité commune à l’égard de l’État ; tous deux en réclament la disparition. La différence ne porte que sur la manière de l’envisager. Engels, dans un passage de L’Anti-Dühring la situe dans une perspective historique : "Le prolétariat s’empare du pouvoir d’État et transforme les moyens de production d’abord en propriété d’État. Mais, par là, il se supprime lui-même en tant que prolétariat, il supprime toutes les différences de classe et oppositions de classe, et également l’État en tant qu’État [...]. Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production, l’État n’est pas aboli, il s’éteint"[21].

Selon la doctrine marxiste, le dépérissement de l’État ne se produit donc pas du jour au lendemain. Lorsque le prolétariat aura pris le pouvoir, lorsqu’il se sera emparé de l’appareil étatique, il lui faudra d’abord s’en servir afin de briser définitivement la puissance de ses ennemis. L’État continuera à exercer un pouvoir d’oppression – la dictature du prolétariat[22] -, mais ce sera au bénéfice exclusif du prolétariat. Le chemin vers la société communiste sans État passe par la dictature du prolétariat. L’anarchisme, en revanche, ne cherche pas à surmonter l’antinomie entre l’État et la société. À la conquête de l’État il préfère le rejet total d’un pouvoir qu’il estime étranger à l’essence véritable de l’homme, au dépérissement progressif de l’État sa disparition brutale et immédiate. Inférieur au socialisme scientifique en ce qui concerne l’efficacité politique, l’anarchisme, en vertu même de ce sens de l’homme qui l’anime, peut se prévaloir à son égard d’un certain droit de contestation.

Max Stirner s’élève contre tout collectivisme : l’État libéral[23] a laissé à l’individu un dernier domaine où se réfugier, la propriété privée ; or voici que le communisme le réclame pour la société ; désormais la sacro-sainte société possède tout, l’individu ne possède plus rien ; le communisme est le règne de la "gueuserie universelle". Proudhon accuse le système communiste de provoquer "la déchéance de la personnalité au nom de la société", de ressembler au "despotisme oriental", à "l’autocratie des Césars", et de réaliser pour son compte, étant une sorte de "religion nouvelle", "l’absolutisme de droit divin". Dès 1866, Bakounine prévoit que l’État despotique mis en place par le communisme d’État fera naître "une classe exploitante de privilégiés : la bureaucratie[24]".

Si au lendemain de la Seconde guerre Mondiale, l’anarchisme n'a plus cette force de mouvement social de masse qu'il avait jusqu'alors, ce sont surtout ces avertissements lancés au XIXème siècle, matérialisés par les errements des démocraties populaires et du communisme, qui ont permis aux idées anarchistes de conserver sa pérennité et, avec, notamment, l'effondrement du communisme, de connaître un nouvel – et puissant - essor. Le fédéralisme, l’ordre pluraliste, l’organisation de bas en haut… continuent de s’inscrire dans la recherche de cadres sociaux et économiques favorables à la dynamique du groupe et la non-directivité.

Il convient justement de noter que, dans le cadre de la théorie de la Dynamique des groupes, une représentation sociale du petit groupe s’inscrit dans la tradition anarchiste à laquelle les événements de mai 1968 en France ont redonné une certaine actualité (cf. Ces idées qui ont ébranlé la France. Nanterre, novembre 1967-juin 1968,  Épistémon). Le groupe est ici conçu comme entièrement autogéré. Tous les membres sont égaux, également aptes à toutes les tâches, et ont autant de poids les uns que les autres. Le "collectif" est le moyen de réaliser les désirs sur lesquels les membres se sont mis d’accord. Les délégations que le "collectif" donne à tel de ses membres pour accomplir telle fonction sont provisoires. L’expert (le maître[25], s’il s’agit d’une classe) est au service du groupe, il est choisi par lui et révocable. Un tel fonctionnement des groupes relève de la démocratie directe et de l’utopie sociétaire. L’introduction de groupes autogérés dans des organisations sociales peut exercer un effet de choc capable d’ébranler, voire de désagréger, les institutions (G. Lapassade). La dynamique des groupes peut alors également être utilisée comme technique de déstabilisation sociale.

Compte tenu de l'importance du proudhonisme dans l'histoire du mouvement anarchiste, il me semble nécessaire de revenir sur le sujet :

Le proudhonisme[26]

Le pluralisme de Proudhon explique le déroulement logique de son œuvre. Sa critique de la propriété capitaliste vise un "atomisme" individualiste (doctrine qui ne voit dans la société qu’une addition d’individus) d’où découlent la négation de l’existence réelle de la productivité propre des "êtres collectifs" et l’attribution indue aux seuls capitalistes du surplus productif engendré par la "force collective" (théorie de la prélibation capitaliste). Sa condamnation de l’absolutisme étatique, de droite ou de gauche, est celle d’un totalitarisme social, système qui nie les manifestations autonomes des personnes collectives et individuelles ; d’où sa conception de l’État comme une collectivité dominante, un appareil bureaucratique, et par suite l’attribution indue à ce dernier des "forces publiques" propres aux collectivités et personnes de base (théorie de la plus-value étatique). Sa double attaque contre le spiritualisme intégriste avant la lettre et le matérialisme intégral vise un même unitarisme dogmatique érigeant en principe dominateur un seul élément de la pluralité sociale. Il n’est jusque dans ses diatribes pédagogiques où, dénonçant "séparation de l’intelligence et de l’activité", "de l’écolage et de l’apprentissage", de l’homme "en un automate et un abstracteur", il combat l’absolutisation, négation de la relation pluraliste (théorie critique du mysticisme idéaliste et matérialiste).

Un réalisme plénier, respectant la diversité et le développement antinomique des êtres et des choses, domine sa pensée. L’anarchie (autogestion négative) ou négation de l’autorité de l’homme sur l’homme constituait l’antisystème de Proudhon : l’anticapitalisme, "ou négation de l’exploitation de l’homme par l’homme", l’anti-étatisme, "ou négation du gouvernement de l’homme par l’homme", l’antithéisme (antimysticisme de l’esprit et de la matière), ou "négation de l’adoration de l’homme par l’homme", en étaient les corollaires.

L’autogestion (dite "autonomie de gestion", "anarchie positive"), ou affirmation de la liberté de l’homme par l’homme, constitue la méthode positive de Proudhon. Elle combine simultanément un "travaillisme pragmatique" - ou réalisation de l’homme par l’homme grâce au travail social -, un "justicialisme idéo-réaliste" - ou idéalisation de l’homme par l’homme par la réalisation d’une justice sociale -, un "fédéralisme autogestionnaire" - libération de l’homme par le pluralisme social -. À partir des trois éléments se développent les théories de Proudhon.

Au travaillisme pragmatique se rattachent les théories du travaillisme historique, de l’économie en tant que science du travail, du réalisme social et de la dialectique sérielle.

Le travaillisme historique  est une théorie axiale. Action intelligente des hommes en société sur la matière, "le travail considéré historiquement [...] est la force plastique de la société [...] qui détermine les diverses phases de sa croissance, et tout son organisme tant interne qu’externe". L’économie politique, "science du travail", est "clé de l’histoire" (Création de l’ordre, 1843). Le travail, générateur de l’économie, géniteur de la société, levier de la politique, source de la philosophie, mode d’enseignement, est moteur de l’histoire, promoteur de la justice, réalisateur de la liberté, et auteur de son propre affranchissement. Dans la lutte de l’organisme économique contre l’oppression des puissants ou des possédants, il est, séculairement, l’acteur d’une "révolution permanente".

La théorie de l’économie, science du travail et discipline tripolaire, est corollaire de la précédente. Le travail, "considéré objectivement dans le produit", fait de l’économie une science de la production et une comptabilité économique fondée sur la valeur travail (théorie de la "valeur constituée") ; "considéré subjectivement dans le travailleur", il la crée science de l’organisation et sociologie économique (théorie de la force collective) ; saisi "synthétiquement dans les rapports produit-travailleur", il la rend science de la répartition et droit économique (théorie mutuelliste et fédérative de la propriété).

Les théories du réalisme social et de la dialectique sérielle sont la statique et la dynamique du travaillisme pragmatique. Le travail et ses lois (division, communauté d’action) créent et structurent la société, suscitant une pluralité d’êtres collectifs. Par le réalisme social ou théorie des êtres collectifs, Proudhon affirme la réalité et les lois propres des groupes et de la société. C’est "l’idée mère de la sociologie" (C. Bouglé), dont la paternité lui est indiscutablement attribuable (G. Gurvitch). "Les collectivités sont aussi réelles que les individualités [...] ; la société est un être réel [...]. Il a donc ses lois et rapports que l’observation révèle" : la "force collective", la "raison collective" et la "foi collective" (Pornocratie).

La dialectique sérielle est la dynamique des forces physiques et sociales catalysées productivement par le travail (ou subversivement par la guerre). Le monde est une chaîne d’antinomies. L’antinomie, couple de forces, compose, par l’opposition de deux éléments à la fois antagonistes et complémentaires, un chaînon élémentaire de ce pluralisme antithétique. La résolution de l’antinomie est impossible, mais de l’opposition des éléments antinomiques naissent vie et mouvement. Artificielle, la synthèse ne résiste pas à la vie, elle aliène ou tue. Toutefois, l’observation révèle l’existence de faisceaux de forces associatives et organisatrices, les séries, qui traversent, sous-tendent et disciplinent le mouvement dialectique des chaînes antinomiques. Le travail est une série générale positive, et, par ses deux lois propres, il crée un ordre productif, une dynamique d’association ; à l’opposé, la guerre, série générale négative, engendre un ordre destructif, une dynamique de compétition. Processus créatif commun au monde matériel et au monde social, la dialectique sérielle devient, par schématisation "idéelle", une logique formelle copiée sur la logique réelle du monde. De processus effectif, elle se transforme en méthode efficiente de pensée et d’action.

Dans la pensée proudhonienne, les théories du justicialisme idéo-réaliste et, en premier lieu, l’idéo-réalisme s’articulent au lien qui unit la pensée et l’action. Toute idée a sa source dans un rapport réel révélé dans une action et perçu ainsi par l’entendement. Le travail, "action intelligente de l’homme en société sur la matière", est cette révélation par excellence. "Toute idée naît de l’action et doit retourner à l’action, sous peine de déchéance pour l’agent" (La Justice, 1858). Mais l’idée, par l’effort libre d’une intelligence fidèle à la réalité, peut devenir "complément de création, création continuée opérée par l’esprit à l’image de la nature" (Création de l’ordre). Ainsi, matière et esprit, hommes et sociétés sont, par l’action même du travail, englobés indissolublement dans une dialectique créative où "les choses sont les types des idées", et les idées "impression de la réalité sur l’entendement". Cette conception imprègne sa pédagogie travailliste (méthodes actives, jonction entre l’apprentissage et l’écolage[27], formation polytechnique, intégration de l’éducation dans la pratique sociale).

La théorie de la justice comme idée force et équilibration des forces est un corollaire de l’idéo-réalisme. Contre-loi de l’antagonisme, "équilibre entre les forces libres" (Théorie de la propriété, 1865), "la justice n’est pas un simple rapport, conception abstraite, fiction de l’entendement ou acte de foi, elle est une chose d’autant plus réelle qu’elle repose sur des réalités" (La Justice). Loi de l’univers physique, elle est équilibration, rapport des forces ; loi sociale, elle est réciprocité, rapport de solidarité ; loi intellectuelle, elle est équation, rapport d’égalité ; loi morale, elle est équilibre des droits et des devoirs, rapport de dignité ; loi idéale, elle est idéo-réalisation, rapport idéalisé. Dans le monde intellectuel, social et moral, cette loi pourtant immanente aux hommes et aux groupes peut être bloquée par l’action même d’une liberté imaginative capable d’engendrer artifice, arbitraire et idéomanie. Mais par sa réalisation au moyen du travail social, et par son idéalisation au moyen de la raison sociale, cette force immanente développée en culture, pratique sociale, morale et révolutionnaire, peut s’imposer comme loi idéo-réaliste.

La théorie du réalisme moral et esthétique s’enchaîne à la précédente. La morale et l’esthétique sont d’essence sociale et résultent de l’idéo-réalisation des rapports sociaux sur lesquels elles réagissent à leur tour.

Dans la théorie connexe de l’histoire négation-révélation, l’histoire est "l’éducation dynamique de l’humanité" dans son double mouvement de réalisation par le travail et d’idéalisation par la justice. Elle a pour fonction de démentir "les erreurs de l’humanité par leur réduction à l’absurde" (Deuxième Mémoire) et "de nous révéler le travail de la création de l’ordre et l’émersion des lois" (Création de l’ordre). La théorie du progrès-regrès est son corollaire : "Toute société progresse par le travail et la justice idéalisée. Toute société rétrograde par la prépondérance de l’idéal", c’est-à-dire "l’idéalisme" (La Justice) : il n’y a pas de théorie automatique du progrès, mais une pratique des rétrogradations ou une perte du réel. Elles adviennent quand l’idéalisme imaginatif et le dogmatisme idéomane abusent la liberté et oublient la réalité du travail et de la justice pour "des idéalités politiques et sociales".

La théorie de la liberté comme force de composition est le point de départ et l’aboutissement du justicialisme idéo-réaliste. La liberté est rendue possible par le jeu de la pluralité des forces antagonistes de l’univers physique, social et personnel ; elle devient effective par l’homme qui maîtrise ce jeu ; elle est efficace par la multiplication des relations sociales, l’engrenage de toutes les libertés ; elle accède à l’efficience par son équation avec la justice, envisagée comme commutation sociale de toutes les libertés. Seule la liberté efficiente, qui implique la morale et l’éducation, est liberté plénière. À tous les autres stades, elle peut dégénérer en arbitraire individuel et collectif. À la fois pacte, justice mutuelle et force de composition (avec le réel pluraliste, l’individuel antagoniste, le social relatif, le moral "obligatif"), la liberté forme un jeu ayant ses règles. Leur application permet l’émergence de l’être progressif, l’arbitrage de sa destinée. Si ces règles sont bafouées, c’est le domaine de l’être fatal, l’arbitraire du destin.

Le fédéralisme autogestionnaire de Proudhon découle du travaillisme et du justicialisme idéo-réaliste. Il comporte deux constructions distinctes mais complémentaires : la démocratie économique mutuelliste et la démocratie politique fédéraliste, qui se conjuguent sur le plan national et international en fédérations et confédérations dualistes. La clé de voûte de ces structures est l’organisation distincte et couplée des deux manifestations de la société travailleuse : société de production ou organisme économique, société de relation ou corps politique[28]. Leur autonomie est condition du dynamisme et de l’équilibre de la société pluraliste. Sous peine d’aliénation réciproque, les rapports société économique-société politique doivent être ceux d’un couple. Ils doivent s’opposer pour composer, différer pour dialoguer, et se distinguer pour s’unir.

La démocratie économique mutuelliste se fonde sur la "théorie mutuelliste et fédérative de la propriété". Relativisée par le jeu des rapports sociaux, chaque propriété est "mutuelliste" ; solidarisée par les mêmes rapports, toute propriété est "fédérative"[29]. Et la fédération des propriétés mutuellistes constitue la société économique mutuelliste des travailleurs. Cette théorie aboutit à la mutualisation fédérative de l’agriculture : constitution de propriétés individuelles d’exploitation, associées en des ensembles coopératifs dotés de pouvoirs propres et de services collectifs, et regroupés en une fédération agricole. Elle débouche sur une socialisation fédérative de l’industrie, c’est-à-dire, exception faite de propriétés artisanales ou libérales mutualisées, sur un ensemble de propriétés collectives d’entreprises, concurrentes entre elles mais associées en une fédération industrielle. Elle se traduit par l’accouplement de l’industrie et de l’agriculture en une "fédération agricole industrielle" et par la constitution de groupements d’unions de consommateurs qui formeront ensemble le "syndicat de la production et de la consommation". Ce dernier veille à l’organisation coopérative des services (commerce, logement, assurances, crédit) et à la gestion générale de la société économique indépendamment de l’État. Sur le plan international est prévue une "confédération mutuelliste" alliant en un marché commun socialisé des groupes de sociétés économiques nationales. Ce collectivisme économique, libéral et a-étatique veut parer au double danger d’un capitalisme intégrant et d’un collectivisme intégral.

La démocratie politique fédérative est le complément antinomique de la démocratie économique mutuelliste. D’abord, équilibrer contradictoirement le social organisé et l’étatique décentralisé pour intégrer l’appareil étatique dans une nation composée de régions s’auto-administrant et s’associant en une république fédérale ; ensuite, former entre groupes de nations fédératives des confédérations réalistes, qui établiront entre elles des accords plus larges et plus lâches : telle est la double démarche du fédéralisme et du confédéralisme politique. Quatre règles d’action en découlent : l’auto-administration des groupes de base, la fédéralisation de ces groupes, la création de républiques fédératives, la constitution de confédérations. Dans les groupes de base, priorité est donnée à la région, territoire optimal pour s’auto-administrer et chaînon entre nations et internations. Pour la France, Proudhon demande "la constitution de douze grandes régions provinciales s’administrant elles-mêmes et se garantissant les unes les autres". Le gouvernement fédératif n’assume "qu’un rôle d’institution, de création, d’installation, le moins possible d’exécution". Ce régionalisme se conjugue avec un économisme et aboutit à une organisation régionale et socioprofessionnelle du suffrage universel (Chambre des régions, Chambre des professions) et une division des pouvoirs originale (pouvoir exécutif régionalisé et décentralisé, pouvoir arbitral à compétence économique, pouvoir consulaire à caractère prospectif, pouvoir enseignant complètement autonome). Le confédéralisme international est une extension du fédéralisme national. Dès 1863, Proudhon prévoit toute l’organisation politique et économique d’une Europe confédéraliste : agence, conseils, justice, budgets confédéraux, marché commun ("liberté des échanges et taxe de compensation", "liberté de circulation et de résidence"). Mais ce marché commun inclut la socialisation mutuelliste des économies confédérées.

Au lendemain de la mort de Proudhon, sa doctrine s’est répandue dans toute l’Europe. Ses articles de journaux sont passionnément lus dans les couches populaires, des livres tels que son Premier Mémoire ("ce manifeste scientifique du prolétariat français" selon Marx), sa Justice ("un des livres les plus importants du XIXème siècle d'après H. de Lubac), sa Capacité politique ("ce catéchisme du mouvement ouvrier français" pour Gurvitch) en ont fait un chef de file du socialisme européen. En Angleterre, "Proudhon constitue une pâture toute trouvée" (lettre d'Engels à Marx, 18 décembre 1850). Et de John Watt à Sidney et Beatrice Webb, G. O. H. Cole, H. Laski et G. Woodcock, on saisit la filiation trop peu connue entre proudhonisme et travaillisme. Sur le continent, ses livres, sitôt sortis, sont traduits en allemand, en espagnol et en russe. Dans sa préface de 1890 au Manifeste du Parti communiste, Engels avoue explicitement l’étendue de cette obédience proudhonienne. Le proudhonisme imprègne l’Italie, avec Ciccoti et son fédéralisme politique, l’Espagne avec les groupes de la célèbre Revista blanca , la Belgique avec le socialisme d’un César de Paepe et d’un Émile Vanderwelde, l’Allemagne avec Karl Grün, M. Diehl, Arthur Mulberger, Eduard Bernstein, et le sociologue F. Oppenheimer. Mais c’est en Russie que la doctrine proudhonienne connaît sa diffusion la plus large et une célébrité extraordinaire grâce à Herzen et à ses amis. Le populisme éducatif d’un Lavrov, l’anarchisme d’un Bakounine, d’un Kropotkine se réclameront de la pensée de "l’illustre et héroïque socialiste" (Bakounine). Et la fascination de Tolstoï envers la personne, les idées, le style de Proudhon lui fera emprunter textuellement titres, phrases et thèmes politiques et philosophiques (Guerre et paix, Qu’est-ce que l’art ?, etc.).

L’influence déterminante de la pensée de Proudhon sur Marx est maintenant pleinement mise en lumière. Ainsi, selon Gurvittch, "Marx ne serait pas possible sans Proudhon". "Proudhon a exercé sur Marx une influence constante. C’est en disciple et en continuateur de Proudhon qu’il a entrepris en 1844 ce qui deviendra la tâche exclusive de son existence [...]. Le maître a déçu mais il demeure un instigateur" (M. Rubel). Marx a dit l’impression extraordinaire que firent sur lui les premiers écrits du "penseur le plus hardi du socialisme français" (1842) ; La Sainte Famille (1845) contient une véritable apologie de Proudhon qui y est reconnu maître du socialisme scientifique, père des théories de la valeur-travail et de la plus-value, et L’Idéologie allemande (1846) louera la puissance de sa dialectique sérielle comme "essai de donner une méthode par quoi la pensée indépendante est remplacée par l’opération de la pensée". En mai 1846, Marx choisit Proudhon comme correspondant français du "réseau de propagande socialiste" qu’il organise. Mais, dans sa lettre d’acceptation, Proudhon, son aîné de dix ans, lui donne des conseils le mettant en garde contre le dogmatisme autoritaire, le romantisme révolutionnaire et l’esprit d’exclusion, néfastes à la cause socialiste. Piqué au vif, le jeune Marx rompit avec Proudhon, et aussitôt son admiration de disciple se changea en une rancune tenace et une sorte de fascination négative (Misère de la philosophie, 1847).

Marx retrouvera l’influence proudhonienne dans la Première Internationale des travailleurs et dans la Commune de Paris. Comme le soulignent avec objectivité de nombreux historiens marxistes, "L’Internationale parisienne, à la veille de la Commune, est en majorité proudhonienne" (J. Bruhat, J. Dautry, E. Tersen, La Commune de 1871). Quand la Commune est proclamée, "parmi les trente internationaux élus, près des deux tiers peuvent être considérés comme proudhoniens" (idem). Le programme positif et pacifique de la Commune est nettement proudhonien, et G. Gurvitch ira jusqu’à écrire : "à l’exception du Comité de salut public" et des mesures terroristes préconisées par les blanquistes, "toutes les mesures administratives, économiques et politiques s’inspireront de Proudhon". Après la Commune, Gambetta revendiquera la pensée de Proudhon, tandis que les partis socialistes de Brousse et d’Allemane reprendront ses thèmes essentiels. L’unification du Parti socialiste en 1905 fera apparaître le jauressisme comme l’enfant authentique du proudhonisme.

Lors de la révolution russe, les proudhoniens auront une influence déterminante sur la formation des soviets de base, vite supprimés sous la pression de Staline et de Trotski. Comme "l’un des organisateurs des soviets russes de 17", Gurvitch apporte ce "témoignage personnel direct : les premiers soviets russes ont été organisés par des proudhoniens [....] qui venaient des éléments de gauche du Parti socialiste révolutionnaire et [...] de la social-démocratie [...]. L’idée de la révolution par les soviets de base [...] est [...] exclusivement proudhonienne". Plus près de nous, après les révolutionnaires allemands, hongrois, espagnols, et leurs conseils ouvriers d’inspiration proudhonienne, le socialisme yougoslave se mettra discrètement à l’école de Proudhon (D. Guérin, L’Anarchisme).

En France, de Jaurès à nos jours, toutes les nuances du mouvement socialiste et des démocrates réformateurs se reconnaîtront dans ce socialisme libéral, ce pragmatisme travailliste et cette justice idéo-réaliste issus de Proudhon. C’est lui qui influencera aussi, paradoxalement, un certain catholicisme social à travers Péguy : "Je suis pour la politique de Proudhon" (L’Argent suite), Mounier (Anarchisme et personnalisme, 1937), et des artisans essentiels de l’ouverture de l’Église catholique (H. de Lubac, P. Haubtmann, J. Lacroix). Il apparaît également comme un grand ancêtre du syndicalisme. Autonomie ouvrière, fédéralisme professionnel, séparation de l’économique et du politique, du parti et de l’État, autogestion : toutes ces idées forces sont passées dans l’héritage syndicaliste avec les proudhoniens E. Varlin, F. Pelloutier, V. Griffuelhes, A. Sorel, L. Jouhaux, fondateurs, théoriciens et praticiens du syndicalisme français.

Il serait artificiel de limiter les influences de Proudhon à des mouvements révolutionnaires et ouvriers. Lui qui s’avouait "révolutionnaire mais non bousculeur" croit plus à l’action organisée d’un véritable "réformisme révolutionnaire" qu’au romantisme désordonné de l’"action révolutionnaire". Aussi, à côté de ces mouvements révolutionnaires se réclamant unilatéralement de Proudhon, s’est-il constamment développé un courant réformiste et même un courant traditionaliste. L’inflation des couples antinomiques de sa descendance contrastée semble bien souligner cette dualité : syndicalisme et socialisme réformistes ou révolutionnaires, fédéralisme et régionalisme de droite ou de gauche, travaillisme et adeptes de la participation, anarchisme et partisans de l’autogestion, etc. Cependant, dans ces oppositions si souvent perverties par de fallacieuses annexions, apparaissent, en fait disjoints, les deux éléments toujours accouplés de l’évolutionnisme révolutionnaire de Proudhon : nécessité absolue des transformations continues ("la révolution permanente") et refus de la violence arbitraire, sens du temps ("les révolutions durent des siècles"). Dès lors, "anathémisées de front, les idées proudhoniennes [ont] filtré peu à peu dans la société moderne" (Sainte-Beuve).

Ce père reconnu de la sociologie moderne, du pragmatisme, du solidarisme, du personnalisme, des théories du droit social, a prévu, il y a un siècle, l’essor effectif de la civilisation industrielle. Il a pressenti la division du monde en blocs économiques et en blocs politiques, le risque de guerre totale, l’émancipation de l’Algérie et du Tiers Monde, l’opposition entre pays développés et pays sous-développés, la révolution russe, le "culte des individualités", le "communisme dictatorial", la "guerre sociale", la constitution d’un capitalisme international, le réveil de la Chine, le prodigieux développement de la législation du travail, l’"ère des fédérations", la société de consommation… Il a inspiré la création de la Société des Nations, la Communauté européenne, le régionalisme moderne, les courants de réforme des entreprises (participation, autogestion), de l’agriculture (coopérativisme, agriculture de groupe), de la distribution (coopératives de consommation), du crédit (banques populaires, crédit mutuel) et une large part des réformes pédagogiques modernes (universités autonomes, promotion sociale, éducation permanente, liaison universités-entreprises)… Et l’on pourrait encore évoquer son influence sur le réalisme dans l’art et sur de nombreux écrivains, dont Proust, Bernanos et Camus.

En France, la pensée de Proudhon n’a pas d’organisation officielle, mais elle suscite de nombreux centres de réflexion et d’action, et de vigoureuses admirations. Certains universitaires ou hommes politiques, et non des moindres, ont été influencés par lui. Certains programmes politiques et syndicalistes ont repris des thèmes typiquement proudhoniens. Une "Société P. J. Proudhon" constitue un centre où convergent ces différents courants.

Ainsi la pensée pluraliste de Proudhon acquiert-elle de plus en plus un singulier pouvoir de réalisation. Proudhon, cent ans après sa mort, paraît écrire pour notre avenir. Puissance de la personnalité, acuité de l’œuvre critique, réalisme de l’œuvre positive, multiplicité et permanence des influences exercées, tout désigne en Proudhon un génie novateur.

La désobéissance civile et la non-violence

La désobéissance civile et la non-violence ne sont pas spécifiques à l'anarchisme, mais un courant important de l'anarchisme s'en inspire.

Pratiquement attestée dès l’Antiquité, la désobéissance civile a pris, avec Henry David Thoreau, Tolstoï, Gandhi, Martin Luther King, une forme idéologique plus précise ; elle implique le refus de se soumettre à des lois ou à une autorité dont les effets sont jugés contraires à la dignité de l’homme ou aux aspirations de la vie. Son recours à la non-violence oppose une résistance passive aux injonctions du pouvoir, mais elle peut aussi, avec plus de combativité, inciter à transgresser les interdits. Parfois limitée à la courageuse et exemplaire insoumission d’un individu, elle s’est le plus souvent traduite par des mouvements collectifs qui ont contraint au retrait des mesures incriminées. C’est en cela qu’elle est apparue comme la force des faibles et comme l’arme de ceux qui sont dépourvus de puissance.

La désobéissance civile existe déjà dans le mythe littéraire d’Antigone, laquelle brave les lois de Créon pour donner à son frère une sépulture décente, et de la Lysistrata  d’Aristophane, où les femmes décident de se refuser à leurs maris tant qu’ils n’auront pas mis un terme à la guerre. Elle appartient à la dialectique du pouvoir et de la subversion ; et, partout où s’exprime la nécessité du maintien de l’ordre, elle s’inscrit dans le droit à la révolte comme le dernier recours de l’insurrection quand la violence armée a échoué ou ne peut être engagée.

L’histoire romaine a conservé la mémoire de manifestations de femmes, en - 195, contre des restrictions vestimentaires, ainsi qu’en - 42 contre une taxe abusive. Lope de Vega a démontré l’efficacité du procédé dans sa pièce Fuenteovejuna , où la population d’un village impliquée dans l’assassinat d’un gouverneur odieux s’obstine, en dépit des tortures, à répondre aux magistrats qui exigent le nom du meurtrier : "Fuenteovejuna".

Il est vrai que la désobéissance civile a oscillé plus d’une fois entre l’obstination résignée, qui fait les martyrs, et la passivité subversive, plus proche des méthodes anarchistes. Quelle différence cependant entre les vaudois qui, refusant de tuer, vont au supplice en chantant, et la lucidité de La Boétie, montrant dans son Discours sur la servitude volontaire  comment le pouvoir ne se soutient que par la main que le peuple prête à sa propre oppression.

C’est à Henry David Thoreau que revient le mérite, sinon d’avoir inventé l’expression, du moins d’en avoir éclairé l’idée par le livre et par l’exemple. Ayant refusé de payer l’impôt, en manière de protestation contre la guerre du Mexique, il se retrouva en prison. Comme Ralph W. Emerson le visitant s’étonnait : "Henry, pourquoi êtes-vous là ?", Thoreau rétorqua : "Pourquoi n’y êtes-vous pas ?". L’expérience lui inspira le célèbre Résistance au gouvernement civil  (1849), qui sera réédité sous le titre désormais plus connu de La Désobéissance civile. Il y défendait le droit de refuser de se faire le complice d’un gouvernement ou d’un État qui promulgue des lois contraires au sentiment d’humanité et de liberté individuelle. La tendance pacifiste de l’anarchie y trouvait son compte mais aussi un certain individualisme et les illusions de la liberté encouragés par l’american way of life.

Thoreau fonde ainsi sa conduite sur le libre examen et le jugement de la conscience : une loi n’est contraignante que si elle paraît juste, sinon le devoir est de l’enfreindre. "La seule obligation que j’aie le droit d’accepter c’est de faire à chaque instant ce que je crois juste. Agir justement est plus honorable qu’obéir à la loi". À ce titre, il prit parti contre l’esclavage et la guerre et refusa de payer l’impôt.

L’exemple de Thoreau a donné bonne conscience à Gandhi et à King lorsqu’ils sont entrés délibérément dans l’illégalité. En Inde, le piétisme farouchement individualiste de Thoreau est curieusement venu, à la fin du siècle dernier, revigorer l’antique tradition hindouiste de bonté universelle, d’action désintéressée et d’abnégation. Gandhi, formé à la fois par le jaïnisme si respectueux de la vie et par l’évangélisme britannique, produisit sous la contrainte des événements une philosophie de la non-violence où se conjoignent étroitement la sainteté du rishi et celle d’un disciple du Christ. Mais la non-violence, qui était chez ses inspirateurs avant tout un principe de perfectionnement personnel, devient avec lui un instrument d’action pratique, politique et sociale. Cette méthode de sanctification et d’action, Gandhi s’en servira au début du siècle en Afrique du Sud où, comme avocat, il se fait le défenseur des Indiens immigrés, victimes de discriminations raciales, puis entre les deux guerres et jusqu’à sa mort en 1948, en Inde pour la justice et la paix, d’abord contre le régime britannique, ensuite contre l’affrontement sanglant des hindous et des musulmans que tout son prestige ne put d’ailleurs empêcher.

L’application la plus spectaculaire des vues de Thoreau fut donc l’œuvre de Gandhi. La façon dont il mit fin à l’emprise coloniale anglaise sur l’Inde allait inspirer un grand nombre de campagnes revendicatives : la lutte pour le droit des Noirs américains, menée par Martin Luther King, l’incitation à déserter, pendant la guerre d’Algérie, les sit-in  contre les hostilités au Vietnam, la destruction par le feu des livrets militaires et des ordres de conscription...

Trois raisons ont principalement servi à justifier le recours à la désobéissance civile : la loi divine, le droit naturel et le projet révolutionnaire. C’est un évangélisme qui inspire Tolstoï, soucieux de mettre en pratique la recommandation du Christ : "Aimez-vous les uns les autres". Une inspiration similaire anime Martin Luther King, pour qui, Dieu n’ayant pas cautionné la ségrégation raciale, il n’est pas admissible que des lois l’autorisent.

De son côté, le principe de non-violence, prêché et pratiqué par les sages dès la plus haute antiquité, par exemple par le Bouddha, Mô-Tseu, le Christ, certains stoïciens et, à l’époque moderne, par une foule de fondateurs de sectes ou de philosophes, a été systématisé au XXème siècle par Gandhi[30] en vue d’objectifs politiques et sociaux (libération de l’Inde de la domination anglaise, abolition du système des castes, réconciliation des hindous et des musulmans). Selon l’expression du pasteur américain Martin Luther King, "le Christ a fourni l’esprit, Gandhi a montré comment l’utiliser". Les techniques ainsi mises au point ont prouvé leur efficacité en Inde et la non-violence, au lieu d’être un idéalisme apparemment inapplicable, est devenue un instrument de combat d’une redoutable puissance. Elle a été pratiquée depuis lors dans plusieurs pays, notamment en Irlande dans la lutte pour l’indépendance, aux États-Unis dans la revendication des Noirs pour leurs droits civiques et l’égalité raciale, en Italie contre la misère en Sicile, en France contre la guerre d’Algérie… De nombreux mouvements anarchistes fondent leur action sur la non-violence.

La non-violence est la force du faible et son ultime recours[31]. Son point d’appui est la conscience morale de l’adversaire ou du moins celle du public qui l’environne : le scandale de l’injustice mis en pleine lumière réveille les cœurs, ouvre les yeux, déconcerte et discrédite l’oppresseur. La non-violence brise l’enchaînement de la violence en montrant à l’agresseur qu’il se trompe et en lui imposant une sorte de conversion – qui est sa guérison.

On l’a confondue avec la passivité et la résignation. Il s’agit de tout autre chose : un acte non violent est souvent héroïque ; il suppose une grande maîtrise de soi. La désobéissance civile, la non-collaboration, la grève, etc., sont, en fait, des agressions. La non-violence exerce des sévices, mais ils sont d’ordre moral ; elle est une arme, mais l’arme humaine par excellence parce qu’elle rend plus humains à la fois ceux qui la manient et ceux qui en subissent le choc. La non-violence doit être également distinguée du chantage sentimental qui est une ruse de (vrais) faibles, de l’action dite "psychologique" et des techniques sournoises et indolores par lesquelles on masque la vérité, on "lave les cerveaux" et l’on impose une idéologie. La non-violence, là est toute sa noblesse, ne réussit et n’est utilisable que pour les "bonnes causes". Dès qu’elle vise un profit égoïste, et non la conversion authentique de l’adversaire, de mystique elle se dégrade en politique.

En Occident, de nombreux penseurs modernes ont repris ce thème. On peut citer, à cause de l’influence qu’ils exercèrent sur Gandhi, le philosophe et critique d’art anglais John Ruskin, le comte Léon Tolstoï en Russie, qui fut d’ailleurs à la fin de sa vie, en 1909-1910, en relations épistolaires avec le jeune Gandhi, qu’il appelait son gourou à l’époque où il luttait pacifiquement pour les droits civiques des Indiens au Natal (Afrique du Sud). En France, Romain Rolland, Lanza del Vasto et Louis Massignon furent les premiers à faire écho aux doctrines de Gandhi. Ce sont encore ces doctrines qui ont guidé, avant la Seconde Guerre mondiale, l’action de Jean Giono[32] et de ses compagnons du Contadour.

La non-violence connut un nouvel essor en 1955 à Montgomery en Alabama (États-Unis), lorsque le pasteur King, afin d’obtenir l’égalité pour les Noirs dans les transports publics, organisa le boycottage des autobus de la ville. Le succès remporté, le retentissement qu’il eut dans la nation orientèrent définitivement King et ses partisans dans la voie des manifestations non violentes, malgré l’opposition des meneurs du Black Power (pouvoir noir), partisans de l’action violente. En 1968, le pasteur King fut assassiné à Memphis, à la veille d’une marche non violente en faveur des éboueurs noirs de la ville.

Les méthodes mises au point par Gandhi continuent à être pratiquées en divers pays. En France, pendant la guerre d’Algérie, plusieurs compagnons de l’Arche, sous l’impulsion de Lanza del Vasto et de son "Action civique non violent", se sont livrés à des manifestations pour la paix (défilés silencieux, grèves de la faim, investissements prolongés de camps de prisonniers algériens, etc.). S’est alors déployé un vaste mouvement de refus du service militaire (grève de la faim de Louis Lecoin), qui a abouti à l’établissement d’un statut des objecteurs de conscience (21 décembre 1963).

Jean-Marie Muller a fondé le M.A.N. (Mouvement pour une alternative non violente), qui rassemble les objecteurs de conscience (il y en avait environ mille cinq cents en 1982). Par ailleurs, de nombreuses manifestations (croisières du Fri et du Green Peace autour de Mururoa) se sont déroulées chaque année pour dénoncer les essais nucléaires français dans le Pacifique. Depuis 1970, les exportations d’armes françaises dans le monde se heurtent à une résistance que soutiennent plusieurs organisations. Le projet de camp militaire sur le plateau du Larzac a donné lieu à de nombreuses manifestations antimilitaristes…

En Sicile, Danielo Dolci a mené à partir de 1952 une action non-violente pour sensibiliser l’opinion publique à la misère des bas quartiers de Palerme. En Inde, Vinoba Bhave, disciple de Gandhi, s’est efforcé par des jeûnes et des sermons d’obtenir des grands propriétaires fonciers qu’ils fassent don d’une partie de leurs terres en faveur des paysans pauvres. Au Brésil, dom Helder Camara a tenté de fonder en 1968 une "ligue pour la justice et la paix", dont le but était de provoquer une prise de conscience aussi bien du côté des riches que des pauvres. En Tchécoslovaquie sont apparues des formes extrêmes d’action non violente (suicides par le feu, tel celui de Ian Palach). Il en a été de même au Vietnam. Aux États-Unis la révolte des jeunes contre la société et contre la guerre donne lieu parfois à de vastes meetings de protestation pacifiste. Une formidable résistance s’est manifestée en Pologne au début des années quatre-vingt. D’autre part, dans l’Europe de l’Ouest, les mouvements pacifistes ont pris, autour des années quatre-vingt – en réaction contre le surarmement soviéto-américain – une ampleur considérable et inattendue, spécialement en Allemagne fédérale et aux Pays-Bas.

Bref, depuis Gandhi les peuples opprimés disposent d’un moyen de se faire entendre et rendre justice. "Avec la non-violence, écrit Lanza del Vasto, est entrée dans l’histoire des peuples une puissance révolutionnaire et rénovatrice". Dans sa préface à Jeune Inde  (Young India) de Gandhi, Romain Rolland comparait la non-violence à une vague qui s’est levée au fond de l’Orient : "Elle ne retombera pas, dit-il, qu’elle n’ait recouvert le monde entier".

C'est pour échapper à un certain aspect idéaliste et utopique de la non-violence propre à Gandhi que Jean-Marie Muller préconise les moyens de pression que l’on peut tirer du commerce, de la concurrence et du profit en organisant le boycottage, par exemple, de certains produits. Pour lui, la non-violence est une affaire de force, non d’amour[33]. Ainsi, c’est par une pression qui est non violente mais dont les effets économiques se sont révélés graves que César Chavez et les défenseurs des wet-backs  (travailleurs mexicains exploités par les viticulteurs de Californie) ont réussi, en lançant une campagne de boycottage du raisin et du vin, à modifier la situation. Il s’agit là d’une non-violence "armée", qui se sert des instruments de la société capitaliste pour obtenir des résultats : au lieu de faire appel au cœur, on fait appel à l’intérêt et, pour cela, on dérange le jeu, on incite le maximum de gens à ne pas coopérer, etc. Cette non-violence active, gênante, agressive et... réaliste est sans doute le modèle qui a le plus de chances d’être retenu dans le monde dur qui est le nôtre. L’échec des martyrs de l’I.R.A en Irlande du Nord a montré que les grèves de la faim sont désormais sans effet sur l’opinion et qu’il faut avoir recours à des moyens plus contraignants.

Dans l’attitude de Thoreau, comme chez les manifestants qui récusent l’injustice en se couchant au milieu des rues ou en s’enchaînant, le droit naturel est brandi en opposition à une entreprise du pouvoir jugée dénaturée. De cette connotation juridique est née une forme édulcorée de la désobéissance civile. Selon Abe Fortas, il n’est pas nécessaire d’employer la violence et l’illégalité quand il existe des arguments légaux dont il est possible de faire usage. Si la ségrégation raciale dans les écoles du sud des États-Unis a pu être ainsi condamnée en raison de son caractère anticonstitutionnel, il n’en reste pas moins vrai qu’une telle option revient le plus souvent à "faire confiance aux lois de son pays".

Du reste, la question qui se pose en l’occurrence est moins celle de la violence ou de la non-violence que le choix entre "ne pas faire ce qui est prescrit" et"faire ce qui est interdit". L’anarchiste Libertad brûlant publiquement ses papiers d’identité illustre la seconde voie, mais, pour être moins démonstrative, le mouvement des autoréductions ne fut pas moins efficace, lorsque, en Italie, des quartiers refusèrent de payer l’intégralité des loyers, des titres de transports, des notes d’électricité.

Fin de la première partie



[1] Ce qui amena les exclus à convoquer un congrès extraordinaire à Saint-Imier (Suisse) et à fonder une Internationale anti-autoritaire qui est l'acte officiel de naissance de l'anarchisme.

[2] De nombreux auteurs sont considérés comme des précurseurs de l'anarchisme, notamment en Chine. En Grèce, on cite Zénon et le stoïcisme. En France Rabelais avec son "faictz ce que vouldras" selon la règle de l'abbaye de Thélème, Diderot dans son athéisme… Toutefois, on doit considérer que le premier livre libertaire est dû à William Godwin (1756 – 1836) On peut considérer que le l'analyse sur la justice politique et son influence sur la vertu en général et le bonheur de William Godwin (1756 -1836 ), publié en 1793, est le premier ouvrage libertaire.

[3] Rappelons que la Révolution a déclaré les droits de l'Homme (et du citoyen) qui ne sont pas nécessairement ceux des humains. Loin s'en faut. En même temps, elle a déclaré la liberté du commerce qui, par définition, s'oppose à celle qui n'ont rien d'autre que leur force de travail à vendre ou à louer. C'est d'ailleurs au nom de cette liberté du commerce – d'entreprise – que des mesures seront prises contre les travailleurs, leurs associations et leurs actions !

[4] Dont Marx, Engels, Feueurbach, Bauer… mais aussi… Stirner.

[5] Du moins d'un certain humanisme qui se préoccupe de l'Homme et non des humains.

[6] Du genre chrétiens de gauche qui voit dans jésus l'un des tout premiers anarchistes !

[7] Si Bakounine fut un théoricien, il fut d'abord et toujours un homme d'action, d'engagement, de combat. En revanche, Kropotkine fut d'abord un théoricien et, à ce titre, fut l'un des principaux théoriciens de cette époque.

[8] L'anarchisme reste toutefois extrêmement présent dans toutes les formes d'expression artistique.

[9] Les idées de Proudhon seront reprises et développées plus bas.

[10] Le fédéralisme anarchiste n'a rien à voir avec le système politique dans lequel le pouvoir est partagé entre un État central, autorité supérieure, et des États, provinces ou cantons unis par un lien constitutionnel. De même, pour un anarchiste ou un communard, la fédération n'est pas l'organisation politique et administrative de l’État fédéral.

[11] Comme, par exemple,  les chartes,  certaines institutions comme le Parlement de Paris, les us et coutumes, les droits nobiliaires, les franchises

[12] Autrement dit, on est pasé de la domination, de l'oppression directes à l'aliénation !

[13] Comme chacun le sait, dans le système démocratique, si les votes et les élections pouvaient vraiment changer les choses – et, notamment, l'ordre -, il y a longtemps qu'ils seraient interdits ! Certains anarchistes prônent la participation aux élections locales et, notamment,  municipales : ils constituent le courant dit municipaliste.

[14] Mandat impératif et révocable.

[15] Dont on sait qu'il a toujours donné lieu à de savants découpages électoraux de telle sorte qu'il a toujours été plus difficile – voire impossible – pour le peuple d'élire quelques représentants que pour la bourgeoisie d'élire une majorité qui, en toute démocratie, devient… la majorité !

[16] Il l'est toujours avec, par exemple, l'école Bonaventure mais également les centres sociaux, les M.J.C., les structures d'éducation populaire et d'animation de la jeunesse…

[17] Une utopie n'est pas nécessairement… utopiste quand du rêve de quelques uns, voire d'un seul elle devient le projet collectif d'un groupement.

[18] Stirner a sans aucun doute influencé également la critique nietzschéenne de la démocratie.

[19] L'idée proudhonienne de mutuellisme a donc été reprise par le mouvement mutualiste – mutuelles, assurances, banques… - jusqu'à ce que celui-ci, pour une large part (exemple le Crédit mutualiste Agricole) n'ait plus de mutualiste que le nom et soit, en fait, essentiellement… capitaliste !

[20] Sur ce point, Nietzsche rompra avec Stirner !

[21] On retrouve de nombreuses thèses anarchistes dans les œuvres philosophiques d'Engels.

[22] Qui, historiquement, avec, notamment, l'U.R.S.S., ne sera jamais qu'une nouvelle forme de dictature sur le prolétariat !

[23] Libéral et non… libertaire., c'est-à-dire l'État du capitalisme.

[24] Hélas, sa prévision aura été vraie et à quel prix humain !

[25] Au sens d'instituteur, d'enseignant, de pédagogue… et non de… maître dominant.

[26] Compte tenu de l'importance des idées proudhoniennes dans le mouvement anarchiste, il m'a semblé nécessaire de leur accorder une sous-partie, quitte à faire quelques redites.

[27] Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, à l'évidence, Proudhon fut un génial précurseur !

[28] Cette distinction/séparation de l'action politique et de l'action sociale – et, en particulier, syndicale – est spécifiquement anarchiste par opposition au marxisme-léninisme.

[29] Sous cette forme elle n'est alors plus… le vol !

[30]  "La non-violence, disait Gandhi, est vieille comme les montagnes" ; c’est peut-être chez les rishi de l’Inde qu’on en trouverait la toute première formulation (en sanskrit, elle est désignée par le mot ahimsa , refus de nuire). Elle fut prêchée par le Bouddha pour qui toute violence équivaut à accroître le karma . Mô-Tseu, en Chine, déclarait à la même époque : "Tuer un homme pour le bien du monde n’est pas faire le bien du monde. Mais s’offrir soi-même en sacrifice pour le monde, voilà qui est bien"

[31] Même s'il faut plus de courage pour être non-violent que violent ! Même s'il y a plus de grandeur d'âme à être non-violent que violent !

[32] Giono fut d’ailleurs arrêté pour désobéissance civile en 1939.

[33] Cette évolution de la non-violence s'explique aussi par un rupture à toute origine religieuse, par sa laïcisation, son humanisation.


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