Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France1

 

Jacques Prévert

Notice :

Le "Dîner de têtes" est à la fois un pastiche ironique du journalisme mondain, un pamphlet, une déclaration d'anticonformisme social et artistique, un poème philosophique – bien que le mot eût sans doute fait sursauter Prévert. Après avoir bâti son texte sur l'antithèse apparence-réalité, il a peut-être voulu montrer aussi qu'il ne faut pas se fier à l'apparence première des œuvres. Alors qu'il commence par attaquer la littérature à la fois à travers des littérateurs qu'il aime beaucoup (Hugo, Baudelaire), ou pas du tout (Péguy), première apparente contradiction – apparente seulement car il est des œuvres de Hugo et de Baudelaire qu'il n'aime pas –, il fait lui-même, avec "Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France", une œuvre très construite en se souvenant peut-être d'un autre créateur littéraire.

La fortune du texte fut immense. Pour Breton, qui en publiera en 1939 un large extrait dans son Anthologie de l'humour noir, il constituait un des fleurons de l'humour. Le critique Gaëtan Picon, de son côté, considérera le "Dîner de têtes", "dans son extraordinaire puissance d'invective et de violence vengeresse", comme "sans égal dans notre littérature – et tel qu'on ne peut rien lui comparer sans doute, si ce n'est quelques dessins de Daumier". [Panorama de la nouvelle littérature française, nouvelle édition refondue, Gallimard, 1960]

Les mises en scène du poème ont été nombreuses. Signalons en mai 1951, celle d'Albert Medina à la Fontaine des Quatre-Saisons, cabaret-théâtre dont Pierre Prévert venait de prendre la direction. Jacques Prévert assista à la représentation du 18 juin. La musique était de Louis Bessières et les décors de Jacques Noël. Les masques que portaient les invités de l'Élysée avaient été confectionnés par Bride, Fabra, Paul Grimault, Elsa Henriquez, Maurice Henry, Labisse, Jacques Noël, Emile Savitry et jean Vimenet. Parmi les comédiens qui figuraient derrière ces masques se cachaient Daniel Ceccaldi et François Chaumette. Seul Roger Pigaut, qui incarnait "l'homme à tête d'homme", montrait son visage à nu. Mouloudji proposa également le texte sur la scène du Vieux-Colombier en novembre 1969. Les têtes d'Édith Scob, Édith Loria, Liliane Patrick, Pierre Pernet, Aristide Demonico, Michel Paulin, sortaient d'un rideau noir, sur fond de Marseillaise malicieusement déformée. Le spectacle fut bien reçu : Paul Carrière du Figaro trouva les acteurs impressionnants malgré "les outrances de l'auteur" ["Mouloudji chante Prévert", Le Figaro, 19 novembre 1968]. Le mot se retrouvait dans un article du journal La Croix, mais dans un contexte tout à fait élogieux : "Six personnages grinçants ou pitoyables, grotesques ou tristes, très proches de nous finalement, comme l'est cette féroce comédie humaine, dans ses outrances même." ["Mouloudji et Prévert au Vieux-Colombier", La Croix, 25 novembre 1969, article J.-P. H.]

Il est surprenant de constater que ce texte – dont on ne peut nier le caractère corrosif – est souvent mieux accepté que d'autres textes polémiques de Prévert. À partir de 1976, le comédien Michel Boy proposera une interprétation solitaire et très intelligente de certains poèmes, et notamment de "Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France" et de "La Crosse en l'air" qu'il réunira fréquemment. Il remarquera que si ce dernier provoque souvent des réactions de rejet assez violent, le premier est généralement admis d'un large public. Sa structure classique n'est sans doute pas étrangère à ce phénomène.

Une adaptation pour le cinéma avait aussi été envisagée en 1957. Le film, sans doute un court métrage, aurait été réalisé par Pierre Prévert et Produit par Jean Grémillon. Le projet n'aboutit pas.

Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France

 

 

Ceux qui pieusement...

Ceux qui copieusement...

Ceux qui tricolorent

Ceux qui inaugurent

Ceux qui croient

Ceux qui croient croire

Ceux qui croa-croa (1)

Ceux qui ont des plumes

Ceux qui grignotent

Ceux qui andromaquent (2)

Ceux qui dreadnoughtent (3)

Ceux qui majusculent

Ceux qui chantent en mesure

Ceux qui brossent à reluire

Ceux qui ont du ventre

Ceux qui baissent les yeux

Ceux qui savent découper le poulet

Ceux qui sont chauves à l'intérieur de la tête

Ceux qui bénissent les meutes

Ceux qui font les honneurs du pied (4)

Ceux qui debout les morts (5)

Ceux qui baïonnette... on (6)

Ceux qui donnent des canons aux enfants

Ceux qui donnent des enfants aux canons

Ceux qui flottent et ne sombrent pas

Ceux qui ne prennent pas le Pirée pour un homme (7)

Ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler (8)

Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine

Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton

Ceux qui volent des neufs et qui n'osent pas les faire cuire

Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers

Ceux qui mamellent de la France

Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d'autres entraient fièrement à l'Élysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s'était fait celle qu'il voulait.

L'un une tête de pipe en terre, l'autre une tête d'amiral anglais, il y en avait avec des têtes de boule puante, des têtes de galliffet (9), des têtes d'animaux malades de la tête, des têtes d'Auguste Comte, des têtes de Rouget de Lisle, des têtes de Sainte Thérèse, des têtes de fromage de tête, des têtes de pied, des têtes de monseigneur et des têtes de crémier.

Quelques-uns, pour faire rire le monde, portaient sur leurs épaules de charmants visages de veaux, et ces visages étaient si beaux et si tristes, avec les petites herbes vertes dans le creux des oreilles comme le goémon dans le creux des rochers, que personne ne les remarquait.

Une mère à tête de morte montrait en riant sa fille à tête d'orpheline au vieux diplomate ami de la famille qui s'était fait la tête de Soleilland (10).

C'était véritablement délicieusement charmant et d'un goût si sûr que lorsque arriva le Président avec une somptueuse tête d'œuf de Colomb ce fut du délire.

"C'était simple, mais il fallait y penser", dit le Président en dépliant sa serviette et devant tant de malice et de simplicité les invités ne peuvent maîtriser leur émotion ; à travers des yeux cartonnés de crocodile un gros industriel verse de véritables larmes de joie, un plus petit mordille la table, de jolies femmes se frottent les seins très doucement et l'amiral, emporté par son enthousiasme, boit sa flûte de champagne par le mauvais côté, croque le pied de la flûte et, l'intestin perforé, meurt debout, cramponné au bastingage de sa chaise en criant : "Les enfants d'abord."

Étrange hasard, la femme du naufragé, sur les conseils de sa bonne, s'était, le matin même, confectionné une étonnante tête de veuve de guerre, avec les deux grands plis d'amertume de chaque côté de la bouche, et les deux petites poches de la douleur, grises sous les yeux bleus.

Dressée sur sa chaise, elle interpelle le président et réclame à grands cris l'allocation militaire et le droit de porter sur sa robe du soir le sextant du défunt en sautoir.

Un peu calmée elle laisse ensuite son regard de femme seule errer sur la table et voyant parmi les hors-d'œuvre des filets de harengs, elle en prend machinalement en sanglotant, puis en reprend, pensant à l'amiral qui n'en mangeait pas si souvent de son vivant et qui pourtant les aimait tant. Stop. C'est le chef du protocole qui dit qu'il faut s'arrêter de manger, car le président va parler.

Le président s'est levé, il a brisé le sommet de sa coquille avec son couteau pour avoir moins chaud, un tout petit peu moins chaud.

Il parle et le silence est tel qu'on entend les mouches voler et qu'on les entend si distinctement voler qu'on n'entend plus du tout le président parler, et c'est bien regrettable parce qu'il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.

"...car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d'Alger, pas de consul... pas d'affront à venger (11), pas d'oliviers, pas d'Algérie, pas de grandes chaleurs, messieurs, et les grandes chaleurs, c'est la santé des voyageurs, d'ailleurs..."

Mais quand les mouches s'ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d'autrefois, toutes ces statistiques les emplissant d'une profonde tristesse, elles commencent par lâcher une patte du plafond, puis l'autre, et tombent comme des mouches, dans les assiettes... sur les plastrons, mortes comme le dit la chanson.

"La plus noble conquête de l'homme, c'est le cheval, dit le président, et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là."

C'est la fin du discours ; comme une orange abîmée lancée très fort contre un mur par un gamin mal élevé, la MARSEILLAISE éclate et tous les spectateurs, éclaboussés par le vert-de-gris et les cuivres, se dressent congestionnés, ivres d'Histoire de France et de Pontet-Canet (12).

Tous sont debout, sauf l'homme à tête de Rouget de Lisle qui croit que c'est arrivé et qui trouve qu'après tout ce n'est pas si mal exécuté et puis, peu à peu, la musique s'est calmée et la mère à tête de morte en a profité pour pousser sa petite fille à tête d'orpheline du côté du président.

Les fleurs à la main, l'enfant commence son compliment "Monsieur le Président..." mais l'émotion, la chaleur, les mouches, voilà qu'elle chancelle et qu'elle tombe le visage dans les fleurs, les dents serrées comme un sécateur.

L'homme à tête de bandage herniaire et l'homme à tête de phlegmon se précipitent, et la petite est enlevée, autopsiée et reniée par sa mère, qui, trouvant sur le carnet de bal de l'enfant des dessins obscènes comme on n'en voit pas souvent, n'ose penser que c'est le diplomate ami de la famille et dont dépend la situation du père qui s'est amusé si légèrement.

Cachant le carnet dans sa robe, elle se pique le sein avec le petit crayon blanc et pousse un long hurlement, et sa douleur fait peine à voir à ceux qui pensent qu'assurément voilà bien là la douleur d'une mère qui vient de perdre son enfant.

Fière d'être regardée, elle se laisse aller, elle se laisse écouter, elle gémit, elle chante

"Où donc est-elle ma petite fille chérie, où donc est-elle ma petite Barbara qui donnait de l'herbe aux lapins et des lapins aux cobras !"

Mais le président, qui sans doute n'en est pas à son premier enfant perdu, fait un signe de la main et la fête continue.

Et ceux qui étaient venus pour vendre du charbon et du blé vendent du charbon et du blé et de grandes îles entourées d'eau de tous côtés, de grandes îles avec des arbres à pneus et des pianos métalliques bien stylés pour qu'on n'entende pas trop les cris des indigènes autour des plantations quand les colons facétieux essaient après dîner leur carabine à répétition (13).

Un oiseau sur l'épaule, un autre au fond du pantalon pour le faire rôtir, l'oiseau, un peu plus tard à la maison, les poètes vont et viennent dans tous les salons.

"C'est, dit l'un d'eux, réellement très réussi", mais dans un nuage de magnésium le chef du protocole est pris en flagrant délit, remuant une tasse de chocolat glacé avec une cuiller à café.

"Il n'y a pas de cuiller spéciale pour le chocolat glacé, c'est insensé, dit le préfet, on aurait dû y penser, le dentiste a bien son davier, le papier son coupe-papier et les radis roses leurs raviers."

Mais soudain tous de trembler car un homme avec une tête d'homme est entré, un homme que personne n'avait invité et qui pose doucement sur la table la tête de Louis XVI dans un panier.

C'est vraiment la grande horreur, les dents, les vieillards et les portes claquent de peur.

"Nous sommes perdus, nous avons décapité un serrurier", hurlent en glissant sur la rampe d'escalier les bourgeois de Calais dans leur chemise grise comme le cap Gris-Nez.

La grande horreur, le tumulte, le malaise, la fin des haricots, l'état de siège et dehors en grande tenue les mains noires sous les gants blancs, le factionnaire qui voit dans les ruisseaux du sang et sur sa tunique une punaise pense que ça va mal et qu'il faut s'en aller s'il en est encore temps.

"J'aurais voulu, dit l'homme en souriant, vous apporter aussi les restes de la famille impériale qui repose, paraît-il, au caveau Caucasien (14) rue Pigalle, mais les Cosaques qui pleurent, dansent et vendent à boire veillent jalousement leurs morts.

"On ne peut pas tout avoir, je ne suis pas Ruy Blas (15), je ne suis pas Cagliostro (16), je n'ai pas la boule de verre, je n'ai pas le marc de café. Je n'ai pas la barbe en ouate de ceux qui prophétisent. J'aime beaucoup rire en société, je parle ici pour les grabataires, je monologue pour les débardeurs, je phonographe pour les splendides idiots des boulevards extérieurs et c'est tout à fait par hasard si je vous rends visite dans votre petit intérieur.

"Premier qui dit : "Et ta sœur", est un homme mort. Personne ne le dit, il a tort, c'était pour rire.

"Il faut bien rire un peu et si vous vouliez, je vous emmènerais visiter la ville mais vous avez peur des voyages, vous savez ce que vous savez et que la Tour de Pise est penchée et que le vertige vous prend quand vous vous penchez vous aussi à la terrasse des cafés.

"Et pourtant vous vous seriez bien amusés, comme le président quand il descend dans la mine, comme Rodolphe au tapis-franc quand il va voir le chourineur (17) comme lorsque vous étiez enfant et qu'on vous emmenait au jardin des Plantes voir le grand tamanoir.

"Vous auriez pu voir les truands sans cour des miracles, les lépreux sans cliquette et les hommes sans chemise couchés sur les bancs, couchés pour un instant, car c'est défendu de rester là un peu longtemps.

"Vous auriez vu les hommes dans les asiles de nuit faire le signe de la croix pour avoir un lit, et les familles de huit enfants "qui crèchent à huit dans une chambre" et si vous aviez• été sages vous auriez eu la chance et le plaisir de voir le père qui se lève parce qu'il a sa crise, la mère qui meurt doucement sur son dernier enfant, le reste de la famille qui s'enfuit en courant et qui pour échapper à sa misère tente de se frayer un chemin dans le sang.

"Il faut voir, vous dis-je, c'est passionnant, il faut voir à l'heure où le bon Pasteur conduit ses brebis à la Villette, à l'heure où le fils de famille jette avec un bruit mou sa gourme sur le trottoir, à l'heure où les enfants qui s'ennuient changent de lit dans leur dortoir, il faut voir l'homme couché dans son lit-cage à l'heure où son réveil va sonner.

"Regardez-le, écoutez-le ronfler, il rêve, il rêve qu'il part en voyage, rêve que tout va bien, rêve qu'il a un coin, mais l'aiguille du réveil rencontre celle du train et l'homme levé plonge la tête dans la cuvette d'eau glacée si c'est l'hiver, fétide si c'est l'été.

"Regardez-le se dépêcher, boire son café-crème, entrer à l'usine, travailler, mais il n'est pas encore réveillé, le réveil n'a pas sonné assez fort, le café n'était pas assez fort, il rêve encore, rêve qu'il est en voyage, rêve qu'il a un coin, se penche par la portière et tombe dans un jardin, tombe dans un cimetière, se réveille et crie comme une bête, deux doigts lui manquent, la machine l'a mordu, il n'était pas là pour rêver et comme vous pensez ça devait arriver.

"Vous pensez même que ça n'arrive pas souvent et qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, vous pensez qu'un tremblement de terre en Nouvelle-Guinée n'empêche pas la vigne de pousser en France, les fromages de se faire et la terre de tourner.

"Mais je ne vous ai pas demandé de penser ; je vous ai dit de regarder, d'écouter, pour vous habituer, pour n'être pas surpris d'entendre craquer vos billards le jour où les vrais éléphants viendront reprendre leur ivoire.

"Car cette tête si peu vivante que vous remuez sous le carton mort, cette tête blême sous le carton drôle, cette tête avec toutes ses rides, toutes ses grimaces instruites, un jour vous la hocherez avec un air détaché du tronc et quand elle tombera dans la sciure vous ne direz ni oui ni non.

"Et si ce n'est pas vous ce sera quelques-uns des vôtres, car vous connaissez les fables avec vos bergers et vos chiens, et ce n'est pas la vaisselle cérébrale qui vous manque.

"Je plaisante, mais vous savez, comme dit l'autre, un rien suffit à changer le cours des choses. Un peu de fulmi-coton dans l'oreille d'un monarque malade et le monarque explose. La reine accourt à son chevet. Il n'y a pas de chevet. Il n'y a plus de palais. Tout est plutôt ruine et deuil (18). La reine sent sa raison sombrer. Pour la réconforter, un inconnu avec un bon sourire, lui donne le mauvais café. La reine en prend, la reine en meurt et les valets collent des étiquettes sur les bagages des enfants. L'homme au bon sourire revient, ouvre la plus grande malle, pousse les petits princes dedans, met le cadenas à la malle, la malle à la consigne et se retire en se frottant les mains.

"Et quand je dis, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs : "le Roi, la Reine, les petits princes", c'est pour envelopper les choses, car on ne peut pas raisonnablement blâmer les régicides qui n'ont pas de roi sous la main, s'ils exercent parfois leurs dons dans leur entourage immédiat.

"Particulièrement parmi ceux qui pensent qu'une poignée de riz suffit à nourrir toute une famille de Chinois pendant de longues années.

"Parmi celles qui ricanent dans les expositions parce qu'une femme noire porte dans son dos un enfant noir et qui portent depuis six ou sept mois dans leur ventre blanc un enfant blanc et mort.

"Parmi les trente mille personnes raisonnables composées d'une âme et d'un corps, qui défilèrent le Six Mars à Bruxelles, musique militaire en tête, devant le monument élevé au Pigeon-Soldat (19) et parmi celles qui défileront demain à Brive-la-Gaillarde, à Rosa-la-Rose ou à Carpa-la Juive (20) devant le monument du jeune et veau marin qui périt à la guerre comme tout un chacun."

Mais une carafe lancée de loin par un colombophile indigné touche en plein front l'homme qui racontait comment il aimait rire. Il tombe, le Pigeon-Soldat est vengé. Les cartonnés officiels écrasent la tête de l'homme à coups de pied et la jeune fille qui trempe en souvenir le bout de son ombrelle dans le sang (21) éclate d'un petit rire charmant, la musique reprend.

La tête de l'homme est rouge comme une tomate trop rouge, au bout d'un nerf un œil pend, mais sur le visage démoli, l'œil vivant, le gauche, brille comme une lanterne sur des ruines.

"Emportez-le", dit le Président, et l'homme couché sur une civière et le visage caché par une pèlerine d'agent sort de l'Élysée horizontalement, un homme derrière lui, un autre devant.

"Il faut bien rire un peu", dit-il au factionnaire et le factionnaire le regarde passer avec ce regard figé qu'ont parfois les bons vivants devant les mauvais.

Découpée dans le rideau de fer de la pharmacie une étoile de lumière brille et comme des rois mages en mal d'enfant jésus, les garçons bouchers, les marchands d'édredons (22) et tous les hommes de cœur contemplent l'étoile qui leur dit que l'homme est à l'intérieur, qu'il n'est pas tout à fait mort, qu'on est en train peut-être de le soigner et tous attendent qu'il sorte avec l'espoir de l'achever.

Ils attendent, et bientôt, à quatre pattes à cause de la trop petite ouverture du rideau de fer, le juge d'instruction pénètre dans la boutique, le pharmacien l'aide à se relever et lui montre l'homme mort, la tête appuyée sur le pèse-bébé.

Et le juge se demande, et le pharmacien regarde le juge se demander si ce n'est pas le même homme qui jeta des confettis sur le corbillard du maréchal et qui jadis, plaça la machine infernale sur le chemin du petit caporal (23).

Et puis ils parlent de leurs petites affaires, de leurs enfants, de leurs bronches ; le jour se lève, on tire les rideaux chez le Président.

Dehors, c'est le printemps, les animaux, les fleurs, dans les bois de Clamart on entend les clameurs des enfants qui se marrent, c'est le printemps, l'aiguille s'affole dans sa boussole, le binocard entre au bocard (24) et la grande dolichocéphale sur son sofa s'affale et fait la folle.

Il fait chaud. Amoureuses les allumettes tisons se vautrent sur leur frottoir, c'est le printemps, l'acné des collégiens et voilà la fille du sultan et le dompteur de mandragores, voilà les pélicans, les fleurs sur les balcons, voilà les arrosoirs, c'est la belle saison.

Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,

ceux qui écaillent le poisson

ceux qui mangent la mauvaise viande

ceux qui fabriquent les épingles à cheveux

ceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleines

ceux qui coupent le pain avec leur couteau ceux qui passent leurs vacances dans les usines ceux qui ne savent pas ce qu'il faut dire

ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait ceux qu'on n'endort pas chez le dentiste ceux qui crachent leurs poumons dans le métro

ceux qui fabriquent dans les caves les Stylos avec lesquels d'autres écriront en plein air que tout va pour le mieux

ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire ceux qui ont du travail

ceux qui n'en ont pas ceux qui en cherchent

ceux qui n'en cherchent pas

ceux qui donnent à boire aux chevaux ceux qui regardent leur chien mourir

ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire

ceux qui l'hiver se chauffent dans les églises ceux que le suisse envoie se chauffer dehors ceux qui croupissent

ceux qui voudraient manger pour vivre ceux qui voyagent sous les roues ceux qui regardent la Seine couler

ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille, qu'on assomme

ceux dont on prend les empreintes

ceux qu'on fait sortir des rangs au hasard et qu'on fusille ceux qu'on fait défiler devant l'arc ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier

ceux qui n'ont jamais vu la mer

ceux qui sentent le lin parce qu'ils travaillent le lin ceux qui n'ont pas l'eau courante ceux qui sont voués au bleu horizon (25)

ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire

ceux qui vieillissent plus vite que les autres

ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l'épingle (26) ceux qui crèvent d'ennui le dimanche après-midi parce qu'ils voient venir le lundi et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi, et le samedi et le dimanche après-midi (27).

 

Notes

 

1. Le jeu sur l'homophonie croient-croa s'appuie sur la métaphore argotique qui désigne les prêtres comme des "corbeaux", sans doute à cause de la couleur noire des soutanes, que portaient les curés, semblable au plumage de l'oiseau en question. A son grand amusement, Prévert s'apercevra, quelques années après la publication du "Dîner de têtes" dans Commerce, que son texte voisinait avec un texte de Claudel (voir la notule, p. 1012) où on pouvait lire : "Les corbeaux seuls restent mes amis" (voir l'entretien de Prévert avec Pierre Ajame, Les Nouvelles littéraires, 23 février 1967.)

2. Le Personnage d'Andromaque, sur le nom de laquelle est bâti le néologisme, n'est probablement ni celui qui apparaît dans l'Énéide de Virgile ni celui de la pièce d'Euripide (auteurs qu'à notre connaissance Prévert ne cite jamais), mais plutôt celui de la tragédie de Racine. Nous ne pensons pas, cependant, que ce soit l'héroïne elle-même qui soit ici mise en question comme semble le croire Christiane Mortelier (Paroles de Jacques Prévert, "Lire aujourd'hui", Librairie Hachette, 1976), qui commente le mot en disant qu'a Andromaque représente la mère qui se sacrifie avec ostentation" (la définition du personnage nous paraît d'ailleurs inexacte). Si c'était son aspect de veuve éplorée ou même son abnégation de mère, ostentatoire ou pas, qui était visé par Prévert, il aurait écrit : a Celles qui andromaquent". En fait, Prévert n'aime pas beaucoup la littérature classique du XVIIe siècle – il préfère l'époque baroque – et c'est avant tout à un Style et à un genre qu'il s'en prend. "Ceux qui andromaquent" sont plutôt, à notre avis, ceux qui se pâment devant les tragédies classiques, et plus largement ceux qui suivent les règles imposées au lieu de se révolter contre elles, ceux qu'il juge timorés dans l'expression, ceux qui se donnent du "Monsieur" e1 du "Madame" et qui cachent leur férocité sous une apparence de civilité. Dans Les Enfants du paradis, Prévert opposera le romantisme d'un Frédérick Lemaître et même de l'assassin Lacenaire au classicisme étroit d'aristocrates comme Edouard de Montray, que dégoûte Shakespeare et qui ne jurent que par la tragédie.

3. "Ceux qui n'ont peur de rien". Néologisme fabriqué d'après le nom d'un cuirassé anglais, le Dreadnought (l'Intrépide) lancé en 1905 et qui fut ensuite imité par de nombreux pays. Commerce et les éditions de 1945 et de 1947 donnaient "dreadnougtent". L'omission du h étant vraisemblablement involontaire, nous le rétablissons suivant la leçon de l'édition de 1956.

4. "Faire les honneurs du pied" signifie, en terme de vénerie, apporter à la personne qu'on veut honorer le pied avant droit de l'animal qui vient d'être tué.

5. "Debout les morts !" aurait été crié par l'adjudant Péricard le 8 avril 1915 dans une tranchée du Bois-Brûlé, au sud de Saint-Mihiel. C'est beaucoup plus à Maurice Barrès, pense jean Norton Cru, qu'à Péricard lui-même que l'on doit la célébrité de cet épisode. Barrès, dans un article du 18 novembre 1915 qui servit de préface à un livre de Péricard, rapporte en effet ces mots devenus légendaires. Dans Debout les morts ! paru en juin 1918 chez Payot, Péricard raconte à son tour l'anecdote, mais commente surtout l'article de Barrès. J. Norton Cru doute de l'authenticité de cette histoire (voir Jean Norton Cru, Témoins, "Les étincelles", 1929, p. 378)

6. Contraction de l'ordre militaire "Baïonnette au canon !", à la manière des adjudants et autres gradés qui le hurlent aux soldats.

7. Premier trait d'ironie de Prévert à l'égard de La Fontaine, auquel il se référera très souvent dans Paroles, mais aussi dans ses recueils suivants. La leçon donnée par le fabuliste dans "Le Singe et le Dauphin" (IV, 7) avait de quoi lui déplaire : un dauphin entreprend de sauver les naufragés d'un bateau coulé au large d'Athènes. Un instant il confond un singe avec un homme mais, lorsqu'il l'interroge sur le Pirée, le singe répond : "il est mon ami". Le dauphin s'aperçoit alors de son erreur et replonge le singe au fond de l'eau puisqu'il n'est "qu'une bête" (voir La Fontaine, Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 149). Contrairement au fabuliste qui se place nettement du côté du dauphin, Prévert, lui, prend le parti de la victime et incite le lecteur à remettre en question la morale de la fable. Ceux qui n'ont pas la naïveté du singe, ceux qui ne sont pas dupes, sont aussi ceux qui savent duper les autres et ceux qui considèrent qu'il y a des êtres inférieurs.

8. Les ailes de géant de l'oiseau allégorique du poète chez Baudelaire l'empêchent non pas de a voler" mais de "marcher" (voir Les Fleurs du mal, "L'Albatros", v. 16, Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 10). Prévert attaque ceux qui, bouffis d'orgueil et imbus d'eux-mêmes, ne sont pas capables de rêver.

9. La répression impitoyable de la Commune qu'exerça Gaston de Galliffet (1830-1909) en mars 1871 lui valut une sanglante renommée. Il fut ministre de la Guerre au moment de l'affaire Dreyfus (1899), mais fut remplacé dès 1900 par le général André.

10. Albert Soleilland avait violé et assassiné en 1907 sa petite voisine, Marthe Eberling. Il dut de n'être pas guillotiné à la grâce qui lui fut accordée par le président Fallières, et il mourut au bagne en 1920. On comprendra plus loin (p. 6) pourquoi le vieux diplomate s'est fait la tête de cet individu.

11. Prévert fait allusion à l'incident survenu le 29 avril 1827 à Alger et qui servit de prétexte à la France pour conquérir l'Algérie, mais aussi aux discussions que, plus d'un siècle après, l'incident provoqua. En ?29-1930, en effet, on préparait les fêtes du centenaire de la conquête e l'Algérie et de nombreux articles tentèrent d'expliquer les causes de l'action de la France en 1830. Le dey Hussein, qui avait pris le pouvoir en 1818, réclamait au gouvernement français une dette datant du Directoire. Le consul Deval étant venu lui faire le compliment d'usage la veille des fêtes mahométanes, le dey, irrité de n'avoir pas reçu de réponse des autorités françaises, l'en accusa. Il se leva de son siège et avec le manche de son chasse-mouches frappa Deval de trois coups violents. Les articles écrits en 1929 et 1930 relatent l'incident de différentes manières, certains doutant des coups qui auraient été portés par le chasse-mouches, d'autres au contraire essayant de prouver l'existence de l'ustensile...

12. Le Château Pontet-Canet est un grand cru de Pauillac.

13. Les sentiments anticolonialistes sont particulièrement exacerbés en cette année 1931 où est organisée à Vincennes, à grands renforts de publicité, une Exposition coloniale, inaugurée le 6 mai par le président Doumergue. Les surréalistes (que Prévert a quittés en 1930) publient deux tracs contre cette exposition. Le premier, intitulé "Ne visitez pas l'Exposition coloniale", dénonce les horreurs commises par les colons et appelle à l'évacuation des colonies ; le second : "Premier bilan de l'Exposition coloniale", déplore qu'un incendie ait détruit des chefs-d'œuvre arrachés par la force aux peuples opprimés et ironise sur le déficit de l'exposition.

14. Cabaret des années 5930 qui se trouvait 54, rue Pigalle.

15. Si cet "homme à tête d'homme" n'est pas Ruy Blas, bien qu'il soit un peu dans la situation du personnage de Hugo apostrophant les ministres ("Bon appétit, messieurs..."), c'est peut-être parce que son langage se veut plus simple, moins métaphorique, mais aussi parce qu'à la différence de Ruy Blas il n'est pas en position de force (Ruy Blas est premier ministre) et, plus subtilement encore, parce qu'à la différence de celui-ci il ne porte pas de masque (Ruy Blas, homme du peuple, passe pour un grand seigneur, don César de Bazan).

16. Médecin italien apprécié à la cour de Louis XVI pour ses talents de guérisseur et sa pratique des sciences occultes. Il fut compromis dans l'affaire du Collier. Joseph Balsamo, alias comte de Cagliostro (1743-1795), inspira à Alexandre Dumas un de ses cycles romanesques.

17. C'est par la définition du mot "tapis-franc" que débute Les Mystères de Paria d'Eugène Sue : "Un tapis franc, en argot de vol et de meurtre, signifie un estaminet ou un cabaret du plus bas étage." Un "chourineur" est également défini un peu plus loin par Sue comme "un donneur de coups de couteau". Dans le premier chapitre du roman, un homme prénommé Rodolphe se rend dans les bas-fonds de Paris où il fait la connaissance d'une pauvre enfant, Fleur-de-Marie, et d'un criminel surnommé le Chourineur. Après une rencontre plutôt houleuse – Rodolphe donne une correction au Chourineur qui maltraitait la jeune fille –, les trois personnages sympathisent et vont souper ensemble dans un "tapis-franc". En réalité, Rodolphe est un grand duc allemand déguisé en ouvrier. En expiation d'une faute ancienne, il se rend dans les quartiers louches pour venir en aide aux misérables, sauver des âmes et défendre les faibles.

18. Quasi-citation de Victor Hugo : "Les Turcs ont passé là : tout est ruine et deuil" ("L'Enfant", Les Orientales, XVIII ; Œuvres poétiques, Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 637).

19. C'est en fait le 8 mars 1931 (et non le 6) qu'eut lieu à Bruxelles une importante manifestation en l'honneur des vingt mille colombophiles morts à la guerre et des pigeons-soldats. Pour la circonstance, associations de colombophiles, anciens combattants, personnalités diverses s'étaient rendues à Bruxelles. Le 7 mars, à 19 heures, eut lieu un dîner (qui devait ressembler à celui que décrit Prévert) au terme duquel, nous indique Le Soir du 9 mars, une personnalité "prononça un discours très remarquable auquel répondirent d'autres messieurs très distingués". Comme "ceux qui copieusement" sont souvent "ceux qui pieusement", le lendemain matin toutes les délégations se rendirent sur la tombe du soldat inconnu. Un colonel, parlant au nom de la Défense nationale, remercia les organisateurs pour ce "pieux hommage". C'est bien "musique militaire en tête" que le cortège se rendit ensuite devant le monument élevé au Pigeon-Soldat. Le mémorial, œuvre du sculpteur Voets, représentait "une femme debout accueillant, sur sa main droite tendue une colombe annonciatrice de paix". A plusieurs reprises il fut rendu hommage au colonel Rampal, présent à la cérémonie, pour son héroïsme à défendre le fort de Vaux (arrondissement de Verdun), dont le nom n'est peut-être pas étranger au jeu de mots qui suit sur le "jeune et veau marin", d'autant plus que les pigeons jouèrent un rôle important dans la défense du fort (l'un d'eux fut même décoré de la Croix de guerre française !). Les veaux marins sont des phoques qui vivent cachés dans des grottes. On les appelle aussi des phoques moines, ce qui ne peut que faciliter, dans l'esprit de Prévert, leur association avec les pigeons-soldats.

20. Prévert invente une localité à partir d'une recette de cuisine célèbre, la "carpe à la juive".

21. Prévert se souvient peut-être d'un passage du film d'Eisenstein, Octobre (1927). Un ouvrier qui participe à une manifestation veut sauver un étendard déchiqueté, symbole de la révolte. Il aperçoit un couple : un officier et une jeune femme qui joue avec une ombrelle. L'officier se jette avec rage sur l'ouvrier tandis que la jeune femme essaie de préserver son ombrelle. D'autres bourgeois viennent aider l'officier à taper sur l'ouvrier et la jeune femme regarde le spectacle en souriant. L'ouvrier sera piétiné par des bourgeoises hystériques se servant du manche de leur ombrelle comme d'une arme. – Le poète, qui a promené Eisenstein dans Paris pendant le séjour du cinéaste dans la capitale fin 1929-début 1930, pourrait ainsi lui rendre un discret hommage.

22. Ceux qui vendent de la viande et des édredons (dont le duvet est fourni par des plumes d'oiseaux) ont en commun d'être des exploiteurs du genre animal.

23. Cet amalgame qui consiste – sans souci de l'anachronisme et de la disproportion des crimes – à imputer au même homme la responsabilité de la meurtrière machine infernale lancée contre Bonaparte le 24 décembre 1800, qui fit vingt-deux morts en explosant, et une manifestation inoffensive et toute récente (on peut en effet supposer que des confettis aient été jetés sur le corbillard du maréchal Joffre, mort le 3 janvier 1931), rappelle dans une certaine mesure celui qu'opéra le premier consul lui-même au lendemain de l'attentat : profitant d'une campagne de presse qui accusait un sans-culotte et malgré les résultats de l'enquête, qui mettaient en cause des émigrés royalistes, il attribua le complot à des jacobins pour se débarrasser d'eux.

24. La graphie binocard est une altération populaire de binoclard. – En argot, “bocard” désigne un mauvais lieu.

25. Couleur de l'uniforme des soldats français de l'époque.

26. On a longtemps raconté que le financier Jacques Lafitte (1767-1844) se serait présenté, à ses débuts, chez un grand banquier de Paris pour lui demander du travail. Éconduit, il aurait ramassé une épingle dans la cour du banquier et celui-ci, impressionné par le sens de l'économie du jeune homme, l'aurait alors engagé. En publiant en 1932 les Mémoires de Lafitte, Paul Duchon révélera au public qu'il s'agissait d'une légende c'est le patron de Lafitte qui l'avait envoyé chez le banquier en le recommandant chaudement.

27. Andrée Bergens (Jacques Prévert, "Classiques du XXe siècle", Editions universitaire, 1969) fait remarquer que ce thème de la monotonie quotidienne est évoqué de façon similaire par des écrivains contemporains de Prévert : "Mais cette oscillation n'était qu'une apparence ; en réalité le plus court chemin d'un labeur à un sommeil, d'une souffrance à une mort. Depuis des années, ce même instant se répétait identique chaque jour, samedi dimanche et jours de fête exceptés" (Raymond Queneau, Le Chiendent, Gallimard, 1933). – "Quand on vit, il n'arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent... Il n'y a jamais de commencements. Les jours s'ajoutent aux jours sans rime ni raison, c'est une addition interminable et monotone des heures et des jours. Lundi, mardi, mercredi. Avril, mai, juin" (Jean-Paul Sartre, La Nausée, Gallimard, 1938). – "Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi sur le même rythme..." (Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942.) Le texte de Prévert, notons-le, est le plus ancien.


1 Extrait de Paroles (édition : 1947). Poème daté de 1931. Selon l’édition de 1947, édition originale du recueil définitif. Édition Paroles, édition augmentée de 15 textes. Paris : Le Point du Jour, coll. “Le Calligraphe”, juin 1947. Cette édition respecte la graphie originale du manuscrit de Prévert, avec ses imperfections et notamment l’absence de majuscules aux noms propres et la ponctuation.


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