La laïcité est toujours une idée neuve

(Extraits de la résolution adoptée le 4 juin 2001 par le 81ème congrès de la Ligue des Droits de l'Homme à Limoges)

"… En proclamant la neutralité des institutions à l'égard des Églises, la République leur dénie le droit de s'approprier la chose publique et donne à chacun la possibilité de vivre sa vie comme bon lui semble dans le respect d'une règle commune dont la valeur est supérieure aux règles qui peuvent exister dans sa communauté d'appartenance (de quelque nature qu'elle soit)…

…La laïcité n'aurait pas acquis, progressivement, une large adhésion si elle n'avait pas porté avec elle la promesse d'un progrès social et culturel inscrit dans l'égalité des droits…

…La mono appartenance à tel ou tel groupe social ou culturel est devenue caduque. Tout au contraire, ce sont des appartenances multiples qui se manifestent et dans tous les domaines…

… nombre de pays subissent encore de plein fouet la confusion entre le champ politique et le champ religieux. Ici même, il est constamment nécessaire de rappeler aux institutions religieuses que le droit des femmes ne peut s'accommoder d'une vision patriarcale et moralisatrice qui ne traduit en fait qu'un processus de domination des hommes sur les femmes. Comment ne pas voir qu'en commémorant l'anniversaire du baptême de Clovis dans un vase clos chrétien, c'est l'idée d'une France immuable que l'on met en avant au mépris du creuset qui a constitué ce pays et du creuset qui le constitue encore ?..

… Trois départements, ceux d'Alsace et de Moselle, sont tributaires d'un droit local et notamment d'un statut scolaire qui perdure inchangé depuis 80 ans, constituant une zone de non-droit qui discrimine les jeunes n'appartenant pas aux trois religions concordataires et, tout particulièrement, les musulmans et les no-croyants. Ce statut scolaire, au demeurant non codifié et donc inaccessible aux usagers, constitue un anachronisme qui doit cesser pour être remplacé par une législation conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme et à la liberté absolue de conscience…

… Le combat pour la liberté de conscience n'est jamais terminé. Plus difficile encore le combat pour l'égalité des droits…

… La délocalisation du pouvoir effectif vers des lieux éloignés (pas seulement en termes géographiques), l'apparition de structures intermédiaires, la nécessité ressentie de plus en plus fortement d'exercer au plus près des lieux de pouvoirs ses droits de citoyens concourent à ce que l'exercice de la souveraineté ne se réduise plus au simple rapport entre électeurs et élus. L'intervention de la "société civile", définie ici comme l'ensemble des structures n'ayant d'autre légitimité que celle résultant de la libre association de citoyens dans un but précis, mais aussi des corps publics intermédiaires (les collectivités territoriales etc.), dans le processus de décisions, signe une évolution de la démocratie qu'il nous faut prendre en compte. Le champ du politique est lui-même modifié dés lors que les processus de décision se trouvent déplacés, soit en raison de la faiblesse institutionnelle du pouvoir législatif, soit en raison de lieux de pouvoir plus puissants (on pense ici aux sociétés transnationales ou aux institutions financières internationales qui imposent une vision ultra-libérale de la mondialisation), soit, enfin, par un abandon de la décision à des assemblées d'experts, sans autre légitimité que celle de leur expertise…

Certes, la laïcité ne constitue pas une politique. Offrant à la société un cadre, elle ne dispense pas, tout au contraire, de s'inscrire dans une démarche politique au même titre que la défense des droits de l'Homme ne saurait se substituer à cette même démarche politique. A ce titre la laïcité n'a pas besoin d'adjectif, mais les exigences qu'elle pose impliquent la recherche de solutions politiques…

Aucun dogme ne doit investir le champ du politique et ne doit s'imposer à quiconque. Ceci implique le maintien de la séparation des institutions religieuses et de l'État. L'État et la société dans son ensemble doivent, en même temps, accueillir la diversité religieuse et garantir pleinement le libre exercice du culte, c'est-à-dire la possibilité pour chacun, mais aussi pour les Églises, d'exprimer et de pratiquer une foi dans le cadre des Lois de la République…

… Plus largement, la laïcité ne peut s'accommoder des discriminations de toute nature qui hypothèquent la constitution d'un espace commun. Exiger de ceux qui subissent ces discriminations l'allégeance à des principes devenus, pour une part, virtuels revient à nier une réalité fondamentale : sans égalité des droits, la laïcité n'est qu'un concept abstrait dénué d'effectivité. Dans ce même esprit, la LDH réaffirme qu'au-delà des inégalités du traitement du religieux, seul l'accès total à la citoyenneté, notamment par le droit de vote et d'éligibilité, sera une mesure de garantir une réelle égalité aux individus issus pour l'essentiel de l'immigration.

Il faut dénoncer avec force la part de ségrégation que portent en elles les stratégies scolaires successives. A cet égard, certaines pratiques de l'école publique contredisent la mission de l'école de la R2publique qui demeure l'accès de tous à la connaissance. Tout ce qui peut entraver en son sein l'aspiration à l'égalité des citoyens contredit cette mission.

Plus largement et bien plus sûrement que toute manifestation d'intolérance religieuse, les discriminations, de toute nature, portent atteinte, aujourd'hui, au contrat civique commun qu'exige la laïcité.

Lutter contre les discriminations, c'est aussi prendre en compte la diversité culturelle et les échanges accrus et permanents entre la vie privée et la vie publique de chaque individu, comme de chaque groupe humain? La République n'est pas menacée par ces évolutions dés lors qu'elle assure l'intégration de tous au sein d'un espace commun qui accueille la diversité des cultures et des choix individuels dans l'égalité des droits. Cet espace repose sur la définition de règles communes mais aussi la reconnaissance du droit de chacun à se dissocier d'une communauté. En aucune manière, les droits individuels ne peuvent dépendre de l'appartenance à une communauté.

Mais donner les moyens aux individus de se dissocier des pratiques et des croyances de leurs communautés n'implique pas de nier l'existence de celles-ci. Sans transférer ou démembrer l'exercice de la souveraineté populaire, la démocratie a besoin de s'enrichir des dialogues qui se manifestent au niveau local ou de manière transversale dans la société. Les individus eux-mêmes ressentent le besoin d'être reconnus au sein des groupes dans lesquels ils se reconnaissent : la définition d'un contrat commun n'est pas synonyme de dialogue singulier et exclusif entre chaque citoyen et la République…

… Ne nous privons pas de la laïcité, elle est toujours une idée neuve".


 

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