CONFUCIUS
(v. - 555 - v. - 479)
et le Confucianisme
Le Juste par la Morale
Confucius (K'UNG FU TZU. K'UNG TZU. KONG TSEU. KONGZI. KONK
FUZI, dans les diverses transcriptions pinyin, Wade-Giles, EFEO ...) serait né,
vers 555 avant l'ère chrétienne, dans la province du Shan-Tung (ou Chan-Tong,
située au bord de la mer jaune et célèbre pour ses soieries) dans une famille
noble peu fortunée mais lettrée.
Nous sommes à la fin de la période des Hégémons
(seigneurs) et à l'aube de la période des Royaumes combattants (500-221) qui
se termine par la fondation de l'Empire. Cette époque féodale, politiquement
très troublée, connaît une grande fermentation intellectuelle.
Les Princes entretiennent des Ecoles de morale et de
politique, dirigées par des maîtres qui ont une clientèle personnelle de
disciples qui peuvent se compter par centaines.
(Selon certains auteurs c'est à cette époque qu'aurait vécu
Sun Zi, (Sun Tzu, Sun Tsu), l'auteur du Ping Fa, un traité sur l'art de
la guerre, notamment la guerre idéologique, publié chez Flammarion, Paris
1972. Selon certains autres il aurait vécu au IVème siècle avant l'ère chrétienne.)
Le premier des grands maîtres est Maître Kong (Kong-Fuzi).
Ses oeuvres ayant été volontairement détruites en 213 et
206 (avant notre ère), les textes qui nous sont parvenus sont des
reconstitutions. Les entretiens de Confucius, Seuil, Points Sagesses,
1981, (Lunyu en pinyin, Ta hio en EFEO) sont attribués
traditionnellement au disciple de Confucius Zeng Shen, mais daterait des
dynasties Qin (221-206) ou Han (206 av. J.C.- 220 après).
La philosophie des anciens chinois est commune à toutes les
écoles.
Chez les Anciens l'ordre naturel est le Tao (Dao), qui se
manifeste dans l'alternance régulière des saisons et dans celle des jours et
des nuits. C'est le cycle du froid et du chaud, de l'ombre et de la lumière, du
féminin et du masculin, du Yin et du Yang.
Le Tao est le "Principe d'ordre" de la nature
toute entière, mais aussi de tout élément naturel, donc de l'être humain,
qui est un mélange d'influences célestes et terrestres, de Yang et de Yin.
Selon les Anciens le Monde est constitué de "trois
puissances": le Ciel, la Terre et l'Homme. Chaque homme est l'intermédiaire
religieux entre le Ciel et la Terre, mais seul le "Fils du Ciel",
c'est à dire le Roi, est habilité à jouer pleinement ce rôle.
Le Tao de l'Homme est constitué de tous les principes de
conduite, les principes moraux, qui permettent d'être cet intermédiaire.
Si le Tao des anciens chinois est l'idéal de Confucius son
approche est personnelle.
L'on approche le Tao par l'étude et la pratique des vertus
de générosité et de bienveillance, de bonne foi et de loyauté. Ainsi l'on
acquiert le Tö (Te, De). L'on devient un homme de qualité, un sage, un saint,
un être civilisé, un modèle pour les autres.
La nature humaine n'est pas mauvaise en soi mais l'on n'est
pas, non plus, "homme de qualité","de bien", par la
naissance.
C'est par l'effort et l'étude de soi-même et des autres
que l'on deviendra un bon père de famille, un bon Prince qui apportera la paix
sociale à son peuple, un grand Roi.
Confucius est un moraliste qui entend assurer la paix
sociale, au bénéfice de tous et en particulier du peuple, par la vertu de
chacun.
Or, selon lui, la vertu de chacun dépend, d'une manière
stricte, de la qualité du langage utilisé, de ce qu'il appelle "la
correction des dénominations".
Il faut savoir très précisément ce que l'on doit faire et ce que l'on ne doit pas faire - ce qui est bien et ce qui est mal.
Il faut donc définir les concepts, et les concepts étant définis,
il faut savoir, par ses paroles et par ses actes, se conformer aux concepts.
Si, dans une Principauté, le Prince est incapable et les
nobles sont corrompus, le peuple ne sait plus que faire et la déliquescence
menace.
Si, dans une Principauté, le père agit en père, le fils
en fils, et le Prince en Prince, tout est bien qui permet la cohésion du
groupe, dont le modèle est la famille patriarcale.
Il faut donc pratiquer la vertu, connaître les Anciens et
les respecter, et pratiquer les Rites - car aucune Société ne peut subsister
sans des cérémonies qui permettent l'enseignement de la Tradition et à chacun
de se situer socialement par rapport aux autres.
Ses détracteurs
a) Le
socialiste Mö-Tseu (Mozi, Mo-Tzu) (v.479-v.381)
Le socialiste Mö-Tseu dénonce le féodalisme de son époque,
l'esprit de clan et les rivalités de prestige.
Il condamne la guerre entre les Cités, les luttes entre les
grandes familles, leurs dépenses somptuaires qui aboutissent à l'exploitation
et à la misère du peuple.
Selon Mö-Tseu la solution n'est pas à trouver, comme le
pense Confucius, chez les Anciens et dans la morale, mais dans la création d'un
système autocratique de gouvernement qui imposera l'altruisme généralisé,
qui imposera l'amour universel.
Des prédicateurs-guerriers feront l'éducation du peuple.
Toute hiérarchie sociale sera supprimée. Les niveaux de vie seront uniformisés.
La vengeance privée sera remplacée par une Justice publique qui interdira tout
homicide.
b) Les taoïstes
Les taoïstes, dont nous allons reparler, contestent, également,
Confucius.
Ce qu'ils veulent, ce n'est pas reconstruire la Société
sur les bases de l'ancienne tradition et sur la vertu. Ce qu'ils veulent c'est
restaurer l'Ordre du Monde par l'ascèse individualiste.
Ils sont convaincus que chaque progrès technique, chaque
institution nouvelle, est un pas de plus sur la voie de l'esclavage de l'homme
et la dégradation de ses vertus naturelles.
Les taoïstes, par respect pour la Nature qui est Yin,
rejettent l'action Yang, condamnent la vie en société et exalte un
individualisme (écologique).
c) Les légistes
Les légistes, au contraire des taoïstes, exaltent l'Etat
et son rôle moteur dans la Société.
Les légistes, conseillers du premier Empereur de Chine, Shi
Huangdi (Che Houang-Ti) (260-210), qui s'est imposé par la corruption,
l'assassinat politique et la guerre, préconisent la création d'un ordre
nouveau.
Cet ordre nouveau ne sera pas fondé sur la morale
traditionnelle, qui a fait la preuve de son impuissance, mais sur un système
"judicieux", parce qu'efficace, de gouvernement fondé sur l'intérêt
et la crainte, les récompenses et les châtiments.
Les légistes pensent que l'appât du gain, la vanité des
titres et des honneurs, la peur des supplices, permettront de restaurer l'Etat
et d'assurer son expansion.
L'administration, totalement soumise à l'Empereur, sera
confiée à des fonctionnaires étroitement hiérarchisés, de qualité moyenne,
formalistes et obéissants, appuyant leurs pouvoirs sur une Loi pénale connue
de tous et rigoureuse.
L'objectif immédiat des légistes est donc le maintien par
la force et la ruse de l'ordre étatique.
Ils affirment, cependant, que leur objectif lointain est
tout autre. L'objectif lointain est l'éducation du peuple et le changement des
moeurs.
L'Etat idéal sera l'Etat qui ne connaîtra ni peines ni récompenses,
dans lequel chacun saura, de lui-même, se comporter correctement, c'est à dire
vertueusement, un Etat sans droit.
Le confucianisme : une idéologie d'Etat
C'est l'Empereur Wou-Ti (Wu-Ti, Wudi, Wu) qui fit du Confucianisme une idéologie d'état.
Ce qui l'intéresse dans le confucianisme c'est l'obligation
morale qui est faite à chacun, bien ou mal né, de devenir un "homme de
qualité" par l'effort vertueux et le culte des ancêtres.
Si les légistes sont, évidemment, politiquement plus réalistes
leur doctrine ne suscite pas l'adhésion populaire. Et il n'est pas interdit de
faire concrètement du légisme tout en se réclamant, officiellement, du
confucianisme.
L'Empereur, qui entend consolider son pouvoir face aux
nobles, va donc s'appuyer sur un système de philosophie morale dirigé par des
cadres issus des classes moyennes.
Ce système aura pour objet idéologique d'instaurer et de
conforter un ordre moral, et pour objet politique de fournir à l'Empereur les
fonctionnaires dont il a besoin pour son administration, ce qui lui permettra
d'abaisser les prétentions des féodaux.
Ces fonctionnaires seront recrutés au moyen d'examens
(concours), donc, apparemment, sur des critères objectifs. Les matières
d'examen sont constituées par l'enseignement officiel du Confucianisme.
L'Empereur Wou-Ti crée, en 124 avant notre ère, une Ecole
d'Administration, dans laquelle l'on enseigne la doctrine réinterprétée dans
le sens d'un dogmatisme d'Etat.
Dans les siècles qui suivent, le système des examens
(concours) et le mandarinat qui en résulte (définitivement en place au VIIème
siècle après J.C.) permettent à la Chine de vivre dans une relative stabilité
- qui durera jusqu'au siècle dernier.
Cependant, le pouvoir politique réel étant assez
rapidement accaparé par les hauts fonctionnaires, les mandarins, qui se
transmettent leurs fonctions d'une manière quasi-héréditaire par le moyen
d'examens orientés sinon carrément truqués, la Chine connaît une
incontestable lourdeur bureaucratique et une certaine sclérose sociale.
Ce qui est intéressant par rapport à l'Occident c'est que
le système politique chinois fonctionne quasiment sans l'outil du Droit.
La Chine traditionnelle ne connaît du Droit que le
droit-sanction, c'est à dire le droit pénal - d'ailleurs particu- lièrement
rigoureux.
Les mandarins pensent que le Droit n'est bon que pour les
barbares, c'est à dire les non-chinois et les chinois qui n'ont rien compris.
Le Droit n'est bon que pour ceux qui n'ont pas compris qu'être
civilisé c'est se comporter moralement, par la recherche de l'équilibre dans
la conciliation, par le maintien de l'harmonie, par la sauvegarde de l'honneur,
par l'observation des Rites et des coutumes, le respect d'une philosophie qui
est une conception équilibrée du Monde, d'un ordre cosmique.
Le système des examens a été supprimé par la Révolution
républicaine de 1911.
Après la Révolution marxiste de 1949 Mao-Zedong s'en est
pris lui-même très violemment au Confucianisme et à Maître Kong, lui
reprochant de s'être momifié en "roi très parfait et très saint"
et à sa doctrine d'être un dogmatisme imposé au peuple par les puissants.
Ce sont, très exactement, les reproches qu'on fera à Mao, après sa mort en 1976, et à "la bande des quatre"(ses disciples-héritiers), accusés de bureaucratisme et d'incompétence idéologique par Deng Xiaoping (Teng Hsiao Ping) et ses amis technobureaucrates, qui eux-mêmes seront accusés de dogmatisme idéologique lors de la révolte des étudiants de Pékin (Beijing) en mai 1989.
Aujourd'hui c'est le Bouddhisme populaire qui multiplie ses
temples en Chine, financés par les commerçants de la diaspora et les nouveaux
riches du capitalisme d'Etat, mais le Confucianisme reste une valeur
traditionnelle fondamentale pour des centaines de millions de chinois.