RÉSISTANCE DU PEUPLE NAVAJO
Dineh pacifiques et déportés

 

"Après la création des Navajo, quatre montagnes et quatre rivières ont défini l'endroit où ils devaient vivre. Cela devait être notre pays, Dinehtah, qui nous a été donné par la Première Femme des Dineh[1]. Nos ancêtres nous ont dit que nous ne devions jamais nous déplacer à l'est du Rio Grande ou au nord de la rivière San Juan ;  et je crois que c'est notre arrivée à Bos que Redondo qui a provoqué tant de décès parmi nous et parmi nos animaux. La Première Femme, quand elle a été créée, nous a donné ce morceau de terre, elle l'a créé spécialement pour nous et elle nous a donné le mais blanc... J'espère que vous ne me demanderez pas d'aller dans un autre pays que celui-ci qui est le nôtre".

Adresse du chef Barboncito au général William Tecumseh Sherman (1868)

Cinq cent millions d'années avant Dinehtah - le plateau du Colorado - se trouvait à la latitude de l'équateur, au nord-est d'Atzlàn, le sud-ouest des États-Unis. C'était un socle granitique plat recouvert d'une mer. Jusqu'à cent millions d'années avant notre ère, retraits et incursions marines alternaient avec des vagues de dunes sableuses. Trois cent millions d'années avant notre ère, un mouvement tectonique, qui se poursuit actuellement, commença a donner naissance aux montagnes qui encadrent Dinehtah. Cent millions d'années avant notre ère, le mélange des sédiments marins, des alluvions nées de l'érosion intense des pentes montagneuses et les matières organiques issues des dinosaures commençaient à se transformer en charbon. Dix millions d'années avant notre ère, des pluies importantes creusèrent les cours d'eau souterrains, qui firent apparaître des canyons. Dans cette région, unique au monde par ses formes spectaculaires et son fragile équilibre, l'homme s'installa dix mille ans avant notre ère.

Guerres avec l'Espagne

Parmi ces hommes, se trouvaient ceux que les Dineh appellent "les Anciens" (Anasazi), qui, à partir du IXème siècle. vivaient dans les villages situés dans les cavités des falaises, avec des techniques de maçonnerie supérieures à celles des Européens de l'époque. Au XIIIème siècle, les Anciens migrèrent, selon les Zuni et les Hopi, vers le sud de Dinehtah. Ils construisirent sur les falaises et autour du Rio Grande, des villages en pisé que les Espagnols appelèrent "pueblos", nom qui sera aussi donné à ces Indiens agriculteurs. Les Dineh, appelés ceux des grands champs" (Navaju) par les Pueblo, vivaient en habitat dispersé dans des igloos de terre (hogan), les protégeant de la chaleur, du froid et des insectes. Ils chassaient, eticillaient et cultivaient le maïs, les haricots et les melons. Les femmes tissaient le coton sauvage. lIs furent régulièrement attaqués par les Utah (Ute), Indiens appartenant à la civilisation des grandes plaines. qui vivaient au nord de Dinehtah.

Juan de Onate, descendant direct de Cortés, le conquérant du Mexique et de Moctezuma, le dernier empereur aztèque, commença la colonisation des Pueblos du Rio Grande en 1598. Après une série de combats avec les Pueblo et les Apache. son fils établit la capitale de la colonie, appelée Nouveau-Mexique, à Santa Fe, à la frontière est de Dinehtah, en 1610. Les Pueblo furent christianisés en apparence, réduits en esclavage en fait et leurs terres furent distribuées (en encomiendas) aux soldats et aux colons espagnols, accompagnés d'Indiens du Mexique. Les esclaves pueblos fugitifs se réfugièrent à Dinehtah et apportèrent chevaux et moutons aux Dineh, qui devinrent rapidement des éleveurs et des cavaliers hors pair.

Dinehtah devient alors la nation indienne la plus riche et la plus puissante d'Atzlan, grâce au bétail et au tissage inégalé de la laine. Signe de prospérité, les vêtements des Dineh : épais ponchos chamarrés, ceintures de cuir, bottes en peau de cerf, turbans et bijoux d'argent. De 1609 à 1846, Dinebtah indé-pendant est en guerre incessante contre les Espagnols, aidés des Pueblo[2], des Chicanos (métis) et des Dinehanaih (une tribu navajo), au sud-est, et avec les Ute et les Comanche, au nord-est. En effet, Dinehtah est vu par les Espagnols comme un réservoir d'esclaves en puissance.

Pourtant, les Dineh sont pacifiques et ne cherchent pas à étendre leur territoire. Mais ils organisent des raids pour récupérer leurs proches et leur bétail chez l'ennemi. Une douzaine de traités de paix sont signés pendant cette période avec l'Espagne et le Mexique. Les captifs des Dineh seront toujours libérés - et reviendront librement chez les Dineh - tandis que les esclaves navajo seront maintenus sous le joug et alimenteront les marchés, malgré les clauses explicites des traités. Ces déplacements massifs, accompagnés de massacres couverts par l'Église catholique[3], constituent un drame permanent pour cette confédération de clans dineh, où règnent la démocratie et l'égalité des sexes.

Un réservoir d'esclaves

En 1846, l'armée des États-Unis occupe Atzlan. Jusqu'en 1854, leurs relations avec les Dineh sont plutôt bonnes, car ils n'occupent pas Dinehtah et leur agent auprès d'eux est Henry Linn Dodge, admirateur de leur culture et admis en leur sein. Mais les colons du Nouveau-Mexique continuent leurs raids esclavagistes et envoient leurs troupeaux paître à Dinehtah. Des traités sont signés grâce à Dodge que seuls les Dineli respectent. Kit Carson, agent de l'armée U.S. auprès des Utes, encourage les raids de ceux-ci en Dinehtah, alors que la presse locale se déchaîne contre les représailles navajo. La guerre éclate en 1861, lorsque la tribu dineh de Manuelito est mitraillée par des soldats américains déçus d'avoir perdu une course de chevaux. La guerre de Sécession retarde les hostilités. Les Mormons déclarent l'indépendance de l'Utah et arment les Dineh.

La déportation des Dineh

En 1863, la nation dineh est très affaiblie, par le tiers de ses membres a été réduit en esclavage par les habitants du Nouveau-Mexique. Son bétail est razzié, ses récoltes brûlées. C'est la curée de toutes parts sur Dinehtah. Les officiers américains partisans du dialogue sont relevés ou sont morts (comme Dodge). Le nouveau responsable du Nouveau-Mexique. le général James Carleton, fait déporter peu à peu 9 000 Dineh à l'est, dans un désert, à Bosque Redondo. Son but inavoué est d'en faire la proie des Comanches pour détourner ceux-ci des fermes des colons. Des longues marches se succèdent. Le quart des survivants meurt de faim, de maladies ou des raids comanches sur le camp de concentration de Bosque Redondo. A Dinehtah, les fugitifs se cachent chez les Indiens huvasapai, à l'ouest, ou dans le Grand Canyon.

A la suite de rapports alarmants, notamment celui de l'agent des affaires indiennes Keam[4], et du coût de la déportation, Barboncito, Manuelito et Ganado Mucho, chefs des Dineh déportés, parviennent, en 1868, à convaincre les États-Unis de la nécessité vitale de leur retour à Dinehtah, et des méfaits de l'esclavage, qui vient d'être aboli sur tour le territoire des États-Unis. Les Dineh se voient alors octroyer un rectangle semi-désertique autour de Four Corners[5], soit un dixième de la surface de Dinehtah. Ce territoire sera agrandi légalement d'année en année pour atteindre aujourd'hui environ 69 000 km2, soit la taille du Sri-Lanka ou de la République d'Irlande. Il est peuplé d'environ 250 000 habitants, qui se consacrent à l'élevage des moutons et des chevaux, au tissage de la laine et, de plus en plus, à des emplois de services.

La découverte du charbon

Depuis les années 1950, des ressources minérales, en abondance et de grande qualité, ont été découvertes sur le site de Black Mesa. Le Conseil tribal hopi[6] (5) tombé en désuétude dans les années 1940, du fait du refus des Hopi de renier leur système politique traditionnel, a été réactivé dans les années 1950 pour permettre la signature d'accords entre une autorité légale reconnue par les États-Unis et les compagnies minières. De nos jours, la plupart des Hopi refusent toujours de voter aux élections du Conseil tribal, mais celui-ci bénéficie de l'appui des secteurs convertis à la religion des Mormons, qui se sont liés à la compagnie Peabody, dominée par les capitaux mormons.

En 1961, le Conseil tribal hopi a signé un accord avec Peabody, portant sur l'exploitation des gisements de Black Mesa, en échange d'une rente annuelle de 500000 dollars. Aujourd'hui, Peabody exploite, sur le site de Black Mesa, la plus grande mine à ciel ouvert des États-Unis. Big Mountain n'est pas encore livrée à l'exploitation charbonnière mais la faille de minerai passe dessous.

Le charbon extrait de Black Mesa, soit 7 millions de tonnes par an, alimente cinq énormes centrales électriques situées aux confins de la réserve navajo. Le Conseil tribal est devenu partie prenante de l'exploitation, touchant 4% des bénéfices des extractions de Peabody effectuées sur le territoire qu'il contrôle. Le charbon est acheminé par pipeline vers le Nevada. De l'eau pompée directement dans les réserves souterraines charrie le charbon pulvérisé. La région, semi-désertique, est, du fait de cette ponction colossale d'eau, soumise à une sécheresse chronique. L'exploitation minière à ciel ouvert entraîne, outre la pollution de l'air et des cours d'eau, des destructions pédologiques (des sols) irréversibles. Les habitants de Black Mesa ne connaissent que ces retombées négatives, car les infrastructures restent, en dehors des sites des usines, dans un état déplorable. De plus, leur modèle de vie traditionnel est peu à peu détruit, avec comme seule perspective, la misère dans les ghettos urbains.

Par un décret présidentiel de 1882, Big Mountain devenait lieu de résidence pour les Hopi et "autres Indiens". Une décision de la Cour Suprême de 1963 y avait reconnu l'autorité double du Conseil tribal hopi et du Conseil tribal navajo[7] (6). Mais les Hopi mormons, modernistes et éleveurs voulaient obtenir l'autorité unique sur Black Mesa pour toucher tous les dividendes de Peabody. Ils ont obtenu une loi fédérale en 1974, instaurant la partition de ce territoire commun. En conséquence, une purification ethnique a été instaurée 10 000 Dineh et 100 Hopi devaient être déplacés vers leurs réserves respectives. Une frontière complexe a été dessinée en 1977 sur laquelle a été érigée une clôture métallique.

Résistance à Big Mountain

Pour favoriser le départ des 10 000 Dineh, le Bureau des Affaires Indiennes (BIA), instance fédérale chapeautant les réserves, a diminué en deçà du seuil de survie le minimum légal de têtes de bétail par famille, les bêtes excédentaires étaient saisies par la police et les contrevenants sévèrement punis. Toute nouvelle construction navajo sur la réserve hopi a été strictement interdite, ainsi que toute réparation des bâtiments qui sont cependant souvent victimes de la foudre  les démolitions sont immédiates et les coupables incarcérés. La région est quadrillée par la police et les agents du BIA. Pour accélérer les départs, des tracteurs spéciaux et des épandages chimiques ont détruit des zones entières de végétation. alors que le Conseil tribal prétendait donner ces terres à des cultivateurs hopi. Sous la pression, des milliers de Dineh ont dû s'installer au-delà de la clôture-frontière.

Certaines personnes déplacées ont été relogées en bordure de la frontière dans des villages, desservis par des routes en cul-de-sac menant à la réserve hopi. D'autres l'ont été clans les ghettos indiens des villes entourant la réserve navajo, d'autres dans des préfabriqués à Tuba City ou le long de routes dans le "désert". Les déplacés ont été relogés dans des maisons préfabriquées, en général construites par une firme mormone liée à la Commission officielle de relogement, pleines de malfaçons ou inadaptées (exemple : chauffage électrique sans électricité, alors qu'il neige, en hiver, etc.). Autour de ces maisons-dortoirs de banlieue, un acre de terrain a été concédé aux ex-fermiers, qui n'ont donc aucune possibilité de se livrer à des activités agricoles ou d'élevage. Le BIA a, de plus, institué des permis d'élevage dont seules quelques familles bénéficient. La plupart des déplacés se retrouvent donc sans revenus, car aucune reconversion professionnelle n'a été prévue et les villages sont souvent très éloignés des centres d'activité. Et pour la première fois, en dehors des frais d'essence, les résidents ont dû acquitter des factures d'électricité, d'eau et des taxes diverses. En conséquence, la plupart des maisons ont été hypothéquées et revendues. En 1985, sur les 1 000 familles déplacées, un tiers avait déjà revendu sa maison, les familles se retrouvant alors sans travail, ni logement.

Pour pousser le congrès des États-Unis à adopter la loi de partition en 1974, un scénario de guerre hopi-navajo a été monté, alors qu'aucun Hopi ne vivait sur cette aire. Or depuis une centaine d'années, les relations entre les Navajo et leurs voisins Hopi s'étaient normalisées à travers échanges commerciaux et mariages mixtes (concrétisés par la création du "clan du tabac"). Le Conseil tribal hopi voulait en réalité obtenir un contrôle exclusif des ressources minières qui étaient situées sur la zone d'autorité partagée avec le Conseil tribal navajo. Actuellement, 250 familles dineh de Big Mountain ont décidé de ne pas se soumettre à cette loi de purification ethnique et sont restées clans leur ferme. Elles ont choisi la non-violence et la désobéissance civile. Ainsi, elles refusent non seulement de quitter leurs lieux de vie mais aussi de livrer leur bétail au BIA et enfreignent l'interdiction de réparer les bâtiments. Elles sont soutenues par une bonne partie des Hopi traditionalistes, par l'American Indian Movement (AIM) et par des medecine-men lakota qui mènent chaque année de grandes cérémonies à Big Mountain. Elles se sont organisées dans un comité de défense qui rayonne désormais sur l'ensemble de Black Mesa, ralliant les victimes de l'exploitation charbonnière.

Big Mountain, symbole de la dignité Indienne

Nitassinan s'est entretenu en juillet 1995 avec deux "danseurs du soleil" (sun dancers) dineh de Black Mesa, où se trouve Big Mountain. L'un d'entre eux, John Bennally, qui habite à Big Mountain, est l'un des principaux animateurs du Comité de défense des résidents de Black Mesa et l'organisateur de la cérémonie de la danse du soleil, menée par le leader spirituel lakota Joe Chasing Horse, descendant de Crazy Horse. L'autre, Richard Manson, est un artiste peintre-sculpteur-tisserand. Ils nous exposent ici le contexte de la lutte des résidents de Black Mesa et nous confient leurs expériences personnelles.

Nitassinan - Parlez-nous du peuple dineh.

John Bennally - Les Dineh sont installés dans l'aire de Four Corners dans le sud-ouest des Etats-Unis. On dit que les Dineh ont émergé du monde souterrain  ils viennent des premier, deuxième, troisième et quatrième mondes. On dit aussi qu'ils appartiennent à la montagne sacrée que le Créateur a choisi pour ce peuple. Il leur a donné des frontières dans les quatre directions de cette montagne sacrée. Ils sont venus ici à côté de leurs voisins pueblo. Mais ils sont venus ultérieurement. On dit qu'ils sont les gardiens de cette terre.

N.- Quelles sont les principales différences entre votre culture et la culture occidentale ?
J.B. - la culture occidentale fonctionne avec une horloge. Il faut avoir un métier, de l'argent et travailler tout le temps. Il faut aller dans des magasins pour acheter du pain. Ce mode de vie utilise toutes les ressources naturelles comme l'uranium, le charbon, l'eau... L'homme blanc croit en l'argent. Il n'a plus de spiritualité, il ne pense qu'à l'argent. Les compagnies minières empoisonnent l'eau, la santé des gens, le bétail, elles détruisent nos herbes médicinales et les arbres qui sont notre énergie.

Aujourd'hui, nous, résidents de Black Mesa, nous n'avons, pour la majorité, pas d'électricité, ni l'eu courante. Les Occidentaux vendent beaucoup de viande aux hormones qui n'est pas bonne pour notre santé, ainsi que des boissons gazeuses sucrées et autres saletés. Ils ne respectent pas la nature, ni les gens. Produire est leur mot-clé. Ils mettent les enfants indiens dans leurs écoles pour leur faire subir un lavage de cerveau. Ils leur disent "nous allons vous donner un bon métier".

Quand les Blancs sont arrivés en Amérique, les Indiens les ont bien accueillis et leur ont appris à cultiver le maïs et à survivre ici. Ce furent d'abord les Espagnols, avec Coronado pour conquérir le sud-ouest des États-Unis. Ils ont tué des gens pour de l'or. Après eux, les compagnies ont voulu le pétrole. Aujourd'hui, avec l'ALENA (Accord de Libre-Echange Nord-Américain entre le Canada, les États-Unis et le Mexique) ils veulent prendre des terres aux Indiens, sans souci écologique.

Ils veulent nous faire payer des taxes. Comme nous ne pouvons pas les payer, nous craignons que le gouvernement ne fasse partir les Indiens. L'homme blanc a la langue fourchue. C'est toujours peut-être, nous n'avons jamais de garanties. Nos valeurs sont différentes. Nous vivons avec la Nature. Nos ancêtres nous ont appris à respecter les arbres, la sauge, les collines, les plantes, les rochers. Avec notre religion, nous respectons le Soleil, nous lui faisons des offrandes, nous dansons pour lui. Nous faisons des offrandes à la Terre qui nous donne la vie. Nous respectons le feu et toutes les formes vivantes dans les quatre directions. Ainsi, les être humain qui viendront au cours des sept générations suivantes apprécieront le monde que nous leur laisserons, alors que l'homme blanc pollue l'eau, la terre et les gens. Ils utilisent l'uranium mais ils ne savent pas où mettre les déchets. Ils veulent les mettre dans des réserves indiennes au Nevada et au Nouveau-Mexique, chez les Apaches Mescalero. Cet uranium pourrait s'infiltre dans l'eau et contaminer toute la région. Ils ont mis tellement de barrages sur la rivière Colorado que les Indiens du Mexique n'ont plus l'eau qu'ils avaient avant. En Californie, ils utilisent beaucoup de pesticides qui contaminent l'eau.

N.- Pourquoi n'aimez-vous pas les villes américaines ?

Richard Manson - J'ai peur dans la ville. Les choses vont trop vite. On y croise plein de gens qu'on ne connaît pas. On ne sait pas qui sont nos voisins. J'ai habité à Phœnix, c'est un monde trop différent. Tout le monde y est perdu. Là-bas j'ai dû aller à l'école de la Mission. Je m'y sentais comme un prisonnier. On m'y a coupé les cheveux. On marchait au sifflet. Si quelqu'un sortait des rangs, tout le monde était puni. Ce n'était pas drôle. Quand on nous posait une question, on ne pouvait pas faire d'erreur, sinon on était mis à l'index par le maître et frappés à la baguette. J'avais toujours peur d'aller à l'école. J'ai été ensuite étudiant dans l'Utah. Avant de fuir l'école, j'ai cherché du travail mais je n'en ai pas trouvé. J'étais frustré. Au lieu de travail, j'ai trouvé un facture de 1500$ à payer. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Était-ce un mauvais jeu ? J'ai alors quitté l'école et je suis rentré à la réserve. Mais nia famille avait été déplacée. Alors je suis allé à Phœnix où j'ai trouvé un travail de soudeur. Mais j'étais malheureux dans cette ville.

N.- Et maintenant, la réserve à nouveau ?
R.M.- La réserve a bien changé depuis mon adolescence. Les jeunes regardent trop la télévision. Quand j'étais adolescent, on fabriquait des arcs, on faisait des choses créatives. Je crois que les gens devraient se réveiller. J'avais un cheval. Maintenant, depuis que ma famille a été déplacée, j'ai juste un acre de terrain pour bouger. Je ne peux pas faire de cheval avec ces clôtures.

N.- Quelles sont les principales activités des habitants de la réserve ?
R.M.- Certains vont travailler en dehors de la réserve, pour les chemins de fer par exemple, dans les villes, et ils rentrent le week-end. Quand je travaillais à Phœnix, je rentrais ici le week-end  je devais rouler pendant quatre heures et demi. D'autres gens travaillent ici dans les écoles ou comme chauffeurs de bus. Moi, je fais des peintures, ma mère fait des tapis. D'autres ont des troupeaux de vaches, de moutons et de chevaux. Je ne peux pas avoir d'animaux sur cet acre où ils nous ont relogés. Le seul animal que j'ai est un chien !
Avant, tous les gens de ce village de déplacés avaient de grands champs de maïs de l'autre côté de la frontière[8]. Je me rappelle les images de ma famille pendant la moisson dans les champs de maïs quand j'étais petit. Nous n'avions pas de camion, seulement une charrette. On ne s'inquiétait pas pour l'essence. C'était le bon temps. Maintenant tout cela est fini.

N.- Que signifie cette frontière ? Que pensez-vous du système politique qui vous régit ?
J.B - Un décret présidentiel de 1882 a créé la frontière sous la forme d'un rectangle où les autres Indiens pouvaient vivre avec la tribu Hopi. Il y avait un usage commun. Mais en 1974, ils ont divisé ce rectangle. Ils ont cherché où était le charbon et ils ont tracé la nouvelle frontière pour le bénéfice de la compagnie minière. Nous ne sommes pas d'accord avec ce système politique car les Indiens ont leur propre système. Nous avons maintenant un conseil tribal hopi et un conseil tribal navajo. Beaucoup de Dineh n'ont pas été consultés à ce sujet, on le leur a imposé. Nombre d'entre nous ne votent pas. Je ne vote pas car cela crée des frictions entre les deux partis, le Parti Démocrate et le Parti Républicain, comme aux États-Unis. Ils refusent de travailler ensemble depuis quarante ans. Dans l'aire des Four Corners, nous avons cinq centrales électriques. Les États-Unis comptent beaucoup sur elles et installent partout des lignes à haute tension. Ils regardent vers Black Mesa où ils savent qu'il y a plein de charbon. Il y a une faille de charbon qui passe sous Big Mountain. Il y a aussi une lutte importante du côté hopi car la voix des Anciens n'est pas écoutée. En février 1994, il y a eu des élections tribales hopi avec beaucoup d'abstentions. Alors le Conseil tribal hopi a abaissé l'âge du vote à 18 ans pour pouvoir utiliser et manipuler les jeunes. Ici, à Black Mesa, nous n'avons aucune retombée financière de ces projets. L'ancien chef du Conseil tribal navajo, Peter McDonald, a été condamné pour corruption. C'est le système de Washington. Nous voulons notre propre système politique.

N.- Y a-t-il un conflit entre les Hopi et les Navajo, ainsi que le rapportent certains médias ?
J.B. - Au niveau des traditionalistes, il n'y a pas de conflit. J'ai de nombreux amis hopi que je rencontre régulièrement. Ce sont les deux conseils tribaux qui se battent pour les ressources naturelles et le gouvernement fédéral soutient le Conseil tribal hopi, car ce dernier n'est qu'un nom pour une entreprise il ne représente pas les Hopi.

N. - Pourquoi le processus minier est-il irréversible ?
J.B.- Une fois qu'on a exploité une mine à ciel ouvert jusqu'à 400 pieds de profondeur, on ne peut plus rien cultiver. Ils recouvrent le sol de quatre pieds de terre seulement. Nous avons rencontré la compagnie minière Peabody et nous avons demandé à retrouver toutes les plantes qui poussaient ici avant. Nous avons besoin de ces plantes pour la médecine, la vannerie, le tissage. Nous avons besoin des arbres pour construite nos maisons (hogans), nos lieux de culte (ceremonial hogans). Nous utilisons une eau très pure, mais ils la prennent pour acheminer le charbon par pipeline dans le Nevada. Alors notre pays subit la sécheresse, le printemps n'est plus le même. Ils nous disent que cela n'a rien à voir, mais ils pompent des millions de litres d'eau chaque jour ! En plus, ils la contaminent : 80 moutons sont morts empoisonnés. C'est notre vie traditionnelle qui est menacée. La plupart des gens qui vivent à Black Mesa ne savent pas faire autre chose que d'élever du bétail, ils n'ont pas d'éducation scolaire. Ils ne veulent pas que leur pays si joli soit détruit par la mine. Le président des États-Unis parle de droits de l'homme mais où sont-ils pour les Indiens ?

N.- Que font les conseils tribaux de l'argent qu'ils obtiennent de l'exploitation minière par les compagnies ?
J.B. - Je pense qu'ils se le mettent dans leur poche, parce qu'avec beaucoup d'argent on peut manipuler les gens et faire des lavages de cerveau. L'argent va dans leur administration, il n'arrive jamais à la base, dans les communautés. Nous n'avons que des pistes en terre ici !

N.- Comment s'est déroulé le déplacement forcé ?
R.M. - En 1974, j'avais 14 ans. Tout est arrivé très vite. On nous a obligés à nous déplacer. J'étais au collège dans l'Utah. Toute la famille a été déplacée de l'autre côté de la frontière. Ensuite, ma femme, Apache mescalero, m'a abandonné avec nos cinq enfants, car on ne pouvait pas élever de bétail ici. Elle venait d'une famille qui avait des vaches, des chevaux, des moutons. Tous les gens de mon village sont des déplacés. Il y a maintenant des problèmes entre eux car tout le monde essaie d'avoir un permis pour élever des moutons. Il y a deux ans, il y a eu une grande tension car seule une famille a eu droit à un permis d'élevage. Je ne pourrai jamais avoir un permis car ils ne nous ont donné qu'un acre de terrain. C'est le Bureau des Affaires Indiennes, BIA qui délivre les permis. Avant cela, je ne m'intéressais pas à la politique, mais j'ai dû l'apprendre car tout le monde ici est désorienté. Je ne comprends pas ce que veut le gouvernement. Est-ce un jeu ?

N - Quelle a été la résistance au déplacement?
J.B. - En 1979, le gouvernement fédéral, c'est-à-dire le BIA, a commencé à construire une clôture sur la ligne de séparation nouvelle entre Hopi et Navajo. Ils voulaient rejeter les Navajo de l'autre côté de cette barrière. Les gens devaient réellement se battre pour eux-mêmes. Au début, il n'y avait pas d'espoir : "Vous devez vous déplacer, vous n'avez pas le choix". Ensuite, beaucoup de gens de Big Mountain se sont retrouvés en prison parce qu'ils refusaient d'appliquer les restrictions imposées sur le nombre de têtes de bétail. Nous avons fait beaucoup de manifestations. Au début, personne ne voulait nous écouter. Même le Conseil tribal navajo n'était pas de notre côté. Tout ce qu'il disait était : "Vous devez appliquer la loi". Mais nous savons que les hommes politiques avaient fait voter cette loi au profit des compagnies minières. Les gens de Big Mountain se sont soutenus les uns les autres pour tester ici. Nous sommes en train de faire une grande enquête en ce moment. Mais c'est très dur. Nous souffrons beaucoup dans cet endroit, mais nous voulons garder la terre et la beauté de la nature telles qu'elles sont. C'est pourquoi nous luttons. Nous voudrions de l'eau claire, de l'air bon a respirer, de beaux endroits pour habiter. C'est déjà ce que nous avons et nous voulons le protéger. C'est assez difficile de résister, mais les gens ne veulent pas se soumettre au gouvernement des États-Unis car ils savent qu'il a trompé les Indiens pendant des siècles.

N - Combien de gens restent encore à Big Mountain en violation de la loi de 1974 ?

J.B. - On peut dénombrer 250 familles. Si on compte aussi les enfants, les petits-enfants, etc., le nombre de résistants augmente. Pour l'instant, ils ne comptent que les plus âgés, ils n'incluent pas les jeunes. Je suis sûr que nous sommes plus d'un millier car j'ai fait moi-même la tournée des foyers.

N. - Quelle est votre attitude à l'égard des personnes déplacées ?
J.B.- Nous aimerions que les personnes déplacées reviennent, lIs les ont arrachées à leur pays et leur ont pris leur terre, mais personne ne l'utilise maintenant, ni même ne l'occupe. De nombreux jeunes n'ont jamais été informés de ce processus avant que tout ne soit mis en place et maintenant beaucoup d'entre eux veulent revenir à leur mode de vie originel. Les jeunes ont été arrachés à leur pays et n'ont pas été consultés. Jamais aucune étude d'impact n'a été faite sur ces déplacements forcés. Le gouvernement a utilisé plusieurs tactiques pour faire partir les gens. Nous savons que les personnes déplacées reviennent sur leurs lieux d'origine, car ce sont les seules personnes qui sauront comment en prendre soin. On nous a dit : "Cette terre n'appartient à personne." L'Indien dit à l'homme blanc: "Je ne possède pas cette terre, je vis dessus, elle appartient au Créateur, ce n'est pas la mienne". Ils ont créé les Conseils tribaux navajo et hopi pour faire ces choses-là selon les soi-disant "voies légales". Avant ces Conseils, cette terre n'avait pas de propriétaire.

N - Est-ce que les danses du soleil constituent une forme de soutien à la lutte des résidents de Big Mountain ?

J. B. - Oui, les danses du soleil nous aident de plusieurs façons. Elles ont un caractère éducatif. Nous faisons des danses du soleil ici car les Lakota soutiennent notre lutte avec leurs cérémonies[9] (1). La danse du soleil exprime l'unité spirituelle de toutes les personnes qui vivent sur la Terre, de toutes les couleurs et des quatre directions : Jaune, Noir, Blanc et Rouge. Nous recherchons l'unité spirituelle : un esprit, un cœur.
La danse du soleil nous aide à vivre ici, elle nous aide à nous rappeler nos ancêtres. Il y a eu des guerres ici pendant cinq-cent ans. Nous pensons à Geronimo, à Crazy Horse, à Manuelito et à tous les anciens chefs qui ont essayé de protéger cette terre. Cette conviction qui remonte aussi loin que les sept générations qui nous précèdent, s'exprime toujours dans les cérémonies actuelles. Celles-ci nous aident à nous souvenir de notre peuple, de notre culture, de notre langue, de notre mode de vie. Elles nous aident à rassembler des gens de toutes les couleurs.

N.- Quels sont vos souhaits?
J.B. - Je veux vivre libre ici. Je ne veux pas de l'autorité du gouvernement. Je veux les droits aborigènes et la liberté. Je veux vivre selon le mode indien. J'ai pris ma décision. Je vais rester à Big Mountain, car je ne veux pas être un "sans domicile fixe" autour d'une ville.

N. - Quel type de soutien attendez-vous des Français ?

J.B.- Nous vous demandons décrire au Congrès et au Président des États-Unis et de leur dire de rendre aux Indiens américains leurs droits originaux, et tout de suite ! Nous avons besoin d'un fort soutien. car tout est en train d'être détruit, pas seulement ici, mais dans le monde entier. Nous avons besoin de votre soutien pour rester dans notre pays, pour préserver notre culture, notre mode de vie, notre langue, notre religion. Nous voulons la liberté !

DÉCLARATION D'INDÉPENDANCE

Le 28 octobre 1979, une commission de soixante quatre Anciens de la nation dineh, présidée par Roberta Blackgoat, a signé une "déclaration d'indépendance" à Big Mountain. En voici un extrait :
"Le gouvernement des États-Unis et le Conseil tribal navajo/dineh ont violé les lois sacrées du peuple dineh (..) en créant, en notre sein, des divisions basées sur des sujets tels que la politique, l'éducation euro-américaine, la modernisation et le christianisme. (...) Nos lieux saints ont été détruits. En exploitant le charbon, l'uranium, le pétrole. le gaz naturel et l'hélium, on viole la Terre, Notre Mère.(...) Nous parlons au nom des êtres ailés, des êtres à quatre pattes, des générations passées et futures. Nous ne cherchons pas à changer de moyens de subsistance car seule cette existence naturelle qui est notre loi sacrée nous permet de survivre".

Signée par Roberta Blackgoat, présidente, et soixante-quatre membres du Conseil des Anciens.

Un ordre bouleversé 

Le Juge Harry Mac Cue a demandé au Comité des résidents de Black Mesa de lui fournir une carte des sites sacrés navajo pour estimer les dommages causés par l'exploitation minière et les déplacements de population. La réponse des Dineh illustre parfaitement la méconnaissance totale de leur identité par les autorités. Détruire le sol c'est détruire le peuple navajo. Or l'armée n'a pas hésité à pratiquer des épandages massifs de gasoil pour brûler le bush et à arracher des quantités d'arbres au bulldozer pour faire fuir les résidents. Aujourd'hui, la mine à ciel ouvert est en train de dévaster tout le plateau de Black Mesa, sans espoir de retour à la situation antérieure. Aucun tribunal ne pourra jamais indemniser le déséquilibre psychosocial infligé aux Dineh.

Comme les Aborigènes d'Australie, les Dineh traditionalistes estiment que l'environnement est magique : il est source de vie et permet la circulation des forces spirituelles. L'individu ne trouve son équilibre qu'en se repérant à des éléments naturels proches, qui fondent l'histoire de son peuple et assurent sa protection. Ainsi, quand l'état a déplacé de force des milliers de Dineh de Black Mesa vers les ghettos urbains, cela équivalait à les placer dans le néant par une perte de protection et d'équilibre. On comprend mieux dès lors le phénomène de la clochardisation massive, notamment d'Anciens, qui étaient sur leurs terres des personnes puissantes et vénérées. Dans le communiqué suivant, les résidents de Blacle Mesa expliquent la signification de leur combat contre l'exploitation minière : "Nous ne pouvons fournir aucune carte de nos sites sacrés parce que toute la terre est sacrée. Chaque centimètre de notre territoire est sacré. De nombreuses espèces d'herbes et de plantes médicinales sont cueillies par les hommes-médecine sur Black Mesa, et non pas seulement dans la zone résidentielle. Une fois que la médecine a été utilisée, elle est rendue et offerte à la Terre. Elle a un rapport sacré avec la Terre et peut lui être offerte sous de jeunes arbres. Elle peut également être offerte à l'eau là ou il y a des prairies inondées, des sources, des rochers sacrés. L'écho dans les rochers est sacré. Nos offrandes sont faites aux chutes d'eau et dans les falaises des canyons. L'air est sacré. Nous en avons besoin. Le Créateur nous l'a donné pur. Aujourd'hui, il est pollué par les produits chimiques : la poussière de charbon recouvre entièrement Black Mesa. C'est visible même en hiver. Nous voulons que notre air redevienne sain. Tout est sacré. Même les tornades et toutes les formations rocheuses de Black Mesa. Le placenta est offert au jeune genévrier ou à la maison, ainsi la personne est en connexion avec la Terre. Nos berceaux sont offerts sous un rocher, sous la saillie d'une falaise. Nous suivons les traces du coyote.

Nous célébrons des cérémonies quand l'éclair frappe l'arbre[10] (1), ou toutes sortes de choses, un arroyo, le sommet d'une colline. Toutes les terres et toutes les eaux sont sacrées. Nous faisons cela depuis des générations. Et c'est pourquoi notre terre sacrée ne doit pas être dérangée. C'est ainsi qu'elle doit être traitée. Cela fait partie des légendes transmises par nos ancêtres, par nos parents et grands-parents. Nous faisons des offrandes à la queue du renard et nous l'utilisons[11]. Nous utilisons chaque plante, chaque arbre et toutes les sources naturelles. Là où le vent trace sa route, dans les vallées, là vit toute chose sur Black Mesa. Pour comprendre cela il faut être un Dineh traditionnel. Nous suivons les traces du Coyote[12].

Si nous étions déplacés ailleurs, nous briserions nos liens traditionnels avec les zones spirituelles. Nous parlons de notre mythologie et de nos racines. Par exemple, l'histoire de notre émergence raconte pourquoi nous disons être issus de la Terre. Aussi nous n'admettons pas la profanation de nos terres sacrées. La totalité de Black Mesa est un site sacré qui possède des lieux où sont toujours célébrées des cérémonies. Il existe de nombreux sites sacrés, non seulement ici à Big Mountain mais partout sur Black Mesa. Chaque montagne et chaque colline possède des sites sacrés et des sources.
Notre eau est sacrée. Les hommes-medicine navajo savent parler à l'eau. Les tempêtes sont sacrées, les vents, le feu, l'air et les saisons sont sacrés pour nous. Même le charbon et tous les minéraux sont sacrés. Nous voulons conserver cela dans son ordre naturel. Et cela signifie : PAS de mines. Nous ne pouvons tolérer le viol de notre Mère la Terre.

Les gens possèdent des bourses des montagnes sacrées pour le bétail et la terre[13] (4). C'est notre mode de vie traditionnel. Nous avons besoin de notre bétail : ânes, chèvres, chevaux, bœufs, mules, moutons, etc. Il est notre moyen d'existence. De lui dépendent notre nourriture, notre commerce, notre abri, nos couvertures. Parfois nous faisons don d'un mouton pour les cérémonies. Et c'est grâce aux cérémonies que nous pouvons entretenir notre bétail. Le Créateur nous a bénis avec lui. Nos frontières aborigènes sont les quatre Montagnes Sacrées qui représentent les montants de deux portes Et de ces Montagnes Sacrées, Montagne mâle et Montagne femelle, nous faisons des bourses de terre qui demeurent à l'intérieur des familles de génération en génération. Avec les Hopis, nos voisins, nous échangions certaines bourses de terre médecine qui représentent l'évolution traditionnelle Dineh et Hopi. Les pouvoirs entrelacés de la terre et du bétail existent. Nous vivons selon les lois du Créateur, non selon les lois humaines.

Notre prophétie nous dit de continuer à vivre selon le mode de vie traditionnel afin de conserver l'équilibre de la Terre. Nos cérémonies sont en train de disparaître, et comme nous perdons notre connexion, les forces de la nature se manifestent. C'est pourquoi il y a tant de désastres naturels. Il nous a été dit que des épreuves arrivaient, que nous devrions faire face à des conflits entre les conceptions indienne et occidentale de la vie. Il nous a été dit que cela arriverait en même temps que l'exploitation minière, la pollution et la contamination par les produits toxiques.

Si nous nous éloignons de nos voies sacrées, nous n'existerons plus. Le christianisme ne fut pas bon pour nous. Nous exerçons toujours nos pratiques médicinales et le peuple a toujours des cérémonies et des coutumes. Nous parlons toujours notre langue. Ce sont nos voies sacrées. Nous ne pouvons ni détruite ni maltraiter la Terre, l'exploiter et en tirer avantage, aspirer l'eau du sol et la polluer. Nos voies sacrées doivent être respectée".

Négociations dans I'impasse

En raison du refus de certains Navajo de quitter leurs terres de plein gré, un processus de médiation avait été engagé entre les différents protagonistes. Le 25 mars 1994, les résistants à la déportation se relièrent officiellement du processus de médiation : "Tout au long du processus, nous avons subi un harcèlement continuel de la part du Bureau des Affaires Indiennes et du Bureau de l'Aménagement du Territoire, et nous avons reçu des visites quotidiennes de la police tribale hopi essayant de nous provoquer. Nous avons participé aux rencontres de médiation. Comme signe de notre bonne foi, nous avons rempli les 10 exigences requises. En retour, on nous a donné un accord de principe (bail de 75 ans) que nous avons rejeté le 5 août 1993 car il n'était pas bon pour notre peuple. Nos demandes concernant nos coutumes et notre religion n'ont jamais été entendues. Nos droits civiques ont été violés. Alors que nous participions à ces rencontres, on a continué de nous interdire de réparer nos maisons, à saisir notre bétail, notre bois et nos outils de coupe. Nous sommes confrontés à une crise de l'eau. Nos droits aborigènes nous autorisent à nous rendre aux endroits où nos bêtes peuvent trouver de l'eau, cela signifie que nous devons pouvoir déplacer nos camps d'été et d'hiver. Tel est notre mode de vie traditionnel. Nous devons pouvoir creuser des puits. Nous devons pouvoir capter de l'eau, construire des levées de terre et des gabions[14]. Nous devons pouvoir réparer nos maisons et construire de nouveaux bâtiments selon nos besoins. Nous sommes maltraités, harcelés et subissons le racisme ambiant. Nous voulons que nos droits civiques et humains soient respectés.

Nous ne sommes pas partie prenante du projet et des cartes que le Président Zali[15] a "pondus" le 5 août 1993. On ne nous a jamais avisés du moindre détail de ce projet. Nous ne pouvons dresser la carte de nos sites sacrés ni délimiter nos frontières parce que nous aimons la Terre et la tenons toute entière pour sacrée. Nous croyons en une Terre sans frontières. Nous resterons ici sur nos terres pour préserver la beauté et l'ordre naturel sur tout Black Mesa.

Nous sommes assujettis à une limitation drastique du bétail. Le droit de mettre en vente notre bétail coûtait avant $100 et coûte à présent $1 000. La Commission sur la délimitation des territoires navajo et hopi prétend qti'il n'y a pas d'argent pour nous aider. On nous punit pour n'avoir pas accepté l'accord de principe (bail de 75 ans) et pour avoir voté contre le 5 août 1993 par 250 voix contre une.

Le Navajo Times du 24 mars 1994 a constaté que "la récente discussion concernant les saisies de bétail sur les territoires hopi partagés rappelle que la dispute concernant les terres navajo-hopi n'est pas encore résolue. (...) Le Bureau de la Commission des terres navajo-hopi n'ayant plus d'argent pour tacheter les animaux saisis, ce sont les familles navajo qui doivent en supporter le coût". Le Gallup Independent du 25 mars 1994  a souligné : "Il s'agissait du premier incident depuis que le président navajo Peterson Zah s'était plaint la semaine dernière que le BIA avait augmenté les saisies et les taxes dans un effort visant à contraindre les familles résistant au reloge-ment d'accepter les clauses du bail hopi"

.Dans une lettre du 14 mars 1994 au vice-ministre de l'Intérieur A. Deer, le président Zah accusait le gouvernement U.S. d'essayer de "faire monter la pression" sur les résistants au déplacement. Lors d'une altercation, le véhicule d'un résident, garé dans un parking en plein air, a été embouti sur le côté par la remorque de saisie du bétail. Ce harcèlement et ces menaces qui pèsent sur notre bétail, dont nous sommes dépendants pour notre survie, surtout en hiver, est inacceptable et constitue une violation des droits de l'homme.
Si nos demandes ne sont pas examinées, nous démolirons la clôture[16], reconstruirons nous-mêmes nos hogans et nous retirerons de la médiation jusqu'à ce que nous soyons entendus".

Pour une justice humaine,

Black Mesa area residents
PO Box 733, Hotevilla, AZ 86030



[1] Nom traditionnel des Navajo

[2] En dehors de la période de la révolution indienne de 1680-1692 où Pueblos et Navajo chassèrent les Espagnols d'Atzlan.

[3] Les hommes navajo sont baptisés et systématiquement exécutes; les femmes et les enfants sont baptisés puis vendus comme esclaves.

[4] Keam, marié à Dineh, devra fuir le racisme régnant au Nouveau-Mexique pour s'installer chez les Hopi, où un village porte son nom actuellement.

[5] Le carrefour des frontières de l'Utah, du Colorado, du Nouveau Mexique et de l'Arizona.

[6] Après la création de l'acte du Conseil tribal navajo par le BIA en 1923 devant faciliter l'exploitation du pétrole par la Standard Oil Company, l'Indian Reorganizarion Act de 1934 promet une assistance économique massive à toute tribu qui accepte de réorganiser son mode de gouvernement traditionnel suivant le système électoral euro-américain.

[7] Conseillés par le mormon John Boyden, le Conseil tribal hopi decide en 1951 d'un nouveau développement économique de la réserve et commence à revendiquer des terres au Conseil tribal navajo (qui avait été, sans doute à des fins de dissension largement favorisé, par le BIA). En 1963, le gouvernement fédéral alloue à l'usage exclusif des Hopi une partie de la réserve de 1882, le district n°6, la partie restante demeurant "zone d'utilisation commune" (joint use area).

[8] Entre réserve hopi et réserve navajo.

[9] La danse du soleil n'est pas une cérémonie navajo ; les rites et les croyances des Dineh se rapprochent plutôt de ceux des Hopi et des Zuni. Ainsi, les Dineh ont plusieurs divinités et la mort est un tabou important. car elle mènu à un monde obscur, mais le rêve, par exemple est, comme chez les Lakora, une expérience fondamentale.

[10] La foudre est un tabou. Quand une maison est touchée par la foudre, il faudrait selon la tradition, la reconstruire à un autre endroit. Or la loi de 1974 interdit à la fois l'édification de nouvelles maisons et la réparations des bâtiments

[11] Dans les cérémonies les danseurs dineh comme chez les Hopi et les Zunis accrochent dans le bas du dos des peaux de renard en raison d'évènements mythiques ou le renard intervient. Les guérisseurs dineh utilisent souvent des éléments liés aux mythes, comme aussi la peau de loutre.

[12] Divinité navajo.

[13] Bourse médecine constituée de divers objets sacrés parmi lesquels des échantillons provenant du sol des Montagnes sacrées.

[14] Cylindres de clayonnage, de branchages tressés et remplis de terre, utilisés pour construire des barrages ou des digues.

[15] Ex-Président du Conseil tribal navajo.

[16] Clôture de barbelés érigée le long de la frontière navajo-hopi.


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