Excepté quelques organismes des droits de l’Homme,
l’opinion publique internationale (surtout en France) n’avaient jamais
appris l’existence du bagne de Tazmamart.
C’est ‘’Notre ami le Roi’’ de Gilles Perrault
en 1990 qui l'a révélé au monde.
11 ans plus tard, un des survivants du bagne, Ahmed Marzouki publie
avec l’autorisation du nouveau Roi Mohamed VI "Tazmamart
cellule 10". Beaucoup
de marocains découvrent enfin une partie de leur histoire récente qu’on
appelle maintenant Les années de plomb.
En 1973, suite
a un procès au tribunal militaire de Rabat, le lieutenant M'baraek Touil a
été condamné à 20 ans et détenu à la prison militaire de Kenitra.
La nuit du 7 août 1973, il était parmi les 58 détenus choisi
arbitrairement pour passer 18 ans 49 jours dans une oubliette.
But de l’opération, donner exemple de la leçon qui attendrait
n’importe quel militaire qui oserait penser à un autre jeu de
renversement d’une monarchie vieille de 3 siècles.
Les militaires connaissaient donc l’existence de Tazmamart.
Par contre, excepté quelques familles des condamnés, personne de la
société civile marocaine ne savait rien sur Tazmamart.
Le bagne était situé loin des regards quelques part au milieu des
montagnes de l’Atlas.
Mais, pourquoi les autorités américaines s’intéressaient
soudainement au lieutenant M’barek Touil et pas aux 57 autres condamnés..?
Le destin a voulu que la femme du lieutenant Touil soit américaine.
Après le procès, Nancy qui n’a pas réussi à rendre visite à
son mari, en soudoyant les gardiens, elle a fini par correspondre avec lui
et même lui envoyer une photo de leur fils âgé de quelques mois.
Ça n’a pas duré longtemps. Soudain, plus de réponse, plus de
nouvelles. Le silence.
Fatiguée de rechercher son mari depuis sa disparition de la
prison de Kenitra. Après d'incroyables efforts, Nancy a finit par désespérer.
Elle est rentrée en Amérique avec l’enfant.
Des années plus tard, elle apprend par des organismes des droits de
l’homme que son mari était à Tazmamart. Dès lors elle avait
tout fait pour que le Département d’État à Washington fasse
pression sur Rabat d’où cet intérêt soudain de l’ambassadeur des États
unis pour les droits d’un prisonnier marocain..!
Suite à cette petite visite dans l’ambassade américaine,
Touil a bénéficié d’un régime particulier. Il avait droit à des
sorties matin et soir, a des médicaments et a des repas plus acceptables.
Quand aux autres bagnards.. ? Rien ne leur a été accordé.
Touil cependant, a fait preuve d’une grande générosité en
partageant avec ses camarades
le peu qu’il pouvait. Parmi
les survivants de Tazmamart, plusieurs doivent aujourd’hui, à lui et sa
femme, la vie.
Les autorités américaines connaissaient donc l’existence
de Tazmamart. Pourquoi
ont-ils laissé faire.. ? Même
pas une petite amélioration des conditions de vie n’a été recommandée
pour les condamnés de Tazmamart. S’ils ont laissé des hommes mourir à
petit feu, ce n’est pas à cause d’une politique de non ingérence, au
contraire.
La guerre froide a duré de 1948, ( l'année de la déclaration
des droits de l’Homme..!) à 1989 (l'année de la chute du mur de Berlin).
En 1984, nous sommes encore dans la guerre froide.
On était encore avec l’Amérique ou contre l’Amérique. Cela
concernait autant les régimes politiques que tous les individus
politiquement actifs. Hassan
II, Roi du Maroc depuis 1962, avait choisi son camp, et il l’avait bien
prouvé en 1965 en ordonnant l’assassinat de son opposant le plus menaçant.
Mehdi Ben Barka a été kidnappé et assassiné en France.
Un cou-monté en collaboration des services de renseignements
français, américains et israéliens.
Ben Barka était un démocrate révolutionnaire, tiers-mondiste
reconnu internationalement par les forces militantes des nouveaux pays. Il
n’était pas menaçant
seulement pour Hassan II. Il
faisait partie de la longue liste noire de la CIA.
La tragédie de Tazmamart n’est malheureusement pas l’unique
exemple de l'horreur subie par des marocains et sur lequel les autorités américaines
ont choisi de fermer l’œil.
Le livre d’Ahmed Marzouki raconte le plus fidèlement
possible les 18 ans 49 jours passés à Tazmamart. 6550 nuits. En lisant le
livre, on se croirait par moment dans un camp nazi.
Parmi les 28 survivants de Tazmamart, certains trouvent que Marzouki
ne pouvait pas tout raconter parce que les scènes de cruauté étaient
innombrables et certaines inconcevables. Mais
Marzouki est le premier des survivants de Tazmamart à témoigner en
français dans un livre. Le
chapitre concernant le lieutenant M’barek Touil en dit long sur
l’attitude des États-Unis devant les manquements aux droits de l’Homme
dans les régimes considérés comme ses alliés.
Parce qu’il était marié à une américaine, Touil est
devenu en quelque sorte lui-même américain digne d’un traitement
particulier.. Devant ce
traitement de faveur, tous les
condamnés de Tazmamart auraient aimé être mariés à des américaines.. !
Certains condamnés, qui avaient fait des stages militaires en terre
d’Amérique, regrettaient de
ne pas avoir donner suite à leurs relations amoureuses. La grâce de
Dieu n’existe que pour les américains et ceux qui marient leurs
femmes.. !
Depuis l’attentat du 11 septembre, des voix se sont élevées
pour rappeler que le drame des américains n’est rien comparé à ce que
les autorités américaines ont fait, ou font encore subir à d’autres
peuples. À ces voix, il manque
l’invasion des images d’enfants irakiens qui meurent par millier à
cause de l’embargo. Des
images de frappes aériennes sur l’Irak qu’on devrait normalement nous
montrer aux nouvelles puisque l’information est un droit, paraît-il.
Il manque aussi ce genre de petites anecdotes comme celle du silence
américain face à Tazmamart,
qui illustrent plus que tout la complicité du régime américain aux crimes
contre l’humanité commis par les despotes de ce monde. Deux cent mille
opposants de gauche supprimés au Guatemala, près d'un million de
communistes anéantis en Indonésie et la liste est longue.
Apparemment, jamais depuis l’attentat de New York
l’antiaméricanisme ne s’est autant exprimé.
"Quand on joue avec le feu, on finit par se
brûler", ont entend beaucoup ce genre d’arguments
pour expliquer le drame de New York. Mais,
ces voix ont beau crié haut et fort pour alerter les opinions sur
l’urgence d’une solution pacifique face au terrorisme, elles n’arrêtent
pas la marche des boys vers le terrain de la guerre.
L’antiaméricanisme est perçu comme un cliché, comme
quelque chose qui revient à la mode mais qu’on supporte parce que les
circonstances oblige une certaine liberté d’expression.. Après
tout, nous sommes dans une démocratie.. ! Au fond, si ces voix n’ont
pas d’impact réel pour stoper le lancement des missiles sur le territoire
afghan, c’est parce qu’on n’assimile pas encore profondément la
responsabilité des États unis dans ce qui leur arrive. Cela me rappelle
certains marocains qui ne veulent pas lire ''Tazmamart
cellule 10'' de peur de se sentir
coupables. Après la sortie du livre de Perrault certains
marocains croyaient que Tazmamart était l'invention imaginaire des ennemis
du Maroc.
Faire connaître toutes les merdes que les États-Unis ont
semé un peu partout sur la terre, avec des preuves en images à l’appui,
nécessairement ça réveillerait l'Américain
moyen. Celui qui fait élire les vrais responsables du terrorisme.
Terrorisme d'État, mais terrorisme quand même. Certains
trouveraient l’analyse simpliste. Elle n’est que simple.
Rappelez-vous que c’est ce même Américain moyen qui a arrêté la
guerre du Vietnam (1962 – 1975). Le conflit aura coûté la vie à
46 376 Américains morts au combat, 10 000 morts de causes étrangères et
300 000 blessés. C'en était trop pour le citoyen américain qui se
croyait. 900 000 vietnamiens sont morts à cause de cette guerre.
Aujourd’hui, M'barek Touil vit Aux États unis avec
sa femme et son fils. Naturellement,
il devrait se sentir en paix, loin de Tazmamart et la douleur des
souvenirs. Loin de l'horreur.
Avec
l’attentat du 11 septembre 2001, pour lui, pour sa famille comme pour tous
les américains, voire les occidentaux, rien n'est plus sûr. Quoi
qu'en chante, la grâce de Dieu n'a rien avec l'affaire. Les
hommes aimeront ou n'aimeront pas.
-----------------
Si
ne nous sommes pas des millions à manifester par tous les moyens
pacifiques, contre l'intervention occidentale en Afghanistan, nous
aurons permis d'avance à d'autres terroristes de frapper fort.
Et n'importe qui parmi nous pourrait être touché. Nous aurons
surtout glisser encore plus loin vers la fin d'un projet inachevé
qu'on appelle démocratie.
Comme
les victimes de World Trade Centre à New York, les bagnards de
Tazmamart eux aussi étaient des innocents.
Cliquez et écoutez Chroniques des années de
plomb au Maroc :
Référence :
‘’Tazmamart cellule 10’’ Ahmed
Marzouki. Les Écrits des
hautes terres.