Les piverts dans la guerre d'Afghanistan

de Emilio Gennari[1]


Vous vous demandez sans doute ce que viennent faire les piverts dans la guerre d'Afghanistan. Soyez tranquille, il ne s'agit d'aucun type d'avion espion nord-américain et, encore moins, d'une arme secrète d'Oussama Ben Laden. Comme vous le savez, les piverts sont des oiseaux qui utilisent leur bec pour retirer les parasites cachés derrière l'écorce des arbres. Parmi eux, certains sont journalistes, professeurs et de simples personnes qui,
dans leur lutte quotidienne contre l'exploitation, essayent de percer le mur des apparences pour dévoiler les faits et leurs liens cachés. Le travail courageux et persistant de ces oiseaux a déjà réussi à percer quelques petits trous dans la muraille des déclarations officielles du président Bush et d'Oussama Ben Laden qui se disputent le rôle de représentants du « bien » contre les forces du « mal ». Les piverts disent que les trous sont encore trop petits pour que le bec puisse passer, mais ils permettent déjà d'apercevoir la réalité qui se cache à l'ombre de ce mur.


En me racontant ce qu'ils ont vu, certains d'entre eux m'ont convaincu de mettre sur le papier le récit de leurs premières observations et de les amener jusqu'à vous. C'est ainsi que je me suis dépêché de prendre le stylo et d'organiser les informations en accord avec ce qu'il a été possible d'apercevoir au travers de chaque petit trou. C'est peu, mais cela permet déjà de voir avec d'autres yeux la guerre en Afghanistan jour après jour.


1. L'histoire et ses révélations surprenantes


L'Afghanistan est considéré depuis un moment comme une des nations les plus pauvres et arriérées au monde. Jusqu'au début des années 70, le pays est gouverné par une monarchie qui a peu de pouvoir. le vrai pouvoir est aux mains d'une poignée de propriétaires terriens qui n'hésite pas à utiliser la religion musulmane pour légitimer sa domination . Cette réalité provoque un mécontentement croissant non seulement parmi le peuple mais aussi dans les secteurs progressistes et dans une partie de l'armée. C'est avec l'appui de ces mécontents,  qu'en 1973, le roi Mohamed Zahir Shah  est chassé par son cousin Mohamed Daoud qui instaure un régime républicain. Ce changement rend possibles les activités du Parti Démocratique du Peuple de l'Afghanistan (PDPA), d'inspiration communiste, qui a pour base les rares intellectuels afghans qui résident dans les villes, les étudiants et  quelques officiers des forces armées. Les principaux points de son programme sont : la réforme agraire, la libération de la femme et l'alphabétisation massive de la population. Cédant aux pressions des conservateurs, Daoud assume des positions de plus en plus modérées et, en 1978, essaye de supprimer les activités du PDPA à une époque où la situation économique et sociale de l'Afghanistan empire à vue d'œil. Dans ce contexte, deux leaders de gauche sont assassinés et les manifestations de protestation s'étendent dans le pays. La police réagit par la répression et l'emprisonnement de plusieurs représentants des secteurs progressistes. Mais, loin de mettre un terme aux tumultes ces évènements ouvrent le chemin à la révolte d'un secteur des forces armées.

Pendant les affrontements qui se déroulent en avril 1978,  Daoud et une bonne partie de son cabinet sont tués. Le PDPA prend le pouvoir et proclame l'Afghanistan  république démocratique » sous le commandement de Mohamed Taraki. La même année, Taraki réalise une réforme agraire radicale. Environ 250 000 paysans bénéficient d'une large distribution des terres et toutes les dettes envers les anciens propriétaires sont annulées. Le nouveau régime libère 8 000 prisonniers politiques et déclare que l'éducation est un droit universel aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Les réactions des secteurs conservateurs sont violentes et amènent Taraki à chercher l'appui de l'es Union Soviétique. Ce choix provoque de durs conflits au sein du PDPA qui finissent par renforcer l'opposition. En septembre 1979, Taraki est assassiné et remplacé par Hafizullah Amin, homme fort du régime précédent. Incapable de contrôler la situation du pays, Amin est tué en décembre de la même année pendant la rébellion qui place au pouvoir Babrak Karmal, avec l'appui de l'armée de  l'ex-Union Soviétique qui occupe la capitale fin décembre 1979, et ensuite étend son contrôle au reste du pays.

Les changements commencés avec Taraki se poursuivent et les résultats commencent à apparaître. Si en 1977 seulement 15% des garçons et 2% des filles avaient accès à l'école, pendant le gouvernement du PDPA ce pourcentage augmente jusqu'à atteindre 63% des enfants en 1987. Pendant la même période, l'investissement dans les services de santé augmente l'espérance de vie de 33 à 42 ans. Les femmes font des pas importants pour commencer à sortir de la situation de marginalisation dans laquelle elles se trouvent. Pendant les gouvernements communistes, l'analphabétisme féminin passe de 98% à 75%, des milliers de femmes s'intègrent à la vie politique du pays et abandonnent progressivement les restrictions religieuses qui les marginalisaient.

On ne soulignera jamais assez que c'est la position stratégique de l'Afghanistan par rapport aux autres pays d'Asie Centrale et du Moyen Orient qui amène les États-Unis et l'ex-Union Soviétique à se disputer à tout prix le contrôle de l'Afghanistan. Face à l'occupation de l'armée rouge, la CIA encourage la création de groupes de guérilla appuyés par les propriétaires terriens touchés par la réforme agraire, les services secrets du Pakistan, l'OTAN, Israël et l'Arabie Saoudite. En mars 1985, le président des États-Unis, Ronald Reagan, autorise officiellement l'augmentation de l'aide que la CIA apportait aux moudjahidins afghans depuis 1979. En passant par le Pakistan, les États-Unis leur procurent des armes et de l'argent pour un montant de 1 milliard de dollars par an. Le moyen par lequel la CIA cherche à embrigader des adeptes dans tous les pays arabes consiste à mettre en avant l'explication selon laquelle les lois islamiques sacrées étaient violées par les troupes soviétiques qui professent l'athéisme, raison pour laquelle les serviteurs de Mahomet devraient s'unir pour revendiquer l'indépendance de l'Afghanistan et chasser le régime gauchiste soutenu par Moscou.

Motivés par le nationalisme et la ferveur religieuse, plus de 100 000 musulmans sont impliqués dans cette « guerre sainte » qui combat l'armée soviétique au service des intérêts des États-Unis. C'est dans ce contexte qu'un des fils de l'élite de l'Arabie Saoudite, Oussama Ben Laden, devient un proche collaborateur de la CIA et rejoint les filières du Parti Islamiste de Gulbudin Hekmatiar. En 10 années d'attaques, les moudjahidins armés par les États-Unis détruisent presque 2 000 écoles, 31 hôpitaux, des dizaines d'entreprises, plusieurs centrales électriques, 41 000 km de voies de communication, 906 coopératives d'agriculteurs, font exploser des bombes dans des cinémas et des places pleines de gens. Ceux que Reagan appelle « combattants de la liberté », parmi lesquels Ben Laden, s'emploient à tuer sans pitié des femmes, des enfants, des vieillards, des chefs religieux partisans du gouvernement et des professeurs. Malgré le raffinement de cruauté qui les caractérise, les moudjahidins ne sont jamais désignés comme des  terroristes » ni par les États-Unis ni par les européens. Ils sont, tout au plus, traités de « rebelles » après avoir utilisé des missiles anglais et étatsuniens pour abattre deux avions civils des lignes aériennes d'Afghanistan.


En septembre 1987, Babrak Karmal démissionne de son poste et le général Najibullah prend sa place. Poussé par la nouvelle politique de Gorbatchev le nouveau président essaye de démarrer un processus de pacification qui est refusé par les moudjahidins. Entre août 1988 et février 1989, l'armée soviétique quitte l'Afghanistan. La situation  du pays devient encore plus
tendue non seulement à cause des affrontements entre les moudjahidins et les forces de Najibullah, mais aussi à cause des divisions qui surgissent entre les 15 groupes armés qui luttent pour abattre le gouvernement afghan, parmi lesquels 8 sont composés de musulmans chiites  alors que les 7 autres sont sunnites. En mai 1992, l'armée du général Najibullah est vaincue, les moudjahidins occupent la capitale du pays et, en juin de la même année, ils nomment Burhanudin Rabani président par intérim. Sa tentative pour faire cohabiter l'aile modérée et le secteur fondamentaliste du Parti Islamiste de Hekmatiar ne réussit pas et les deux factions s'affrontent en une sanglante guerre civile. En 1996, les islamistes intégristes (talibans) prennent le pouvoir. Leur armée bénéficie de la structure de la guérilla des années précédentes. Dans les camps d'entraînement d'Afghanistan et du Pakistan s'entraînent, maintenant, les forces qui vont s'opposer aux groupes musulmans modérés (qui forment « l'Alliance du Nord ») et celles qui aideront à soutenir la guerre séparatiste en Tchétchènie, appuyée par la CIA.

 

La présence des États-Unis dans ce conflit supplémentaire ne s'explique pas par des motivations nobles. Tchétchènes et nord américains veulent éloigner la Russie des importants gisements de pétrole de la Mer  Caspienne. L'indépendance de la Tchétchénie priverait Moscou du contrôle du principal oléoduc qui part de la région et ouvrirait la voie à l'exploitation des puits par les compagnies anglaises et nord-américaines. Dans ce contexte, l'Afghanistan serait une sorte de point de passage obligé d'un oléoduc et d'un gazoduc qui achemineraient les combustibles à destination des États-Unis et d'Extrême Orient. Mais il y a un imprévu. Les talibans s'opposent à ce brillant plan de la CIA et les alliés d'hier sont devenus des ennemis pour les intérêts des nord-américains aujourd'hui anxieux de voir leur projet se concrétiser. Essayons de comprendre pourquoi il en est ainsi.


Contrairement aux apparences, à aucun moment Ben Laden n'a été un défenseur des faibles et des opprimés contre les intérêts des multinationales. Comme il n'a jamais trahi le secteur de l'élite arabe intéressé au développement de son emprise sur le Moyen Orient et l'Asie centrale. Conscient des limites des réserves de combustibles fossiles, ce secteur cherche à obtenir le plein contrôle des ressources énergétiques et à réduire progressivement l'influence nord-américaine dans la région. Mais, pour cela, le premier pas passe par la déstabilisation des monarchies actuelles d'Arabie Saoudite et des pays proches qui, aujourd'hui, ont une position servile à l'égard des États-Unis. La motivation religieuse de leur groupe est un élément important pour amener les masses musulmanes appauvries à se soulever contre leurs gouvernants et à ouvrir la voie à un état islamiste fondamentaliste et capitaliste. Le soutien populaire, le contrôle des réserves de pétrole et l'action terroriste des membres de leur organisation (Al-Qaida) seraient des éléments clés pour commencer à inverser la situation de dépendance vis-à-vis des intérêts nord américains et anglais.

Que les attentats aient été ou non planifiés par Ben Laden, la guerre déclarée par les États-Unis paraît servir à la fois les intérêts des fondamentalistes afghans et ceux des anglais et des nord-américains. D'une part, les attaques de l'Afghanistan obligent les pays arabes et musulmans à choisir entre Ben Laden (et la soi-disant défense de la religion islamique) et George W. Bush. En se décidant pour le soutien ou pour la neutralité en relation aux États-Unis ces régimes tendent à exacerber les actions des groupes qui s'opposent à leurs gouvernements . S'ils choisissent Ben Laden, non seulement ils perdent un important allié militaire mais de plus celui-ci devient automatiquement leur ennemi. Les manifestations qui ont déjà eu lieu dans les rues du Pakistan et de l'Indonésie sont seulement un petit échantillon de ce qui pourra arriver à bien plus grande échelle.

Pour ce qui est des États-Unis, la guerre est un moyen nécessaire pour affirmer leur pouvoir dans le monde et pour tenter d'établir leur contrôle sur les gisements de pétrole et de gaz naturel sur des bases plus favorables et durables. Ce n'est pas par hasard que les États-Unis et l'Angleterre sont si soucieux de maintenir des contacts avec l'ex-roi d'Afghanistan (Mohamed Zahir Shah, destitué en 1973) et sa famille afin qu'ils puissent assurer le gouvernement provisoire de la nation après une éventuelle victoire des troupes alliées. Conscient de sa fragilité politique et de la réalité du pays, dévasté par des années de conflits, le nouveau gouvernement ne serait rien d'autre qu'une marionnette dont les mouvements, en dernier ressort, seraient dictés par les intérêts du capital anglais et nord-américain. Il est clair que cela exigerait des actions supplémentaires pour neutraliser les combattants de l'Alliance du Nord qui aujourd'hui reçoivent des armes et de l'argent de Russie (qui veut également garantir son contrôle sur la région de la Mer Caspienne), mais cela est déjà une autre question dont l'évolution est liée au déroulement du conflit. J'imagine qu'après cette pluie de données historiques, de contradictions et de surprises, vous commencez à fatiguer . Je sais que ça n'a pas été facile de tenir le coup, mais, reconnaissez qu'après le récit de ce pivert les choses commencent à devenir plus claires. Étant donné que les prochaines pages vont présenter des éléments intrigants, le deuxième représentant de l'espèce suggère que vous preniez un café et que vous vous détendiez un bon coup car voici...

2. Le problème des sources d'énergie


Vous avez certainement compris que le pivert précédent a attiré notre attention sur une dispute qui dure depuis plus d'une décennie : la guerre pour le contrôle des gisements de pétrole et de gaz naturel. Connaissant l'importance de cette question, j'ai écouté avec attention ce que l'autre brave oiseau avait à dire à la suite de ce qu'il avait pu voir à travers le
deuxième petit trou déjà percé dans la muraille. Avant de commencer son récit, il m'a conseillé de prendre un atlas et de l'ouvrir aux pages qui contiennent les cartes du Moyen Orient et de l'Asie centrale . Ainsi, il est bien plus facile de suivre et de comprendre ses arguments. Après ce tuyau, voilà la narration qu'il m'a faite avec une patience et une précision surprenantes.

Le pivert dit que si la consommation de pétrole se poursuit au rythme actuel, d'ici à 2020 les deux tiers des réserves de combustibles fossiles de la planète seront épuisées. Un délai de 19 ans paraît quelque peu éloigné dans le temps, mais, comme il s'agit d'une matière première stratégique pour l'économie mondiale, la course pour garantir l'accès à ces ressources sera de plus en plus rude. Dans ce contexte, la position des États-Unis est assez vulnérable, et ceci, pour au moins trois raisons.

La première vient d'un constat inquiétant. Si les États-Unis devaient uniquement compter sur les réserves qui se trouvent sur leur territoire ils auraient suffisamment de pétrole pour 4 années tout au plus. Cela sans compter sur le fait que, par exemple, l'exploitation des réserves de l'Alaska exigerait des investissements d'au moins 20 milliards de dollars uniquement pour la construction d'un oléoduc et devrait faire face à de fortes oppositions des groupes écologistes.

La deuxième réside dans le fait que sur 100 barils de pétrole importés par les États-Unis, 82 viennent d'Arabie Saoudite. La monarchie qui gouverne ce pays, principal allié des États-Unis dans le monde arabe, est confrontée à une opposition croissante contenue au moyen d'une dure répression de toute expression de sentiment anti-gouvernemental. Malgré les succès obtenus jusqu'à présent, la fréquence des attentats terroristes en Arabie et le mécontentement vis-à-vis de son gouvernement sont suffisants pour comprendre que cette domination ne va pas durer pour toujours.

Le dernier motif de préoccupation ne repose pas seulement dans le constat que des pays comme l'Iran et l'Irak sont loin d'être en bons termes avec les États-Unis, mais, surtout, dans le fait que la compagnie française Total-Elf-Fina a fait de lourds investissements en Iran et s'est associée à la Russie pour l'exploitation des réserves de la Mer Caspienne. Cette alliance permet à la Russie de contrôler, directement ou indirectement, un territoire qui englobe les régions productrices du Caucase (parmi lesquelles la Tchétchénie) et d'une bonne partie de l'Asie Centrale.

Une sortie pour la situation inconfortable dans laquelle se trouvent les intérêts nord-américains avait déjà été révélée début 1998 par le lieutenant colonel de réserve Lester W. Grau qui fut, entre autres, adjoint politique et économique au quartier général des forces alliées d'Europe Centrale à Brunssum, aux Pays Bas. Dans la revue Foreign Affairs, Lester reconnaît la fragilité des conditions d'approvisionnement des États-Unis, évalue les alternatives pour améliorer cette situation et indique comme le chemin le plus viable, la construction d'un oléoduc qui partirait des puits du Kazakhstan ou du Turkménistan, proches de la Mer Caspienne, passerait par les villes de Herat et de Kandahar, en Afghanistan, entrerait au Pakistan par Quetta et se terminerait au port de Karashi. De là le pétrole et le gaz seraient facilement embarqués vers les États-Unis, la Chine et le Japon, en évitant ainsi les eaux agitées du Golfe Persique qui furent déjà le théâtre de violents affrontements. Le coût du projet tournerait autour de 2 milliards de dollars et donnerait accès à des réserves de pétrole 33 fois plus importantes que celles de l'Alaska et à une quantité de gaz naturel estimée à 50% du total découvert à ce jour au niveau mondial. Le seul problème technique est la présence en territoire afghan d'un certain Oussama Ben Laden dont les forces se refusent à satisfaire les expectatives de ses anciens alliés.

J'allais refermer l'atlas lorsque le pivert a glissé le bec entre les pages et l'a ouvert sur la carte de l'Extrême-Orient . Au début je n'ai pas compris, mais il m'a dit que j'oubliais deux pays importants dans cette dispute pour l'accès aux combustibles fossiles : la Chine et le Japon. Cet oiseau savant m'a raconté que, ces deux dernières années, la Chine a modifié la configuration de sa force aérienne afin de la faire passer de défensive à offensive et qu'elle a produit de nouveaux missiles stratégiques de longue portée. Par ailleurs,  elle déplace une bonne partie de ses effectifs militaires qui se trouvaient sur la frontière nord avec la Russie pour les faire venir sur sa partie ouest (d'où elle espère augmenter la fourniture de pétrole et de gaz naturel), ainsi que pour les envoyer sur les mers de l'Est et du Sud de la Chine. Apparemment, cela pourrait s'expliquer en fonction des relations politiques agitées de ce pays avec l'île de Taiwan qui a déjà subi de sérieuses menaces militaires. Mais une analyse plus attentive révèle que c'est précisément dans ces mers que se trouvent de prometteuses réserves de pétrole et de gaz naturel. Dans la course aux réserves de combustibles fossiles, la Chine a déjà déclaré la Mer du Sud comme faisant partie de son territoire maritime national et a réaffirmé son droit d'employer la force pour le protéger.


Cette attitude agressive a encouragé l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, le Vietnam et les Philippines à renforcer leurs effectifs aériens et navals dans cette région dont le contrôle est objet de dispute. Le Japon n'est pas resté en arrière et a augmenté sa capacité opérationnelle avec de nouveaux navires de guerre et des avions de combat armés de missiles. Dans la Mer de l'Est les japonais sont en train de disputer directement le contrôle des gisements pétroliers et dans la Mer du Sud ils cherchent à garantir non seulement le maintien de leurs voies maritimes commerciales avec le sud-est asiatique mais aussi leur propre approvisionnement en pétrole. En effet, 80% des pétroliers qui approvisionnent le pays traversent les eaux de la Mer du Sud de la Chine et une guerre dans cette région représenterait un coût élevé pour le Japon.

Conscients de toutes les implications et du jeu d'intérêts qui seraient impliqués dans un éventuel conflit dans cette partie du globe, depuis trois ans les États-Unis font pression sur le Japon pour qu'il joue un rôle plus actif dans l'équilibre militaire de cette région. Cela impliquerait de lourds investissements qui dépasseraient les besoins de l'autodéfense autorisés par la constitution nippone. Au-delà des limites légales, l'horreur et le rejet d'une attaque armée sur un autre pays sont des sentiments encore présents parmi le peuple qui ne peut pas oublier les effets dévastateurs des bombes atomiques. En même temps, cependant, les spécialistes ne manquent pas qui considèrent les dépenses actuelles en armement effectuées par l'état japonais, comme une voie pour entamer une nouvelle phase de croissance économique, en plus, bien sûr, de permettre de mieux faire face aux tensions avec les nations voisines.

Le pivert dit qu'il a été préoccupé en apprenant la décision du Japon  d'envoyer des navires de guerre pour soutenir la flotte nord-américaine. Il sait que l'aide se fera dans les domaines du transport, du réapprovisionnement, des services médicaux, de la protection des installations militaires des États-Unis au Japon, de soutien aux services de renseignement et de l'aide humanitaire aux réfugiés. Cependant, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, c'est la première fois que le pays envoie une partie de ses forces armées dans une zone de guerre éloignée de son territoire et qu'il l'utilise pour des tâches qui n'ont rien à voir avec son autodéfense. Il semble bien, qu'au nom du besoin de répondre aux attaques terroristes du 11 septembre comme « défi renouvelé à la liberté », le Japon essaye les premiers pas pour justifier une augmentation des dépenses militaires et pour amener les Japonais à réduire leurs résistances face à l'idée d'une guerre offensive. Un peu comme si les détenteurs du pouvoir enlevaient leurs chaussures pour entrer dans la conscience du peuple sans être entendus pour y planter les graines des attitudes qu'ils aimeraient voir germer dans l'avenir.


Le pivert m'assure que les nuages à l'horizon des mers de Chine ne sont pas encore sombres au point de menacer une tempête imminente. La pluie peut encore tarder, mais dépendante de la tournure des affrontements en Afghanistan, l'augmentation de la tension dans cette région du monde a tendance à devenir inévitable. Dans le doute, il vaut mieux garder les yeux
et les oreilles bien ouverts d'autant plus que, pendant un bon moment, les nouvelles en provenance de l'Extrême Orient seront occultées par le show d'images de la surenchère guerrière nord-américaine.

3. La « guerre des étoiles » comme voie pour la domination mondiale

Un peu comme une conversation en amène une autre, le récit du pivert précédent a été suivi par la narration d'un autre qui a osé épier par le trou qu'il a appelé « guerre des étoiles ». J'admets que, dans un premier temps, j'étais à moitié méfiant, comme quelqu'un qui trouve que, cette fois, l'oiseau est en train d'exagérer dans les couleurs, mais il m'a montré comment chaque pièce de la politique de la course aux armements des États-Unis s'emboîte dans cette idée générale. Le fait que, ces dernières années, les usines d'armement aux États-Unis vivotaient, n'est une nouveauté pour personne. Le gouvernement avait réduit l'achat de matériel pour les forces armées et les restrictions commerciales imposées à plusieurs pays empêchaient l'augmentation des exportations des engins de mort les plus chers et les plus efficaces. La situation était si criante que, en mai 2000, un groupe de spécialistes réunis par le Pentagone concluait qu'il était nécessaire et urgent que ce secteur de l'industrie  gagne plus d'argent ». En réponse à cet appel, le président d'alors, Bill Clinton, réduisait les restrictions à l'exportation d'armement dans le but évident d'augmenter les bénéfices des fabricants d'armes et en même temps d'accroître leurs activités de production et de recherche. Aussi importante fut elle, cette aide ne remplaçait pas les achats de l'état au cas où serait approuvé le projet de bouclier anti-missiles en grande échelle, également connu sous la désignation de « guerre des «étoiles ».

Le problème ici n'était pas tant les ressources disponibles ou le manque de
volonté politique du Congrès, mais plutôt l'opposition internationale à ce projet dénoncé comme un instrument de domination mondiale. Aussi soumises que puissent être les nations de la planète, aucune d'entre elles ne gobe l'idée que le bouclier anti-missiles serait uniquement une arme de caractère défensif pour protéger les États-Unis des attaques de fusées nucléaires qui, théoriquement, seraient lancées par des pays qui s'opposent à sa politique internationale. Connaissant le pouvoir de destruction de ces armes, l'arsenal et les systèmes de défense déjà en place, envoyer un missile nucléaire contre les États-Unis serait une action suicide pour n'importe quel gouvernement. Ces simples constats, ajoutés aux menaces d'une nouvelle course aux armements impliquant les pays du Moyen Orient, la Chine, l'Inde, le Pakistan et la Russie elle-même, étaient sur le point de faire échouer tous les efforts de la diplomatie nord-américaine. Celle-ci faisait réellement l'impossible pour montrer que la sécurité des États-Unis était en danger et que le bouclier anti-missiles était nécessaire pour la paix  mondiale.

C'est dans ce contexte que, en mai 2000, la conférence de l'ONU sur le Traité de Non-Prolifération des Armes Nucléaires s'est prononcée pour une vaste condamnation du projet en argumentant qu'il réduirait à néant des décennies d'accords internationaux pour la réduction et le contrôle des armes nucléaires et déclencherait une nouvelle course aux armements.


A dire vrai, ces réactions « officielles » cachaient la réalité qui avait été exprimée par le représentant de la Chine lors de la discussion à l'ONU sur « la guerre des étoiles » à l'époque du président Ronald Reagan :  lorsque les États-Unis seront convaincus de posséder aussi bien une longue lance qu'un fort bouclier, ils pourront être amenés à conclure qu'ils peuvent anéantir n'importe quel pays, partout dans le monde, sans danger de représailles ». En langage clair, s'il est possible d'agresser sans être touché, personne n'aura le courage ni la témérité suffisants pour s'opposer à l'arbitraire nord-américain et, par conséquent, les intérêts économiques sous couvert du drapeau nord américain seront protégés partout dans la
planète.


Vous comprenez que, face à la puissance de feu de ce système de « défense », il n'est pas nécessaire d'effectuer un seul tir pour que tous deviennent obéissants. Sa simple existence constituerait déjà en elle-même une menace effrayante. Il suffirait d'un simple coup de bottes de l'oncle Sam pour que tous se mettent à courir. Et cela, loin de représenter un futur de liberté, d'égalité et de paix, serait synonyme de domination, d'aggravation des inégalités et de l'exploitation, d'un état de terreur et de guerre permanent.


Le pivert m'a avoué qu'il aimerait bien reconnaître que ses conclusions sont erronées, mais le contenu des articles publiés par le New York Times, le Financial Times et par la revue Foreign Affairs en mai et juin 2001 disent que, hélas, ses impressions peuvent être justes. Le vrai objectif du bouclier de défense contre les missiles balistiques est le contrôle de l'espace, ce qui, dans la bouche de l'actuel secrétaire d'état à la défense des États-Unis, Donald Rumsfeld, signifie « placer des armes offensives dans l'espace ». En d'autres termes, comme si le danger que représentent les arsenaux terrestres ne suffisait pas, l'option nord-américaine mènerait à la militarisation effective de l'espace extérieur. Cela serait réalisé avec des
armes capables d'atteindre non seulement les missiles (qui pourraient être lancés à partir de la Terre) et d'autres cibles civiles et militaires, mais aussi les satellites qui guident les systèmes de défense et assurent les communications entre les autres nations. En considérant que le développement et la production des armes anti-satellites est bien plus simple que de rendre opérationnel le système de bouclier anti-missiles, il y aurait une accélération de la course aux armes de l'espace de la part d'un bon nombre de pays. L'avantage compétitif des entreprises des États-Unis garantirait leurs bénéfices et le pouvoir des États-Unis sur le monde.


Ce fut d'ailleurs pour ces raisons que, récemment, les États-Unis refusèrent de réaffirmer le Traité de l'Espace Extérieur de 1967 (qui interdit le placement d'armes dans l'espace) et, depuis janvier 2001, ils bloquent toutes les sessions de la conférence de l'ONU sur le désarmement. Cela malgré les pressions de la Russie et de la Chine qui, conscientes de leur retard technologique et du coût prohibitif de ce projet pour leurs économies, appelaient à la démilitarisation complète de l'espace, à la réduction du nombre d'ogives et à la création de zones libérées d'armes nucléaires.


Les attentats terroristes du 11 septembre ont montré que les États-Unis sont, en fait, vulnérables et qu'il existe plusieurs pays qui leur sont hostiles. Si l'on ajoute ce constat aux pressions internationales articulées par le tandem Bush-Blair autour de la nécessité du soutien des autres nations à la lutte contre le terrorisme, le résultat peut être explosif. A moyen terme, la perspective est celle de voir augmenter le poids des arguments nord américains en faveur du bouclier anti-missiles aussi bien au sein de l'ONU que dans la relation avec les principales puissances de la planète. Cela ne signifie pas que l'industrie de l'armement devra patienter pour grossir ses bénéfices. Le rythme de ses machines a déjà été accéléré à la suite de la décision de déclarer la guerre à l'Afghanistan et les actions de groupes tels que Honeywell International, Lockheed Martin, Raytheon, Northrop Grumman et Boeing (qui, en plus des avions fabrique aussi des missiles et des satellites), sont les seules qui se sont valorisées même les jours où la Bourse de Valeurs de New York enregistrait des pertes successives dans ses indices. Pour eux, cette guerre (à laquelle ont déjà été consacrés 344 milliards de dollars) est simplement une sorte d'avant-goût lorsque comparée aux commandes attendues du projet de militarisation de l'espace. Apparemment, les vautours sont déjà en train de se positionner, le regard vif et le bec affûté. C'est l'issue du conflit en Afghanistan qui dira combien de carnages continueront à être offerts à leur appétit.


Avant de s'en aller, le pivert m'a fait remarquer qu'aucun bouclier anti-missiles ne peut stopper ce qu'il a appelé le « terrorisme atomique ». Selon ses connaissances « une bombe atomique facilement capable de balayer Manhattan et de tuer 100 000 personnes c'est une boule de plutonium d'un poids d'environ 15 livres (autour de 7 kilos). Pas beaucoup plus grande qu'un ballon de foot et elle peut être transportée à l'intérieur des États-Unis dans une valise de voyage » Non, malheureusement il ne s'agit pas de science-fiction. Le missile qui emporte l'ogive est grand à cause des moteurs, des réservoirs de carburant, du système de navigation et de l'ensemble de ce qui est nécessaire à son fonctionnement, mais la partie qui provoque les dégâts est toute petite. Nous savons qu'avec la confusion provoquée par la fin de l'Union Soviétique il y a eu des trafiques de pièces et de matériel nucléaire. Rien ne nous garantit que de telles charges nucléaires ne sont pas tombées dans les mains de groupes terroristes qui ont la puissance financière nécessaire pour réaliser ce type d'achat. Il est évident que les choses ne sont pas aussi faciles, mais cette possibilité est bien moins lointaine qu'il n'y paraît.


Comme si cette menace n'était pas suffisante, les cas récents de contamination par la bactérie anthrax révèlent que les armes chimiques et biologiques sont, probablement, une menace encore plus dangereuse pour les pays riches. Même si leur dissémination est assez simple, la transformation de ce micro-organisme en arme mortelle est assez complexe et ne peut pas être réalisée dans des labos « au fond du jardin ». Le pivert m'a dit que, probablement, les États-Unis courent le risque de goûter à leur propre poison. En effet, au-delà de l'opposition actuelle de l'administration Bush au contrôle des armes chimiques et biologiques, le gouvernement Clinton lui-même s'est chargé de saboter les accords internationaux en ce domaine. Des années durant, il n'a pas financé et a cessé de réaliser les inspections internationales et l'ensemble des actions susceptibles de garantir l'élimination de ce danger pour la vie de l'Humanité car il était plus préoccupé de « protéger les groupes pharmaceutiques et de biotechnologie nord-américains ». Nous avons déjà le résultat sous nos yeux : n'importe quelle poudre blanche « suspecte » provoque la panique et les précipitations qui ne favorisent que les industries des antibiotiques et des masques à gaz. Quand le profit passe avant la vie, le résultat final ne peut pas être différent de ce que nous sommes déjà fatigués de constater.

Ayant dit ceci, le troisième oiseau, d'un battement d'ailes, est sorti pressé de retourner à la muraille. J'étais déjà en train de me dire que mon travail de rapporteur était terminé lorsque j'ai vu arriver un pivert aux ailes à moitié grillées par le feu. Fatigué et blessé, il me raconte qu'un missile des « forces alliées » l'a frôlé au moment où il retirait son oeil du dernier petit trou. Il ne sait pas encore si c'étaient des représailles contre l'espèce ou une menace, mais, même si les piverts n'ont pas un « FBI » ni une « CIA », ils sont assez intelligents pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'une erreur ou de ce qui dans une guerre grossit la liste des  dommages collatéraux ». Soucieux de divulguer ses informations, il me demande de ne pas tourner en rond et de désigner son rapport sous le titre...

4. Tuer 4 lapins d'un seul coup


En plus des problèmes de l'industrie de l'armement et de  l'approvisionnement en pétrole et en gaz naturel, l'économie nord-américaine étaient en train de patiner dans ce que les spécialistes appellent « crise de surproduction ». Si, vous avez bien entendu, il ne s'agit pas d'une situation de manque, mais plutôt de surplus de capitaux et de marchandises. C'est une réalité qui, de temps en temps, s'installe dans n'importe quel pays capitaliste à la suite d'une phase de croissance économique. La cause de son apparition ne se trouve pas dans le chômage, mais dans le mécanisme qui fait tourner  les engrenages de l'exploitation : la production de la richesse est collective, mais au moment de partager le gâteau, les patrons se réservent la plus grosse part. Ils l'utilisent non seulement pour avoir des conditions de vie bien meilleures que les nôtres, mais aussi pour réaliser de nouveaux investissements augmentant ainsi le nombre de gâteaux et la taille de leurs parts. Comme les travailleuses et les travailleurs ne gardent que les miettes, vous comprenez facilement que tôt ou tard, la société se retrouve dans la situation absurde de la pauvreté au milieu de l'abondance.


Apparemment, la sortie pourrait passer par la promotion de la rencontre entre les affamé(e)s et la nourriture, les va-nu-pieds et les vêtements en augmentant les salaires et en distribuant mieux les revenus. Mais cela ne peut pas arriver dans le système capitaliste, puisque l'augmentation des rémunérations réduit l'exploitation et provoque une baisse du retour sur les
sommes investies. Comme l'objectif central est le profit, et non la vie de l'être humain, les gains ne seraient pas satisfaisants et les patrons n'auraient pas de raisons d'investir leur argent dans la production. C'est pour cela que, face à la crise, ils préfèrent  fermer les entreprises, réduire de façon draconienne le rythme des machines ou même détruire l'abondance. L'augmentation du chômage ainsi provoquée va resserrer les salaires et l'exploitation de la force de travail permettant le retour de marges de bénéfice satisfaisantes qui mènent à une nouvelle phase de croissance de l'économie. Parmi les problèmes que pose cette situation, il y a celui de justifier aux yeux de la société les sacrifices que les capitalistes préparent pour la population des travailleurs. Par le passé, nous avons déjà eu l'excuse de l'augmentation des prix du pétrole, mais, cette fois-ci, ni même cela pouvait être utilisé pour expliquer la crise du système, contrôler le mécontentement et garantir la confiance populaire dans les lois du marché.


Les attentats terroristes du 11 septembre ont précipité les choses. L'économie des États-Unis, qui était déjà balbutiante, donne des signes clairs de début de récession, d'augmentation du chômage et de réduction de l'activité de plusieurs entreprises. Il est surprenant de constater que l'on n'assiste pas à des protestations ni à des manifestations de révolte de la part des personnes qui viennent de perdre leurs emplois. Pour le moment il y a une augmentation « tranquille » de ceux qui s'inscrivent au chômage ou qui rejoignent l'armée, en même temps que les arabes deviennent le punching-ball sur lequel beaucoup de monde a déjà évacué sa rage et son propre sentiment d'impuissance.


Le patriotisme, nourri par la guerre, fait en sorte que l'orgueil « d'être américain » occulte les contradictions criantes qui ont alimenté le feu de la crise et qui, maintenant, seront oubliées. Le sens commun n'a pas le moindre doute : Oussama Ben Laden est le vrai responsable de l'aggravation de la situation économique du pays. Une fois de plus, les capitalistes sont reconnaissants et, comme ils l'ont déjà fait tout au long de l'Histoire, ils se préparent à transformer l'effort de guerre dans la raison qui justifie toute augmentation de l'exploitation. Au nom du combat au terrorisme, les profits des entreprises auront de nouveau un avenir prometteur. En plus de donner un sens palpable à la crise économique, les attentats doivent débloquer les négociations en vue de la formation de la Zone de Libre Echange des Amériques, en même temps qu'ils posent des obstacles au round de négociations au sein de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC).

Bon, essayons de prendre une bête à la fois et de montrer le lien entre ces éléments et la crise dont nous parlions. En ce qui concerne la Zone de Libre Echange des Amériques, le refus de pays comme le Brésil d'accélérer la formation d'un marché commun des Amériques est basé sur un constat très simple : le faible prix des marchandises produites aux États-Unis (parfois, aux coûts subventionnés) condamnerait à la faillite un nombre significatif d'entreprises qui ne réunissent pas les moindres conditions requises pour entrer dans cette compétition sur un pied d'égalité. Pour éviter cela, les pays d'Amérique du Sud imposent des taxes à une longue liste de produits importés des nations du nord afin d'élever leurs prix et de protéger leurs propres économies jusqu'à l'élimination des effets dévastateurs de la compétition internationale. Initialement, il était prévu que les choses restent ainsi jusqu'en janvier 2005, date à partir de laquelle devait démarrer le processus de réduction des taxes et de suppression des barrières à la libre commercialisation des produits entre les deux Amériques.

Pressentant l'arrivée de la crise, en 1999, les États-Unis ont commencé à renforcer les pressions pour réduire considérablement les délais qui devaient précéder l'intégration des économies du continent. La raison était très simple : l'augmentation de leurs exportations aiderait à accélérer la sortie de la crise de surproduction. Dans la mesure où le surplus serait exporté vers l'Amérique du Sud, les profits aux États-Unis cesseraient de chuter, des entreprises seraient créées pour faire face aux nouvelles commendes en même temps que beaucoup d'autres seraient fermées dans des pays comme le Brésil et l'Argentine. Oui, vous avez bien compris. Une des solutions pour la crise aux États-Unis consisterait justement à l'exporter vers d'autres pays en accélérant l'implantation de la Zone de Libre Echange des Amériques. Il se trouve que le Brésil n'a pas acheté cette idée et cela a mis la discussion de ce marché commun des Amériques au point mort. Les négociations ont cessé et tout paraissait indiquer que Bush devrait effectivement attendre janvier 2005. Avec le climat de chantage créé par les déclarations qui prétendent que « qui n'est pas du côté des États-Unis est du côté des terroristes » il faut s'attendre à ce que les pressions pour accélérer le rythme de ce projet se renforcent dans les mois à venir. Cela arriverait car, pour réactiver l'économie et pour faire face au coût de la guerre les États-Unis ont besoin de ressources, parmi lesquelles figurent celles de l'augmentation de ses exportations.


Pour ce qui relève de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les nord_américains sont accusés de recourir à des pratiques protectionnistes (comme l'imposition de taxes aux produits d'autres pays ou la définition de quotas rigides d'importation de certaines marchandises) et d'augmenter les subventions accordées aux agriculteurs. Ces mesures qui visent à protéger l'économie nord-américaine de la concurrence internationale, portent atteinte à plusieurs normes de l'OMC et, avant les attentats, les pays européens étaient en train de s'organiser pour que les négociations des prochains mois soient favorables aux intérêts de leurs économies. Aux dernières informations, le calendrier de réunions préparatoires vient d'être vidé de son contenu par le déroulement des récents évènements. Pendant ce temps, les perspectives de l'avenir de l'économie mondiale et des relations internationales sont sombres et incertaines remettant en cause l'intérêt de démarrer le round de négociations de l'OMC en 2002 et elles ouvrent des voies à la formulation d'exigences qui ne sont pas favorables aux pays pauvres.


Comme vous l'avez sans doute déjà compris, les attentats du 11 septembre ont aidé à tuer 3 autres lapins : ils rendent les terroristes coupables de la crise économique,  ils permettent d'augmenter les pressions pour accélérer la mise en place de la Zone de Libre Echange des Amériques et en même temps ils tendent à réduire les exigences de changement de la politique économique nord américaine au sein de l'OMC .


Le quatrième lapin est aussi important que les précédents. La réaction des États-Unis aux attaques terroristes gomme les différences entre les mouvements de résistance (qui prennent la forme de guérilla armée) et ceux qui peuvent réellement être définis comme terroristes. Cette confusion ouvre la voie de la répression violente contre les groupes dont la lutte est
actuellement soutenue par l'opinion publique internationale. Tirant profit du sentiment d'indignation qui s'est répandu à travers le monde, l'agence nord-américaine de lutte contre les drogues, par exemple, s'est empressée d'inclure l'Armée Zapatiste de Libération Nationale  (EZLN) dans la liste des mouvements terroristes à combattre. Malgré que les zapatistes n'aient réalisé aucun attentat et ne soient impliqués dans aucun trafic, les accusations nord américaines vont dans le sens de faire pression sur le gouvernement mexicain pour qu'il adopte une solution militaire au conflit qui dure depuis le premier janvier 1994. Parmi les principales raisons qui expliquent cette attitude, se trouve le fait que l'EZLN et les communautés indigènes qui le soutiennent occupent une région très riche en pétrole et en uranium.


Cette décision nord américaine est si éhontée que, craignant le pire, aussi bien le gouverneur de l'État du Chiapas que le responsable du gouvernement pour les négociations avec les zapatistes, Luis H. Alvarez, se sont empressés de déclarer à la presse que l'EZLN ne peut pas être confondu avec un groupe terroriste puisqu'il a des objectifs sociaux bien définis et également parce que ses membres ne sont pas impliqués dans le trafic de drogue.


Comme vous pouvez le voir, les États-Unis ne perdent pas de temps. La liste de ces groupes semble être longue et, si les intentions des nord-américains ne sont pas démasquées, petit à petit, toute manifestation contre les intérêts des puissants pourra être considérée comme une forme de terrorisme car elle représenterait une atteinte à l'ordre. Les groupes de résistance les plus variés qui ont organisé les protestations de Gênes, Prague, Washington et Seattle, seraient suspectés par le simple fait d'exister.

Malgré la fatigue et les blessures, le quatrième pivert décide de repartir aider les autres qui s'efforcent dans la rude tâche de percer la muraille. Un profond silence de réflexion envahit la chambre où j'écris ces dernières lignes. Révolte et espoir forment un tourbillon qui pousse à l'action, à lever la tête et à commencer à marcher. Seul avec toutes ces pensées je
regarde par la fenêtre d'où je vois entrer un pigeon voyageur. Ses mouvements inquiets me font comprendre qu'il y a urgence et j'ouvre rapidement le message qu'il apporte. Il y est écrit : « l'Humanité est en danger. Ceux qui disent se trouver du côté du bien sont des loups déguisés en agneaux. Il n'y a pas de temps à perdre.

Invitez les piverts et tous les autres oiseaux de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les races et de toutes les religions pour qu'ils accourent vers la muraille. Il nous faut ouvrir de nouveaux trous pour que dans les écoles, dans les usines, dans les campagnes, dans les quartiers et dans tous les recoins de la Terre plus de personnes puissent voir le monde qui se cache derrière la muraille. Il est urgent d'organiser les forces pour faire face à la vague d'exploitation et de mort qui menace de s'abattre sur la planète ». Bon, le message est passé. Je vais remettre au pigeon voyageur un message indiquant que le récit est prêt et sera diffusé. Espérons que cela aide à faire décoller tout un envol d'oiseaux qui élèveront leur chant aux langages multiples pour stopper la guerre et construire un monde où la paix soit le fruit d'un arbre nommé justice.

Emilio Gennari.
Brésil, le 18 octobre 2001.


Bibliographie :
En plus des nombreux articles publiés dans le journal « Gazeta Mercantil », ont été utilisés les textes suivants :
. Ahmed Rashid, Les Talibans : exportation de l'extémisme, in Foreign
Affairs en espagnol, nov-dec 1999
. Antonio Negri, Le terrorisme, maladie du système, in La Jornada, Mexique,
15 oct 2001
. Delip Hiro, Les conséquences de la djihad afghane, Inter Press Service, 21
nov 1995
. Ivan Valdes, Les Etats Unis ont besoin de contrôler la région pétrolifère
autour de l'Afghanistan
. La guerre du pétrolier George W. Bush, in El Siglo, N° 137, 2001. Edition
en ligne de la revue
. José Antonio Egido, Afghanistan : lorsque les communistes protégeaient les
droits des femmes, in Rebelion, 26 sept 2001. Ed. en ligne de la revue
. Lester W. Grau, la politique de l'oléoduc et la naissance d'une nouvelle
région stratégique : Pétrole et Gaz Naturel de la Mer Caspienne et de l'Asie
Centrale, in Foreign Affairs en espagnol, jan-fev 1998
. Michael T. Klare, La nouvelle géographie des conflits internationaux, in
Foreign Affairs en esp.
. Michel Chossudovsky, Oussama Ben Laden : un guerrier de la CIA, in La
Jornada, Mexique, 23 sept 2001
. Noam Chomsky, Hégémonie ou survie, Edition électronique de la revue Z-net,
3 et 4 juill 2001
. Noam Chomsky,  La politique des Etats Unis - Etats rebelles, étude
diffusée par l'édition électronique du Centre des media Indépendants, 17
sept 2001

 


[1] Texte diffusé sur a-infos-pt (langue portugaise) le jeudi 18 octobre 2001 sous le titre : "(pt) Emilio Gennari: Os pica-paus na guerra do Afganistao". Traduit du portugais (Brésil) par Fernando Martins. Le 19 octobre 2001. Source : Agence de Presse  A - I N F O S.   http://www.ainfos.ca/.


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