De l'humanité

le baron d'Hobach

Extrait de "La morale universelle" (Section 2. Chapitre 7=

L'humanité est l'affection que nous devons aux êtres de notre espèce comme membres de la société universelle, à qui par conséquent la justice veut que nous montrions de la bienveillance, et que nous donnions les secours que nous exigeons pour nous-mêmes. Avoir de l'humanité, comme le nom même de cette vertu l'indique, c'est connoître ce que tout homme en cette qualité doit à tous les êtres de son espèce ; c'est la vertu de l'homme par essence. Un être sensible qui aime le plaisir et qui fuit la douleur, qui désire d'être secouru dans ses besoins, qui s'aime lui-même et veut être aimé des autres, pour peu qu'il réfléchisse, reconnoîtra que les autres sont des hommes comme lui, forment les mêmes voeux, ont les mêmes besoins ; cette analogie ou conformité lui montre l'intérêt qu'il doit prendre à tout être son semblable ses devoirs envers lui, ce qu'il doit faire pour son bonheur, et les choses dont l'équité lui ordonne de s'abstenir à son égard.

La justice m'ordonne de montrer de la bienveillance à tout homme qui se présente à mes regards, parce que j'exige des sentiments de bonté des êtres les plus inconnus parmi lesquels le sort peut me jeter. Le chinois, le mahométan, le tartare, ont droit à ma justice, à mon assistance, à mon humanité, parce que comme homme j'exigerois leur secours si je me trouvois moi-même transplanté dans leurs pays.

Ainsi l'humanité fondée sur l'équité, condamne ces antipathies nationales, ces haines religieuses, ces préjugés odieux qui ferment le coeur de l'homme à ses semblables : elle condamne cette affection resserrée qui ne se porte que sur les hommes connus ; elle proscrit cette affection exclusive pour les membres d'une même société, pour les citoyens d'une même nation, pour les membres d'un même corps, pour les adhérents d'une même secte. L'homme vraiment humain et juste est fait pour s'intéresser au bonheur et au malheur de tout être de son espèces. Une ame vraiment grande embrasse dans son affection le genre humain entier, et desireroit de voir tous les hommes heureux.

Ainsi n'écoutons point les vains propos de ceux qui prétendent qu'aimer tous les hommes soit une chose impossible, et que l'amour du genre humain, si vanté par quelques sages, est un prétexte pour n'aimer personne. Aimer les hommes, c'est désirer leur bien-être ; c'est avoir la volonté d'y contribuer, autant qu'il est en nous.

Avoir de l'humanité, c'est être habituellement disposé à montrer de la bienveillance et de l'équité à quiconque se trouve à portée d'avoir besoin de nous. Il est, sans doute, dans nos affections, des degrés fixés par la justice ; nous devons plus d'amour à nos parents, à nos amis, à nos concitoyens, à la société dont nous sommes les membres, à ceux, en un mot, dont nous éprouvons les secours et les bienfaits, dont nous avons un besoin continuel, qu'à des étrangers qui ne nous tiennent par d'autres liens que ceux de l'humanité.

Les besoins plus ou moins pressants rendent les devoirs des hommes plus ou moins indispensables ou sacrés. Pourquoi devons-nous plus d'amour à notre patrie qu'à un autre pays ? C'est parce que notre patrie renferme les personnes et les choses les plus utiles à notre propre bonheur. Pourquoi un fils doit-il à son père son affection et ses soins préférablement à tout autre ? C'est parce que son père est de tous les êtres le plus nécessaire à sa propre félicité, celui auquel il se trouve attaché par les liens de la plus grande reconnoissance.

Le besoin est donc le principe des liens qui unissent les hommes et les retiennent en société. C'est en raison du besoin qu'ils ont les uns des autres, qu'ils s'attachent réciproquement. Un homme qui n'auroit aucun besoin de personne, seroit un être isolé, immoral, insociable, dépourvu de justice et d'humanité. Celui qui s'imagine pouvoir se passer des autres, se croit communément dispensé de leur montrer des sentimens. Les princes et les grands, sujets à se persuader qu'ils sont des êtres d'une espèces différente des autres, sont peu tentés de leur montrer de l'humanité. Il faut communément avoir éprouvé le malheur, ou le craindre, pour prendre part aux peines des misérables. Si l'humanité est une disposition distinctive des hommes, combien en trouve-t-on peu qui méritent de porter le nom de leur espèce !

La morale doit se proposer de réunir d'intérêts tous les individus de l'espèce humaine, et surtout les membres d'une même société. La politique devroit sans cesse concourir à resserrer les liens de l'humanité, soit en récompensant ceux qui montrent cette vertu, soit en flétrissant ceux qui refusent de l'exercer. En un mot, tout devroit faire sentir aux mortels qu'ils ont besoin les uns des autres, et leur prouver que le pouvoir suprême, que le rang, la naissance, les dignités, les richesses, bien loin d'être des titres pour mépriser ceux qui n'ont pas ces avantages, imposent à ceux qui les possèdent, le devoir d'être humains, de secourir, de protéger leurs semblables. Le mépris pour la misère, la pauvreté, la foiblesse, est un outrage pour l'espèce humaine ; au lieu d'exalter celui qui s'en rend coupable, il doit le ravaler, lui faire perdre sa dignité et les droits à l'affection et aux respects de ses concitoyens.


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