Contre l'Être
Suprême (extraits)
Marquis de
Sade
[Ce texte attribué pendant longtemps au divin marquis, parce que publié sous son nom, en fait dst de Philippe Sollers).
Le 7 décembre 1793, la veille d'être arrêté et
d'entamer une longue suite d'internements sous la Terreur[1],
le divin marquis écrit une longue lettre, restée longtemps inédite, à son
ami en libertinage et athéisme… le cardinal de Bernis, alors exilé à Rome.
L'arrestation de Sade fait suite
à l'affaire de Madame du Barry dans la mesure où, en 1791, il avait écrit au
commandant général de la garde constitutionnelle, le duc de Cossé-Brissac,
amant de la du Barry, pour lui demander une place dans cette garde.
Rappelons que lors de son
internement à Picpus, Sade sera sous le coup d'une condamnation à mort
requise, le 26 juillet 1794, par Fouqier-Tinville pour "intelligence et
correspondance avec les ennemis de la République" et "s'être montré
partisan du fédéralisme et prôneur du traître Roland"[2].
Sur la liste des condamnés à mort de Picpus, Sade portera le numéro 11. Or,
mystérieusement, il échappera à l'appel de son nom lors du départ de la
fameuse charrette.
Fin 1793, Sade se sait menacé
dans sa vie même ; ses écrits revêtent alors une importance particulière car
"le désespoir (étant) une forme supérieure de la critique" (Léo
FERRE) , il jette un regard particulièrement lucide sur son époque, sur
l'Histoire en marche sous ses yeux et, plus généralement, sur les hommes et la
vie.
Cette lettre arriva dans des
circonstances étranges entre les mains d'Aplollinaire qui la remit à Maurice
Heine, lequel la transmit à Gilbert Lely avec la consigne de ne la publier
qu'en 1989 à l'occasion du bicentenaire de la Révolution.
On ne manquera pas de relever
les nombreux passages prémonitoires de cette lettre ! A bien des égards,
on peut considérer que ce texte est une critique anarchiste de la Révolution
française et de ses dérives terroristes et, au-delà, de la Société
en général et du Pouvoir en particulier.
*****
"Un grand malheur nous
menace, mon cher Cardinal, j'en suis encore étourdi. Il paraît que le tyran[3]
et ses hommes de l'ombre s'apprêtent à rétablir la chimère déifique. Ne
voilà-t-il pas une bouffonnerie incroyable […] Me croirez-vous si je vous dis
que l'évangile secret de la nouvelle religion que j'espère encore impossible
(mais nous y allons à grands pas) peut se résumer ainsi : "Tu haïras ton
prochain comme toi-même" ? […] Nous pensions avoir déraciné
l'hypocrisie, eh bien, on nous prépare, figurez-vous, un autre spectacle. Après
les flots de sang, vous savez quoi ? Je vous le donne en cent, en mille, en cent
mille : l'Être Suprême ! Ne riez pas, c'est le nom regonflé de la Chimère,
on nous a changé la marionnette d'habits […]
[…] Or voici venir l'époque
du sang abstrait, rigidifié et frigide. La fable chrétienne était absurde,
soit, mais elle permettait des élans voluptueux. Que voit-on se former
maintenant ? Des corps pincés, désaffectés, désinfectés, hygiéniques, régulièrement
tronçonnés sans le moindre signe de lubricité apparente. Prenez ces pauvres
Girondins. Vous avez appris qu'ils sont mort en chantant ? Étrange
tableau que celui de la guillotine fauchant l'une après l'autre ces voix
joyeuses. Ceux-là, au moins, auront fini comme ils ont vécu, avec la même
insolence, ainsi de la pantomime de Sillery venant saluer la foule et les
tricoteuses aux quatre coins de l'échafaud […]. J'ai vu Fragonard hier soir,
oui, le grand et fameux Fragonard. Il ne dit rien, il ne peint plus, il se
terre. Il m'a confié l'un de ses dessins, je l'ai, en ce moment même, sous mon
lit. D'ici que les fonctionnaires de l'Être Suprême le découvrent ! Mon
compte serait bon, et je tiens à garder ma tête corrompue sur mes épaules
courbées. L'œil d'Allah nous surveille jour et nuit, n'allons pas éveiller sa
fureur. Serais-je obligé demain d'aller me cacher dans les caves du Vatican, au
milieu des collections obscènes des papes ? Ce serait un comble, avouez.
Vous vous rappelez sans doute
cet écrit de Voltaire signé Joussouf-Chéribibi dont nous avions ri ensemble
il y a longtemps. Il s'agit des dangers de la lecture. J'en avais noté quelques
phrases, elles ne sont que trop vraies : "Pour l'édification des fidèles
et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre,
sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne
leur prenne de s'instruire, nous défendons d'enseigner de lire à leurs
enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons
expressément de penser, sous les mêmes peines ; enjoignons à tous les vrais
croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre
phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net.
Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne
signifient rien, selon l'ancien usage de la Sublime Porte"[4].
On pourrait d'ailleurs, mon cher Cardinal, imaginer un temps où, via l'Être
Suprême, et contrairement à l'optimisme commercial du gentil Arouet, il sera
à la fois prescrit de s'enrichir et de ne plus lire. Paradoxe ? C'est mal connaître
les hommes que de penser qu'ils tendent au but qu'ils avouent. Ils disent blanc
et ils pensent noir. Oui, et c'est non. Pureté, et voilà le vice. Vertu, et la
corruption s'agrandit.
Comme d'habitude, le fond de la
scène est occupé par les femmes. Ce sont elles, ai-je besoin de vous expliquer
pourquoi, qui fournissent les gros bataillons du retour à Dieu […]. Elles rêvent,
ces vestales de l'obscurantisme, ces maquerelles manquées de Gomorrhe, de
transformer la France en couvent de la nouvelle imposture. Le costume change, l'âme
de boue reste identique. On couvrira le manque d'appas de ces rebuts de bordel
d'un uniforme noir emprunté aux veuves mystiques de l'islam. Comme vous voyez,
tout va vite à mesure que les têtes tombent dans les paniers. Il n'est une de
ces arrogantes idiotes qui n'ait envisagé, certains jours, de circoncire
violemment le mâle qui les attirait ? Pourquoi, ont-elles dû se dire, s'en
tenir à l'organe qui est l'unique objet de nos ressentiments ? Pourquoi ne pas
couper plus à fond ? Sans se salir les mains, sans y toucher ? En hommage à l'Être
Suprême en méchanceté où se masque plus ou moins bien la figure de leur mère
? La M…[5]
m'en a assez appris sur sa fille possédée du démon. L'Être Suprême ! Voilà
qui convient mieux que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ! C'est plus Elle
! Il suffisait de choisir le sacristain mâle qui pouvait servir politiquement
leur dessein : c'est fait.[6]
[…] Un philosophe de mes amis
parle de "ruse de l'Histoire". La ruse de la Chimère est autrement
redoutable et, parfois, on croirait que l'illusion de l'Histoire n'a été
inventée que pour la servir. Une fois en place, étayée, adorée, servie par
ses nouveaux prêtres, elle décide, bien entendu, la fin de l'Histoire, et
c'est bien ce à quoi nous assistons ces jours-ci. Déjà les trafiquants
s'agitent en coulisse. L'Être Suprême nous prépare un très bon Veau d'Or. A
quoi aura donc servi le supplice affreux du petit La Barre, quand des milliers
de sujets seront placés sous son joug ? N'allons-nous pas changer de tyran en
pire ? Pourquoi pas, bientôt, un dictateur qui prendrait le titre de mufti ou,
plus drôle encore, d'empereur ? Je vois assez bien David se rallier aussitôt
au nouveau régime et, après la fête de l'Être Suprême, organiser ce sacre
impérial avec le pape lui-même en figurant. Prévenez quand même Sa Sainteté
qu'une telle comédie n'est pas à exclure. Ah, Lumières, Lumières, n'étiez-vous
donc que la préparation des Ténèbres ? Rousseau, éternel jean-foutre, ton règne
est-il venu ? Nous avions des esprits éveillés, éprouvés, fermes. Nous
aurons des pleureuses, des Héloïse, des Arsinoé. Je pressens une marée de mélancolie
souffreteuse, un culte rendu aux vapeurs de la moindre migraineuse promue prophétesse.
Le Sous-Être extrême sanctifiera leurs humeurs. Tout cela, me
dira-t-on, sera bon pour le peuple, seule l'aristocratie était athée. Mais,
grands dieux, où vont-ils chercher ces sornettes ? Et même si cela était
vrai, qui fera jamais mieux que l'aristocratie dans l'histoire du goût, des
plaisirs ? A quoi nous servira cette nouvelle idole sinon à augmenter le laid
dont les traces, désormais, sont partout présentes ? Vous connaissez ma devise
: désordre, beauté, luxe, frénésie, volupté. Et encore : si l'athéisme a
besoin de martyrs, mon sang est prêt. Cachons-nous, cependant. Le brave Thomas
M… vient de se suicider. Il était devenu misanthrope par l'affaiblissement de
ses désirs. Je n'ai pas l'intention d'en faire autant. Mes désirs sont
toujours vifs, variés, inlassables, sans cesse renouvelés par l'imagination.
La pensée que j'en ai est la pensée même. Je ne l'égorgerai pas sur l'autel
du dernier pantin.
Vous croyez que j'exagère ?
Qu'un telle bestialité glacée n'a pas pu s'installer en quelques mois dans le
pays le plus civilisé du monde ? Et pourtant, c'est ainsi. Les conséquences
pour l'avenir sont immenses, car, n'en doutez pas, le modèle sera suivi.
On parle de fêter l'Infâme : c'est un arbre. De la "liberté". Voilà
une sacrée transplantation ! Où les rêves de généalogie ne vont-ils pas se
fourrer ! Abolissez la servitude : elle revient, plus que jamais volontaire…
Liberté ? Personne n'a jamais été moins libre, on dirait un fleuve de
somnambules. Égalité ? Il n'y a d'égalité que des têtes tranchées ?
Fraternité ? La délation n'a jamais été plus active. Aurait-on décidé de
mettre à nu le nœud des passions humaines serrant l'annihilation de tous par
tous, qu'on n'aurait pas mieux réussi. Oui, chacun veut la mort de chacun,
c'est vrai. Mais qu'on y mettre alors de l'invention, du piment, l'infinie
ressource des formes et non cette froideur sentimentale de tribunal mécanique.
La peine de mort me révulse. Voyez-moi ça ! La mort sérieuse !
Industrielle ! Morose ! Technique ! Et, qui plus est, accompagnée des jérémiades
de Saint-Preux, des frilosités de l'Épinette, vous savez, la petite grue de
Grimm ?
[…] On n'assassine pas que les
corps mais aussi la langue, la musique, la peinture, l'architecture, le théâtre,
la science. Le vandalisme est devenu général et, bien entendu, l'analphabétisme
suivre cette régression. Il a fallu douze ou treize siècles pour réparer les
ravages du christianisme, combien nous en faudra-t-il pour nous remettre de ceux
de la nouvelle religion ?… Les attitudes et les grognements sont préférés
au savoir, celui-ci désigne aussitôt un privilège qui vous classe comme
royaliste, comploteur, agent de l'étranger, contre-révolutionnaire. La Vertu,
l'immonde Vertu, reprend vie sous le souffle putride de l'ignorance et du préjugé….
L'église gallicane ? Mais ce fut l'erreur fatale, protestantisme qui n'ose pas
dire son nom, Rome de pacotille, succédané d'entre-deux…. Les tonsurés de
chez nous trop liés à l'Ancien Régime et à la noblesse – nos anciens
domestiques, en somme – sont maintenant éliminés, mais la majorité est déjà
ralliée à la cause de l'Être Suprême, ils fourniront demain les troupes du
nouveau culte encore moins païen, ou plutôt d'un paganisme exsangue. Le
christianisme n'est supportable que s'il préserve le paganisme. Sans quoi,
c'est de nouveau l'être chimérique et vain qui ne parut que pour le supplice
du genre humain. Dites de ma part au Saint-Père que, chimère pour chimère,
la sienne, quoique parfaitement hypocrite et risible, a au moins l'avantage
d'avoir peuplé les sanctuaires des bacchanales les plus plaisantes de
l'histoire. Pas un luxurieux ne s'y trompe, et je regrette souvent les heures délicieuses
que j'ai passées à Florence ou à Naples, devant toutes ces nudités
convulsives, offertes. J'ai adoré Michel-Ange et Bernin, je n'adorerai pas des
bustes phrygiens ou des colonnes tronquées de faux temps. Ah, Cardinal, faites
votre possible, je vous en conjure, demain il sera trop tard ! Que nos dernières
années ici-bas soient du moins employées à retarder le règne de la Suprême
Mégère ! Si ce malheur devait arriver, nous serions, imaginez-vous, à
regretter mes maîtres jésuites que vous avez contribué à chasser du pays ;
les jésuites, ces chacals de l'ombre, mais qui, au moins, à force de rhétorique,
n'ignoraient rien de l'inexistence de Dieu comme de l'art du Diable !
Savez-vous comment on appelle
ici la guillotine ? "La cravate à Capet" ; "l'abbaye de Monte-à-regret"
; "la bascule" ; "le glaive des lois" ; "la
lucarne" ; "le vasistas" ; "le rasoir national" ;
"la planche à assignats" ; "le rasoir à Charlot" ;
"le raccourcissement patriotique" ; "la petite chatière" ;
"la veuve". Ces deux derniers mots ne mériteraient-ils pas un long
commentaire ? Gageons que "la veuve" a un long avenir devant elle et
que l'Être Suprême sera son éternel mari. Il y a d'ailleurs eu des
discussions autour de l'appellation divine. L'un voulait qu'on l'appelât
"le Grand Autre". Pour une divinité altérée de sang, ce n'était
pas mal. D'autres hésitaient : le Grand Suprême ? L'Autre Suprême ? Quelques
Allemands qui se trouvaient là ont proposé tantôt "l'Esprit", tantôt
"le Sujet Transcendantal". L'un d'eux, particulièrement obstiné,
voulait qu'on se mît d'accord sur "la Chose en soi" ou "l'En-Soi".
Un autre tenait qu'on s'en tînt à "l'Être", sans adjectif. Il avait
une figure très sacrale. Un autre a proposé plus hardiment : "le Néant".
Le Néant suprême ? Avouez que ce Dieu, cent fois plus cruel que k'autre qui s'était
déjà surpassé, ne sera pas sensé avoir d'états d'âme. Quoi encore ? Un
Viennois de passage prétendait que nous devions désormais nous prosterner
devant "l'Inconscient"[7].
Il s'est vaguement mis à parler aussi de "Manque-à-Être", mais c'était
assez. Il fallait trancher. L'Être Suprême l'a emporté, les préparatifs de
son intronisation devraient se montrer bientôt. Les partisans de la déesse
Raison murmurent bien un peu. Aimable foutaise. Et pourquoi ne pas appeler notre
divinité "le Poumon", comme aurait dit Molière ? Enfin, non, l'Être,
vous dis-je, ce sera l'Être. La matière, la nature, la république une et
indivisible, la république universelle future et l'ensemble des corps, doivent
chanter son hymne. Toute l'astuce est de savoir qui tirera les ficelles du
polichinelle. La Finance, bien sûr, come sempre. Tel sera, sous la
baguette de l'Incorruptible, le mariage du vice et de la vertu. Déjà, l'un de
mes fils, s'appuyant sur ma légère notoriété littéraire, envisage, lorsque
les affaires reprendront, de commercialiser mon nom sous forme… d'une
marque de champagne. Il trouve que cela va bien à mon style, à son côté pétillant,
effervescent, rafraîchissant, ainsi qu'à notre nom dont le bon latiniste que
vous êtes sait qu'il signifie agréable, délicieux, délicat, sapide.
Les jeunes générations ne doutent de rien : à défaut de me raccourcir lui-même,
ce charmant Œdipe veut faire tomber notre blason dans le domaine public. A lui
donc, demain ou après-demain, les nuits et les fêtes. "Buvez du Sade
!", "Une coupe de Sade !", "A la santé de l'Être Suprême
!" […].
N'est-il pas piquant, mon cher
mai, de voir réimposé le dogme absurde de l'immortalité de l'âme par
l'augmentation tétanique de la mortalité des corps ? N'y a-t-il pas là une
sorte de vengeance terrible de ce qui n'existe pas sur ce qui existe ? L'âme
immortelle et illusoire se repaissant de corps ! Quelle monstrueuse vanité psychique
! Quel narcissisme ignare adorant du vent ! l'Éternel porté par des cadavres
au panier, troncs d'un côté, têtes de l'autre ! Oui, oui : d'un côté
l'homme et de l'autre le citoyen ! Et fosses communes à la chaux pour tous, égalité
et fraternité du magma qui n'a plus de nom dans aucune langue ! […] Le
fanatisme les réunit dans la trinité éternelle de la bêtise, de l'ignorance
et du préjugé […]. Écrivez, écrivez, il faut que le témoignage de la
raison se fasse entendre auprès des siècles futurs. "Quels siècles
futurs ? Il n'y a pas de futur" murmurent-ils. "Nous ne serons pas jugés
!". Mais si, vous le serez, canailles, dûssiez-vous étendre la barbarie
à tel point que plus personne, un jour, ne sache lire et écrire ! Il en
restera quelques uns. Ils traverseront, par la seule force de la musique, la
sombre nuit de la mort… Au fait : avez-vous des nouvelles de ce Mozart que
nous avions rencontré chez Grimm ? Est-il vrai qu'il a composé Dom Juan
? Est-ce beau ? Encore un opéra qui, maintenant, ne susciterait que sarcasmes.
On dirait qu'il s'agit des peintures des infamies et des orgies d'une
aristocratie dégénérée. Et, qui plus est, athée, le seul et définitif
grand crime !
En somme, l'Être Suprême veut sélectionner
ses corps et les prendre, pour ainsi dire, à la base. C'est une expérience
de tri. Peut-être en viendra-t-il un jour à les fabriquer de toutes pièces,
à les produire sans mémoire, sans passé, incultes, obéissant immédiatement
à sa voix de fer. Quant à moi, je discerne en toute clarté mon destin : après
m'avoir déshonoré, ruiné, transformé en bouffon irresponsable, on essayera
de me faire passer pour fou. J'irai de la prison à l'asile, à moins d'être
saigné avant[8]
[…]. L'usage incessant et démocratique du mot foutre, par exemple, présage
bien l'interdiction de la chose par l'abus du mot. On dira sans cesse des obscénités
pour en rendre la réalisation impossible. Vous savez que j'ai la gauloiserie en
horreur. C'est une maladie médiévale des Welches, aurait dit Voltaire, et je
pense à sa prophétie : "Il y a des temps où l'on peut impunément faire
les choses les plus hardies ; il y en a d'autres où ce qu'il y a de plus simple
et de plus innocent devient dangereux et criminel". Nous en sommes arrivés
à cette seconde partie de la pièce […] Une nation où les femmes viennent
tricoter tranquillement et parler de leurs affaires sentimentales au pied de l'échafaud
pendant que les têtes tombent – comme des paysannes continuant de laver le
linge pendant que l'on tue le cochon -, cette nation ne peut aller beaucoup plus
loin dans l'adoration de la servitude. La débilitation, partout et toujours, prépare
le dogme : la sauvagerie sans émoi en sera le ciment nouveau. Voilà ce que le
déisme, même ironique, de l'adoit philosophe de Ferney, ne pouvait prévoir.
Un Jacobin particulièrement
obtus s'est exclamé l'autre jour : "La tolérance, il y a des maisons pour
ça !". J'ai eu l'impudence de répondre : "Et, précisément,
citoyen, c'est pourquoi nous l'aimons !". Il m'a répondu : "Vous êtes
pour le bordel philosophique ?". "Pourquoi pas ai-je répondu, et
d'ailleurs cinq solides filles sont arrivées hier d'Avignon ; c'est dans le
Marais, je vous emmène ?" […]
Une autre chose curieuse, c'est
la vogue actuelle des horoscopes et des prédictions. Le moindre charlatan se
fait une réputation en quelques semaines[9]
[…].
La philosophie elle-même, on
devait s'y attendre, est devenue suspecte. On commence à la déclarer
superflue, trop liée à l'Ancien Régime, luxe de la noblesse, passe-temps
d'oisifs. Tout doit devenir fête, rassemblement, hymne collectif, distraction
d'ensemble. On chantera, on défilera, on criera. L'enthousiasme est une
obligation quotidienne […] On a l'impression de vivre sur un gigantesque écran
de mensonges… En outre, des centaines de citoyennes font désormais, le soir,
leurs prières devant un portrait de Robespierre mis à la place du crucifix. Il
paraît que Danton lui-même, averti qu'il était désormais en danger, a répondu
: "Ils n'oseront pas, je suis l'Arche sainte". Ce que Sanson[10]
a commenté sèchement d'un : "Je crois qu'il se trompe. Il n'y a
maintenant qu'une Arche sainte : la guillotine". Fresques pieuses ! Prières
! Arche sainte ! Jusqu'où descendrons-nous ? Combien de temps durera encore
cette Saint-Barthélemy juridique ?
Certes, mon cher Cardinal, les
horreurs et les crimes se sont accomplis de tout temps, et vous savez que j'en
ai nourri mes romans pour en dévoiler, le premier dans l'histoire, la
nervure spéciale. Sans moi, je ne crains pas de le dire, les hommes
continueraient à s'agiter dans leur bourbier de passions et d'en jouir sans
s'en rendre compte. Le compte, le chiffrage, tout est là. L'Être Suprême
n'intervient que lorsqu'on est fatigué de compter, on passa l'addition sans vérifier,
joli calcul, fausse algèbre […]. Jamais on n'a été aussi dédaigneux de
vivre et l'insouciance, parfois, est portée à tel point qu'on assiste à des
scènes inouïes. Ainsi Joseph Chopin, hussard, vingt-trois ans, a continué à
fumer sur la bascule, la tête et la pipe sont tombées ensemble dans le panier.
Les prisonniers ne demandent plus qu'à en finir, Sanson en convient :
"J'ai pu m'habituer à l'horreur que nous excitons, mais s'accoutumer à
mener à la guillotine des gens tout prêts à vous dire "Merci",
c'est autrement difficile". Et encore : "En vérité, à les voir
tous, juges, jurés, prévenus, on les croirait malades d'une maladie qu'il
faudrait appeler lle délire de la mort". Tout cela, bien entendu,
s'accompagne d'une atroce vulgarité qui n'est que la signature de la cruauté
et du fanatisme avec, cependant, quelque chose en plus, jamais vu. Villaré, juré
au tribunal révolutionnaire, était pressé d'aller au restaurant ; la séance
d'accusation traîne ; il se lève et crie : "Les accusés sont doublement
convaincus, car c'est l'heure de mon dîner et ils conspirent contre mon
ventre" […].
[…] Des condamnés comme
ceux-là qui chantent à la girondine et, c'est le cas de le dire, à tue-tête,
font peur au bourreau, aux gendarmes, au tribunal lui-même comme à ceux qui se
tiennent derrière lui. Ils désorientent
le peuple, ils constituent, par leur attitude constante de dérision, une
insulte plus grave que toutes les autres au projet de culte. C'est pourtant là
une attitude bien digne de nos armes, de notre langue et de notre goût […].
[…] Voilà donc Paris, voilà
l'antre des massacres. Depuis le fameux Septembre, tout s'est ordonné
dans le rituel de la tuerie. Ce ne sont plus que des corps qu'on larde au petit
bonheur, qu'on assomme à coups de gourdin, qu'on pique, qu'on découpe, mais
une procession ininterrompue de saint-sacrement ver l'autel de l'idée-couteau,
le tabernacle du tranchant-néant. La monstration des têtes au public ressemble
étrangement à celle de l'ostensoir. L'Être et le Néant sont l'écho
permanent l'un de l'autre, telle est la Table terrorisante, la Loi, l'Édification.
Or vous verrez qu'on oubliera bientôt cette boucherie fondatrice, qu'elle
deviendra dépression mélancolie, cauchemar intermittent, inhibition, trouble,
malaise, angoisse, visions, culpabilité, ressentiment, noirceur. Elle aura
garanti un principe de désolation. On s'en servira tantôt comme épouvantail
et bâton ("tenez-vous tranquille !"), tantôt comme une carotte
("en avant !"). Les chrétiens se sont égorgés pendant des siècles,
nous ferons mieux dans l'hémorragie contrôlée. Des poèmes, encore plus
inspirés que ceux de l'Orphée de Clamart[11],
couvriront ces monuments divers. Ils diront, par exemple : le fond de l'Être
est clos par un nuage obscur ! Sans doute ! Et pour cause ! Après la valse des
faux dieux assoiffés de viandes, nous aurons le surplace d'un dieu squelette.
Les condamnés crient : "Vive le roi !" ou encore : "Vive la république
!", la foule répond : "Vive la nation !", le bruit sourd du
couteau, lui, ponctue : "Vive l'Être Suprême !". Mais je ne veux pas
de roi ni de république, moi ; je ne veux pas de nation ; je ne veux pas non
plus d'Être Suprême. Je n'ai pas l'intention d'applaudir à ce carnaval ! A ce
Jéhovah de carton, de son, ou plutôt d'acier ! A cet éloge de l'âme à rats
! L'égalité ? Soit. Mais je vous rappellerai à vous ce qu'en écrit
Voltaire dans son Dictionnaire philosophique : "Chaque homme, dans
le fond de son cœur, a droit de se croire entièrement égal aux autres hommes
; il ne s'ensuit pas de là que le cuisinier d'un cardinal doive ordonner à son
maître de lui faire à dîner". Je ne veux pas qu'on dise vive pour
: "vive la mort !". Et pas davantage nous pour :
"Vive la mort !". L'Orphée de Clamart s'en va maintenant partout récitant
son dernier vers qui commence par : "Ceux qui pieusement sont morts pour la
patrie". Mais je ne veux pas non plus de patrie ! La littérature n'en a
pas et je n'ai rien à perdre que mes chaînes. Quant à "pieusement",
je vous laisse en sourire en lisant votre bréviaire. Du programme "la
liberté ou la mort", nous n'avons plus que la mort. Pour la fraternité,
mon cher frère (qu'Allah vous protège !), nous savons à quoi nous en tenir :
méfie-toi de ton frère comme de toi-même, ne te parle même pas à toi-même
de peur que ton frère ne t'écoute, les murs sont pleins d'oreilles
fraternelles prêtes à t'envoyer passer une saison en enfer. Un certain
Carrier, très fraternel, organise, paraît-il, de très beaux spectacles
sur la Loire : on y procède à des noyades en tous genres, cela s'appelle la
chambre d'eau. Savez-vous ce qu'est un "mariage républicain" ? Un
homme et une femme ont ainsi l'occasion de faire connaissance dans une asphyxie
continue et froide.. Un autre, Jourdan, a l'habitude de crier aux suppliciés au
moment suprême : "Va coucher avec ta maîtresse !". Reconnaissez que
la sensualité vient de faire là un progrès énorme : on ne s'excite plus en
imagination sur la mort ; on fait l'amour, forcé, directement avec elle. Le
Dieu ancien demandait de la procréation et des sacrifices. Le nouveau a décidé
l'abolition du sexe et son remplacement par une incessante décréation.
C'est vraiment un dieu des morts. L'ancien était pareil, mais au moins il
faisait semblant d'être celui des vivants. Vous me direz que cela clarifie les
choses. Voire.
[…] J'avais l'habitude de lui [12]
répondre que le souvenir de ces choses-là[13]
[…] était ma seule consolation en prison et dans l'existence, l'existence
elle-même n'étant de toute façon qu'une prisons. Ces choses là, mon
cher Cardinal, je n'y renoncerai jamais, sous aucun prétexte, je souhaite
qu'elles puissent être, un jour, la mesure de tous les écrits […]. Si je
suis arrêté, ce qu'à Dieu ne plaise, je vous supplie de mettre tout en œuvre
pour la sauvegarde de mes papiers. Madame Quesnet [14]
est sûre. Mon corps n'est rien, il tombera où le hasard voudra, mon ambition
est d'ailleurs de disparaître pour toujours de la mémoire des hommes [15][…]
Sentez-vous venir cette communion, cette fusion, cette conjugaison forcenées de
tous les cultes ? Les "droits de l'homme" – décrétés, vous vous
en souvenez, "en présence et sous les auspices de l'Être Suprême -
seront sans doute une pauvre défense devant cette marée. Je prends quand même
un certain plaisir à vous rappeler l'article 11 : "La libre communication
des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ;
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement…". J'arrête là
la phrase car ensuite la limite de la loi revient, ce que je veux pas considérer.
"En présence", "sous les auspices" […] Il a même été
question des "yeux du législateur immortel". C'est à frémir de dégoût.
Gardez mes manuscrits, cher ami, faîtes-les publier. Ils en consoleront sans
doute certains dans la suite des temps. Je dis bien certains, toujours
les mêmes, qui ne se résigneront pas à la limitation des droits de
l'imagination. Mes nuits, la plume à la main, sont et resteront les meilleurs
souvenirs de ma vie ; ah comme elle vole encore cette plume, avec laquelle je défie,
en ce moment même, l'horizon borné qui m'enferme ! Comme les lettres sont
puissantes quand l'esprit est en feu ! Le flambeau de la philosophie s'allumera
toujours à celui du foutre, on ne l'éteindra pas dans les temps, mille êtres
suprêmes dussent-ils s'agiter pour en étouffer l'étincelle. Je ne crois qu'à
ce que je lis, je veux vérifier chaque phrase. On en censurera beaucoup, de façon
plus ou moins ouverte, mais il en restera toujours pour rallumer le bûcher qui
consumera tous les dieux […]. Voulez-vous que je vous dise ma seule certitude
? Seule l'imprimerie est divine. Des récits, des expériences, des
variations, des calculs, des résultats dans ces chose- là, voilà ce
qu'il nous faut, sans cesse. Telle est ma Torah, mon Évangile, mon Coran, ma Déclaration
des droits. Ou plus exactement et plus modestement, si vous préférez, mon
sextant, ma boussole. J'ai appris à écouter chacun et chacune en fonction de
ce Nord-là. Ils sont obligés de le désigner malgré eux, cela s'entend,
leurs moindres mensonges en sont aimantés, la vérité, indéfiniment y
respire, transpire et conspire. Votre glorieux prédécesseur, le cardinal de
Retz, avait coutume de dire : "Il y a des matières sur lesquelles il est
constant que le monde veut être trompé". Ces choses-là sont cette
matière. Elle est infinie, comme sera infinie la preuve qu'on peut y apporter.
Est-ce un hasard si le français est la langue où se déroule cette démonstration
fabuleuse ? Est-ce un hasard si c'est le français qu'on veut et voudra bâillonner
sur ce point capital ? Si les Français eux-mêmes ont décidé de s'oublier et
de se haïr assez pour précéder les autres peuples dans cette dénégation
criminelle ? Pauvres Français ! Supprimez-vous donc ! Encore un effort !
Embrassez les théories de Moïse, de Calvin, de Luther, de Mahomet ;
mettez-vous à l'hébreu, au suisse, à l'allemand, à l'arabe ! Abîmez-vous
dans les gargouillis d'Hébert ! J'ai dit que je n'avais pas de patrie, mais,
enfin, quod scripsi, scripsi […].
[…] Promenez-vous, lisez, écrivez,
vivez comme le subtil Arétin[16]
voulait qu'on vécût en ce très bas monde qui n'a rien de suprême. Et
croyez-moi toujours votre non humble et non obéissant non-serviteur, c'est-à-dire
votre ami[17]
[18].
[1] Madelonettes, Carmes, Saint-Lazare et, enfin, Picpus où il retrouvera Choderlos de Laclos.
[2] Autrement dit, d'avoir appartenu au parti girondin.
[3] Robespierre.
[4] Voltaire, De l'horrible danger de la lecture.
[5] La présidente de Montreuil, belle-mère de Sade.
[6] Pas de hâtive accusation de sexisme. En fait, Sade vise certaines femmes : les égéries de la Révolution, véritables furies appelant sans cesse à davantage d'exécutions.
[7] Un Viennois ? l'Inconscient ? Freud sévissait déjà ?
[8] Et… c'est ce qui est arrivé !
[9] Depuis, la Raison et la Science ont progressé puisque le charlatanisme est sanctionné par un doctorat d'Université !
[10] L'exécuteur des hautes œuvres. Autrement dit le "Bourreau en chef", fondateur d'une dynastie de… bourreaux !
[11] Illuminé se disant la réincarnation de Virgile, de Dante, de Pétrarque…, écrivaillon raté, se faisant un devoir patriotique de dénoncer les poètes, les écrivains… osant mettre en doute l'Être Suprême. Il habitait Clamart, d'où son nom.
[12] Madame de Sade.
[13] Le gouvernement, la Société, la chose publique.
[14] Il s'agit de Marie-Constance Reinelle, épouse de Balthazar Quesnet, et compagne du marquis de 1790 jusqu'à sa mort en 1814. Dans son testament, Sade a tenu à lui exprimer son "extrême reconnaissance" pour les soins qu'elle lui a prodigués et sa sincère amitié… "sentiments témoignés par elle non seulement avec délicatesse et désintéressement, mais même encore avec la plus courageuse énergie, puisque sous le régime de la Terreur elle me ravit à la faux révolutionnaire trop certainement suspendue sur ma tête, ainsi que chacun sait".
[15] Dans son testament, Sade demandait à être enterré dans un taillis fourré de sa terre de la Malmaison, "le premier qui se trouve à droite dans le bois en y entrant du côté de l'ancien château par la grande allée qui le partage". Il poursuivait : "La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands afin… que les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre comme je me flatte que ma mémoire s'effacera de l'esprit des hommes, excepté néanmoins du petit nombre de ceux qui ont bien voulu m'aimer jusqu'au dernier moment et dont j'emporte un bien doux souvenir au tombeau".
Malgré ce testament, et sans doute en raison de la poursuite de la vindicte haineuse de sa belle-famille, Sade fut enterré religieusement dans le cimetière de l'Hospice de Charenton. Pour la petite histoire, un mystère s'en est suivi. En effet, le docteur de l'hospice de Charenton, Ramon, a procèdé ultérieurement à l'exhumation du corps de Sade et au prélèvement de son crâne afin de le confier à Spurzheim, phrénologue, disciple de Gall, qui l'aurait… égaré en Amérique ! Au sujet de ce crâne, Ramon écrivit : "Le crâne de Sade n'a cependant pas été en ma possession pendant plusieurs jours sans que je l'aie étudié au point de vue de la phrénologie dont je m'occupais beaucoup à cette époque ainsi que du magnétisme. Que résulta-t-il pour moi de cet examen ? Beau développement de la voûte du crâne (théosophie, bienveillance) ; point de saillies exagérées dans les régions temporales (point de férocité) ; point de saillies exagérées derrière et au dessus des oreilles (point de combativité-organes si développés dans le cra^ne de du Gesclin) ; cervelet de dimensions modérées, point de distance exagérée d'une apophyse mastoïde à l'autre (point d'excès dans l'amour physique). En un mot, si rien ne me faisait deviner dans Sade se promenant gravement, et je dirais presque patriarcalement, l'auteur de Justine et de Juliette, l'inspection de sa tête me l'eût fait absoudre de l'inculpation de pareilles œuvres ; son crâne était en tout point semblable à celui d'un Père de l'Eglise". Selon certains, la disparition du crâne de Sade aurait été un ultime pied-de-nez de Sade lui-même qui se serait arrangé avec Ramon pour organiser, de son vivant, cette disparition avec le docteur Ramon – qui était devenu son ami – afin que, toute vérification rendue impossible, celui-ci puisse publier ce… rapport de phrénologie.
Pour mémoire, on rappellera que la phrénologie était une théorie, maintenant tombée en désuétude, du médecin allemand Franz Joseph Gall (Tiefenbronn, Bade-Wurtemberg, 1758 Montrouge, 1828), selon laquelle les bosses du crâne correspondaient à des fonctions et à des caractères particuliers de l’individu. Le rapport de Ramon montre que les praticiens de cette théorie, s'ils avaient recours à un vocabulaire scientifique (celui relatif aux différentes parties du crâne) pour attester de la scientificité de leurs travaux, en fait, produisait un discours sur le réel qu'il décrivait en des termes qualitatifs d'ordre moral, voire idéologique (exemple s: théosophie, bienveillance, férocité…).
[16] Arétin (Pietro Bacci, dit Aretino,, en français l') Écrivain italien (Arezzo, 1492 — Venise, 1556). Il fut au service du banquier A. Chigi, puis à celui des papes. Forcé de quitter Rome pour outrages envers la cour pontificale, il finit par s'établir à Venise, où il constitua un cénacle artistique et littéraire. Les souverains les plus puissants redoutaient sa verve satirique. Parmi ses œuvres – reflet des mœurs très libres de l'époque –, on retiendra ses comédies, dont la Courtisane (1525), ses Pasquinades (1520), satires féroces, ses dialogues licencieux (I ragionamenti, 1534-1536).
[17] Sade devait être arrêté le lendemain matin, 8 décembre 1793, à 10 heures. Sur le registre de greffe de la Maison d'Arrêt des Madelonettes, Paris, on pouvait lire : "François Desade, âgé de cinquante-trois ans, natif de Paris, homme de lettres… Taille de cinq pieds deux pouces, yeux bleu clair, nez moyen, bouche petite, menton rond, visage ovale et plein"?
[18] Ainsi se termine la lettre de Sade qui, autre mystère, après un séjour prolongé dans les caves du Vatican, finira par tomber entre les mains d'Apollinaire. Il est fort probable que, grâce aux bons soins du Cardinal de Bernis, ces caves abritent toujours d'autres manuscrits de Sade.