Mon bon Frère Donatien[1]

 

Léo Campion

 

Donatien Alphonse François, marquis (puis comte) de Sade, seigneur de La Coste et de Saumane, co-seigneur de Mazan, est né le 2 juin 1740 à Paris.

Élevé d'abord en province, le jeune Donatien termina ses études au Collège Louis le Grand avant de passer plusieurs années au service du roi et d'épouser mademoiselle de Montreuil. Mariage de convenance qui n'empêcha nullement le nouvel époux de donner libre cours à son vif penchant pour le libertinage.

Il était encore militaire quand, cinq mois après avoir convolé en justes noces, il fut enfermé au donjon de Vincennes, en vertu d'une lettre de cachet, pour "débauche outrée". Pas tellement toutefois puisque, deux semaines plus tard, le jeune noceur était libéré. Mais, et ce fut l'origine de tous ses avatars, il figurait dorénavant sur les fiches de la police.

L'inspecteur Marais, dont il deviendra la bête noire, accumulera les rapports adressés à monsieur de Sartines, lieutenant général de police, sur " les horreurs de monsieur le comte de Sade". On croit peu à l'innocence de ceux que l'on surveille, outre que le marquis avait entre autres maîtresses, en 1764, une actrice aux Italiens qui était un indicateur dudit inspecteur Marais.

En 1768, Sade fit six mois de prison à Lyon pour avoir donné une fessée libertine à une femme de mauvaise vie. Et ce bien qu'elle ait reçu 2 400 livres et retiré sa plainte.

Séjournant dans ses terres de Provence, en 1772, le marquis, qui avait l'esprit de famille, eut une aventure avec sa belle soeur.

Puis ce fut à Marseille, toujours en 1772, une orgie, en compagnie de son valet et partenaire, avec quatre filles publiques. Il leur distribua des dragées à la cantharide pour stimuler leur zèle érotique. Le lendemain elles eurent des coliques, s'en plaignirent et on en déduisit qu'il y avait eu tentative d'empoisonnement, en y ajoutant le crime de sodomie. Par contumace le parlement d'Aix condamna le marquis à avoir la tète tranchée et son valet. à être pendu.

Arrêté à Chambéry, interné à Miolans, Sade s'en évada en avril 1773.

On l'appréhenda, en 1777, dans le lit dé la marquise de Sade. Écroué à Vincennes, il n'en sortira qu'au bout de six ans pour être transféré à la         Bastille où il sera prisonnier encore six ans.

Soit douze années de détentions pour une fessée et des dragées aphrodisiaques.

C'est au cours de cette captivité que Sade écrivit l'essentiel de son oeuvre littéraire. Notamment le "Dialogue entre un prêtre et un moribond", "les 120 jours de Sodome", la première "Juliette", "Aline et Valcour", des pièces de théâtre en vers et en prose, des "Contes", des "Nouvelles" et des " Fabliaux ".

Fin juin, début juillet 1789, de son cachot, à l'aide d'un porte voix de papier, Sade insultait le gouverneur de la Bastille, le marquis de Launay, et exhortait la foule à prendre d'assaut la forteresse. Il fit tant et si bien qu'on le transféra à la prison de Charenton la nuit du 3 au 4 juillet.

A dix jours et quelques heures près il eut été délivré par le peuple de Paris et chaque année, le 14 juillet, le président de la République célèbrerait officiellement l'anniversaire de cet évènement.

En vertu du décret de l'Assemblée Constituante abolissant les lettres de cachet, Sade fut enfin libéré le 2 avril 1790, jour du Vendredi Saint. Il embrassa alors la cause de la Révolution et ses activités militantes vont se confondre avec ses activités maçonniques.

*

 

Le marquis de Sade était fils de maçon. Son père, le comte François de Sade, ami de Voltaire, avait été initié le mardi 12 mai 1730, par la Loge "The Horn", à Londres, en même temps que Montesquieu.

La tenue était présidée par le duc de Richmond, Vénérable Maître de l'Atelier.

Étaient présents notamment les Frères duc de Norfolk, Grand Maître, Nathanael Blackerby, député, marquis du Quesne, lord Mordaunt, marquis de Beaumont.

On ignore où et quand le marquis de Sade a été initié et son appartenance à notre Ordre est contreversée.

Elle ne fait pourtant pour moi point de doute.

Même si un soupçon de mauvaise foi, inhérent à la subjectivité, me fait insinuer que des mains puribondes ont pu égarer, détruire, ou falsifier pieusement des documents.

Mais soyons objectifs.

Il y a d'abord l'allusion que fait, dans le "Dictionnaire des Athées", en 1805, le Très Illustre Frère Jérôme de Lalande, allusion sur laquelle je reviendrai en détail.

Il y a les tableaux de la Loge "Les amis de la Liberté", à laquelle appartenait le Frère Sade pendant la Révolution. Ils me furent communiqués, dans les années 1960, par le Frère Robert Kaufmann, de l'Aréopage "La Clémente Amitié". Le témoignage du Frère Kaufmann est d'autant plus probant qu'il était de ceux qui déploraient qu'un personnage aussi discutable que le marquis ait pu être reçu maçon. C'est donc à contrecoeur et par pure honnêteté intellectuelle qu'il m'a documenté.

L'appartenance de Sade au Grand Orient de France a aussi fait l'objet d'une étude du Frère Jacques Brengues, en 1967, dans sa thèse sur l'"Histoire de madame de Luz" du Frère Charles Duclos.

On constatera enfin que toutes, absolument toutes les délégations de la Section des Piques (sauf la dernière en novembre 1793, pendant la Terreur), étaient composées exclusivement de francs-maçons. Si donc Sade n'avait pas été maçon, il en eut été pendant tout ce temps le seul profane. C'est pour le moins insolite.

 

*

 

Dans le "Dictionnaire Universel de la Franc-maçonnerie", paru en 1974, on peut lire que "L'analyse littéraire de l'oeuvre de Sade révèle une connaissance intime des Rites Maçonniques qui va plus loin que la simple imprégnation due à un environnement maçonnique."

Cet environnement fut cependant flagrant.

Sorti de Charenton démuni de tout, sans argent et déjà sans culotte, Sade fut accueilli par le Frère de Milly, de la Loge "Saint Louis de la Martinique des Frères Réunis", 18ème, Officier du Grand Orient, qui lui donna six louis, le nourrit et l'hébergea.

Sade fréquenta son neveu par alliance, le Frère Stanislas de Clermont - Tonerre, de la Loge "La Candeur", l'un des nobles qui avait rejoint le Tiers État et avait voté l'abolition des privilèges et le droit de cité aux protestants et aux juifs.

Il se lia d'amitié avec le Frère Molé, de la Loge "Thalie", sociétaire de la Comédie Française.

Le ler juillet 1790, le marquis de Sade adhéra à la Section de la 3 place Vendôme, qui deviendra la Section des Piques quand la place Vendôme deviendra la place des Piques'

En août 1790, au bout d'une liaison avec la présidente de Fleurieu, Sade séduisit une jeune comédienne dont il était de vingt ans l'aîné, Marie-Constance Renelle, épouse séparée de Balthazar Quesnet. Elle était "à la fois l'exemple et l'honneur de son sexe, réunissant à l'âme la plus sensible l'esprit le plus juste et le mieux éclairé". Sade s'installa chez elle, rue de la Ferme des Mathurins, à la Chaussée d'Antin. Seule la mort les séparera, plus de vingt-quatre ans après.

Le samedi 22 octobre 1791 fut créé au Théâtre Molière, rue Saint Martin, "Oxtiern ou les effets du libertinage", drame en 3 actes dé D. A. F. Sade. Une seconde représentation fut donnée le vendredi 4 novembre. Le public réclama l'auteur et il vint saluer sur scène. Une critique élogieuse parut dans "Le Moniteur" du 6.

Le lundi 5 mars 1792, au théâtre Italien, boulevard Richelieu, fut joué "Le Suborneur", comédie en un acte, en vers octosyllabiques, de D.A.F. Sade. Ce fut un four.

Le 3 septembre 1792, 1e Frère Sade assista, impuissant au massacre de la Soeur de Lamballe, Grande Maîtresse de la Mère-Loge Écossaise d'Adoption que venait d'acquitter le Tribunal Révolutionnaire que présidait le Frère Jacques Hébert. On sait que la tête de la malheureuse princesse fut présentée au bout d'une pique à la reine Marie-Antoinette, dont elle était l'amie. Et après qu'on lui eut coupé les seins, un de ses bourreaux se fit une moustache avec sa toison pubienne. Le corps de la malheureuse fut ensuite traîné huit heures dans les rues.

Le 21 septembre, la royauté fut abolie. Et le 25, le citoyen Sade devint secrétaire de la Section des Piques. Petite cause, grands effets.

Le 25 octobre, la Section des Piques désigna trois commissaires les citoyens Sané père, marchand bijoutier, Jean-Baptiste Marchand, négociant, Sade, homme de lettres. Le Frère Sané appartenait à la Loge "Saint Julien de la Tranquillité", le Frère Marchand à la Loge "Saint Alexandre d'Écosse".

Le 28 octobre, la Section des Piques arrêta que les "Observations sur l'Administration des Hôpitaux", rédigées par le citoyen Sade, soient imprimées et communiquées aux quarante-sept autres sections.

Le 2 novembre, l'Assemblée Générale des Piques, après avoir entendu le discours du citoyen Sade, "Idées sur le mode de sanction des loix" , en arrêta unanimement l'impression et l'envoi aux quarante-sept autres sections. Cette décision était signée, Guiard, président, Ternois, secrétaire. Le Frère Chevalier Rose-Croix Guiard appartenait à la Loge "Saint Marc", de Saint Denis, et le Frère Ternois à la Loge "La Vérité".

Le 17 janvier 1793, furent désignés par l'Assemblée des Commissaires des Sections de Paris pour visiter les Hôpitaux et en faire rapport : les citoyens Désormaux, accoucheur, Sade, homme de lettres, Carré, limonadier. Le frère Désormaux appartenait à la Loge "La Trinité", et le Frère Ternois à la Loge "Saint Jean d'Hiram"[2].

Le 13 avril, Sade fut nommé membre du jury spécial chargé des affaires de faux assignats. Flatteuse promotion pour un tel repris de justice. Sa correspondance indique d'ailleurs qu'il en a apprécié tout le sel.

Le 8 mai, Sade fut reçu par le Ministre de l'Intérieur, le Frère Garat, de la Loge "les Neuf Soeurs".

Le 16 juin, le citoyen Sade, secrétaire de l'Assemblée des Sections de Paris, donna lecture à la Convention Nationale d'une adresse qu'il avait rédigée.

Le 11 juillet, Sade présida l'Assemblée Générale des Hospices de Santé. Le 12 il rédigea le procès-verbal de l'Assemblée Générale de la Section des Piques.

Le 19, il rédigea une adresse de la Section des Piques à ses Frères et Amis de la Société de la Liberté et de l'Égalité, à Saintes, département de la Charente Inférieure. Elle était signée : Pyron, président, Girard, vice-président, Artaud, Sade, Clavier, secrétaires. Le frère Jean-Baptiste Pyron, avocat, ancien intendant des Finances du comte d'Artois, avait été Officier et Député au Grand Orient de France sous l'ancien régime. Il sera, 1804, un des dignitaires influents de la Grande Loge Écossaise du Rite Ancien et Accepté. Le Frère Girard, 18ème, appartenait à la Loge "Les Amis Intimes", le Frère Jean-Baptiste Artaud, auteur dramatique, à la Loge "Saint Jean d'Écosse du Contrat Social", le Frère Etienne Clavier, ancien conseiller au Châtelet, ancien Député au Grand Orient, à la Loge "Mars et Thémis".

Le 23 juillet, le Frère Sade, succéda au Frère Pyron à la présidence de la Section des Piques. Il exercera ses fonctions présidentielles avec générosité et humanité, ce qui n'était pas sans danger en ces temps sanguinaires où le modérantisme faisait figure de suspicion, si pas de délit.

Le 27 juillet, le nouveau président témoigna à Versailles, devant le Tribunal criminel de Seine et Oise, en faveur de Pierre Nicolas Gien, serrurier, membre de la Section des Piques.

Le 2 août, l'Assemblée des Piques est si agitée que Sade passa la présidence au vice-président, ne voulant pas s'associer à des mesures de violence réclamées par le majorité de la Section.

"Ma tenue, écrit-il, a été si orageuse que je n'en puis plus ! Hier, entre autres, après avoir été obligé de me couvrir deux fois, je me suis vu contraint de laisser le fauteuil à mon vice-président. Ils voulaient me faire mettre aux voix une horreur, une inhumanité. Je n'ai pas voulu."

Ses beaux parents, les de Montreuil, que Sade détestait parce qu'ils étaient en grande partie responsables de ses incarcérations sous l'ancien régime, étant emprisonnés comme aristocrates, il intervint en leur faveur, les faisant passer sur la liste épuratoire ce qui les sauvera. Voilà comment je me venge, dira-t-il.

Sade, juché sur le piédestal de la statue de la place des Piques, prononça un discours aux mânes de Marat et de Le Pelletier, assassinés par les Royalistes. Le 29 septembre 1793, l'An II de la République Française, une et indivisible, l'Assemblée générale de la Section des Piques, applaudissant aux principes et à l'énergie de ce discours, en arrête l'impression, l'envoie à la Convention Nationale, à tous les départements, aux Armées, aux autorités constituées de Paris, aux quarante-sept autres Sections, et aux Sociétés Populaires. Signé Vincent, président, Girard, Mangin, Paris,

Là encore, feu ou vif, tout le monde était franc-maçon.

Le docteur Jean - Paul Marat, rédacteur de l'"Ami du Peuple", député à la Convention, après avoir été initié, le 15 juin 1774, à l'Auberge de la Tète du Roi, à Londres, par la Grande Loge d'Angleterre, et avoir été membre de la Loge "La Bien-Aimée", d'Amsterdam, appartenait à la Loge "Les Amis Réunis".

Le Frère Louis Le Pelletier de Saint Fargeau, ancien prévôt des marchands, ancien député à la Convention, appartenait, comme le Frère Marat, à la Loge "Les Amis Réunis".

Le Frère Girard appartenait à la Loge "Les Amis Intimes".

Le Frère Mangin, ancien Officier et député au Grand Orient sous l'ancien régime, appartenait à la Loge "Les Coeurs Simples de l'Étoile Polaire".

Le Frère Paris était Maître Parfait du Souverain Chapitre "Le Choix ".

Le 25 brumaire, An II (15 novembre 1793), le citoyen Sade à la barre de la Convention, donna lecture d'une pétition de la Section des Piques aux représentants du peuple français. Il était accompagné des sept délégués de sa Section, Vincent, Artaud, Sané, Gérard, Becq, Bisoir, Guillemard. Les quatre premiers étaient maçons, les trois autres profanes. C'était la première fois que, dans une délégation de la Section des Piques, le Frère Sade n'était pas entouré uniquement de francs-maçons. Leur influence était-elle en régression ?

II est vrai que c'était le début de la Terreur.

 

*

 

La Terreur avait pris corps avec le vote de la Loi des Suspects le 5 septembre 1793. Elle prendra fin avec la chute de Robespierre le 27 juillet 1794.

Dans les seuls mois de juin et juillet 1794, 14 00 têtes sont tombées sous le couperet de la guillotine. La guillotine qui devait son nom à un humaniste soucieux d'abréger les souffrances des condamnés, le docteur Guillotin, ancien Vénérable Maître de la Loge "Le Concorde Fraternelle", ancien député au Grand Orient, membre de le Loge "Les Amis Réunis".

Pendant la Terreur, en province, les Temples maçonniques furent pillés et saccagés. Les quelques Loges encore actives, "La Constance", d'Arras, "L'Heureuse Rencontre", à Brest, "Les Coeurs Unis", de Nantes, "La Loge Anglaise", de Bordeaux, "La Bonne Amitié", à Marseille, "Le Centre des Amis", "La Martinique des Frères Réunis","Les Amis de la Liberté", à Paris, se mirent en sommeil.

Le Frère Bailly, maire de Paris, le Frère Danton, ancien ministre de la justice, le Frère Camille Desmoulins, pamphlétaire du "Vieux Cordelier", le Frère Hérault de Séchelles, ancien président de la Convention, le Frère Malesherbes, de l'Académie Française, le Frère Fabre d'Églantine, créateur du calendrier républicain, furent guillotinés.

Le Frère Condorcet, ancien président de l'Assemblée Législative, membre de la Convention, membre de la Société des Amis des Noirs, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, membre de l'Académie Française, fut trouvé mort dans son cachot de Bourg Égalité, ci-devant Bourg la Reine.

Le Frère Nicolas Roch, dit Chamfort, conservateur de la Bibliothèque Nationale, membre de l'Académie Française, et le Frère Pétion de Villeneuve, ancien maire de Paris, se suicidèrent pour échapper à l'échafaud.

Ainsi quand, plus tard on demandera à l'Abbé Siéyès, de la Loge

"Les Neuf Sceurs"

- "Que fites-vous sous la Terreur ?"

Il pourra répondre

- "J'ai vécu".

 

*

 

Bien évidemment les louables imprudences que les sentiments d'humanité du marquis de Sade lui avaient fait commettre à la présidence de la Section des Piques, comme sa prise de position, en faveur de l'abolition de la peine de mort, étaient sous la Terreur, d'un modérantisme aussi dangereux que téméraire.

Outre qu'il était aristocrate et fâcheusement réputé pour ses débauches et sa pornographie.

Aussi, le 18 primaire An II (8 décembre 1793), le "cy-devant comte" fut-il arrêté chez la citoyenne Quesnet et incarcéré à la Maison d'Arrêt des Madelonettes.

Le 24 nivôse (13 janvier 1794), le marquis de Sade fut transféré à la Maison des Carmes, rue de Vaugirard, puis le 3 pluviôse (22 janvier) à la maison de Saint Lazare.

Il y côtoya le poète, André Chénier, le peintre Hubert Robert, de la Loge "La Société Olympique", le ci-devant comte de Bourdeilles de la Loge "Les Amis de la Gloire", et le poète Jean-Antoine Roucher, de la Loge "Les Neuf Sœurs".

Le 7 germinal (27 mars), Sade fut transféré au Jardin de Picpus, monastère désaffecté devenu maison d'internement.

Comme jadis la marquise de Sade l'avait fait, très affectueusement, pour son mari, lorsqu'il était à Vincennes et à la Bastille, la citoyenne Quesnet multiplia les démarches et les interventions en faveur de son amant. Mais en vain.

Le 8 thermidor (26 juillet), Fouquier-Tinville dressa réquisitoire contre vingt huit accusés. Parmi eux, le Frère Sade, le Frère Bechon d'Arquiem, de la Loge "Saint Alec andre" et le Frère Toussaint-Charles Girard de la Loge "Saint Étienne de la Vraie et Parfaite Amitié".

Le lendemain 9 thermidor, vingt-trois des vingt huit accusés furent amenés à l'audience. Un cultivateur fut acquitté, une femme saisie de convulsions fut renvoyée à la Conciergerie, les vingt-et-un autres inculpés furent condamnés à mort et guillotinés le jour même.

L'encombrement des prisons, le désordre des dossiers avaient sauvé cinq des inculpés, dont le marquis de Sade. On était venu chercher le Frère Bechon d'Arquien, qui se trouvait à côté de lui à Picpus, pour le conduire à la Conciergerie et de là au supplice, et on n'avait pas trouvé le détenu Sade qui en marge de son nom sur l'acte d'accusation, avait été porté absent. L'avis de transfert de Sade à Picpus n'étant sans doute pas arrivé, ou s'étant égaré.

Les desseins du Grand Architecte de l'Univers sont impénétrables.

A moins qu'il ne soit sadiste.

Le lendemain 10 thermidor (28 juillet) tombèrent les têtes de Robespierre et Saint Just. La Terreur avait vécu.

Le 8 fructidor (25 août) la Section des Piques adressa au Comité de Sûreté Générale un certificat favorable au citoyen Sade.

Parmi les signataires figuraient le Frère Chevenot de la Loge "Saint Louis de la Martinique des Frères Réunis", le Frère François, des Chapitre et Loge "La Douce Union", le Frère Bourgeois, de la Loge "L'Union des Septs Frères" le Frère Jean Baptiste Sané, de la Loge "Saint Julien de la Tranquillité", dont le nom fut déjà souvent, fidèlement et fraternellement, accolé à celui du Frère Sade.

Le 24 vendémiaire (15 octobre), sur décision du Comité de Sûreté et de Surveillance de la Convention Nationale, Sade fut remis en liberté.

Il regagna la maison de la rue de la Ferme des Mathurins, où l'attendait Constance Quesnet.

 

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"Aline et Valcour ou le Roman Philosophique" fut publié, en 1795 chez la Veuve Girouard, Librairie au Palais Égalité.

Déjà la première édition originale d'un ouvrage de Sade, publiée du vivant de l'auteur, était, en 1791, sortie des presses de Girouard, libraire, rue du Bout du Monde, No 47, à Paris.

Il s'agissait de "Justine ou les malheurs de la vertu", écrit à la Bastille en 1787.

L'analyse littéraire qu'on en peut faire montre l'imprégnation maçonnique de l'oeuvre sadienne. On y lit que Justine "comparâit sous le bandeau", qu'elle est couchée dans un cercueil - O Hiram Abi ! - que "les yeux de Justine se rouvrent à la lumière".

Un recueil de nouvelles "Les Crimes de l'Amour", par D.A.F. Sade fut publié à Paris en 1799, chez Nicolas Massé, éditeur-propriétaire, rue Helvétius, No 580. Le Frère Massé appartenait à la Loge "Le Centre des Amis".

Le 22 frimaire An VIII (13 décembre 1799), le théâtre de la Société Dramatique, à Versailles, donna une représentation d'"Oxtiern", drame en 3 actes de D.A.F. Sade. L'auteur y joua le rôle de Fabrice. La pièce fut éditée peu après chez Blaizot, libraire, rue Satory, à Versailles.

 

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Le 15 ventôse An IX (6 mars 1801), impromptu, des policiers envahirent les bureaux du Frère Nicolas Massé, l'éditeur des "Crimes de l'Amour", alors que le Frère de Sade était présent. Ils perquisitionnèrent, découvrirent des manuscrits du marquis et arrêtèrent écrivain et éditeur.

Une autre perquisition, en présence de l'inculpé, dans sa maison de Saint-Ouen, amena la découverte de plâtres obscènes (comme il y en a à Pompéi) et de tapisseries licencieuses (comme il y en a au Vatican).

Le marquis de Sade fut incarcéré au dépôt de la Préfecture de Police jusqu'au 12 germinal (2 avril), puis à Sainte Pélagie.

Il semble bien qu'il s'agissait là d'une machination et que perquisitions et poursuites ne furent que prétextes à une vengeance du Premier Consul.

Un pamphlet anonyme circulait sous le manteau, "Zoloé et ses ceux acolythes", qui ridiculisait de façon transparente Joséphine Bonaparte, son amie Thérèse Tallien, leur amant le vicomte de Barras, et les deux cocus Tallien et Bonaparte. Les scènes croustillantes abondant, le bruit courut que "Zoloé" était dù à la plume du marquis de Sade. Or si Me Maurice Garçon et d'autres partagent cet avis, Gilbert Lély, historiographe du Divin Marquis, prétend le contraire.

Quoi qu'il en soit, après avoir connu les rigueurs de l'absolutisme royal, puis les prisons de la République, Sade sera prisonnier d'Empire.

S'il y eut des interventions maçonniques en sa faveur, comme ce fut le cas à Picpus, elles se heurtèrent au refus du Premier Consul. Et la mégalomanie impériale n'excluant pas la rancune, par trois fois, en 1811 et 1812 Sade sera maintenu en captivité par des États des Conseils privés signés Napoléon. Et il est fait allusion, dans le "Mémorial de Saint Hélène", à Justine, "un roman qui, au temps de la Convention même, suait révolté la morale publique". Vertueuse indignation d'un moraliste qui n'a sur la conscience qu'un million de morts.

Le marquis de Sade, lui, n'a jamais tué personne.

Il faut ajouter aux griefs de l'empereur qu'étant alors en plein flirt avec Pie VII, il devait peu apprécier la position libertaire du marquis vis à vis du Trône et du Vatican.

Il n'est pas niable que Sade fut influencé par la filiation templière de l'Ordre Maçonnique et que c'est dans un esprit très Chevalier Kadosch qu'il a stigmatisé pouvoir spirituel et pouvoir temporel, incarnés par le pape et par le roi.

Dans "Histoire de Juliette", Tome V, page 119, on peut lire ce serment, prononcé par Brisa-Testa, lors de son admission dans la "La Loge du Nordir, de Stockholm ; "Je jure d'exterminer tous les rois de la terre ; de faire une guerre éternelle à la religion catholique et au pape ; de prêcher la liberté des peuples et de fonder une République universelle".

En font foi aussi ces quelques lignes du Divin marquis, sur l'autorité :

"Sans les lois et les religions, on n'imagine pas le degré de gloire et de grandeur où seraient aujourd'hui les connaissances humaines ; il est inoui comme ces indignes freins ont retardé les progrès ; telle est la seule obligation qu'on leur ait. Un ose réclamer contre les passions ; on ose les enchainer par des lois. Mais que l'on compare les unes aux autres, que l'on voie, qui, des passions ou des lois, a fait le plus de bien aux hommes. Qui doute que les passions ne soient dans le moral, ce qu'est le mouvement en physique ? Ce n'est qu'aux passions fortes que sont dues l'invention et les merveilles des arts ; elles doivent être regardées comme le germe productif de l'esprit et le ressort puissant des grandes actions. I1 n'y aura jamais que les grandes passions qui pourront enfanter de grands hommes.

Que l'on compare les siècles d'anarchie avec ceux où les lois ont été le plus en vigueur, sous tel gouvernement que l'on voudra, on se convaincra tacitement que ce n'est que dans cet instant du silence des lois, qu'ont éclaté les plus grandes actions.

 

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En mars 1803, à Sainte Pélagie, le marquis de Sade, toujours espiègle, provoqua un scandale en tentant d'assouvir sa lubricité sur des jeunes délinquants dont les chambres étaient voisines de la sienne. Tant de sociabilité le fit transférer à Bicêtre, qui était une affreuse prison. Heureusement à la mi-avril, il quitta Bicêtre pour l'Hospice de Charenton-Saint Maurice, où le régime était infiniment plus doux.

Si les premiers temps de son internement, l'indépendance et l'indiscipline du marquis irritèrent le directeur de l'établissement, le sieur de Coulmier, il fut, dès qu'ils se furent reconnus francs-maçons, l'objet des plus fraternels égards.

Le Frère de Coulmier, ancien supérieur des Prémontrés, ancien député à l'Assemblée Constituante, avait appartenu à la Loge "Saint Jean de Jérusalem", de la Mère Loge du Rite Écossais Philosophique.

Il fera tout le possible pour le Frère Sade.

Grâce à sa bienveillance, Constance Renelle obtint de partager librement et volontairement la réclusion de son amant. Réclusion à vrai dire rendue plus que supportable. Car, dans les limites de l'enceinte de l'Hospice le marquis de Sade pouvait tout faire. Il lisait, écrivait, organisait des bals, des concerts, des fêtes. Et même des parties.

Nombre d'étrangers à l'Hospice étaient invités, des gens de lettres, des comédiennes et des comédiens du boulevard.

"les moeurs y étaient forts légères, à écrit le docteur Ramon, et, à ce qu'il parait, tant soi peu décolletées".

Outre tout cela, le marquis de Sade mettait régulièrement sur pied des spectacles de comédie dont il était à la fois le directeur, le metteur en scène, le maître de ballet, un des interprètes, et parfois l'auteur.

Il va sans dire que la grande liberté dont il jouissait à Charenton et les activités qu'il y déployait n'eurent pas l'heur de plaire à tout le monde. Mais le Frère Fouché, Ministre de la Police, ne tint pas davantage compte des protestations, que le Frère de Coulmier des réprimandes du Ministre de l'Intérieur.

 

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Le "Dictionnaire des Athées anciens et modernes" du Frère Sylvain Mareschal, de la Loge "La Fidélité", avait paru en 1800. Le Frère Jérôme de Lalande, ancien Vénérable Maître de la Loge "Les Neuf Sœurs", membre de l'Académie des Sciences, en avait rédigé le "Supplménent".

Mareschal était passé à l'Orient Éternel en 1803, Lalande publia un "Second Supplément au Dictionnaire des Athées" en 1805, dans lequel il écrivait :

"Je voudrais pouvoir citer M. de Sade, il a bien assez d'esprit, de raisonnement, d'érudition ; mais ses infâmes romans de Justine et de Juliette le font rejeter d'une secte où l'on ne parle que de vertu".

La secte à laquelle le sectateur, personnalité notoirement représentative de la majorité favorable à l'empereur au sein du Grand Orient (dont il était le Grand Orateur), faisait allusion, ne pouvait être que la Franc-Maçonnerie, les athées ne constituant pas une secte.

Et en trois lignes, Lalande montrait combien il était habile homme.

Donnant en passant un honnête et élégant coup de chapeau à l'esprit, au raisonnement et à l'érudition du marquis, il restait suffisamment discret vis-à-vis du lecteur profane quant à la secte, et suffisamment indiscret vis-à-vis de Napoléon quant à un rejet qui ne pouvait que lui plaire.

Clair et sibyllin à la fois, en donnant motif à le rejeter de la Franc-Maçonnerie, Lalande soulignait que Sade était toujours maçon en 1805, car on ne peut être exclu d'une société à laquelle on n'appartient plus.

Le présent "le font rejeter" était significatif. Lalande insinuait que le Franc-Maçon, Sade ne serait plus reçu en loge parmi ses frères, Lapalissade puisque le marquis était captif depuis quatre ans et qu'il n'y avait pas de tenues maçonniques à l'Hospice de Charenton.

A moins que Lalande n'ait subtilement émis une hypothèse.

Ou lancé un suggestion.

Faisant de toutes façons, adroitement (l'adresse n'excluant pas forcément la sincérité), sa cour à l'empereur.

Car c'est bien de cela qu'il s'agissait.

"Justine" et "Juliette" n'étaient ici que prétexte à régler les comptes mesquins de Napoléon, que Lalande considérait comme protecteur de l'Ordre Maçonnique, mais qui personnifiait - et avec quel absolutisme - l'État. Or les Constitutions d'Anderson de 1723, qui sont la Charte de la Franc-Maçonnerie moderne, spécifiaient déjà qu'un Frère rebelle à l'État ne pourrait point être exclu de sa Loge, et (que) son rapport avec elle ne pourrait être annulé".

 

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Compte tenu de la réputation licencieuse du marquis, pornographe, partouzard, bisexuel, sodomite, friand de fessées érotiques, d'aucuns se demanderont non pas s'il fallait le rejeter de la franc-maçonnerie mais plutôt comment il avait pu y être admis.

Les vieux rituels précisent en effet qu'un profane est reçu en maçonnerie parce qu'il est "probe et libre" ou parce qu'il est "libre et de bonnes moeurs"

 

Sade, s'il était probe et libre, était-il de bonnes moeurs ?

Encore faut-il savoir ce que l'on entend par bonnes moeurs.

Soutien ou substrat à la morale, les moeurs sont des habitudes, naturelles ou acquises, considérées par rapport au bien ou au mal dans la conduite de la vie. Elles varient selon les époques, les lieux, les usages particuliers d'une ethnie, d'une caste, d'un milieu. Aussi les conceptions qu'on peut avoir du bien et du mal peuvent-elles être très différentes et même opposées, selon l'entourage et selon l'individu. De sorte que c'est la valeur humaine d'un être qui importe. Pour moi, là sont les bonnes moeurs. Et je ne vois pas un rapport particulier entre la morale et la fessée.

En amour, entre adultes consentants, il n'y a pas lieu de préconiser et encore moins de ne pas admettre. Si vous n'aimez pas ça, ce qui est rigoureusement votre droit, n'en dégoûtez pas les autres. Et surtout ne les blâmez pas.

Une conception restrictive, étroite et puritaine de l'excellence des moeurs, s'exprimant par le conformisme du sexe, aurait exclus de la maçonnerie, s'ils étaient nés plus tard et avaient frappé à la porte du Temple, un grand esprit comme Épicure ou un grand artiste comme Léonard de Vinci. Et aussi sans doute le Chevalier d'Éon, dont l'initiation à la Loge Française de Londres "L' immortalité", fit scandale. Ou encore les Très Illustre Frère Cambacérès, Grand Maître adjoint du Grand Orient de France, Grand Commandeur du Suprême Conseil, qui fut un homosexuel notoire.

Et puis, tout compte fait, si ses moeurs furent (pour les moralistes dont la phobie du cul est le critère) d'une sexualité peu classique (où le classicisme va-t-il se nicher ?), le Frère Sade eut une vie plus recluse, donc plus rangée et pour tout dire plus austère, que celle (par exemple) du très débauché cardinal que fut le Frère de Bernis, excellent maçon pourtant.

Dans une interview parue dans "Le Quotidien de Paris" du 24 août 1976, le Frère Serge Behar, alors Grand Maître du Grand Orient de France, définissait ainsi les bonnes mœurs :

"Être de bonnes moeurs signifie essentiellement la sincérité envers soi-même et la fidélité aux engagements librement consentis. Être de bonnes moeurs c'est aussi avoir refusé d'adhérer à toutes formes de totalitarisme, mieux, d'avoir lutté contre elles".

 

C'est dire si Sade était de bonnes moeurs.      

 

*

 

Le Divin Marquis fut d'évidence un éminent patacesseur.

Aussi le calendrier pataphysique célèbre-t-il la "Nativité de Donatien A. François" le 16 merdre (2 juin vulgaire), "Saint Sade ès Liens" le 19 gueules (13 février vulgaire, jour de l'arrestation du marquis par l'inspecteur Marais à l'Hôtel de Danemark, rue Jacob, et de son incarcération à Vincennes, en 1777 après l'Imposteur), et "Saint Lafleur, valet" (d'Armand, dit Latour, dit Lafleur, domestique et compagnon de débauche du marquis) le 20 gueules (14 février vulgaire).

Donatien A. François de Sade est en outre membre d'honneur de la Confrérie des Chevaliers du Taste-Fesses, dont je suis le sérénissime Grand-Maître.

 

*

 

Le marquis de Sade mourut le 2 décembre 1814.

Ne tenant aucun compte de ses dispositions testamentaires, on l'enterra religieusement dans le cimetière de la maison de Charenton, à la lisière du Bois de Vincennes.

Quelques années plus tard, un bouleversement opéré dans le cimetière entraîna, parmi d'autres exhumations, celle de la dépouille du marquis Son cadavre fut donc extrait de la fosse où il reposait. Le docteur Ramon, qui avait fermé les yeux de D. A. F. de Sade, assistait à l'opération.

Il se fit remettre le crâne du Divin Marquis, aucun doute n'étant permis quant à son authenticité.

"Je me dispose à préparer ce crâne, a écrit le docteur Ramon, quand je reçus la visite d'un ami, Spurzheim, célèbre phrénologiste, disciple de Gall. Je dus céder à ses instances et lui laisser emporter le crâne, qu'il me promit de me rendre avec plusieurs exemplaires du moule qu'il en ferait tirer. Mon ami Spurzheim a été faire des cours en Angleterre et en Allemagne ; il est mort au bout de peu de temps, et jamais je n'ai revu le crâne".

Qu'est devenu le crâne de Donatien Alphonse François de Sade ? Nul ne le saura jamais.

Il parait pourtant symbolique et piquant que le hasard fasse que le crâne du Frère de Sade ait échoué anonymement sur le plateau d'un président d'Atelier maçonnique.

Il voisinerait ainsi,

traditionnellement,

avec le premier maillet,

en Loge bleue, du Vénérable Maître,

en Souverain Chapitre, du très Sage Athirsata,

en Conseil Philosophique, du Trois Fois Puissant Grand Maître,

voire en Consistoire, avec le glaive de l'Illustre Commandeur,

Présent,

Post mortem

Rituellement

 

 

 

QUELQUES CITATIONS DU MARQUIS DE SADE

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Ce n'est jamais dans l'Anarchie que les tyrans naissent ; vous ne les voyez qu'à l'ombre des lois ou s'autoriser d'elles.

 

La plus grande somme de crimes se trouve toujours sous le manteau de l'autorité.

 

I1 n'appartient à personne de vouloir régler les actions des autres.

 

Je ne gêne ni ne contrains personne.

 

Il n'est pas juste que l'un ait tout, pendant que l'autre n'a rien.

 

C'est pour rendre heureux tes semblables, pour les soigner, pour les aider, pour les aimer, que la nature te place au milieu d'eux, et non pour les juger et les punir.

 

Ce n'est pas pour rien que Thémis porte un bandeau.

 

Un n'est point criminel pour faire la peinture Des bizarres penchants qu'inspire la nature.

 

Je ne m'adresse qu'à des gens capables de m'entendre, et ceux-là me liront sans danger.

 

A quelque point qu'en frémissent les hommes, la philosophie doit tout dire.

 

Ce n'est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c'est celle des autres.

 

Que diable vous faisait que cet homme fut juif ou turc, et que ne le laissiez-vous en paix ?

 

Les hommes avaient charitablement égorgé leurs frères pour leur apprendre à adorer Dieu.

 

Rien n'est moins moral que la guerre.

 

Plus un homme triomphe des préjugés, plus il est raisonnable.

 

 

QUELQUES TEMOIGNAGES

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"La réflexion sur la vie et l'oeuvre de Sade, dans une perspective maçonnique, peut nous aider à élaborer les grandes synthèses dont nous avons tant besoin" (Daniel Béresniak)

 

"I1 faut toujours en revenir à Sade" (Charles Baudelaire)

 

"Ce visionnaire du réel" (Jean C. Texier)

 

"Qui relève de l'invention poétique" (Marcel Mariën)

 

"Le plus valable écrivain français" (Clovis Trouille)

 

"Mon excellent ami Donatien" (Raymond Queneau)

 

"Sade éblouissant" (Jeanne de Valsenestre)

 

"Le plus libertaire des écrivains" (Roland Barthes)

 

"Jamais dupe de sa propre provocation" (J.F. Ribon)

 

"On pourrait se demander si le vice sadien et la vertu maçonnique ne représentent pas un même concept, celui de la liberté" (François Labbé).

 

"Le marquis de Sade - qu'on ne s'y trompe pas - est l'esprit le plus libre qui ait encore jamais existé" (Guillaume Apollinaire)

 

"Le héros le plus lucide de l'histoire de la pensée" (Gilbert Lély)

 

"Un homme libre contre dieu et la société" (Petit Larousse illustré, 1973)

 

"Cet être que rien ne peut réduire" (Marquis de Launay)

 

"Le premier phare, le plus brûlant, le plus éclairant de ce siècle des Lumières" (Béatrice Didier)

 

"Prince, ô très haut marquis de Sade" (Paul Verlaine)

 

"Merci, Donatien, à jamais" (Françoise d'Eaubonne)

 


 

Note ajoutée par moi, JC.

 

Section des Piques


Discours
prononcé à la Fête décernée par la Section des Piques, aux mânes de Marat et de Le Pelletier, par Sade, citoyen de cette section, et membre de la Société populaire.

 

Anonyme

Donatien Alphonse François de Sade

 

Première édition  : 1793

 

CITOYENS

Le devoir le plus cher à des cœurs vraiment républicains, est la reconnaissance due aux grands hommes; de l'épanchement de cet acte sacré naissent toutes les vertus nécessaires au maintien et à la gloire de l'État. Les hommes aiment la louange, et toute nation qui ne la refusera pas au mérite, trouvera toujours dans son sein des hommes envieux de s'en rendre dignes; trop avares de ces nobles tributs, les Romains, par une loi sévère, exigeaient un long intervalle entre la mort de l'homme célèbre et son panégyrique; n'imitons point cette rigueur : elle refroidirait nos vertus; n'étouffons jamais un enthousiasme dont les inconvénients sont médiocres et dont les fruits sont si nécessaires : Français, honorez, admirez toujours vos grands hommes. Cette effervescence précieuse les multipliera parmi vous, et si jamais la postérité vous accusait de quelque erreur, n'auriez-vous pas votre sensibilité pour excuse?

Marat! Le Pelletier! ils sont à l'abri de ces craintes ceux qui vous célèbrent en cet instant, et la voix des siècles à venir ne fera qu'ajouter aux hommages que vous rend aujourd'hui la génération qui fleurit. Sublimes martyrs de la liberté, déjà placés au temple de mémoire, c'est de là que, toujours révérés des humains, vous planerez au-dessus d'eux, comme les astres bienfaisants qui les éclairent, et qu'également utiles aux hommes, s'ils trouvent dans les uns la source de tous les trésors de la vie, ils auront aussi dans les autres l'heureux modèle de toutes les vertus.

Étonnante bizarrerie du sort! Marat, c'était du fond de cet antre obscur où ton ardent patriotisme combattait les tyrans avec autant d'ardeur, que le génie de la France indiquait ta place dans ce temple où nous te révérons aujourd'hui.

L'égoïsme est, dit-on, la première base de toutes les actions humaines; il n'en est aucune, assure-t-on, qui n'ait l'intérêt personnel pour premier motif, et, s'appuyant de cette opinion cruelle, les terribles détracteurs de toutes les belles choses en réduisent à rien le mérite. O Marat! combien tes actions sublimes te soustrayent à cette loi générale! Quel motif d'intérêt personnel t'éloignait du commerce des hommes, te privait de toutes les douceurs de la vie, te reléguait vivant dans une espèce de tombeau! Quel autre que celui d'éclairer tes semblables et d'assurer le bonheur de tes frères? Qui te donnait le courage de braver tout... jusques à des armées dirigées contre toi, si ce n'était le désintéressement le plus entier, le plus pur amour du peuple, le civisme le plus ardent dont on ait encore vu l'exemple!

Scévole, Brutus, votre seul mérite fut de vous armer un moment pour trancher les jours de deux despotes, une heure au plus votre patriotisme a brillé; mais toi, Marat, par quel chemin plus difficile tu parcourus la carrière de l'homme libre! Que d'épines entravèrent ta route avant que d'atteindre le but. C'était au milieu des tyrans que tu nous parlais de liberté; peu faits encore au nom sacré de cette déesse, tu l'adorais avant que nous la connussions; les poignards de Machiavel s'agitaient en tout sens sur ta tête sans que ton front auguste en parût altéré; Scévole et Brutus menaçaient chacun leurs tyrans : ton âme, bien plus grande, voulut immoler à la fois tous ceux qui surchargeaient la terre, et des esclaves t'accusaient d'aimer le sang! Grand homme, c'était le leur que tu voulais répandre; tu ne te montrais prodigue de celui-là que pour épargner celui du peuple; avec autant d'ennemis, comment ne devais-tu pas succomber? Tu désignais les traîtres, la trahison devait te frapper.

Sexe timide et doux, comment se peut-il que vos mains délicates ayent saisi le poignard que la sédiction aiguisait?... Ah! votre empressement à venir jeter des fleurs sur le tombeau de ce véritable ami du peuple, nous fait oublier que le crime put trouver un bras parmi vous. Le barbare assassin de Marat, semblable à ces êtres mixtes auxquels on ne peut assigner aucun sexe, vomi par les enfers pour le désespoir de tous deux, n'appartient directement à aucun. Il faut qu'un voile funèbre enveloppe à jamais sa mémoire; qu'on cesse surtout de nous présenter, comme on ose le faire, son effigie sous l'emblème enchanteur de la beauté. Artistes trop crédules, brisez, renversez, défigurez les traits de ce monstre, ou ne l'offrez à nos yeux indignés qu'au milieu des furies du Tartare!

Ames douces et sensibles! Le Pelletier, que tes vertus viennent un instant adoucir les idées qu'ont aigries ces tableaux. Si tes heureux principes sur l'éducation nationale se suivent un jour, les crimes dont nous nous plaignons ne flétriront plus notre histoire. Ami de l'enfance et des hommes, que j'aime à te suivre dans les moments où ta vie politique se consacre tout entière au personnage sublime de représentant du peuple; tes premières opinions tendirent à nous assurer cette liberté précieuse de la presse sans laquelle il n'est plus de liberté sur la terre; méprisant le faux éclat du rang où des préjugés absurdes et chimériques te plaçaient alors, tu crus, tu publias que s'il pouvait exister des différences entre les hommes, ce n'était qu'aux vertus, qu'aux talents qu'il appartenait de les établir.

Sévère ennemi des tyrans, tu votas courageusement la mort de celui qui avait osé comploter celle de tout un peuple; un fanatique te frappa, et son glaive homicide déchira tous nos cœurs; ses remords nous vengèrent, il devint lui-même son bourreau : ce n'était point assez... Scélérat! que ne pouvons-nous immoler tes mânes. Ah! ton arrêt est dans le cœur de tous les Français. Citoyens, s'il était des hommes parmi vous qui ne fussent pas encore assez pénétrés des sentiments que le patriotisme doit à de tels amis de la liberté, qu'ils tournent un moment leurs regards sur les derniers mots de Le Pelletier, et remplis à la fois d'amour et de vénération, ils éprouveront plus que jamais la haine due à la mémoire du parricide qui put trancher une si belle vie.

Unique déesse des Français, sainte et divine liberté, permets qu'aux pieds de tels autels nous répandions encore quelques larmes sur la perte de tes deux plus fidèles amis; laisse-nous enlacer des cyprès aux guirlandes de chêne dont nous t'environnons. Ces larmes amères purifient ton encens, et ne l'éteignent pas; elles sont un hommage de plus à tous ceux que nos cœurs te présentent... Ah! cessons d'en répandre, citoyens; ils respirent, ces hommes célèbres que nous pleurons; notre patriotisme les revivifie; je les aperçois au milieu de nous... Je les vois sourire au culte que notre civisme leur rend. Je les entends nous annoncer l'aurore de ces jours sereins et tranquilles où Paris, plus superbe que ne fut jamais l'ancienne Rome, deviendra l'asile des talents, l'effroi des despotes, le temple des arts, la patrie de tous les hommes libres. D'un bout de la terre à l'autre, toutes les nations envieront l'honneur d'être alliées au peuple français. Remplaçant le frivole mérite de n'offrir aux étrangers que nos costumes et nos modes, ce seront des lois, des exemples, des vertus et des hommes que nous donnerons à la terre étonnée, et si jamais les mondes bouleversés, cédant aux lois impérieuses qui les meuvent, venaient à s'écrouler... à se confondre, la déesse immortelle que nous encensons, jalouse de montrer aux races futures le globe habité par le peuple qui l'aurait le mieux servie, n'indiquerait que la France aux hommes nouveaux qu'aurait recréés la nature.                       SADE, rédacteur.

 

L'assemblée générale de la Section des Piques, applaudissant aux principes et à l'énergie de ce discours, en arrête l'impression, l'envoie à la Convention nationale, à tous les départements, aux armées, aux autorités constituées de Paris, aux quarante-sept autres sections et aux sociétés populaires.

Arrêté en assemblée générale, ce 29 septembre 1793, l'an II de la République française, une et indivisible.

                    VINCENT, président.

                  GÉRARD, MANGIN, PAlUS, secrétaires.


 

[1] Conférence de Léo Campion, 33ème, Illustre Commandeur u Consistoire n° 1, Paris, Île de France. Édité par "Culture et Liberté, Marseille, avril 1982.

[2] Cette énumération peut sembler fastidieuse, mais elle montre combien Sade, dans ses activités profanes, fut entouré de ses Frères.

 


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