APPEL

Pour l'insolence et le blasphème

Le recul de la liberté d'expression

La plupart de nos contemporains considèrent aujourd'hui, à l'instar par exemple de Luc Ferry (Le Soir 18.02.99) qu'on n'a jamais vécu dans des sociétés aussi libres. Ils confondent là l'incontestable libéralisation des mœurs avec le domaine de la liberté d'expression dont l'apogée remonte à la décennie précédente.

Depuis une dizaine d'années en Belgique comme dans les pays voisins, on assiste à la propagation de l'idée que la liberté d'expression comporte des limites et que la tolérance se définit comme le respect des idées d'autrui.

La tolérance est le respect des individus mais pas celui des idées ou des croyances.

Historiquement la problématique de la tolérance s'est d'abord posée dans le domaine de la religion.

Peu à peu, la répression du blasphème, bien que le délit subsiste dans la législation de la plupart des pays, s'est éteinte en Europe. En 1976, la Cour européenne des Droits de l'Homme établissait que la liberté d'expression s'appliquait même aux idées qui heurtent, choquent ou inquiètent. Un tel arrêt empêchait toute activation des législations nationales sur le blasphème. En 1994, la Cour prenait le contre-pied de sa décision antérieure et considérait qu'il était normal d'interdire la projection d'un film susceptible d'offenser des croyants (cf. Guy Haarscher, La Laïcité, pp 79-81).

Dès 1991, l'archevêque de Paris réclamait que des pratiques (sic) telles que prendre pour objet de dérision la vie du Christ devaient être passibles de poursuites judiciaires.

En 1997, l'épiscopat français a créé une association, Croyances et libertés, pour poursuivre tous ceux qui manqueraient de respect aux symboles de la religion. Elle s'en est prise récemment à une firme automobile, qui pour s'éviter les désagréments d'un conflit judiciaire, a préféré retirer le matériel publicitaire litigieux.

On aurait pu croire qu'au XXème siècle les études historiques resteraient à l'abri des tribunaux et des pressions.

C'est tout le contraire qui se produit et un tribunal parisien a clairement statué que même un des meilleurs spécialistes de la question n'était pas libre d'écrire ce qu'il pensait à propos du massacre des Arméniens en Turquie lors de la Première guerre mondiale.

Malgré les protestations de personnalités au dessus de tout soupçon comme Noam Chomsky (Le Monde, 1.9.1998) ou Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 3.2.99) la plupart des pays d'Europe occidentale ont cru opportun de promulguer une législation contre les révisionnistes en présentant comme un motif acceptable - ce qui n'est pas le cas - qu'il s'agissait de personnes d'extrême droite, ce qui ne peut manifestement pas s'appliquer à quelqu'un comme Garaudy, malgré les réserves que méritent ses propos sur la réalité de la Shoah.

L'esprit du temps voudrait nous faire admettre que les coutumes et pratiques traditionnelles devraient maintenant être respectées et sans doute devenir intangibles. Le tribunal français déjà cité a clairement interdit d'écrire que des traditions comme la circoncision étaient folkloriques.

Les juridictions françaises confondent là un jugement d'ordre éthique et le domaine du droit dont ils étendent indûment la fonction.

L'Europe entière paraît maintenant communier dans les poursuites contre les mouvements religieux minoritaires en parvenant à les discréditer par le nom de sectes qu'on a réussi à leur imposer dans l'opinion publique.

Nul doute que beaucoup de ces groupes n'apportent à nos yeux aucun profit à l'humanité et que dans quelques cas, délits et crimes se commettent en leur sein. Ces délits et ces crimes tombent sous le coup de lois en vigueur. De quel droit veut-on légiférer à leur encontre ou les "observer" d'une manière particulière alors que bien d'autres groupes sont plus dangereux pour la liberté ?

Liberté et manipulation

Les manipulations innombrables dont la presse est l'auteur ou le complice, tantôt conscient, tantôt involontaire, s'accompagnent de la même atmosphère d'intolérance. En Belgique plus qu'ailleurs, il a été et reste malséant d'émettre des doutes sur la pureté des intentions des Croates pourtant dirigés par Fr. Tudjman, authentique négationniste. La guerre de Croatie et de Bosnie ne rend pas la presse plus prudente aujourd'hui au Kosovo.

L'affaire Dutroux et les travaux de la commission parlementaire d'enquête ont montré les perversions qu'entraînent les limites de la liberté d'expression.

Elles servent à dissimuler les erreurs ou les crimes et facilitent la manipulation médiatique dont l'ignorance et la répression sont le terreau idéal.

Acteurs sociaux et journalistes sont l'objet de pressions lorsqu'ils dérangent.

Ceux qui peuvent témoigner utilement pour dénoncer des délits sont poursuivis en lieu et place de ceux qu'ils dénoncent. Le cas d'un fonctionnaire de la commission européenne reste exemplaire à cet égard malgré une fin sans doute heureuse pour lui.

Le résultat de ces interdictions, persécutions ou pressions sociales et morales est celui de tous les conformismes : le développement du contrôle politique par le contrôle idéologique et l'ignorance.

Vertus du blasphème

Pourtant toutes les idées jugées importantes dans l'histoire de l'humanité à un moment donné ont d'abord été choquantes voire blasphématoires. Socrate fut condamné à boire la ciguë par la démocratie athénienne et Jésus fut un blasphémateur pour les prêtres juifs. L'Hégire n'est autre que la référence à la fuite de Mahomet.

Les protestants ont été persécutés impitoyablement il y a quelques siècles. Ils furent éradiqués de nos régions alors qu'il y avait eu des républiques protestantes à Gand et à Bruges.

Qui peut jurer qu'un groupe aujourd'hui honni n'aura pas propagé la religion dominante du prochain siècle ? C'est bien à cause de cette crainte qu'on cherche à discréditer tout groupe religieux qui obtient quelque succès.

Les arts, la littérature et même la science se sont développés à coup de scandales où parfois la justice est intervenue comme elle le fit au XIXe siècle.

Flaubert, classique entre les classiques aujourd'hui, fut poursuivi de son vivant comme d'autres artistes ou écrivains.

Il n'y a pas de cas Rushdie en Occident mais éditeurs, producteurs et responsables des médias veillent à ne pas choquer. L'insolence, disent-ils, a des limites.

Ne pas renforcer le conformisme

Il faut sans doute établir des limites comme celles qui ont trait au domaine de la responsabilité : ainsi, calomnie et diffamation constituent légitimement des délits.

La volonté de protéger des mineurs est légitime mais en France une disposition en la matière sert systématiquement à réprimer certaines publications.

Il est normal de réprimer les actes racistes. Le racisme ne relève pas du débat d'idée, il disqualifie par avance une catégorie d'êtres humains.

En outre, il ne faut pas oublier le dernier article de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme qui stipule que nul ne peut se servir des protections prévues dans la déclaration pour saper les libertés qu'elle proclame.

Manipuler en vue de cet objectif, une protection aussi fondamentale que celle du jury pour délit de presse accordée par l'article 150 de la Constitution belge à tous les citoyens, nous semble susciter un risque exagéré et inadéquat pour les libertés. Avec beaucoup de journalistes nous voyons là le recours dangereux à une restriction des libertés opérée sous le prétexte d'une protection de la démocratie.

Le recours à des interdits du type On ne peut laisser faire les sectes, on ne peut laisser parler ceux qui disent que le massacre des Arméniens n'est pas un génocide ou qu'il n'y a pas eu de chambre à gaz voire Les journalistes ne peuvent tout dévoiler peut sembler inspiré par un sentiment de démocratie et de justice.

Pour nous, il consiste en fait en une réaction de peur face à des manifestations le plus souvent peu agréables en soi.

Pour une part, la tentation de l'interdiction par la loi aboutit à masquer l'émergence d'idées absurdes et dangereuses qui se développeront de toute manière, alors que le débat fondamental à leur sujet aura été évacué.

La presse doit demeurer totalement libre de ses propos, comme le prévoit la Constitution.

Des campagnes de presse favorisent l'absence de débat et celle-ci encourage à son tour le lynchage médiatique.

Nous devons observer à regret que ces campagnes tendent à renforcer, au moins provisoirement, des groupes dominants et aveuglent bien des démocrates.

La liberté fait-elle peur ?

Le conformisme n'aidera pas à affronter les problèmes du XXIème siècle. La réalité est toujours plus dérangeante que ce que nous pouvons imaginer. Elle peut être tout à la fois source de nouveautés et de progrès comme pleine de risques. Il ne faut pas sacraliser toute opinion émise. Nous devons pouvoir lutter contre des idées quelles qu'elles soient mais les nier ou les exclure du champ d'argumentation ne sert à rien. Il faut affronter ce qui dérange. Même l'insolence peut être un questionnement fructueux.

Une personne existe lorsque sa voix est écoutée. Communiquer est fondamental pour tous les humains.

L'expression est une des composantes fondamentales et nécessaires de la vie en société. Sa "liberté" ne relève pas d'un luxe de nanti.

L'attitude politique qui consiste à réduire des libertés que l'extrême droite voudrait supprimer n'est pas logique et ne rapporte pas non plus beaucoup de suffrages, si ce n'est à ces partis d'extrême droite, qui peuvent se glorifier d'avoir obtenu des résultats contre les démocrates sans même avoir participé au pouvoir.

Les démocrates songent d'abord à protéger la liberté d'expression, sans laquelle aucune vie politique démocratique n'est possible. Sans elle, comment débattre, comment lutter, comment exercer un contrôle démocratique sur les structures de l'État ?

La liberté d'expression ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.

D'où vient l'autocensure qui nous étouffe ?

Cette terrible liberté fait-elle peur ?

 

LABEL

c/o Bruxelles Laïque - 02/502.98.58

18-20 av de Stalingrad, 1000 Bruxelles

Belgique

http://users.skynet.be/AL/archive/2000/227-avr/label.htm

 

Les premiers signataires :

Claude ADRIAENSSENS, Administrateur de la LABEL - Jean-Jacques AMY, Professeur extraordinaire à la VUB - Willy COURTEAUX, Journaliste - Patrice DARTEVELLE, Président de la LABEL, Administrateur du Centre d'Action Laïque, Directeur d'Espace de Libertés - André DARTEVELLE, Documentariste RTBF - Roland DELBAERE, Enseignant retraité - Christian EYSCHEN, Secrétaire général de la Libre Pensée française - Roberto GALLUCIO, Secrétaire de Cabinet de l'Échevin de l'Instruction publique de Bruxelles - Philippe GROLLET, Président du Centre d'Action Laïque - Jacqueline HARPMAN, Écrivain-psychanalyste - Joseph HICK, Enseignant en lutte - Claude JAVEAU, Professeur à l'ULB - Francois JOTTRAND, Médecin - Frédéric LAVACHERY, Menuisier - Pierre MERTENS, Écrivain - Philippe MOINS, Humain - Pierre PUTTEMANS, Architecte - Johannes ROBYN, Président de l'Union des Athées, Secrétaire de Bruxelles Laïque, Secrétaire général de la LABEL - Roger NOËL / Babar, Éditeur du journal Alternative libertaire - Joachim SALAMERO, Président de la Fédération française de la Libre Pensée - SERDU, Dessinateur de presse - Henri SIMONS, Député européen - Roger SOMVILLE, Peintre - Jean STENGERS, Professeur honoraire à l'Université de Bruxelles - Marc C. STERPIN, Enseignant, Conseiller de CPAS - Freddy THIELEMANS, Échevin - Député européen - Jean VAN LIERDE - Catherine VAN NYPELSEER, Vice-présidente de la LABEL - Georges VERCHEVAL, Directeur du Musée de la Photographie à Charleroi - Willy WOLSZTAJN, Dessinateur de presse.

 


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