Anarchie - Anomie - Anarchisme

 

Anarchie

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L’anarchie (du grec an-, préfixe privatif : absence de, et archos, le commandement, ou "ce qui est premier") désigne la situation d’une société où il n’existe ni autorité, ni pouvoir, ni domination, ayant un caractère coercitif, ni non plus une quelconque hiérarchie entre les hommes et les femmes. L’anarchie peut étymologiquement également être expliquée comme le refus de tout principe premier, de toute cause première, et comme revendication de la multiplicité face à l’unicité. Son symbole se traduit par un A inscrit et dépassant du O.

Le mot anarchie est employé tantôt comme synonyme de désordre social (que l’on retrouve dans le sens courant, qui se rapproche de l’anomie), tantôt comme un but pratique à atteindre dans le cadre d'une idéologie (c’est le cas pour les anarchistes).

Anarchie et anomie

Le sens courant

Le mot anarchie est souvent employé comme un repoussoir par des personnes considérant essentiel le principe fondamental d’autorité pour indiquer une situation de désordre, de désorganisation, de chaos, sur la base de l’hypothèse implicite que l’ordre nécessiterait une hiérarchie. On retrouve déjà dans le Littré (le mot est très peu usité avant le XVIIe siècle) la définition de l’anarchie comme "absence de gouvernement, et par suite désordre et confusion". Par extension ce sont toutes les formes de trouble et de désordre qui sont appelées anarchie ; c’est cette façon d’employer le mot qui prévaut dans l’usage courant, comme dans la plupart des dictionnaires. Le poète Armand Robin (1912-1961) définit "l'anarchiste" comme celui qui est "purifié volontairement, par une révolution intérieure, de toute pensée et de tout comportement pouvant d'une façon quelconque impliquer domination sur d'autres consciences".

L’anomie

Le mot correct pour une situation de désordre social, sans lois, sans règles, où les différends se régleraient par la seule violence physique (armée ou non), est l’anomie. L’anomie est une dissolution des normes sociales, règles, lois, coutumes : cette situation peut être liée à une volonté de domination réciproque de plusieurs pouvoirs concurrents, à une réaction de désespoir (L'anarchie est la formulation politique du désespoir, Léo Ferré) face une société moribonde.

À ce sujet, bien que Anomie soit mieux adapté, le terme "Anarchie" est utilisé systématiquement par les pouvoirs pour indiquer une situation politique qu’ils ne maîtrisent pas (et qu’ils désireraient maîtriser), où leur pouvoir politique est en difficulté (du fait de leur hiérarchie).

Termes historiques

Les exemples historiques tels que L’anarchie militaire dans l’Empire romain dans les années 235-268, ou l’utilisation d’Anarchie (The Anarchy) pour définir la guerre civile anglaise qui opposa deux concurrents au pouvoir, Mathilde l'Emperesse et Étienne de Blois entre 1135 et 1154, est révélateur de ce fait : il ne s’agit en aucune façon de situations qui puissent s’apparenter à l’anarchie au sens strict, auquel cas il n’y aurait plus de pouvoir, ni d’autorité, mais il s’agit juste d’une désorganisation liée aux pouvoirs concurrents, d’une période politique troublée.

Utilisation péjorative du terme "anarchie"

Bien souvent, le terme "anarchie" est utilisé pour décrire le chaos, les guerres civiles et les situations de désordre social.

On peut y voir deux raisons.

La première, sans doute la moins importante, provient du terme "anarchie", interprété comme l’absence d’ordre, de règles et de structures organisées, bref : le chaos de l’anomie sociale. Ce n’est pourtant pas ce que prônent les anarchistes. Pour éviter cette confusion entre anarchie politique et anomie, confusion qui dénature les idées de l’anarchisme, les anarchistes utilisent parfois le mot "acratie" ou libertaire (terme inventé par Joseph Déjacque, défenseur de la liberté politique), comme synonymes d’anarchiste.

La seconde, plus concrète et plus forte, provient des luttes anarchistes au tournant des XIXe et XXe siècle en Europe. À cette époque, le mouvement anarchiste a été marqué par les illégaux ou illégalistes qui voulaient sans attendre pratiquer l’anarchisme (et donc ignorer purement et simplement les "lois", considérées comme illégitimes), le diffuser (théorie de la propagande par le fait) et lutter activement contre les oppressions, y compris par la violence. Concrètement, des anarchistes ont escroqué, volé et tué au nom de leur doctrine, avec comme victimes des puissants (princes, ministres, riches, compagnies d’assurances, etc.), des serviteurs de l’État (douaniers, policiers, etc.), et des gens plus ordinaires. Quelle qu’ait été l’importance réelle de ce courant, il a énormément frappé les esprits. Par ailleurs et inversement, par non violence, des anarchistes pacifistes, refusaient la conscription et pratiquaient l’insoumission : dans le contexte de l’époque, cela était aussi (voire plus !) insupportable. Tout cela a servi à expliquer la mise en place des "lois scélérates" à la fin du XIXe siècle dans de nombreux pays et stigmatisé l’ensemble des anarchistes, tandis que "anarchiste" ou "Ravachol" devenaient des injures.

L’usage du terme libertaire s’est d’ailleurs répandu en France avec l’interdiction des mots de l’anarchisme, pour des raisons sociales et juridiques (être l’auteur de "propagande anarchiste" est resté passible de prison jusqu’en 1994).

L’anarchie comme but de l’anarchisme

Les anarchistes face à l’anarchie-anomie

Les anarchistes rejettent en général la conception courante de l’anarchie (utilisée dans le langage courant, par les médias et les pouvoirs politiques). Pour eux, au contraire, l’ordre naît de la liberté, tandis que les pouvoirs engendrent le désordre (voir termes historiques). Certains anarchistes useront du terme acratie, du grec "kratos" (le pouvoir) donc littéralement "absence de pouvoir", plutôt que du terme "anarchie", d’étymologie grecque lui aussi, qui leur semble devenu ambigu, porteur d’un aspect positif mais d’une trop grande connotation négative pour pouvoir être employé comme synonyme d’un objectif désirable. De même, certains anarchistes auront plutôt tendance à utiliser le terme de "libertaires" pour se désigner, ou indifféremment ceux de "fédéralistes", "anti-étatistes" ou "anti-autoritaires".
Il est arrivé à Bakounine lui-même d’utiliser "anarchie" au sens de désordre, et l’on retrouve cette acception dans les écrits du Comité central de l’Internationale genevoise. Ces formulations ne se retrouvent toutefois plus chez les anarchistes actuels.

L’anarchie, société libertaire

Cependant, les anarchistes utilisent encore le terme, porteur d’une histoire indissociable d’autres notions qui s’y rattachent comme l’anarchisme ou l’anarchie positive de Proudhon (qui est d’ailleurs le premier à donner un sens précis au mot anarchie, utilisé auparavant en guise d’insulte dans les milieux politiques sans avoir jamais été véritablement défini).

L’anarchie aux yeux des anarchistes n’est pas un chaos, mais la situation harmonieuse résultant de l’abolition de l’État et de toutes les formes de l’exploitation de l’homme par l’homme, "c'est l'ordre sans le pouvoir", "la plus haute expression de l'ordre" (Élisée Reclus). Basée sur l’égalité entre les individus, l’association libre, bien souvent la fédération et l’autogestion, voire pour certains le collectivisme, l’anarchie est donc organisée, structurée, sans admettre pour autant, aux yeux des anarchistes anticapitalistes, de principe de supériorité quelconque de l'organisation sur l'individu.

On peut noter que chez tous les anarchistes la qualité indispensable est la responsabilité individuelle (associé au droit naturel) qui permet d’agir dans l’intérêt personnel sans pour autant attenter à la liberté des autres. Les seuls mandatés le sont, par volontarisme et sans durée précise, dans un but et sur un mandat précis, et il n’existe ainsi nulle forme de domination ni de gouvernement.

Expériences historiques

L'anarchie a vécu, à des degrés divers à travers l'histoire.

En périodes révolutionnaires

En périodes non-révolutionnaires

Période contemporaine

En d'autres lieux et des périodes plus récentes, certains peuples se sont inspirés en partie de certains principes de l'anarchie :

Voir aussi

Bibliographie

Sur le sens d’ "anarchie":

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Anomie

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L'anomie (du grec an- : absence de, et nomos : nom, loi, ordre, structure) est l'état d'une société caractérisée par une désintégration des normes qui règlent la conduite des hommes et assurent l'ordre social. L'anomie se comprend peut-être mieux entre autonomie et hétéronomie.

Désordre individuel

Émile Durkheim, sociologue français du XIXe siècle, emploie en 1897 le mot d'anomie dans son livre sur les causes du suicide, Le suicide pour décrire une situation sociale, caractérisée par la perte ou l'effacement des valeurs (morales, religieuses, civiques...) et le sentiment associé d'aliénation et d'irrésolution. Le recul des valeurs conduit à la destruction et à la diminution de l'ordre social : le manque de lois et de règles ne peut plus garantir la régulation sociale. Cet état amène l'individu à avoir peur et être insatisfait, ce qui peut conduire au suicide. L'anomie provient du manque de régulation de la société sur l'individu. Il ne sait comment borner ses désirs, souffre du mal de "l'infini". Durkheim considère également l'anomie domestique comme une cause potentielle de suicide, le taux de divorce élevé favorisant statistiquement le suicide, par exemple.

"L’anomie est donc, dans nos sociétés modernes, un facteur régulier et spécifique des suicides ; elle est une des sources auxquelles s’alimente le contingent annuel. […] [Le suicide anomique] diffère en ce qu’il dépend, non de la manière dont les individus sont attachés à la société, mais de la façon dont elle les réglemente." Émile Durkheim, Le suicide, p. 288

L'anomie est en fait assez courante quand la société environnante a subi des changements importants dans l'économie, que ce soit en mieux ou en pire, et plus généralement quand il existe un écart important entre les théories idéologiques et les valeurs communément enseignées et la pratique dans la vie quotidienne.

L'anomie se comprendrait peut-être mieux et plus profondément entre autonomie et hétéronomie à travers les concepts chez Marx des valeurs d'usage et d'échange et les idées chez Jung d'introversion et d'extraversion reprises par Erich Fromm avec la distinction entre "aimer" et "être aimable".

Désordre social

Le terme anomie est aussi utilisé pour désigner des sociétés ou des groupes à l'intérieur d'une société qui souffrent du chaos dû à l'absence de règles communément admises implicitement ou explicitement de bonne conduite ou, pire, dû au règne de règles promouvant l'isolation ou même la prédation plutôt que la coopération.

Robert K. Merton s'est intéressé à l'anomie et a décrit les règles qui, non suivies, y mènent :

L'anomie est dans ce cas davantage une dissociation entre les objectifs culturels et l'accès de certaines couches aux moyens nécessaires. La relation entre le moyen et le but s'affaiblit.

Actuellement, la relativisation des moyens culturels à travers la pluralisation mène surtout au problème de l'insécurité du comportement et de l'orientation, de l'individualisation et de la désintégration sociale.

Pourtant, l'anomie apparaît pour la première fois comme concept sociologique sous la plume du philosophe Jean-Marie Guyau dans Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (1885) comme phénomène intrinsèque de toute société et bénéfique.

" L'anomie, pour Guyau, est créatrice de formes nouvelles de relations humaines, d'autonomies qui ne sont pas celles d'une référence à des normes constituées, mais ouvertes sur une créativité possible. Elle ne résulte pas, comme chez Durkheim, d'un trouble statistique, elle incite l'individu à des sociabilités jusque-là inconnues - dont il dira que la création artistique est la manifestation la plus forte. Jean Duvignaud"

Friedrich Hayek utilise le terme anomie dans ce sens-là.

Distinguo entre anarchie et anomie

L'anomie comme désordre social n'est pas à confondre avec l'anarchie. L'anarchie renvoie étymologiquement à l'absence de commandement (privatif an- et grec archos) et désigne stricto sensu une organisation sociale et politique sans autorité coercitive. Le mot "anomie" se réfère à l'absence de règles, de structure, d'organisation. l'idée que l'anarchie mène nécessairement à l'anomie soit répandue, et au coeur des oppositions à l'anarchisme, les anarchistes s'en défendent. Pour eux, les sociétés actuelles hiérarchisées crée le chaos plutôt que l'ordre, là où l'anarchie serait l'établissement d'un ordre naturel, juste et égalitaire. Il est à ce titre révélateur que le symbole traditionnel de l'anarchie, le A cerclé, représente l'union de l'anarchie et de l'ordre, illustrant ainsi la célèbre maxime de Proudhon : "La plus haute perfection de la société se trouve dans l'union de l'ordre et de l'anarchie".

Historique

Le mot libertaire a été créé par Joseph Déjacque, militant et écrivain anarchiste, par opposition à "libéral". Le néologisme construit sur un modèle alors répandu chez les socialistes utopiques par l'usage du terme prolétaire (égalitaire, fraternitaire), apparaît dans une lettre ouverte à P. J. Proudhon, De l’Être-Humain mâle et femelle - Lettre à P. J. Proudhon, publiée à la Nouvelle-Orléans en mai 1857. Joseph Déjacque s'oppose à la misogynie de Proudhon et l’accuse d'être "anarchiste juste-milieu, libéral et non LIBERTAIRE…". Contre son conservatisme en matière de mœurs, Déjacque revendique la parité des sexes et la liberté du désir dans une société affranchie de l'exploitation et de l'autorité.

Joseph Déjacque a utilisé ce terme comme titre au journal qu'il a publié à New York de juin 1858 à février 1861, Le Libertaire, Journal du mouvement social, titre repris par de nombreuses autres publications ultérieures. C'est dans le dernier quart du XIXe siècle que les socialistes antiautoritaires ont adopté le terme pour désigner les théories et pratiques de l’anarchisme.

En dépit de l'origine du terme, le philosophe et sociologue marxiste Michel Clouscard a introduit l'expression synthétique "libéral-libertaire"" dans son livre Néo-fascisme et idéologie du désir (1972) pour dénoncer le permissivisme moral des étudiants gauchistes de mai 1968 qu'il considère comme une attitude contre-révolutionnaire, expression depuis revendiquée par certains, à l'instar du député européen Daniel Cohn-Bendit.

 

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Anarchisme

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Illustration du livre Le principe anarchiste de Pierre Kropotkine (1913)

L'anarchisme est un courant de philosophie politique développé depuis le XIXe siècle sur un ensemble de théories et pratiques anti-autoritaires[1]. Fondé sur la négation du principe d'autorité dans l'organisation sociale et le refus de toutes contraintes découlant des institutions basées sur ce principe[2], l'anarchisme a pour but de développer une société sans domination, où les individus coopèrent librement dans une dynamique d'autogestion[3].

Étymologie

Le terme anarchie est un dérivé du grec "αναρχία" ("anarkhia ")[4] [5]. Composé du préfixe a- privatif "an-" (en grec αν, "sans", "privé de") et du mot "arkhê", (en grec αρχn, "origine", "principe", "pouvoir" ou "commandement")[6] [7]. L'étymologie du terme désigne donc, d'une manière générale, ce qui est dénué de principe directeur et d'origine. Cela se traduit par "absence de chef[8] ", "absence d'autorité[9] " ou "absence de gouvernement[10]".

Dans un sens négatif, l'anarchie évoque le chaos et le désordre, l'anomie[11]. Dans un sens positif un système où les individus sont dégagés de toute autorité[12]. Ce dernier sens apparaît en 1840 sous la plume du théoricien socialiste Pierre Joseph Proudhon (1809-1865). Dans Qu'est-ce que la propriété ?, l'auteur se déclare anarchiste et précise ce qu'il entend par anarchie : une forme de gouvernement sans maître ni souverain[13].

Précurseurs de l'anarchisme

Diogenes par John William Waterhouse.

Pour de nombreux théoriciens de l'anarchisme, l'esprit libertaire remonte aux origines de l'humanité[14]. À l'image des Inuits, des Pygmées, des Santals, des Tivs, des Piaroa ou des Merina, de nombreuses sociétés fonctionnent, parfois depuis des millénaires, sans autorité politique (État ou police)[15] ou suivant des pratiques revendiquées par l'anarchisme comme l'autonomie, l'association volontaire, l'auto-organisation, l'aide mutuelle ou la démocratie directe[16].

Les premières expressions d'une philosophie libertaire peuvent être trouvées dans le taoïsme et le bouddhisme[17]. Au taoïsme l'anarchisme emprunte le principe de non-interférence avec les flux des choses et de la nature, un idéal collectiviste et une critique de l'État ; Au bouddhisme, l'individualisme libertaire, la recherche de l'accomplissement personnel et le rejet de la propriété privée[18].

Un courant individualiste et libertaire peut également être trouvé dans la philosophie de la Grèce antique, dans les écrits épicuriens, cyniques et stoïciens[19].

Certains éléments libertaires du christianisme ont influencés le développement de l'anarchisme[20], en particulier de l'anarchisme chrétien[21]. À partir du Moyen âge, certaines hérésies et révoltes paysannes attendent l'avènement sur terre d'un nouvel âge de liberté[22]. Des mouvements religieux, à l'exemple des hussites ou des anabaptistes s'inspirèrent souvent de principes libertaires[23].

Plusieurs idées et tendances libertaires émergent dans les utopies françaises et anglaises de la Renaissance et du siècle des Lumières[24]. Pendant la Révolution française, le mouvement des Enragés s'oppose au principe jacobin du pouvoir de l'État et propose une forme de communisme[25]. En France, en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, les idées anarchistes se diffusent par la défense de la liberté individuelle, les attaques contre l'État et la religion, les critiques du libéralisme et du socialisme[26]. Certains penseurs libertaires américains comme Henry David Thoreau, Ralph Waldo Emerson et Walt Whitman, préfigurent l'anarchisme contemporain de la contre-culture, de l'écologie, ou de la désobéissance civile[27].

Définitions

Principes généraux

L'anarchisme est une philosophie politique qui présente une vision d'une société humaine sans hiérarchie, et qui propose des stratégies pour y arriver, en renversant le système social actuel.

L'objectif principal de l'anarchisme est d'établir un ordre social sans dirigeant. Un ordre basé sur la coopération volontaire des hommes et des femmes libres et conscients qui ont pour but de favoriser un double épanouissement : celui de la société et celui de l'individu qui participe au premier.

À la source de toute philosophie anarchiste, on retrouve une volonté d'émancipation individuelle et/ou collective. L'amour de la liberté, profondément ancré chez les anarchistes, les conduit à lutter pour l'avènement d'une société plus juste, dans laquelle les libertés individuelles pourraient se développer harmonieusement et formeraient la base de l'organisation sociale et des relations économiques et politiques.

 

Le "A" inscrit dans un "O", un des symboles de l'anarchisme d'origine maçonnique

L'anarchisme est opposé à l'idée que le pouvoir coercitif et la domination soient nécessaires à la société et se bat pour une forme d'organisation sociale et économique libertaire, c'est-à-dire fondée sur la collaboration ou la coopération plutôt que la coercition.

L'ennemi commun de tous les anarchistes est l'autorité sous quelque forme qu'elle soit. L'État est le principal ennemi des anarchistes : l'institution qui s'attribue le monopole de la violence légale (guerres, violences policières), le droit de voler (impôt) et de s'approprier l'individu (conscription, service militaire). Les visions qu'ont les différentes tendances anarchistes de ce que serait ou devrait être une société sans État sont en revanche d'une grande diversité. Opposé à tout credo, l'anarchiste prône l'autonomie de la conscience morale par-delà le bien et le mal défini par une orthodoxie majoritaire, un pouvoir à la pensée dominante. L'anarchiste se veut libre de penser par lui-même et d'exprimer librement sa pensée.

Certains Anarchistes dits "spontanéistes" pensent qu'une fois la société libérée des entraves artificielles que lui imposait l'État, l'ordre naturel précédemment contrarié se rétablirait spontanément, ce que symbolise le "A" inscrit dans un "O" ("L'anarchie, c'est l'ordre sans le pouvoir", Proudhon). Ceux-là se situent, conformément à l'héritage de Proudhon, dans une éthique du droit naturel (elle-même affiliée à Rousseau). D'autres pensent que le concept d'ordre n'est pas moins "artificiel" que celui d'État. Ces derniers pensent que la seule manière de se passer des pouvoirs hiérarchiques est de ne pas laisser d'ordre coercitif s'installer. À ces fins, ils préconisent l'auto-organisation des individus par fédéralisme comme moyen permettant la remise en cause permanente des fonctionnements sociaux autoritaires et de leurs justifications médiatiques. En outre, ces derniers ne reconnaissent de mandats qu'impératifs (votés en assemblée générale), révocables (donc contrôlés) et limités à un mandat précis et circonscrit dans le temps. Enfin, ils pensent que le mandatement ne doit intervenir qu'en cas d'absolue nécessité (le moins souvent possible donc).

Le rejet du centralisme, pour le fédéralisme, aboutit donc à un projet d'organisation sociale fondée sur la gestion directe de sa propre vie et la décentralisation, où chacun est en mesure de participer à la vie commune, tout en conservant son autonomie individuelle, selon les conceptions parfois diamétralement opposées que s'en font les différents courants anarchistes.

Courants

À la genèse de l'anarchisme politique, on trouve les travaux pionniers de William Godwin : en 1793, il publie Enquête sur la justice politique et son influence sur la morale et le bonheur (traduction française), œuvre largement inspirée par la Révolution française. Il y propose une critique radicale de la société et de toutes les formes de gouvernements qui, selon lui, empêchent l'épanouissement des individus et les mènent à leur corruption. Les travaux de Max Stirner (qui refusait l'appellation "anarchiste") auront également un rôle très important dans le développement de l'anarchisme individualiste. Celui-ci publie en 1845 L'Unique et sa propriété, une œuvre en réaction contre la pensée hégélienne et post-hégelienne, qui va marquer durablement la pensée anarchiste.

Les libertaires considèrent qu'une société anarchiste devrait être construite sans hiérarchie et sans autorité ; les institutions telles que le capitalisme, la famille patriarcale, l'Église, l'État, l'armée sont qualifiées d'autoritaires (dans le sens d'une présence d'autorité par opposition au système libertaire qui s'en passe) et contraires aux libertés individuelles.

Trois mouvements principaux existent au sein de la mouvance anarchiste, l'une socialiste, l'autre individualiste et une autre écologiste. Il existe également d'autres tendances peu connues et plus récentes.

C'est dans l'espace délimité par ces conceptions, globalement peu représentatives de l'ensemble, que se situe la pensée anarchiste.

Aujourd'hui, il existe donc de nombreuses théories anarchistes distinctes. Différents groupes peuvent donc se définir comme anarchistes et néanmoins avoir des positions (au niveau tactique, stratégique, organisationnel, comme au niveau de leur philosophie politique, économique et sociale) différentes, voire opposées.

Courants socialistes

Manifestation d'anarchistes contre le chômage à New-York, 1914

Les socialistes libertaires, selon les tendances, considèrent que la société anarchiste peut se construire par mutualisme, collectivisme, communisme, syndicalisme, mais aussi par conseillisme. L'abolition de la propriété et l'appropriation collective des moyens de production est un point essentiel de cette tendance libertaire. Par propriété, on n'entend pas le fait de posséder quelque chose pour soi, mais de le posséder pour d'autres afin d'en tirer des revenus (locations, lieux de travail...). Ce courant, composé initialement de Proudhon (et ses successeurs), puis de Bakounine était le courant majoritaire au sein de la première internationale, jusqu'à la scission menée par Marx, excluant les anarchistes proudhoniens et bakouniniens. L'anarchisme socialiste est considéré comme une politique qui établit un pont entre le socialisme et l'individualisme (par le biais du coopérativisme et du fédéralisme libertaire) combattant tant le capitalisme que l'autoritarisme sous toutes ses formes.

L'ensemble de ces courants se caractérisent pas une conception particulière du type d'organisation militante nécessaire pour avancer vers une révolution. Ils se méfient de la conception centralisée d'un parti révolutionnaire, car ils considèrent qu'une telle centralisation mène presqu'inévitablement à une corruption de la direction par l'exercice de l'autorité.

Courants individualistes

Les individualistes libertaires, selon les tendances, considèrent au contraire que seul l'individu peut légitimement posséder son bien propre, soit par l'abolition de la propriété, soit par la possession individuelle, soit par propriété privée. Selon cette tendance, les institutions autoritaires doivent être supprimées, en les désertant ou en les combattant, la question essentielle est la liberté de l'individu face à l'oppression de la société (et de ses composantes). Les institutions intermédiaires, nées de la collaboration entre individus et susceptibles de tenir l'État en échec, sont considérées avec bienveillance, pour autant évidemment qu'elles ne participent pas à l'oppression étatique (exemple typique : les fabricants d'armes).

Courants écologistes

L'anarchisme écologiste rejette toute forme d'économie industrielle et d'exploitation du monde naturel (mouvement proche de certaines composantes du communisme anarchiste) dans une mesure plus ou moins importante, et forme un troisième pôle de la pensée anarchiste. Les anarchistes écologistes proposent, selon la tendance, soit le retour à la nature (sous forme de société primitive), soit la mise sous contrôle par les individus de la technologie.

Courants indéterminés

Des courants récents, peu connus ou ayant leur autonomie propre, et ne rentrant pas dans le cadre des tendances précédentes existent.

Conclusions

Ces différents courants/tendances se rejoignent dans la volonté de mettre en place une société libertaire, où la liberté politique serait la règle, c'est-à-dire qu'aucune institution (syndicale, communautaire, droit, ou autre) ou individu n'aurait à contraindre des formes d'organisation politiques libertaire différente. Surtout après la Seconde Guerre mondiale, apparaissent d'autres courants dans différents domaines : politiques, philosophiques et littéraires. Ils se démarquent parfois assez radicalement des doctrines libertaires classiques.

Cette diversification de la philosophie anarchiste montre que l'anarchisme tend à se disperser en fonction de l'attachement des penseurs à des sensibilités politiques ou philosophiques très diverses. Certes, toutes ces tendances ont en commun de rejeter le pouvoir et l'autorité, mais les "programmes" des différents courants sont parfois incompatibles entre eux (cependant, l'anarchisme n'étant pas monolithique, cela n'altère en rien le mouvement).

Conflits entre courants

Les tendances de l'anarchisme historique (anarchisme socialiste/syndicaliste/proudhonien/communiste et individualiste stirnerien) sont également les plus actives politiquement et idéologiquement, et les mieux organisées. Elles peuvent en outre revendiquer un héritage historique très riche, qui s'est construit au fil des décennies autour d'un militantisme et d'un activisme très vivaces. Elles constituent encore de nos jours le noyau dur de l'anarchisme actif, et une majorité d'anarchistes considère que ce sont les seuls mouvements qui peuvent légitimement revendiquer l'appellation d'anarchisme.

Au sein du mouvement anarchiste, d'autres mouvements non traditionnels sont plus ou moins bien accueillis (selon les tendances), certains sont considérés comme un enrichissement de l'anarchisme, d'autres non.

Néanmoins, les diverses tendances se rejettent parfois mutuellement, les individualistes libertaires pouvant rejeter la composante socialiste et réciproquement.

Pour les socialistes libertaires, les courants tels que le national-anarchisme, l'anarcho-capitalisme et l'anarchisme de droite sont rejetés, considérant que les idées de ces mouvements sont extérieures à l'anarchisme politique et historique, et qu'elles n'ont aucun point commun avec les leurs et leur sont même fondamentalement opposées. La plupart estime également qu'ils emploient abusivement le terme "anarchisme". Les anarcho-capitalistes rejettent également le national-anarchisme et l'anarchisme de droite, mais contrairement aux autres anarchistes qui condamnent le capitalisme comme source d'inégalités, ils en sont explicitement les partisans et limitent leur critique à l'État. Cette doctrine qui se revendique anarchiste et libérale peut se trouver rejetée par chacune de ces deux familles.

Vers une société anarchiste

 Exemple d'action directe: Le "London social centre", un squat politique initié par des anarcho-syndicalistes à Russell Square.

Le rejet des contraintes qui entravent l'individu, dans ses désirs ou ses besoins, aboutit à une remise en cause des institutions qui ont été créées, selon les anarchistes, afin de perpétuer ces contraintes. L'État, le Capital, l'Armée et l'Église font parties de ces institutions que les anarchistes essaient de combattre (voire d'abattre). Ce combat contre l'autorité prend souvent la forme d'une action directe (un exemple en est le Do it yourself du mouvement punk), étrangère aux formes traditionnelles de la lutte politique. En fait, les systèmes politiques contemporains étant très souvent dotés d'un pouvoir centralisé, le passage à l'anarchisme implique un changement radical. C'est pourquoi les anarchistes proposent l'abolition de ce système par différents moyens : désobéissance civile, grève, résistance passive ou résistance active, hacktivisme, obstructionnisme, etc. Certains anarchistes considèrent qu'il faut préparer l'avènement d'une révolution sociale radicale (le recours aux armes pouvant être aussi parfois nécessaire pour se défendre contre un système oppressif, qui lui n'acceptera pas le droit aux individus de s'organiser afin de déterminer par eux-mêmes leurs libertés), afin de laisser les sociétés s'organiser sans maîtres et selon leurs besoins et désirs ; d'autres estiment qu'une révolution non violente est possible, avec une extinction progressive des pouvoirs.

Expériences historiques

L'anarchisme a influencé plusieurs expériences historiques.

En périodes révolutionnaires :

En périodes non-révolutionnaires :

Sur ces diverses périodes expérimentales

L'échec de ces expériences sera dû, selon les anarchistes, à plusieurs facteurs externes ou internes au mouvement anarchiste, dont la situation politique internationale défavorable, le trop faible soutien populaire ou international, la répression, les contraintes inhérentes à une situation de guerre révolutionnaire, les entraves de jacobins, de bolcheviques (pour les soviets en Russie), de staliniens lors de la Guerre d'Espagne.

Ces expériences parviennent toutefois à réaliser, selon les anarchistes, de nombreux principes anarchistes, en particulier en matière d'éducation libre, de libre collectivisation des terres et des usines, de liberté politique, etc.

Période contemporaine

En d'autres lieux et des périodes plus récentes, certains peuples se sont inspirés en partie de certains principes libertaires :

Culture contemporaine anarchiste

Les pratiques anarchistes sont entre autre le Do it yourself, le squat, la Free party... L'ensemble de ces pratiques constitue une sous-culture qui est en grande partie une contre-culture. Le web est utilisé pour partager sa bibliothèque (infokiosque) ou pour se tenir informé (indymedia). Certains peuvent considérer le web comme une expérience libertaire : Anarchie et Internet.

Anarchisme socialiste

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L'anarchisme socialiste est une idéologie et un mouvement politique visant d'une part à l'abolition de l'État et du capitalisme, considérés comme deux formes d'oppression indissociables, et d'autre part à l'instauration d'une société égalitaire, délestée des principes antisociaux de la propriété privée et des institutions de type étatique, et fondée sur l'autogestion et la responsabilité individuelle.

Drapeau du communisme libertaire

Anarchisme et Anti-capitalisme

L'anarchisme socialiste est aussi appelé mouvement libertaire ou socialisme libertaire. Ses partisans l'appellent simplement anarchisme. Par sa volonté de transformation sociale, l'anarchisme socialiste fait partie intégrante du socialisme dont il incarne la tendance libertaire. Ses partisans ne reconnaissent pas et rejettent le libertarianisme (dont l'anarcho-capitalisme) car étant simplement du libéralisme antiétatique, cet anarcho-capitalisme ne rejetant que l'autorité de l'État tout en acceptant les autorités "librement consenties", au plan économique spécialement.

Le socialisme libertaire regroupe un ensemble d'approches politiques qui visent à établir une société libre de toute hiérarchie politique, sociale et économique - une société d'où toute institution coercitive, répressive, autoritaire ou violente soit exclue, et dans laquelle toute personne aurait un accès libre et égal à toutes les ressources d'information et de production, - ou encore une société dans laquelle de telles institutions seraient réduites au minimum.[30] Cette égalité et cette liberté seraient réalisées principalement à travers l'abolition des institutions d'autorité d'une part, et de la propriété privée d'autre part[31], afin que le contrôle direct des moyens de production soit détenu par l'ensemble de la classe laborieuse. L'anarchisme socialiste prône en cela l'identification, la critique et le démantèlement pratique de toute autorité, conçue comme illégitime dans tous les aspects de la vie sociale. Aussi les anarchistes socialistes considèrent-ils que "l'exercice du pouvoir sous quelque forme institutionnelle, qu'elle soit économique, politique, religieuse ou sexuelle - fait autant violence à celui qui l'exerce et celui qui le subit".[32]

Alors que la plupart des mouvements socialistes insistent sur le rôle de l'État dans la défense de la liberté et de la justice sociale, les anarchistes socialistes misent sur les unions syndicales, les assemblées citoyennes, les conseils communaux et les collectivités locales, et autres types de fédérations non-étatiques et décentralisées par nature.

Les philosophies politiques communément décrites comme proches de l'anarchisme socialiste incluent plusieurs types d'anarchisme (dont l'anarchisme collectiviste, l'anarcho-syndicalisme[33] et certaines formes d'anarchisme individualiste[34]), de mutualisme, d'écologie sociale,[35] et de communisme de conseils[36] (ou même le communisme lui-même, comme décrit par Karl Marx ou Lénine comme étape ultérieure du socialisme). Les termes communisme anarchiste et communisme libertarien ne doivent pas être considérés comme synonymes d'anarchiste socialiste. Certains chercheurs utilisent le terme d'anarchisme socialiste comme synonyme d'anarchisme.[37]

Dans le contexte du mouvement socialiste européen, les anarchistes sont souvent tenus comme les opposants au socialisme d'État, position incarnée spécialement par un Michel Bakounine devant l'autoritarisme grandissant des communistes marxistes. Un anarchisme de droite s'est au demeurant développé plus tard dans la lignée des écrits d'un Max Stirner, tendance représentée aux États-unis par le puissant mouvement libertarien, lequel procède fondamentalement d'une philosophie capitaliste radicalisée jusqu'à un anti-étatisme pensé comme constitutionnel (le candidat à la présidentielle 2008 Ron Paul appartient au courant politique dûment représenté comme tel outre-atlantique). Le socialisme anarchiste prôné par la gauche libertaire européenne s'en distingue radicalement en appelant fondamentalement à la mise en commun des moyens de production, ceci sans l'intermédiaire d'une institution étatique, mais dans une perspective résolument collectiviste de la société, diamétralement opposée en cela au paradigme individualiste et productiviste propre à la tradition philosophique de la pensée de droite, qu'elle soit américaine ou européenne.[38] Comme Noam Chomsky le souligne, "un libertaire cohérent doit s'opposer à la propriété privée des moyens de production et la sauvagerie inhérente au système qu'elle implique".[39]

L'anarchisme socialiste est une idéologie sujette à différentes interprétations, mais dont le fond commun vise à une distribution des ressources entre les travailleurs dans une perspective foncièrement différente de celle du capitalisme.[40] La théorie économique anarchiste procède de la conjonction optimale des libertés individuelles et la concentration minimale du pouvoir ou de l'autorité. Les socialistes libertaires ayant une forte aversion pour la coercition sous toutes ses formes, ils sont souvent conduits à prôner l'anarchisme comme seule forme constitutionnelle envisageable dans un cadre démocratique véritable.[41]. Les options politiques sont conçues pour décentraliser au mieux le pouvoir économique et politique, en général en impliquant la collectivisation à grande échelle des moyens de production. Les anarchistes socialistes récusent la légitimité de la plupart des formes de propriété privée économiquement signifiante autant qu'ils considèrent les relations de propriétés et de capitaux comme des formes de domination contraires au principe d'une liberté individuelle conçue comme souveraine.[42] Dans un chapitre portant sur l'anarchisme socialiste, l'économiste radical Robin Hahnel présente ainsi la plus grande période d'influence du socialisme anarchiste comme s'étendant de la fin du XIXème siècle jusqu'aux quatre premières décennies du XXème siècle :

"Au début du XXème siècle, le socialisme anarchiste était une force aussi puissante que la sociale-démocratie ou le communisme. L'Internationale Anarchiste de St-Imier fondée au congrès de St-Imier quelques jours après la séparation entre marxistes et anarchistes au congrès de La Haye de 1872 perdura comme force active, devant les communistes et les sociaux-démocrates, en fédérant durablement les énergies diverses d'activistes anti-capitalistes, de révolutionnaires socialistes, de syndicats de travailleurs et de partis politiques pendant plus d'un demi-siècle. Les anarchistes socialistes auront ainsi joué un rôle majeur dans les révolutions russes de 1905 et 1917. Les anarchistes socialistes ont également joué un rôle prépondérant dans la révolution mexicaine de 1911. Vingt ans après la fin de la première guerre mondiale, les socialistes anarchistes étaient encore assez puissants pour qu'aboutisse la plus grande révolution contre le capitalisme qu'on ait vu avec la révolution sociale dont fit l'objet l'Espagne de 1936 et 1937.”[43]

Anti-capitalisme

Les anarchistes socialistes posent que lorsque le pouvoir s'exerce, en terme d'une influence économique, sociale ou physique d'un individu sur un autre, sa légitimation échoit à l'autorité détentrice du pouvoir qui devra dès lors justifier de ses actions en tant qu'elles contreviennent à la liberté individuelle.[44]

Les socialistes anarchistes considèrent que toute structure sociale devrait être développée par des individus ayant une part égale de pouvoir décisionnaire, l'accumulation du pouvoir économique ou politique dans les mains de quelques-uns nuisant nécessairement au libre exercice de la liberté individuelle de la majorité des individus d'un groupe donné.[45].

Pour le dire autrement, quand les principes capitalistes (tout comme ceux du "libertarianisme" nord-américain) concentrent le pouvoir économique dans les mains de qui possède le plus grand capital, l'anarchisme socialiste vise a contrario à redistribuer équitablement le pouvoir, et partant la liberté, entre les différents membres du corps social. Une différence clef, à ce titre, entre libertariens de droite et anarchistes de gauche est que ceux-ci considèrent que le degré de liberté de chacun est affecté par le pouvoir économique associé, quand les premiers estiment que la liberté n'existe qu'en terme entrepreneurial et réduisent la créativité politique à la liberté d'entreprendre au sens purement économique.[46]

Les anarchistes socialistes estiment que si la liberté doit être valorisée, alors la société doit travailler à un système dans lequel les individus ont un pouvoir plénier autant au plan politique qu'au plan économique. Les socialistes anarchistes cherchent à substituer à l'arbitraire de l'autorité la démocratie directe, la liberté d'association et la liberté d'expression, l'autonomie des populations dans tous les domaines de la vie, l'autogestion étant promue enfin comme système universel d'organisation[47], au plan communal (politique) comme au plan syndical ou fédératif (économie). La plupart des mouvements anarchistes arguent que les syndicats et fédérations de travailleurs devraient gérer les infrastructures industrielles, et que les travailleurs devraient pouvoir directement jouir du produit individuel de leur travail[48]. A ce titre, on distingue entre le concept de propriété privée et celui de possession individuelle. Là où la propriété privée autorise le contrôle individuel et exclusif d'un bien, que celui-ci soit en usage ou non, et ce indépendamment de son potentiel productif, la possession individuelle ne garantit quant à elle aucun droit concernant les biens non utilisés.[49]. Un titre de propriété autorise son détenteur à soustraire son bien à l'usage collectif, ou, s'il le désire, de requérir paiement contre son usage : la notion de possession individuelle n'est pas compatible, quand à elle, avec ce type d'"extorsion" ou d'"exploitation".

Opposition à l'État

L'anarchisme socialiste considère toute concentration de pouvoir comme une source d'oppression, au point d'aboutir à une contestation radicale des principes fondateurs de l'État.

Pratiquement, les anarchistes cherchent à s'organiser en associations volontaires, souvent appelées collectifs ou syndicats, fondés en démocratie directe dans les processus de décision. Certains anarchistes socialistes plaident pour la combinaison de ces institutions à travers l'usage de délégués, récusables et non renouvelables, aux différents niveaux fédératifs.[50] L'anarchisme espagnol a donné de nombreux exemple d'organisations fédératives abouties et opératoires. Des exemples contemporains de socialisme anarchiste organisationnel et des modèles décisionnaires pratiques incluent un certain nombre de mouvements anti-capitalistes et anti-globalisation [51] including: Zapatista Councils of Good Government et le Réseau Global Indymedia - qui couvre 45 pays sur 6 continents. On peut citer aussi les nombreux exemples de sociétés indigènes dont le système politique et économique peuvent être opportunément décrits comme anarchiste ou socialistes-libertaires,chacun d'eux étant par ailleurs unique et relatif à la culture qui l'engendra[52]. Pour les libertaires, la diversité des pratiques à l'intérieur d'un cadre de principes communs est une preuve de la vitalité de ces principes, de leur flexibilité et de leur force.

Contrairement à l'opinion répandue, l'anarchisme socialiste n'a pas été traditionnellement un mouvement utopique, ayant plutôt tendu à éviter la théorisation excessive et les spéculations sur ce que devrait être une société future et idéale, hormis quelques exemples plutôt atypiques tels les spéculations hautes en couleurs d'un Charles Fourier. Les penseurs anarchistes furent plutôt enclins à considérer que les changements majeurs ne pouvant êtres réalisés dans l'immédiat historique, il s'agissait d'abord de conduire un combat permanent pour la mise en place de structures sociales nouvelles, pour qu'une solution soit atteinte à terme selon des voies démocratiques et organiques. Les anarchistes suggèrent souvent que cette focalisation sur l'exploration plutôt que la prédétermination fait leur plus grande force. Ils soulignent par exemple que le succès de la science dans son explication du monde naturel procède de la méthode scientifique et de son insistance structurelle sur l'exploration et l'expérimentation rationnelles, et non sur ses conclusions ni ses prévisions ; ceci quand la plupart des explications dogmatiques des phénomènes naturels s'est presque toujours soldée par l'échec. Quoique leurs détracteurs les accusent souvent de ne pas répondre concrètement aux problèmes qu'ils adressent, les anarchistes contemporains considèrent qu'une approche méthodologique de l'expérimentation constitue le meilleur moyen de réaliser à terme leur idéal social. Pour eux, les approches dogmatiques de l'organisation sociale sont ainsi autant vouées à l'échec que le sont les explications dogmatiques du fait naturel. L'anarchiste américain Rudolf Rocker déclara ainsi "Je suis anarchiste non que parce que je crois que l'anarchisme soit le but suprême, mais parce que le but suprême n'existe pas". (The London Years, 1956).

Violence et Non-Violence

Certains anarchistes révolutionnaires prônent la violence comme nécessaire en vue du dépassement et de l'abolition de la société capitaliste. Parmi de nombreux autres, Errico Malatesta argua que l'usage de la violence était nécessaire, comme il l'indique dans Umanità Nova (n° 125, 6 Septembre 1921):

"Notre aspiration et notre but et que chacun puisse devenir socialement conscient et efficient ; mais pour atteindre à cette fin, il est nécessaire de de pourvoir chacun des moyens d'existence et de développement, et il devient dès lors nécessaire de détruire par la violence, comme on ne peut faire autrement, la violence qui dénie ces moyens aux travailleurs."[53]

A contrario, Joseph Proudhon, souvent qualifié de "Père de l'Anarchisme", plaida en faveur d'une révolution non-violente. Le déplacement vers la violence de certaines tendances anarchistes découla plus ou moins systématiquement des massacres perpétrés contres des communautés issues des travaux de Prouhdhon et d'autres. Plusieurs anarcho-communistes commencèrent de considérer la violence révolutionnaire comme contrepoint à la violence capitaliste et étatique, souvent corrélées.[54]

Conflit avec le Marxisme

Michel Bakounine 1814-1876

En rejetant autant le capitalisme que l'État, les anarchistes socialistes se posèrent en opposition avec la démocratie représentative associée au capitalisme autant qu'avec les formes autoritaire du marxisme, qui apparurent précisément à la suite du schisme entre anarchistes et marxistes. Quoique les anarchistes et les marxistes sont souvent considérés comme partageant la croyance en un but commun d'une société sans état, les anarchistes critiquent les marxistes pour leur défense d'une phase transitoire au cours de laquelle les structures d'état sont utilisées aux fins de leur propre dépassement. Néanmoins, les tendances marxistes libertariennes comme le communisme autonomiste ou le communisme de conseils ont été historiquement mêlés au mouvement anarchiste.

Les mouvances anarchistes sont entrées en conflit avec les forces capitalistes et celles marxistes, parfois au même moment, comme à l'occasion de la révolte ukrainienne dite de la Makhnovchina menée par le révolutionnaire anarchiste Nestor Makhno de 1917 à 1923, ou pendant la Guerre civile espagnole, même si comme dans cette dernière guerre les marxistes se divisaient souvent entre soutiens et ennemis de la cause anarchiste. D'autres persécutions politiques sous des régimes bureaucratiques ont résulté dans un antagonisme historiquement fort opposant anarchistes et marxistes libertariens d'un côté et marxistes léninistes de l'autre et leur dérivatifs tels le Maoïsme. Dans l'histoire récente, pourtant, les anarchistes socialistes ont formé des alliances répétées avec des groupes marxiste-léninistes ou néo-trostkystes en des coalitions souvent intempestives.

Une part de cet antagonisme peut être rapporté à l'Association internationale des travailleurs ou Première Internationale, congrès des travailleurs radicaux, où Michel Bakounine, alors représentant clairement les anarchistes socialistes, et Karl Marx, que les anarchistes accusaient d'autoritarisme, entrèrent en conflit ouvert sur plusieurs questions. Le point de vue de Bakounine quant à l'illégitimité radicale de l'État en tant qu'institution et le rôle des politiques électorales fut frontalement opposé aux vues de Marx sur ces sujets, lesquelles faisaient l'objet idéologique prioritaire du congrès. Le succès de Marx se manifesta par l'expulsion de Bakounine et ses suiveurs du champ de la Première Internationale. L'événement marqua le début d'une longue lutte jamais interrompue entres les anarchistes socialistes et les marxistes, ceux-ci étant qualifiés par ceux-là d'"autoritaires".


 

[1] Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Gallimard, coll. « Tel », 1992

[2] Sébastien Faure, Encyclopédie anarchiste, Paris, La Librairie Internationale.

[3] Emmanuel de Waresquiel, Le siècle rebelle, dictionnaire de la contestation au XXe siècle, Larousse, coll. « In Extenso », 1999.

[4] Grand dictionnaire encyclopédique, Paris, Larousse, 1982

[5] Auguste Scheler, Dictionnaire d'étymologie française, Bruxelles, Auguste Schnée, 1862.

[6] Trésor de la langue française, Paris, CNRS Éditions.

[7] Pierre Kropotkine, Encyclopaedia Britannica, Londres, 1910.

[8] Le Nouveau Petit Robert, Paris, Éditions Le Robert, 1995.

[9] Sébastien Faure, Encyclopédie anarchiste, Paris, La Librairie Internationale.

[10] Pierre Kropotkine, Encyclopaedia Britannica, Londres, 1910.

[11] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000

[12] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000

[13] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000

[14] Sur les origines de l'esprit libertaire voir :
(fr) Jean Grave, La société mourante et l'anarchie, Paris, P.V Stock, 1893, p.3
(fr) Max Nettlau, Bibliographie de l'Anarchie, Paris, Stock, 1897
(fr) Émile Armand, Qu'est-ce qu'un anarchiste? Thèses et opinions, Paris, éditions de l'anarchie, 1908, p.43
(fr) Pierre Kropotkine, La science moderne et l'anarchie, Paris, P.V Stock, 1913, p.3.

[15] Francis Dupui-Déri, L'anarchie en philosophie politique ; Réflexions anarchistes sur la typologie traditionnelle des régimes politiques, Les ateliers de l'éthique, Vol. 2, n°1, 2007.

[16] David Graeber, Fragments of an Anarchist Anthropology, Prickly Paradigm Press, sur prickly-paradigm.com, 2004.

[17] Sur les racines taoïstes et bouddhistes de l'anarchisme, voir :

(en) Robert Graham, Anarchism: A Documentary History of Libertarian Ideas, Black Rose, 2005.

(en) Peter Marshall, Demanding the Impossible: A History of Anarchism, Fontana Press, 2008.

[18] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000

[19] Jean Préposiet, Histoire de l'anarchisme, Tallandier, coll. « Approches », 2005.

[20] Pierre Kropotkine, La science moderne et l'anarchie, Paris, P.V Stock, 1913

[21] À propos de l'anarchisme chrétien, voir :
(fr) Léon Tolstoï, Aux travailleurs, traduit du russe, par JW Bienstock, Paris, Stock, 1903
(fr) Jacques Ellul, Anarchie et christianisme, Lyon, Atelier de création libertaire, 1988.

[22] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000

[23] Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Tome I, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1992.

[24] Michel Antony, Ferments libertaires dans quelques écrits utopiques, sur ac-besancon.fr, 2008.

[25] À propos des Enragés, voir : Daniel Guérin, La lutte de classes sous la première république, bourgeois et « bras nus » (1793-1797)

[26] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000.

[27] (en) Peter Marshall, Demanding the Impossible: A History of Anarchism, Fontana Press, 2008.

[28] [Argentine : leçons pour l’anarchisme - Actualité de l’Anarcho-syndicalisme].

[29] Alternative libertaire - Dossier Argentine : Mouvement populaire : En attendant la nouvelle vague.

[30] Baake, David. "Prospects for libertarian socialisme", "Zmag" (Juin 2005)

[31] Mendes, Silva. 'Socialismo Libertario ou Anarchismo', Vol. 1 (1896): "La société devrait être libérée à travers l'affiliation fédérative spontanée du genre humain à la vie, basée sur la communauté du sol et des moyens d'échange ; l'Anarchie serait l'égalité par l'abolition de la propriété privée et la liberté par abolition de l'autorité.

[32] Ackelsberg, Martha A. (2005). Free Women of Spain: Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women. AK Press, p.41. ISBN 978-1-902593-96-8.

[33] Sims, Franwa (2006). The Anacostia Diaries As It Is. Lulu Press, p.160.

[34] Porton, Richard. ‘Film and the Anarchist Imagination’ Verso (1999) p.38)

[35] Bookchin, Murray. 'Post-Scarcity Anarchism' AK Press (2004) p.xl.

[36] Chomsky, Noam. 'Chomsky on Democracy and Education' Routledge (2002) p.133.

[37] Ross, Dr. Jeffery Ian. ‘Controlling State Crime’ Transaction Publishers (200) p.400.

[38] Bookchin, Murray. The Modern Crisis Black Rose Books (1987) p.154–55.

[39] Chomsky, Noam. Otero, Carlos. Radical Priorities AK Press (2003) p.26.

[40] Brooks, Frank H. The Individualist Anarchists: An Anthology of Liberty Transaction Publishers (1994) p. 75.

[41] Spiegel, Henry. The Growth of Economic Thought Duke University Press (1991) p.446

[42] Paul, Ellen Frankel et al. Problems of Market Liberalism Cambridge University Press (1998) p.305.

[43] Hahnel, Robin. Economic Justice and Democracy, Routledge Press, 138.

[44] Chomsky, Noam. 'Language and Politics' AK Press (2004) p.775.

[45] Brown, Susan. 'The Politics of Individualism' Black Rose Books (2003) p.117

[46] Chomsky, Noam. 'Radical Priorities: Expanded Third Edition' Black Rose Books (1985) p.30-31.

[47] Harrington, Austin, et al. 'Encyclopedia of Social Theory' Routledge (2006) p.50.

[48] Lindemann, Albert S. 'A History of European Socialism' Yale University Press (1983) p.160.

[49] Ely, Richard et al. 'Property and Contract in Their Relations to the Distribution of Wealth' The Macmillan Company (1914).

[50] Bookchin, Murray. 'Social Anarchism Or Lifestyle Anarchism' AK Press (1995) p.71-72

[51] Purkis, Jon. Bowen, James. 'Changing Anarchism' Manchester University Press (2004) p.165,179.

[52] Graeber, David. "Fragments of an Anarchist Anthropology" Prickly Paradigm Press (2004) p. 22-23, 26-29

[53] Umanità Nova, n. 125, September 6, 1921.

[54] Goldman, Emma. 'Anarchism and Other Essays' Mother Earth (1910) p.113.


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