A toi collègue non gréviste...

L. DELCHET[1]

Le silence des pantoufles est parfois plus inquiétant que les bruits de bottes !

Tu crois que tu passeras à travers, les réformes passent et ton quotidien ne change guère. Si tu ne veux pas voir que ton enseignement est progressivement vidé de l'intérieur, que tu seras de plus en plus amené à faire un travail d'animateur, si tu ne veux pas voir qu'il y a de moins en moins d'adultes dans ton établissement, que tu seras de plus en plus amené à faire appel au SAMU ou à la police en cas de problème, effectivement peu de choses changent.

Tu crois que tes routines quotidiennes te protègent. Est-ce uniquement la bonne marche de la photocopieuse et du distributeur de boissons qui te préoccupent ? Crois-tu que la construction d'une nouvelle salle des profs te protégera des tendances à l'oeuvre dans tous les pays industrialisés, que tu seras épargné par la privatisation alors qu'autour de toi, les services publics tombent un par un, alors qu'en Grande-Bretagne, en Suisse, en Italie et bien sûr aux Etats-Unis, la marchandisation de l'enseignement progresse à grand pas ?

Tu es prêt à t'adapter à tout, à la flexibilité, à la privatisation, tu te dis que rien de vraiment grave ne peut t'arriver. Pas de problème, si tu es prêt à accepter de travailler 35 heures au lycée, sur des contrats au mieux annuels, à accepter que les programmes soient concoctés au niveau " régional ", en accord avec les parents d'élèves, les politiques et le patronat local.

Tu penses que tu es un bon prof, que tu seras toujours reconnu et que donc il ne peut rien t'arriver. Il ne peut effectivement rien t'arriver à part que tu feras aussi le surveillant, "l'orientateur", l'infirmier, l'assistant social, l'éducateur spécialisé pour le même salaire, voire un salaire renégocié à la baisse, si les salaires sont régionalisés et individualisés. Il ne peut rien t'arriver jusqu'au jour où les critères changeront et que tu ne seras plus reconnu comme un " bon prof ". Alors, si les directeurs d'établissement ont le droit d'embaucher et de licencier.

Tu penses que tout cela n'est que vaine agitation, on ne peut pas aller contre l'air du temps. C'est au contraire maintenant ou jamais qu'il faut se battre, ce n'est pas une énième réforme dont il s'agit mais de la liquidation DEFINITIVE du service public et de la protection sociale.

Tu crois qu'on a que ce qu'on mérite, qu'il fallait voter autrement. Ce n'est pas seulement pour sa grossièreté envers les profs qu'Allegre a suscité un mouvement de mécontentement. La régionalisation était déjà dans les cartons de la gauche ainsi que l'ouverture du marché de l'Education au secteur privé. Et la réforme Lang des universités qui supprime le DEUG a-t-elle été démentie par la droite ?

Tu crois qu'il y en aura toujours d'autres qui feront grève à ta place, que ton syndicat s'occupe de tout et qu'il n'y a qu'à cotiser pour avoir la paix. Ça eut marché. En 95, il avait quand même fallu deux mois de grève du secteur public pour éloigner le danger. Aujourd'hui, il faut à nouveau s'opposer à cette volonté destructrice. Il est possible de gagner si nous sommes unis et déterminés. Il est possible aussi de subir une défaite historique. Seule une forte mobilisation peut être à la hauteur de l'enjeu.

De toute façon, on en a vu d'autres et on en verra d'autres On n'en a pas vu "d'autres" de cette taille : à travers la régionalisation, c'est l'unité du service public qui est en danger ; à travers la réforme des retraites, c'est la notion même de solidarité qui est visée. Le but avoué est de remplacer progressivement la protection sociale par des mécanismes d'assurance privée et le service public par un service privé.

Tu penses qu'il est plus important de faire cours, il y a le programme de terminale à finir. On ne fera donc rien tant qu'il y aura des terminales ? Les élèves des générations à venir ne sont-ils pas en danger si le service public est ainsi affaibli ? A moins que tu ne sois d'accord avec l'OCDE, qui indiquait en 1996 que " les pouvoirs publics " n'auront plus qu'à " assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer de progresser ". L'OCDE, est un organisme de réflexion et de prospective émanant des 25 pays les plus riches.

Tu as eu tellement de mal à entrer dans l'Education Nationale, tu veux en profiter, tu ne veux pas croire que ce soit déjà fini. Pendant que tu bosses, d'autres réfléchissent à l'avenir de l'éducation. Déjà l'OCDE écrivait en 96 : " Si l'on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves ou d'étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement. " (Centre de développement de l'OCDE, cahier de politique économique n°13-1996).

Tu n'y comprends rien et tu n'as pas envie de comprendre S'informer fatigue. Mais toi aussi, tu es un citoyen comme les autres qui pèse sur les choix de société.

Tu as ta piscine à finir...

Tu n'as jamais fait grève et tu penses être récupéré par les rouges. Si tu penses que défendre le service public et la notion de solidarité sont des lubies de révolutionnaires et des prémisses du grand soir, alors oui, préserve-toi !

IL FAUDRA BIEN SORTIR LA TETE DU CASIER UN JOUR !



[1] http://levilain.com.


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